Le barrage de Nachtigal, au Cameroun, est opéré par EDF. Le financement a été structuré par la Banque mondiale.

Le financement de l’hydroélectricité à l’international

Dossier : HydroélectricitéMagazine N°803 Mars 2025
Par Lamis ALJOUNAIDI (X02)

Les pro­jets hydro­élec­triques dans les pays en voie de déve­lop­pe­ment posent un pro­blème de finan­ce­ment, dans la mesure où ils sont très coû­teux, sou­vent trans­fron­ta­liers et sou­vent ris­qués. Il faut donc faire preuve d’imagination et de volon­ta­risme pour sécu­ri­ser ces pro­jets et pour mobi­li­ser toutes les par­ties pre­nantes. Après une période de désaf­fec­tion, les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales reviennent vers ces pro­grammes qui ont tout leur inté­rêt dans le contexte de la lutte contre le chan­ge­ment climatique.

L’hydroélectricité joue un rôle essen­tiel dans la tran­si­tion éner­gé­tique mon­diale en offrant une source d’énergie renou­ve­lable stable, per­met­tant de réduire la dépen­dance aux éner­gies fos­siles. Cepen­dant, son finan­ce­ment reste un défi com­plexe, mar­qué par des inves­tis­se­ments ini­tiaux éle­vés, des risques géo­po­li­tiques et les par­ti­cu­la­ri­tés inhé­rentes aux grands pro­jets d’hydroélectricité, tels que la varia­bi­li­té hydro­lo­gique et les contraintes géo­lo­giques. Les modèles éco­no­miques appli­qués à ces pro­jets doivent être adap­tés aux réa­li­tés locales et régio­nales pour garan­tir leur via­bi­li­té finan­cière et leur attrac­ti­vi­té pour les investisseurs.

Les particularités des projets transfrontaliers

Les pro­jets hydro­élec­triques de grande enver­gure sont sou­vent trans­fron­ta­liers, exploi­tant des bas­sins hydro­lo­giques par­ta­gés entre plu­sieurs pays. Ces pro­jets pré­sentent des défis uniques, sur­tout en termes de finan­ce­ment, car ils néces­sitent la coopé­ra­tion entre plu­sieurs États aux cadres régle­men­taires et prio­ri­tés natio­nales diver­gents. Les ini­tia­tives réus­sies sont enca­drées par des auto­ri­tés de bas­sin, comme la Zam­be­zi River Autho­ri­ty (ZRA) et l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Séné­gal (OMVS), qui faci­litent la coopé­ra­tion en défi­nis­sant des cadres de gou­ver­nance pour le déve­lop­pe­ment de ces infra­struc­tures par­ta­gées. Le bar­rage de Bato­ka, situé entre la Zam­bie et le Zim­babwe, a été déve­lop­pé grâce à une forte impli­ca­tion de ZRA, avec un modèle inno­vant. Le bar­rage est par­ta­gé entre les deux pays, tan­dis que cha­cun des deux pays déve­loppe une usine sur son propre ter­ri­toire. Ce modèle per­met de s’adapter aux forces des mar­chés locaux, tout en opti­mi­sant les res­sources partagées.

Le levier des partenariats public-privé

Les par­te­na­riats public-pri­vé (PPP) sont une solu­tion viable pour finan­cer des pro­jets d’hydroélectricité à grande échelle. Ces par­te­na­riats per­mettent aux États de tirer par­ti de l’expertise et des res­sources du sec­teur pri­vé, tout en conser­vant un contrôle sur des infra­struc­tures stra­té­giques. Les bar­rages de Kale­ta et Soua­pi­ti en Gui­née illus­trent le suc­cès de cette approche : ces infra­struc­tures de plus de 700 MW four­nissent une éner­gie pré­cieuse au réseau gui­néen et sou­tiennent l’interconnexion régio­nale. Néan­moins, ces PPP sou­lèvent des ques­tions cru­ciales sur l’engagement des États et sur leur impli­ca­tion dans la dette publique. Quelle est la capa­ci­té des États à main­te­nir un équi­libre bud­gé­taire face aux coûts éle­vés des grands ouvrages ?

