Le général Jean NOVACQ (67) succède au général Henri MARESCAUX (63) à la direction de l’École polytechnique
X‑Info : Dans quel état d’esprit quittez-vous l’École polytechnique ?
X‑Info : Dans quel état d’esprit quittez-vous l’École polytechnique ?
Le général Marescaux : Je serais volontiers resté parce qu’il y a encore beaucoup de réformes à faire. J’ai le sentiment qu’une bonne partie de celles que nous allons proposer au ministre sera acceptée. L’École est attachante, beaucoup de gens sont sympathiques. D’un autre côté, je suis là depuis trois ans et demi et je suis arrivé lorsque l’on achevait le schéma directeur.
J’ai donc eu la chance de le mettre en route. Au moment de mettre en chantier un nouveau train de réformes, je crois que c’est bien de mettre quelqu’un de neuf. De mon côté, je vais à la Délégation générale de l’Armement parce qu’on me l’a demandé. C’est un organisme en pleine restructuration.
X‑Info : Vous partez le coeur gros ?
Le général Marescaux : Oui mais je crois qu’aujourd’hui, il y a un enjeu considérable dans l’armement et je suis d’accord pour relever le défi. Cela dit, je n’avais pas demandé à quitter l’École qui se trouve à un moment important. De toute façon, les militaires savent ce que c’est que d’être mutés. Je crois que je me passionnerai aussi pour ce que je vais avoir à faire.
X‑Info : Quel regard portez-vous sur l’École à la veille de votre départ ?
Le général Marescaux : Je crois qu’il y a une dynamique de changement acceptée par toutes les directions : l’enseignement, la recherche, la formation humaine et militaire, les relations extérieures, le concours. On ne fait pas des réformes pour le plaisir d’en faire et pour dire que tout doit changer mais parce que c’est nécessaire.
Il est sûr que je ne laisse pas l’École comme je l’ai trouvée. Avec l’appui du Conseil d’administration mais aussi avec mes idées et mon tempérament, j’ai changé un certain nombre de choses dans un sens que je pense bon. Je l’ai fait grâce à l’aide de mes collaborateurs, que je remercie.
X‑Info : Après trois ans et demi passés à la direction générale, comment jugez-vous votre politique ?
Le général Marescaux : Ce n’est pas moi qui juge ma politique, c’est le client. Polytechnique est un établissement d’enseignement supérieur et de recherche. Pour la formation des élèves, c’est l’employeur futur qui juge si les élèves ont bien été formés. Et pour l’enseignement, ce sont les élèves qui l’évaluent. Vous voyez donc qu’on tient le plus grand compte de ce que disent les clients.
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL
Le rôle du directeur général, c’est de faire en sorte que les différentes catégories de clients soient satisfaites. Quand on fixe des objectifs, on doit donner les moyens correspondants, et la répartition des moyens, c’était aussi mon rôle. Ainsi, rénover le self ou réinstaller correctement des services, cela a fait partie de ma politique. Et là, le client, c’est le personnel de l’École.
X‑Info : Quel est votre meilleur souvenir ?
Le général Marescaux : C’est vraiment difficile de répondre… Personnellement, je n’ai pas un esprit qui cherche à classer les souvenirs. Je vais quand même donner deux exemples.
J’ai un très bon souvenir de la remise des diplômes : c’était innovant et de qualité. Les élèves et leurs familles ont été contents et certains ont eu le tact de le dire. L’autre exemple est plus intellectuel : chaque fois qu’on a traité un bon dossier ou qu’on a eu une bonne réunion du comité exécutif, j’en ai gardé aussi un très bon souvenir.
X‑Info : Parmi les satisfactions, on peut citer l’ouverture de Polytechnique aux étudiants étrangers. C’est une étape importante à vos yeux ?
Le général Marescaux : Oui, très importante. C’est aussi une action difficile lorsqu’il s’agit de recruter des étudiants étrangers. Pour les attirer, il faut se présenter sous un jour attractif, et pour le devenir, il faut être compréhensible. Le système des grandes écoles est un système typiquement français. Et Polytechnique est très originale à l’intérieur de ce système. Le défi, c’est d’arriver à faire comprendre l’École à l’étranger.
Mais je ne suis pas inquiet sur l’internationalisation de l’École. Cela va prendre du temps, mais on réussira. Il y a par exemple 250 étrangers au centre de recherche. Les problèmes d’internationalisation de l’École sont des problèmes relatifs au deuxième cycle.
