Le général de Miribel (X1851) artisan majeur de la revanche
Le général de Miribel est tombé dans l’oubli alors qu’il a joué un rôle majeur dans la reconstruction de l’armée française à la fin du XIXe siècle. Cet ancien mérite un bon rappel de ses mérites. Soulignons qu’il a présidé notre association…
Quatrième enfant d’une fratrie de cinq, Marie, François, Joseph, Ambroise Copin de Miribel naît au château de Montbonnot (en Isère) le 14 septembre 1831, dans une famille anoblie sous le règne de Louis XIV. Son père prénommé Artus, colonel de gendarmerie et officier de la Légion d’honneur, sera un temps maire de Grenoble (1842−1845). Il entre à Polytechnique en 1851 et opte pour une carrière d’officier d’artillerie, arme pour laquelle il aura une prédilection tout au long de sa carrière. Sorti de l’école d’application de Metz en avril 1855, il participe dès juin à la guerre de Crimée avec éclat, étant promu lieutenant dès octobre, puis il est au retour d’expédition affecté au prestigieux régiment d’artillerie à cheval de la Garde.
Un serviteur efficace du Second Empire
Lors de la campagne d’Italie, il se distingue à Magenta pour recevoir la croix de chevalier de la Légion d’honneur, le 17 juin, mais il est blessé aux mains par une balle, à Solferino, le 24. Il est promu en fin d’année 1859 au grade de capitaine, à moins de 29 ans. Il participe ensuite à l’expédition au Mexique. Il se comporte brillamment au deuxième siège de Puebla en 1863 : réchappant miraculeusement d’une reconnaissance nocturne solitaire, il commande, sur sa demande, le lendemain 29 mars, l’assaut dans une brèche où il reçoit une blessure légère à la tête : citation à l’ordre de l’armée et promotion comme officier dans l’ordre de la Légion d’honneur. À son retour, il est choisi (mai 1865) comme aide de camp par le maréchal Randon, ministre de la Guerre, qui est soucieux de détecter les « forts potentiels » de l’armée. Il est amené à se pencher sur les questions de logistique et de mobilisation à l’échelon national, ce qui met en évidence ses qualités d’organisateur, lesquelles resteront un point fort de sa carrière. Récompensé par le grade de chef d’escadron en janvier 1867, il part comme attaché militaire à Saint-Pétersbourg en octobre 1868. Il est réputé avoir joué un rôle d’initiateur de l’alliance franco-russe, par son aisance à se mouvoir dans la haute société locale, mais plus certainement en ravivant les liens noués lors de son déplacement en qualité de président, en 1887, de la mission militaire française d’observation des grandes manœuvres russes.
Il sera acteur des négociations secrètes des étés 1890–1891.
Une belle guerre de 1870
Rappelé de Russie fin août 1870 à l’état-major du général Ducrot, nommé responsable de l’artillerie de la 3e division, il mène avec brio le combat du 21 octobre dit de la « porte de Longboyau », en lisière du bois de la Malmaison et terme de la rue de Rueil qui prendra son nom. Lieutenant-colonel le 3 novembre, il participe brillamment à nouveau au combat de Champigny, puis se voit confier la 2e brigade d’infanterie, avec le grade de colonel dès le 14 décembre. Il obtient une nouvelle citation à l’ordre de l’armée pour sa conduite au feu lors de l’ultime et sanglante sortie des soldats parisiens assiégés, à Buzenval-Rueil-Malmaison le 19 janvier 1871. Il commande ensuite le 8e régiment d’artillerie en 1872 et le transfère deux ans plus tard à Châlons-sur-Marne. Il commande ensuite la 31e brigade d’infanterie (Bourges et Avord), singularité pour un artilleur, mais cela montre un souci de parfaire la formation en tous domaines d’un futur haut responsable. Il reçoit les étoiles de brigadier le 3 mai 1875 – à moins de quarante-quatre ans – puis la troisième de divisionnaire en juillet 1880, bien avant ses cinquante ans, ce qui montre combien il était distingué par ses supérieurs et reconnu par ses pairs pour accéder aux plus hauts postes de la hiérarchie militaire.
L’alliance franco-russe
Cet accord de soutien mutuel défensif entre France et Russie en cas d’attaque d’un membre de la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Italie) doit beaucoup au général Raoul (Le Mouton) de Boisdeffre. Ce saint-cyrien, né en 1839, développe sa carrière dans l’équipe du général Chanzy (Paris et armée de la Loire en 1870, gouverneur général de l’Algérie 1873–1879) et sera attaché militaire entre 1879 et 1882 auprès de son chef devenu ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Colonel commandant le 106e RI à Châlons-sur-Marne, Boisdeffre est remarqué par Miribel, chef du 6e corps, qui le prend ensuite comme chef d’état-major puis obtient qu’il devienne son adjoint en qualité de sous-chef d’état-major général. Invité officiel aux grandes manœuvres russes de 1890, pied de nez à Guillaume II, Boisdeffre entreprend des pourparlers avec Nicolas Nikolaïevitch Obroutchev, le « patron » militaire russe, époux d’une Française ; celui-ci séjourne l’été suivant en France chez son épouse ; la négociation secrète progresse, avec la présence de Miribel, pendant que la flotte française fait une escale retentissante à Cronstadt. Boisdeffre, nommé sur suggestion de Miribel conseiller d’État en service extraordinaire de l’Armée par un décret du 19 novembre 1881, pour parachever sans entraves la négociation, fait signer par les deux parties le 17 août 1892 l’accord militaire secret. Miribel souhaitait que Boisdeffre fût son successeur et le fait nommer à la tête de la 9e DI le 11 septembre 1892, pour qu’il acquière auparavant l’expérience d’un commandement opérationnel de divisionnaire. Cette expérience sera interrompue au bout de quinze jours afin qu’il succède à Miribel. Boisdeffre sera ambassadeur extraordinaire
de la République aux obsèques d’Alexandre III en 1894, puis en 1896 pour le couronnement officiel de Nicolas II. L’affaire Dreyfus et le J’accuse d’E. Zola l’amèneront à démissionner de son poste en septembre 1898.
