Le Fil / Tigresse / Septembre sans attendre / À son image / Emilia Perez
Le podium a par ici cinq marches et le triste verdict est de rester au pied. Ce qui ce mois-ci sera, en dépit de qualités réelles, le lot de La prisonnière de Bordeaux de Patricia Mazuy, du Roman de Jim des frères Larrieu et du Procès du chien de Laetitia Dosch (trop « foutraque », malgré son casting, malgré elle).
Le Fil
Réalisateur : Daniel Auteuil – 1 h 55
Passionnant film de procès. Moins puissant sans doute que l’Anatomie d’une chute de Justine Triet, mais précis, rigoureux, avec un montage alterné (flash-back ; audience) équilibré qui aide efficacement au progrès de la narration. Tout est clairement organisé, articulé. Auteuil est excellent, devant comme derrière la caméra, et le casting est impeccable. C’est un plaisir de retrouver, à côté de Grégory Gadebois, Isabelle Candelier, Sidse Babett Knudsen (maturité féminine lumineuse et pointe d’accent danois) et un très inattendu Gaëtan Roussel. Observation humaine aiguë et amer coup de théâtre final. Jean-Sébastien Bach dans la bande-son. Transposition d’un fait divers rapporté dans le recueil de nouvelles Au guet-apens : chroniques de la justice pénale ordinaire de Maître Mô, l’avocat Jean-Yves Moyart, le film est une réussite.
Tigresse
Réalisateur : Andrei Tanäse – 1 h 20
La beauté silencieuse de Catalina Moga ajoute à son incarnation de Vera – vétérinaire (de zoo) touchante par temps difficile (infidélité du mari, perte antérieure d’un enfant, négligence professionnelle) – une tension supplémentaire. Le conflit conjugal est crédible (dialogues violents et crûment vrais) et l’époux bien peu glorieux. La poursuite de la tigresse échappée fonde un suspense ponctué d’une pointe de trivialité comique. Elle s’entrecroise avec l’évolution réaliste et donc (?) un peu pitoyable de la dispute des époux. Elle se conclut, après l’exploit d’un tartarin dépourvu de subtilité, par un très inattendu enterrement suivant le rite orthodoxe. Le regard du réalisateur sur les humaines petitesses est acéré et la fin, amère et réaliste, nous remplit d’une admirative empathie pour la touchante, crédible et courageuse Vera.
Septembre sans attendre
Réalisateur : Jonas Trueba – 1 h 54
Comédie fine, subtile et attachante, pleine d’une insinueuse nostalgie. La critique a évoqué Rohmer ? Alors c’est un Rohmer qui a renoncé à être ennuyeux. Après quatorze ans de vie commune, Ale (Itsaso Arana, rousseur émouvante) et Alex (Vito Sanz, un faux air de Jean-Pierre Cassel) font le projet commun d’une séparation festive. Voilà le cadre. Et qui va devenir le révélateur d’étonnements venant scander un quotidien obstiné à se poursuivre et nous faire témoins d’une vie comme les autres et pourtant comme aucune autre, semée de parents, d’amis, d’enfants, d’échanges. L’histoire roule vers son incertain dénouement, charmante et remplie de détails décalés, de notations fines, de dialogues parfois très affûtés. Les acteurs sont réjouissants et on doute tandis que la roue de leur destin dévale la pente où ils l’ont peut-être négligemment poussée. À moins que. Il faut attendre l’issue du générique final ânonnant ses informations sur les images endiablées et joyeuses de leur fête de rupture pour… conclure ?
À son image
Réalisateur : Thierry de Peretti – 1 h 53
Le mouvement indépendantiste corse autour des années 1980–1990. Formidable d’empathie nuancée et lucide sur les errements d’une jeunesse radicale et engagée, ivre de regrettables illusions romantiques. Leur observation au plus près par une jeune photographe corse, pivot du film, partagée entre la fascination amoureuse qui l’a happée et le recul qu’elle entrevoit nécessaire, et qui lui est par prudence militante consenti. Le tout soutenu, exalté, par une bande-son typée et magnifique, mélangeant les genres. Les personnages secondaires majeurs (père, amoureux de deuxième main, amis) sont clairement dessinés, réels. Une proposition de cinéma extrêmement attachante, richement instructive et cruellement triste.
Emilia Perez
Réalisateur : Jacques Audiard – 2 h 10
La transition de genre d’un baron de la drogue, ses extraordinaires développements, ses limites. Comédie musicale, thriller, drame psychologique, étude de cas : une aisance absolue pour déployer luxueusement cette histoire baroque, violente, inattendue, complexe, riche en rebondissements, sur une épatante bande-son, impeccable, jusqu’à l’hommage final surprenant comme réjouissant à la partition des Passantes de Georges Brassens. Spectaculaire présence des actrices, surtout de Karla Sofia Gascon (impressionnante) et de Zoé Saldana (explosive). Une faramineuse fantasia.