Attirer d’excellents étudiants étrangers est complexe. C’est par une convergence d’actions qu’on y parvient. Ces actions concernent le directeur général, le directeur des relations extérieures, les directeurs généraux adjoints pour l’enseignement, la recherche, le département des langues, bref une bonne partie de l’École.
X‑Info : Avez-vous des regrets ? Des projets chers à vos yeux et qui n’ont pu aboutir ?
Le général Marescaux : On n’est jamais satisfait à 100 %. Il y a des choses qui se font moins vite qu’on ne l’aurait espéré. Parfois, il y en a qui ne se font pas du tout. D’autres sont retardées par des événements extérieurs.
Par exemple, j’ai eu beaucoup de difficultés à obtenir le fameux décret d’organisation enfin publié le 23 décembre dernier et qu’on attendait depuis deux ans et demi. L’action du directeur général se situe au niveau des objectifs de l’École et de la mise en oeuvre de la politique de l’École. Ce qui devait être fait a été fait, plus ou moins vite.
X‑Info : Quels ont été vos rapports avec les élèves ?
Le général Marescaux : Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le directeur général a relativement peu de rapports directs avec les élèves. Je reçois les kessiers une fois par mois. Je reçois aussi un certain nombre de responsables des élèves et, d’une manière générale, tous ceux qui le souhaitent. Mais l’infrastructure de l’École et mon emploi du temps sont tels que ces rencontres restent limitées.
X‑Info : C’est un regret ?
Le général Marescaux : Oui et non. Effectivement, c’est toujours sympathique d’être au contact des élèves mais c’est d’abord l’encadrement qui a ce rôle de contact direct. Je suis là pour diriger toute l’École, dont les élèves sont le centre mais non la totalité.
X‑Info : Et vos contacts avec les enseignants et les chercheurs ?
Le général Marescaux : J’ai eu des contacts essentiellement avec les professeurs et les directeurs de laboratoires. Ces contacts ont été réguliers avec certains, épisodiques avec d’autres. J’ai beaucoup apprécié les conseils qu’ils m’ont donnés et j’en ai tenu compte.
X‑Info : Comment voyez-vous l’avenir de l’École avec la réforme des armées ?
Le général Marescaux : C’est tout le volet sur lequel on a travaillé dans le groupe de travail du ministre, présidé par Monsieur Faurre. Je ne vous dirai pas quelles sont nos propositions mais une fois de plus, c’est l’occasion pour l’École de réfléchir à ce qu’elle est, à sa mission et partant de là, à la manière dont elle doit évoluer. La manière de faire en 1997 n’a aucune raison d’être la même qu’en 1970. Or, aujourd’hui, l’École est régie par des textes qui datent de cette époque. Ils sont obsolètes. Nous profitons de la réforme du ministère de la Défense pour moderniser ce qui doit l’être ; tout ceci était en germe dans le schéma directeur qui reste la référence.
X‑Info : De l’extérieur cette institution a la réputation de regrouper militaires et personnels civils, mais avec le temps, ne craignez- vous pas que l’École polytechnique perde de son identité ?
Le général Marescaux : Il n’y aura plus d’appelés, il y aura, je l’espère, quelques volontaires ! L’an passé, j’avais proposé au ministre de faire une expérimentation pour l’année militaire des élèves. Jusqu’à présent, les élèves faisaient leur année de formation humaine dans des postes exclusivement militaires.
Aujourd’hui, nous menons une expérience avec une cinquantaine d’X 96. Certains sont dans les commissariats de l’Essonne et ils ont un encadrement de qualité. Ce qui leur est proposé reste de même nature que ce qui est offert dans les armées. À mon avis, c’est aussi formateur.
Quand je suis arrivé, j’étais très agacé par la manière dont le système militaire était conçu à l’École. J’ai trouvé qu’il était très démodé et qu’il manquait de rigueur. Il convenait de mettre un certain nombre de choses en ordre, ce qui a été fait. J’en avais d’ailleurs largement discuté avec mon prédécesseur, le général Parraud, qui partageait ce point de vue. Comme lui, je crois tout à fait à la formation militaire et à ses vertus ; vous voyez que je ne renie pas mes origines.
X‑Info : Quelles sont les perspectives d’évolution de l’X ?
Le général Marescaux : L’École donne à ses élèves une formation humaine, la formation d’un futur cadre. On ne change rien ni aux finalités, ni aux principes. On ajuste la manière de le faire. Je crois que mon passage ici aura aussi servi à rappeler les finalités. Je constate que les élèves adhèrent assez bien à ces idées sur la formation humaine qui est une des originalités de l’École.