Les contrats d’achat-vente à long terme

Les contrats d’achats vente d’électricité à long terme sont cru­ciaux pour ras­su­rer les créan­ciers. En sécu­ri­sant des tarifs fixes, une cou­ver­ture adé­quate du risque hydro­lo­gique et du risque d’enlèvement, ou des méca­nismes de rému­né­ra­tion fon­dés sur la per­for­mance, ces contrats per­mettent aux inves­tis­seurs de pla­ni­fier leurs inves­tis­se­ments avec plus de cer­ti­tude, mini­mi­sant ain­si les impacts des fluc­tua­tions du mar­ché et du cli­mat. La soli­di­té des ache­teurs publics reste cepen­dant un fac­teur de risque important.

Le risque des tiers pour les ouvrages en cascade

La ges­tion des cas­cades hydrau­liques est éga­le­ment un point d’attention. Dans les pays en déve­lop­pe­ment, pour faci­li­ter le finan­ce­ment des pro­jets, les conces­sions sont octroyées sur un site. Se maté­ria­lise alors le risque des ouvrages amont. Cer­tains pays pro­posent la créa­tion d’un régu­la­teur de la cas­cade. Opter pour ce modèle, tout en ras­su­rant les créan­ciers des ouvrages aval, néces­site une grande confiance dans les ins­ti­tu­tions des pays hôtes. Une ges­tion via des contrats entre acteurs pri­vés peut ain­si paraître plus simple à mettre en œuvre et éven­tuel­le­ment plus ras­su­rante pour les créanciers.

Transformer le marché pour l’offre des grands projets emblématiques

Le méga­pro­jet du Grand Inga en Répu­blique démo­cra­tique du Congo illustre à la fois le poten­tiel immense et les défis ins­ti­tu­tion­nels des grandes infra­struc­tures hydro­élec­triques. Le pro­jet, avec son poten­tiel de 40 GW, est sou­vent pré­sen­té comme capable d’alimenter le conti­nent afri­cain et au-delà. Cepen­dant, sa réa­li­sa­tion est frei­née par les défis finan­ciers liés à la fra­gi­li­té ins­ti­tu­tion­nelle et la taille réduite des mar­chés locaux et régio­naux, ain­si que par la com­plexi­té des infra­struc­tures de trans­port nécessaires.

Aujourd’hui on envi­sage l’ajout de capa­ci­tés de pro­duc­tion d’hydrogène vert pour rendre le pro­jet plus attrac­tif, par la diver­si­fi­ca­tion de ses pro­duits et sources de reve­nus. Le bar­rage de Rogun, le plus haut au monde, au Tad­ji­kis­tan, pré­sente des défis simi­laires en matière de finan­ce­ment. Il s’agit encore une fois de trou­ver un mar­ché sol­vable pour une éner­gie abon­dante, dont le coût de revient uni­taire est très com­pé­ti­tif mais dont le coût total rend son finan­ce­ment com­pli­qué dans un petit marché.

Le rôle des institutions financières internationales

Les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales (IFI) ont long­temps hési­té à finan­cer de nou­veaux pro­jets hydro­élec­triques, mais elles ont récem­ment mani­fes­té un regain d’intérêt pour eux et ont repris le finan­ce­ment de l’hydroélectricité, en com­men­çant par des pro­jets de réha­bi­li­ta­tion, notam­ment en Asie cen­trale. Les IFI jouent un rôle crois­sant pour rendre « ban­cables » les grands pro­jets hydro­élec­triques de la région.

“Les institutions financières internationales ont repris le financement de l’hydro­­électricité.”

La mise en œuvre de nou­veaux pro­jets hydro­élec­triques dans des contextes variés exige des réflexions appro­fon­dies sur les mar­chés éner­gé­tiques, l’intégration régio­nale et l’adaptation des finan­ce­ments aux réa­li­tés locales. La com­plexi­té des finan­ce­ments et des coopé­ra­tions trans­fron­ta­lières, com­bi­née aux défis envi­ron­ne­men­taux et sociaux, impose une approche collaborative.

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