Le Fil / Tigresse / Septembre sans attendre / À son image / Emilia Perez

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°798 Octobre 2024
Par Christian JEANBRAU (63)

Le podium a par ici cinq marches et le triste ver­dict est de res­ter au pied. Ce qui ce mois-ci sera, en dépit de qua­li­tés réelles, le lot de La pri­son­nière de Bor­deaux de Patri­cia Mazuy, du Roman de Jim des frères Lar­rieu et du Pro­cès du chien de Lae­ti­tia Dosch (trop « fou­traque », mal­gré son cas­ting, mal­gré elle).

Le FilLe Fil

Réa­li­sa­teur : Daniel Auteuil – 1 h 55

Pas­sion­nant film de pro­cès. Moins puis­sant sans doute que l’Ana­to­mie d’une chute de Jus­tine Triet, mais pré­cis, rigou­reux, avec un mon­tage alter­né (flash-back ; audience) équi­li­bré qui aide effi­ca­ce­ment au pro­grès de la nar­ra­tion. Tout est clai­re­ment orga­ni­sé, arti­cu­lé. Auteuil est excellent, devant comme der­rière la camé­ra, et le cas­ting est impec­cable. C’est un plai­sir de retrou­ver, à côté de Gré­go­ry Gade­bois, Isa­belle Can­de­lier, Sidse Babett Knud­sen (matu­ri­té fémi­nine lumi­neuse et pointe d’accent danois) et un très inat­ten­du Gaë­tan Rous­sel. Obser­va­tion humaine aiguë et amer coup de théâtre final. Jean-Sébas­tien Bach dans la bande-son. Trans­po­si­tion d’un fait divers rap­por­té dans le recueil de nou­velles Au guet-apens : chro­niques de la jus­tice pénale ordi­naire de Maître Mô, l’avocat Jean-Yves Moyart, le film est une réussite.


TigresseTigresse

Réa­li­sa­teur : Andrei Tanäse – 1 h 20

La beau­té silen­cieuse de Cata­li­na Moga ajoute à son incar­na­tion de Vera – vété­ri­naire (de zoo) tou­chante par temps dif­fi­cile (infi­dé­li­té du mari, perte anté­rieure d’un enfant, négli­gence pro­fes­sion­nelle) – une ten­sion sup­plé­men­taire. Le conflit conju­gal est cré­dible (dia­logues vio­lents et crû­ment vrais) et l’époux bien peu glo­rieux. La pour­suite de la tigresse échap­pée fonde un sus­pense ponc­tué d’une pointe de tri­via­li­té comique. Elle s’entrecroise avec l’évolution réa­liste et donc (?) un peu pitoyable de la dis­pute des époux. Elle se conclut, après l’exploit d’un tar­ta­rin dépour­vu de sub­ti­li­té, par un très inat­ten­du enter­re­ment sui­vant le rite ortho­doxe. Le regard du réa­li­sa­teur sur les humaines peti­tesses est acé­ré et la fin, amère et réa­liste, nous rem­plit d’une admi­ra­tive empa­thie pour la tou­chante, cré­dible et cou­ra­geuse Vera.


Septembre sans attendreSeptembre sans attendre

Réa­li­sa­teur : Jonas True­ba – 1 h 54

Comé­die fine, sub­tile et atta­chante, pleine d’une insi­nueuse nos­tal­gie. La cri­tique a évo­qué Roh­mer ? Alors c’est un Roh­mer qui a renon­cé à être ennuyeux. Après qua­torze ans de vie com­mune, Ale (Itsa­so Ara­na, rous­seur émou­vante) et Alex (Vito Sanz, un faux air de Jean-Pierre Cas­sel) font le pro­jet com­mun d’une sépa­ra­tion fes­tive. Voi­là le cadre. Et qui va deve­nir le révé­la­teur d’étonnements venant scan­der un quo­ti­dien obs­ti­né à se pour­suivre et nous faire témoins d’une vie comme les autres et pour­tant comme aucune autre, semée de parents, d’amis, d’enfants, d’échanges. L’histoire roule vers son incer­tain dénoue­ment, char­mante et rem­plie de détails déca­lés, de nota­tions fines, de dia­logues par­fois très affû­tés. Les acteurs sont réjouis­sants et on doute tan­dis que la roue de leur des­tin dévale la pente où ils l’ont peut-être négli­gem­ment pous­sée. À moins que. Il faut attendre l’issue du géné­rique final ânon­nant ses infor­ma­tions sur les images endia­blées et joyeuses de leur fête de rup­ture pour… conclure ?


À son imageÀ son image

Réa­li­sa­teur : Thier­ry de Per­et­ti – 1 h 53

Le mou­ve­ment indé­pen­dan­tiste corse autour des années 1980–1990. For­mi­dable d’empathie nuan­cée et lucide sur les erre­ments d’une jeu­nesse radi­cale et enga­gée, ivre de regret­tables illu­sions roman­tiques. Leur obser­va­tion au plus près par une jeune pho­to­graphe corse, pivot du film, par­ta­gée entre la fas­ci­na­tion amou­reuse qui l’a hap­pée et le recul qu’elle entre­voit néces­saire, et qui lui est par pru­dence mili­tante consen­ti. Le tout sou­te­nu, exal­té, par une bande-son typée et magni­fique, mélan­geant les genres. Les per­son­nages secon­daires majeurs (père, amou­reux de deuxième main, amis) sont clai­re­ment des­si­nés, réels. Une pro­po­si­tion de ciné­ma extrê­me­ment atta­chante, riche­ment ins­truc­tive et cruel­le­ment triste.


Emilia PerezEmilia Perez

Réa­li­sa­teur : Jacques Audiard – 2 h 10

La tran­si­tion de genre d’un baron de la drogue, ses extra­or­di­naires déve­lop­pe­ments, ses limites. Comé­die musi­cale, thril­ler, drame psy­cho­lo­gique, étude de cas : une aisance abso­lue pour déployer luxueu­se­ment cette his­toire baroque, vio­lente, inat­ten­due, com­plexe, riche en rebon­dis­se­ments, sur une épa­tante bande-son, impec­cable, jusqu’à l’hommage final sur­pre­nant comme réjouis­sant à la par­ti­tion des Pas­santes de Georges Bras­sens. Spec­ta­cu­laire pré­sence des actrices, sur­tout de Kar­la Sofia Gas­con (impres­sion­nante) et de Zoé Sal­da­na (explo­sive). Une fara­mi­neuse fantasia.

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