Le Général Faidherbe (X1838) : soldat, administrateur et politique
La France de la fin du XIXe siècle doit au général Faidherbe la solidité de son implantation en Afrique de l’Ouest. Notre camarade avait servi le Second Empire avec efficacité lors d’une carrière entièrement africaine qui à ce niveau était rare à l’époque, mais il était avant tout un républicain convaincu et se mua en politique lors de l’avènement de la IIIe République.
Louis Léon César Faidherbe est né à Lille le 3 juin 1818, d’extraction modeste mais républicaine – son père, bonnetier, a été un soldat de l’an II. Boursier, Faidherbe intègre Polytechnique (promotion 1838), puis suit l’école d’application de Mézières comme officier dans l’arme du Génie. Il sert aussitôt en Algérie pendant cinq ans de « campagne militaire » entre 1842 et 1847, à l’époque de Bugeaud, campagne suivie d’un séjour de deux ans (1848−1849) en Guadeloupe, où il contribue à l’abolition de l’esclavage, avant de retourner pour un deuxième temps algérien de trois ans. Fort apprécié par ses chefs en raison de ses compétences et de son énergie, il reçoit la Légion d’honneur en 1852. Il est envoyé au Sénégal en août de la même année pour y diriger le Génie… et les Ponts et Chaussées, avec Émile Pinet-Laprade (X1841), capitaine du Génie aussi. Cette trajectoire hors de métropole alors rare, qui lui a permis d’approcher la culture islamique, lui vaut d’être promu, après la prise en mars 1854 puis la reconstruction du fort de Podor, officier supérieur, à 36 ans…
Gouverneur du Sénégal à 36 ans
Quelques mois après, il est désigné comme gouverneur du Sénégal, le 1er novembre 1854, pour un « septennat ». Il y sera promu colonel plein fin 1858, le plus jeune de sa génération. Après une interruption en métropole pour restaurer sa santé, promu commandeur de la Légion d’honneur, il remplace à Saint-Louis en juillet 1863 son successeur, le futur amiral Jauréguiberry, pour un nouveau séjour de deux ans. Son successeur sera alors Pinet-Laprade, fidèle applicateur de ses méthodes, qui mourra du choléra en 1869 à Saint-Louis. Il cherche à étendre le territoire sous contrôle français, alors limité à la région de Saint-Louis, à l’embouchure du fleuve Sénégal et à l’île de Gorée qui verrouille la baie protégée de la presqu’île du Cap-Vert. Il repousse les Toucouleurs d’El-Hadj Omar vers l’est et prend Médine (16 novembre 1857), loin en amont sur le fleuve Sénégal. Il annexe la totalité de l’aire Ouolof, repousse les Maures au nord avant de contrôler les Sérères plus au sud (bataille de Logandème le 18 mai 1859). Il ouvre donc largement l’Ouest africain subsaharien à la conquête française, exposant le premier l’idée d’un futur chemin de fer Sénégal-Niger. Faute de troupes métropolitaines suffisantes, pour accroître ses forces il obtient la création des tirailleurs sénégalais par un décret du 21 juillet 1857, signé par Napoléon III alors en cure à Plombières, qui fonde ainsi les troupes coloniales.