Aujourd’hui, consacrer un an à faire ce type d’expérience, je pense que c’est valorisant.
X‑Info : Et maintenant, quelles seront vos fonctions ?
Le général Marescaux : Je vais aller diriger un service à créer dans une direction qui vient d’être créée. Il y a une grande réforme de la Délégation générale pour l’Armement dont le nouveau délégué, Monsieur Helmer, est un industriel. Je vais diriger le service des architectes de systèmes de forces. Il prépare les décisions concernant le lancement des programmes d’armements. Au niveau des effectifs, je n’aurai, je crois, qu’une cinquantaine de personnes. C’est un changement de métier, mais je n’ai aucune appréhension.
Pour l’École, l’arrivée d’un nouveau directeur général, le général Novacq, sera aussi un changement, mais dans la continuité. Les militaires savent qu’un système ne marche que si la continuité est garantie. Moi, j’avais pris beaucoup de consignes auprès de mon prédécesseur, le général Parraud. Je constate que le général Novacq fait de même auprès de moi. Je lui souhaite pleine réussite à la tête de l’École.
Interview réalisée par
Stéphane Deschamps
LE GÉNÉRAL JEAN NOVACQ A PRIS SES FONCTIONS LE 1er FÉVRIER
X‑Info s’est entretenu avec lui dès son arrivée.
La Jaune et la Rouge tient à lui souhaiter la bienvenue.
X‑Info : Tout d’abord, en guise de présentation, pouvez-vous nous résumer brièvement votre carrière ?
Le général Novacq : Je fais partie de la promotion X 1967. Au sortir de l’École, j’ai choisi de faire carrière dans les armes, plus précisément dans l’armée de terre. J’ai ainsi opté pour l’artillerie des troupes de marine
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL
Je serais tenté de dire que ma carrière se divise en trois périodes. Une première période consacrée à des séjours dans les régiments, où j’ai franchi tous les grades, de lieutenant jusqu’à celui de commandant. Pendant cette période, j’ai suivi une formation complémentaire – même si ce n’est pas le nom qu’on lui donne – à l’ENSTA (École nationale supérieure des techniques avancées), puis au cours supérieur des armes nucléaires. J’ai également eu l’occasion de faire un séjour outremer à Djibouti. Cette première période a donc été essentiellement consacrée à des postes de commandement et de responsabilité dans des régiments.
La deuxième période débute à la sortie de l’École supérieure de Guerre dont j’ai suivi la scolarité de 1982 à 1984. J’ai alors été affecté dans divers étatsmajors, d’abord à Djibouti où je suis retourné, puis à la direction du personnel de l’armée de terre et, enfin, à l’état-major de l’armée de terre dans le cadre d’un grand projet sur la fonction « personnel ».
La dernière période est marquée par mon temps de commandement de chef de corps. J’ai notamment eu l’honneur de commander le 11e régiment d’artillerie de marine, un régiment qui à l’époque était déjà entièrement professionnalisé. J’ai pris le commandement de ce régiment fin juillet 1990, peu de jours avant que l’Irak n’envahisse le Koweit. Mon régiment étant professionnel, il a été tout désigné pour constituer le régiment d’artillerie de la division Daguet.
Je suis donc parti avec mon régiment en Arabie Saoudite et nous avons participé à des opérations en Irak de février à avril 1991. En 1992, je suis retourné à l’état-major de l’armée de terre et, depuis cette période, j’ai consacré la quasi-totalité de mon temps à créer et monter un bureau chargé de concevoir le système d’information de l’état-major de l’armée de terre.
X‑Info : Dans quel état d’esprit arrivez-vous à l’École ?
Le général Novacq : J’ai conscience de l’honneur qui m’est fait de prendre la direction générale de cette vénérable école, dans un moment où elle est en pleine mutation, où elle conduit un projet bien défini, qui doit la mettre sur les rails pour le début du prochain siècle.
Je n’ai aucune appréhension. J’ai le sentiment que beaucoup d’actions ont été lancées mais qu’il reste énormément de choses à faire. L’étendue des actions à mener m’apparaît plutôt exaltante.
X‑Info : Vous êtes un ancien élève de l’X. Je suppose que vous avez constaté beaucoup de changements, de mutations au sein de l’École.
Le général Novacq : L’École que j’ai connue il y a bientôt trente ans et celle d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir. D’abord elles ne sont plus au même endroit. Ensuite, le statut n’est plus du tout le même. Enfin, les études, l’enseignement ont énormément évolué. Par exemple, il y a trente ans, la recherche était secondaire à l’École. Maintenant, elle occupe une place primordiale.
