Le domaine naval
» Où sont nos porte-avions ? » C’est par cette question que les présidents des États-Unis sont réputés commencer l’analyse des situations de crises internationales. La formule résume à elle seule l’importance prise par les forces navales dans la gestion de crises et souligne, s’il en était besoin, la puissance des plates-formes navales modernes.
Les forces navales françaises ont connu une évolution similaire. Le porte-avions Charles-de-Gaulle, le sous-marin nucléaire lanceur d’engins le Vigilant qui vient de débuter ses essais à la mer n’ont que peu de rapport avec la nef armée de la bataille de l’Écluse. L’éventail des missions de la Marine nationale s’est élargi en proportion. À côté des missions quotidiennes et traditionnelles de haute mer se sont développées des opérations dans les espaces littoraux en appui direct et en soutien logistique des opérations terrestres telle l’opération Héraclès en soutien des opérations en Afghanistan. La grande capacité d’emport des plates-formes et leur mobilité en font un instrument privilégié de projection de forces en même temps qu’un outil précieux au service de la nation.
Les articles du présent numéro de la revue La Jaune et la Rouge mettent en valeur à juste titre l’action remarquable de la Marine nationale dont les médias se sont notamment fait l’écho récemment illustrant ainsi la mission d’action de l’État en mer tant dans la poursuite de bâtiments pollueurs que dans la lutte contre les trafics ou lors des tragiques événements de Charm El Cheikh.
J’apprécie ainsi tout particulièrement de pouvoir apporter la contribution de la DGA à ce numéro et attester ainsi du lien étroit qui nous unit.
L’image de puissance de la marine, son action au service de la défense et de l’État, les valeurs de dévouement qu’elle incarne renvoient une image de stabilité et de tradition émaillée de hauts faits d’armes.
Pour autant, plus que beaucoup d’autres, le domaine naval par son poids tant économique (transport, richesses naturelles, emplois, etc.) que politique (dissuasion, gestion de crise, etc.) est un domaine clef pour l’avenir de notre pays et, par là même, un domaine d’expression privilégié de la recherche d’excellence toujours renouvelée au service de nos forces.
Il est ainsi l’objet d’évolutions profondes. Au premier rang de ces évolutions, l’équipement de la marine en est la traduction la plus concrète. La loi de programmation militaire consacre à ce titre un grand mouvement de modernisation dont la commande d’un premier lot de frégates multimissions, des deux premiers sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Barracuda et d’une première série de missiles de croisière navals est l’illustration.
La décision de lancement du programme du deuxième porte-avions et le choix de son mode de propulsion en début de cette année ont ouvert par ailleurs la voie d’un recouvrement de la permanence à la mer du groupe aéronaval en même temps que la perspective d’une coopération avec le Royaume-Uni. Elle souligne ainsi de façon emblématique, avec d’autres programmes tels que les frégates Horizon ou la torpille MU 90, l’ouverture européenne de notre défense.
Pour être moins visibles, les évolutions technologiques qui accompagnent le renouvellement de la composante navale de notre système de défense n’en sont pas moins majeures.
La mise en réseau des capteurs et des systèmes de combat des bâtiments, la complémentarité des moyens de surface et aéroportés, l’élongation des communications par les relais satellites, le recours à l’espace pour la navigation, la surveillance et l’océanographie, ces évolutions rendues possibles par les nouvelles technologies conduisent à étendre des abysses à l’espace le spectre des compétences requises pour asseoir notre maîtrise du milieu maritime.
La nécessité de maîtriser l’ensemble du milieu maritime, tel qu’il vient d’être ébauché, pour assurer à la composante navale toute son efficacité opérationnelle impose une approche novatrice et adaptée tant dans la spécification des systèmes d’armes que dans la conduite des projets.
Il s’agit tout d’abord de privilégier une approche capacitaire afin d’embrasser l’ensemble du système de défense de notre pays dans les choix opérationnels et budgétaires à effectuer. C’est l’essence de la création du Conseil des systèmes de forces présidé par le chef d’état-major des armées que d’arrêter ces choix.
Il s’agit au plan technique de tirer profit des capacités offertes par les nouvelles technologies pour démultiplier l’efficacité de notre système de défense et dans le même temps d’assurer l’interopérabilité requise avec les systèmes de combat de nos alliés.