L’accès au commandement suprême
Chef d’état-major du 8e corps d’armée, stationné à Bourges et commandé… par Auguste Ducrot, il est appelé par le ministre de la Guerre Gaëtan de Rochebouët, choisi par Mac-Mahon, à la fonction de chef d’état-major général en novembre 1877, en plein dans la crise du 16 mai, de sorte que certains, dans le microcosme politico-journalistique de l’époque, le soupçonneront de comploter contre la République, en liaison avec les deux généraux précités. Exilé peu après à Lyon avec le grade de divisionnaire à la tête de la 28e division, un commandement territorial, il est rappelé aussitôt dans sa fonction supérieure par Léon Gambetta, lors de la constitution de son grand ministère en 1881, ce qui démontre sa loyauté à la République. Certes Miribel est d’une tendance personnelle conservatrice (catholique pratiquant, huit enfants avec son épouse depuis 1866, ultime descendante de la famille noble des Chastelard, dans la Drôme, et fille d’un polytechnicien, Ernest de Grouchy, sorti dans le corps des Mines et devenu préfet d’Eure-et-Loir). Retourné à Lyon dès l’année suivante mais parallèlement président du puissant Comité de l’artillerie (1882−1888), il commande ensuite (1887) le 6e corps, chargé des frontières de l’Est et unité majeure face à l’adversaire allemand. Charles de Freycinet (X 1846), devenu ministre de la Guerre, réussit à le ramener à la fonction suprême de l’armée en 1890, au terme de grandes manœuvres réussies à Châlons-sur Marne, et dans le cadre d’une vaste réorganisation qui en fait le généralissime désigné en cas de conflit. Tous les deux adoptent et font mettre en service le canon de 75 (modèle 1887, longuement étudié par le Comité de l’artillerie), ainsi que le fusil Lebel, armes performantes et robustes qui pèseront dans la Grande Guerre. Il déploie aussi les nouvelles troupes de montagne (alors dénommées bataillons alpins de chasseurs à pied), dont les douze premiers bataillons sont prévus par une loi du 27 décembre 1888, et bien entendu il met en œuvre la loi sur le service universel (enfin) votée en 1889.
Quelle postérité ?
La plaque de grand officier de la Légion d’honneur lui est décernée en 1889. Il préside la société des anciens de Polytechnique en 1890, mais il meurt prématurément dans le manoir drômois de son épouse, ex-maison forte remontant à 1250, sis à Hauterives, le 12 septembre 1893 (à deux jours de ses 62 ans) d’une crise d’apoplexie qui le fit tomber de cheval, au retour d’une tournée d’inspection dans les Alpes. Une belle statue du général orne la place centrale du village. Son parcours montre, à rebours de l’opinion générale, combien il a bénéficié d’une formation approfondie par des affectations de choix et variées, même si, selon les experts, son cas demeure plutôt une exception dans une conception de la hiérarchie militaire de l’époque où prédomine l’ancienneté. Au-delà de son souci de réussir la mobilisation générale le cas échéant, Miribel cherchera à étoffer la formation d’état-major des officiers, de par l’exemple allemand (Moltke) ou, en sens contraire, le contre-exemple russe ; et en réaction, peut-être, à la suppression du corps spécifique des officiers d’état-major, à la prussienne, mis en place après 1870 mais vite abandonné au profit du système de l’École de guerre (créée en 1876), recyclage d’une année à plein temps, après le parcours d’officier subalterne. Son décès prématuré, après à peine trois ans de fonctions, explique l’évanouissement de sa renommée, d’autant que la grande muette sera secouée juste après, de manière prolongée, par les épisodes successifs de l’affaire Dreyfus.
Une famille de polytechniciens
Le général de Miribel est le membre majeur d’une famille de polytechniciens du XIXe siècle, puisque son frère aîné a suivi la même formation, puis deux de ses fils à la génération suivante.
Son frère aîné : Henri (1828−1872) est X 1848. Deux de ses trois fils : Marie-Joseph, Henri (1867−1946), X 1886, colonel d’artillerie ; Marie-Ludovic, Fernand (1879−1967), X 1898, carrière dans l’artillerie puis versé dans l’aviation, général de brigade aérienne, commandeur de la Légion d’honneur. À noter que son troisième fils, Marie-François, sans faire l’X, terminera tout de même général de brigade. Famille de militaires bien représentative des CSP+ de la France du XIXe !