Voici les grandes modifications que l’on peut percevoir de l’extérieur. Il est évident que cela recouvre des évolutions beaucoup plus majeures quant au sens, à la vocation de l’École, et à sa mission.
X‑Info : Depuis quand exactement avez-vous su que vous étiez pressenti à la tête de l’École ? Et donc depuis quand travaillez-vous à la préparation de cette nouvelle fonction ?
Le lundi 3 février, accompagné du colonel André, DFHM, le général Novacq reçoit les honneurs des polytechniciens des promotions 94 et 95. © ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL
Le général Novacq : Ma nomination a été officiellement prononcée lors du conseil des ministres du 15 janvier. Elle était dans l’air depuis quelques mois à partir du moment où le général Marescaux a été pressenti pour rejoindre Monsieur Helmer à la DGA (Direction générale pour l’Armement). Disons que j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à l’École vers la fin du mois d’octobre.
Je viens régulièrement à l’École depuis bientôt trois mois. Dans le cadre de mes contacts préliminaires et officieux, j’ai participé à plusieurs reprises – en tant qu’invité – au comité exécutif et le président du conseil d’administration m’a également invité à la dernière réunion du conseil d’administration.
Le général Marescaux m’a pour sa part ouvert très gentiment tous les dossiers, nous avons discuté des problèmes de l’École. Nous avons travaillé harmonieusement pour assurer la continuité. J’insisterai particulièrement sur ce point : je tiens à ce qu’il y ait une continuité parfaite entre l’action du général Marescaux et la mienne à la tête de l’École. Le style changera peut-être mais le fond demeurera.
X‑Info : Dans quelle mesure votre expérience militaire peut servir Polytechnique ?
Le général Novacq : Question redoutable. Ce n’est pas tant l’expérience militaire elle-même que ce que j’ai pu en retirer. Il est évident que sur le plan technique mon expérience n’aura aucune retombée immédiate sur ma fonction de directeur général de l’École. La fonction de directeur général de l’École représente un nouveau métier pour moi.
Dans le cadre de mes fonctions antérieures, j’ai été peu familier avec les conseils d’administration ou avec la préparation d’un budget de l’importance de celui de l’École. Ce sont des choses nouvelles qu’il va me falloir maîtriser. En ce sens-là, c’est un nouveau métier, qui n’a rien de spécifiquement militaire. Pour répondre plus précisément à votre question, je pense que d’une manière générale, les cadres militaires peuvent apporter à l’École leur connaissance des hommes, le sens du contact humain.
En ce qui me concerne, mon expérience en la matière – en particulier dans le “management ” des hommes et la conduite de grands projets – me sera très précieuse. Je pense plus précisément à trois expériences. D’abord l’expérience opérationnelle. Vous savez, commander un régiment en opération, cela forme le caractère et rend aussi confiant dans la capacité des hommes à se dépasser. Un souvenir que je garderai toute ma vie, c’est celui de la veillée d’armes, juste avant notre engagement en Irak fin février 1991. Nous connaissions beaucoup de choses de l’ennemi d’alors, la position de ses unités, son armement, l’état moral des troupes. Mais nous ignorions sa capacité de réaction. Compte tenu de la solidité de ses positions défensives, il était en mesure de nous infliger beaucoup de pertes. C’est pourquoi, au moment de nous engager, je pensais que je voyais pour la dernière fois un certain nombre de mes “ garçons ” et que j’étais pleinement responsable de leur vie ou de leur mort. Je vous assure que ce n’est pas facile à assumer. C’est en ce sens que ça forme le caractère.
D’un autre côté, sans vouloir ressasser des souvenirs “ d’ancien combattant ”, je reste toujours admiratif devant ce qu’ont réalisé mes cadres et mes hommes pendant ces trois jours de combat. Je ne me faisais aucun souci quant à leurs capacités professionnelles, mais ils m’ont réellement étonné par leur capacité individuelle et collective à se surpasser pour remplir la mission qui lui était confiée.