Il s’agit en termes de conduite de projets d’associer plus étroitement la DGA et les états-majors dans le pilotage des programmes tout en préservant les prérogatives de chacun.
Il s’agit enfin de mettre en œuvre une politique volontariste d’études amont et de démonstrateurs technologiques pour explorer, évaluer puis sélectionner les technologies les plus prometteuses au service de notre défense et, en parallèle, affiner l’expression du besoin opérationnel.
Dans ces évolutions multiples à la fois techniques et conceptuelles, la DGA apporte à l’état-major de la marine son expertise technique et de conduite de projet pour éclairer les orientations répondant au mieux aux besoins exprimés. C’est l’ambition de l’ensemble des personnels de la DGA de fournir ainsi le meilleur service aux forces armées du pays.
La DGA veille également en étroite collaboration avec l’EMA à développer la base industrielle et technologique de défense de notre pays sans laquelle il n’est pas de forces pérennes.
La modernisation des équipements, et plus largement la modernisation de la composante navale, doit s’inscrire dans un paysage industriel contrasté au premier rang duquel l’industrie navale subit une transformation progressive.
Restée à l’écart des grands mouvements de concentration qu’ont connus les secteurs aéronautiques ou électroniques, l’industrie navale européenne est morcelée. Elle compte aujourd’hui pas moins d’une vingtaine de chantiers navals à l’inverse de l’industrie navale américaine où les six chantiers navals américains se sont concentrés au sein de deux entreprises à la fin des années quatre-vingt-dix.
L’industrie navale européenne ne peut, en l’état, répondre durablement au défi de la compétitivité à l’heure de budgets de la défense très sollicités. L’élément budgétaire n’est toutefois pas le seul à rendre nécessaire cette évolution. La consolidation mise en œuvre notamment dans le domaine des missiles avec MBDA (deuxième fabricant de missiles au monde derrière l’américain Raytheon) a ainsi intrinsèquement montré ses vertus en termes de synergies et de création de valeur à tous les niveaux.
Par ailleurs, l’accroissement de complexité des systèmes d’armes et l’approche système désormais requise par nos concepts de défense conduisent à la mise en place de groupes industriels à l’échelle européenne puis mondiale maîtrisant à la fois les technologies et la complexité de ces systèmes (système de combat, armes, etc.) par une approche verticale, capables d’assumer des risques de maître d’œuvre et de porter face aux États la responsabilité de grands programmes.
L’industrie navale française, au premier rang de laquelle la DCN, ne peut rester à l’écart et doit être en mesure de participer pleinement à ces évolutions tout en permettant toujours de conserver notre souveraineté. La composante civile de l’industrie navale française, les Chantiers de l’Atlantique, doit aussi être prise en considération pour la recherche des solutions pérennes les plus performantes.
Il est en effet tout à la fois nécessaire de disposer d’une base industrielle performante et d’assurer sur cette base la réalisation des systèmes d’armes relevant de la souveraineté de notre pays notamment pour ce qui concerne la Force océanique stratégique.
La défense se donne les moyens pour parvenir à cet objectif. Le changement de statut de la DCN effectif depuis juin 2003 a lancé la première étape au niveau français en apportant à la DCN, à travers un contrat d’entreprise passé avec l’État, les moyens nécessaires à son autonomie et à sa compétitivité en dehors du cadre étatique.
Ce changement de statut permet ainsi à la DCN de nouer les alliances requises pour assurer son développement. Le rapprochement entre la DCN et Thalès s’inscrit dans cette logique de même que la participation ultérieure de cet ensemble à la consolidation de l’industrie navale européenne.
Maîtriser tout l’éventail des domaines techniques clefs pour notre défense, veiller à disposer de la base industrielle et technologique de défense constituent un défi tout à la fois majeur et exaltant qui anime les équipes de la DGA dans leur action quotidienne.
Ainsi, à l’esprit d’exploration qui a poussé la marine à la découverte de territoires nouveaux et qui caractérise ses personnels répond l’esprit d’exploration maîtrisée des savoirs par la DGA au service de la défense. Cet esprit commun fera naître notre système de défense de demain.
Un SNLE. MARINE NATIONALE