Soldat, mais administrateur avisé
Au-delà du conquérant qui promeut énergiquement les intérêts français les armes à la main, il se révèle un administrateur avisé, qui améliore l’administration locale. Il crée des cercles de proximité, tribunaux locaux confiés aux autochtones, en contrepartie d’écoles et d’internats pour former à l’occidentale et retenir comme « otages » les fils et neveux des chefs indigènes, lesquels seront un vivier d’interprètes (à l’imitation de la méthode anglaise). Il s’intéresse à la géographie du territoire par diverses publications et, véritable ethnographe, aux langues vernaculaires dont il apprend plus que des rudiments : il publiera un annuaire, petit dictionnaire en fait comportant la traduction du français en ouolof, sérère et soninké de plus de mille cinq cents mots. Sur le plan économique, il favorise la culture exportatrice de l’arachide, voire de l’indigo, fût-ce au détriment des cultures vivrières. Nommé, pour ordre, général à 45 ans, commandant la subdivision de Sidi Bel-Abbès au printemps 1863, il retourne à l’été au Sénégal, parvient alors à pacifier le Cayor et donc à permettre de relier Saint-Louis à Dakar (le chemin de fer projeté sera achevé en 1880). Il implante la culture de coton en raison de la pénurie induite par la guerre de Sécession outre-Atlantique, mais elle ne prospérera toutefois pas… au-delà de 50 tonnes par an. L’île de Saint-Louis devient sous son gouvernement une vraie ville moderne, reliée par un pont, reconstruit en fer et tournant en 1897, qui prendra son nom. Le Sénégal constituera la base arrière de toute la conquête de l’A‑OF dans le dernier quart du XIXe siècle.
Une belle guerre de 1870
Commandant de la subdivision de Bône (à nouveau l’Algérie), il est en congé à Lille lors de la déclaration de guerre en 1870. Léon Gambetta lui confie le 23 novembre avec l’étoile supplémentaire de général de division le commandement de l’armée du Nord, en succession de Bourbaki. Il mène des batailles à Villers-Bretonneux dès le 27 pour tenter de reprendre Amiens, puis à l’Hallue et Bapaume le 3 janvier 1871, mais ne peut exploiter son succès, faute de cavalerie. Il subit un coup d’arrêt à Saint-Quentin le 19 : bien qu’encerclé, il parvient jusqu’à l’armistice à sauvegarder le territoire de l’ancienne région « Nord-Pas-de-Calais » d’une invasion prussienne, ce qui sera une source de fierté profonde pour les « chtis » et qui explique sa grande popularité locale jusqu’en 1914. Aux côtés de Chanzy et d’Aurelle de Paladines, il est l’un des trois généraux cités sous l’urne de Gambetta au Panthéon (avec les deux colonels Denfert-Rochereau et Teyssier).
“La République lui octroiera des funérailles nationales.”
Un républicain convaincu
La paix revenue, il entame une carrière politique comme élu républicain dans la Somme, démissionne de l’armée puis choisit le Nord lors des élections du 8 juillet 1871 (il avait été aussi élu dans la Somme et le Pas-de-Calais à l’époque où il était possible de se présenter dans plusieurs circonscriptions), mais il démissionne dès le 20 août en critiquant vivement l’orientation conservatrice et pro-monarchique de la majorité de la Chambre. Conseiller général de Lille-Centre en octobre 1871, il est élu sénateur du Nord en 1879 (après un échec en 1876). Promu grand-croix, il devient le grand chancelier de la Légion d’honneur de février 1880 jusqu’à son décès, institution qu’il s’efforcera de moderniser, notamment les maisons d’éducation qui en dépendent. Son goût pour l’ethnographie nord-africaine, marqué par des publications avant le conflit de 1870 sur les Libyens et les Numides, l’entraîne à diriger une mission épigraphique en Haute-Égypte en 1872. Il entre à l’Académie des inscriptions et belles-lettres (en 1884) comme membre libre, terrain plus adapté à son état que les joutes parlementaires du fait de sa santé chancelante qui le contraint au fauteuil roulant. Dernier acte de sa vie politique, Faidherbe par une lettre ouverte retentissante s’opposa au boulangisme : « La Première République faisait fusiller les généraux qui osaient se révolter contre le pouvoir civil. Elle avait raison : aucune indulgence, aucune pitié n’est possible en pareil cas. Où irions-nous si nous tolérions de semblables écarts ? Il n’y aurait ni armée ni patrie. » La République – qu’il a ainsi servie avec constance – lui octroiera des funérailles nationales lors de son décès, le 28 septembre 1889.