La deuxième expérience à laquelle je pense, c’est celle de l’outre-mer. Je regrette un peu de ne pas avoir une expérience aussi étendue que je l’aurais souhaitée comme officier des Troupes de marine, mais les quatre années que j’ai passées dans la corne de l’Afrique m’ont quand même beaucoup appris. Elles m’ont appris notamment la nécessité de connaître intimement l’environnement culturel d’autrui si on veut dépasser une simple cohabitation superficielle et instaurer des liens durables et profonds. Un souvenir auquel je songe, c’est celui de ce nomade Afar qui m’a accueilli les bras ouverts dans son campement au milieu du désert simplement parce que j’avais prononcé quelques mots dans sa langue en le saluant. Il suffit parfois de peu de choses…
Enfin, la dernière expérience à laquelle je pense, c’est celle que j’ai eue avant d’arriver à la tête de l’X. J’ai été l’un des initiateurs d’un projet sur la refonte de la fonction “ personnel ” de l’armée de terre. Ce projet a commencé en 1989. Nous sommes en 1997 et il commence réellement et seulement maintenant à entrer en application. J’en retiens que lorsqu’on a un projet d’importance – et Dieu sait que celui que représente le schéma directeur de l’École est essentiel – les aspects techniques sont relativement faciles à mener.
En revanche, ce qui est beaucoup plus difficile, c’est de changer les mentalités et de convaincre. J’ai appris à être patient. Il faut prendre le temps de convaincre, de faire avancer les choses. Il faut savoir où on veut aller, comment on veut y aller, et avoir un plan d’action qui prenne en compte la notion de temps.
X‑Info : On parle souvent du schéma directeur de l’École mais les propositions autour de ce projet semblent encore assez secrètes…
Le colonel André a remis symboliquement au général Novacq son épée de directeur général de l’École. © ÉCOLE POLYTECHNIQUE–J.-L. DENIEL
Le général Novacq : Le schéma directeur, c’est le projet de l’École, agréé par le ministre. C’est un projet consensuel qui doit mobiliser toute l’École et qui a une incidence importante car il infléchit notablement les missions de l’École.
Il y a des axes qui ont été tracés, clairs et précis, des fondements – en particulier le décret d’organisation de l’École paru tout récemment. Il nous reste à construire sur ces bases tout un tas de chantiers. Ces chantiers sont la conséquence logique des orientations du schéma directeur et de la modification de l’environnement, notamment le passage à l’armée professionnelle, la disparition programmée des appelés, et par ailleurs la volonté des autorités politiques de réduire le déficit budgétaire. Chacun doit y prendre part – l’École en particulier dans le cadre de sa tutelle exercée par le ministère de la défense.
Un groupe de travail, présidé par Monsieur Pierre Faurre, le président du Conseil d’administration, a été créé l’année dernière pour tenir compte des infléchissements de l’environnement. Monsieur Faurre devrait remettre prochainement les conclusions du groupe au ministre et à partir du moment où le ministre aura accepté, modifié ou refusé certaines de ses propositions, de nouveaux chantiers – tous interdépendants – s’ouvriront.
Il faut attendre que le ministre ait pris connaissance des propositions du groupe de travail, qu’il donne son avis sur celles-ci, avant de les présenter publiquement.
X‑Info : Un des volets majeurs concerne la professionnalisation de l’armée. Comment Polytechnique va-t-elle aborder cette transition ?
Le général Novacq : C’est un des chantiers actuels et à venir. Il est évident que cela va poser énormément de problèmes, surtout d’ordre pratique pour l’École. Les appelés représentent une centaine de personnes. Ils ne seront évidemment pas remplacés nombre pour nombre par des militaires de profession ou des civils. Il ne faut pas se voiler la face : ce ne sera pas évident mais nous devons pouvoir faire face à cette nouvelle situation. Le général Marescaux et le groupe de travail ont déjà émis quelques propositions.
Je pense que l’on ne pourra pas continuer en procédant par réductions homothétiques dans tous les domaines. Il y a des moments où il faut abandonner ce type de raisonnements et passer à d’autres modes de réflexion qui consistent à s’interroger sur “ comment faire autrement ”.
Ceci remet en cause des habitudes acquises, cela peut choquer un certain nombre de gens qui étaient installés dans leur traintrain. On dit souvent : “ il faut apprendre à faire mieux avec moins ”. Je pense que ce n’est pas exact : il s’agit de faire autrement avec moins, en s’efforçant de ne pas dégrader le service rendu. Il n’y a pas de situation simple. On ne peut pas simplifier à outrance et conduire des hommes comme on fait marcher des machines.
X‑Info : Avec cette réforme, l’École semble se débarrasser de ses derniers oripeaux militaires…
Le général Novacq : L’École n’a pas le statut d’école militaire. En revanche, elle est et demeure sous la tutelle du ministère de la Défense. Qu’en sera-t-il ultérieurement ? Les choses peuvent évoluer. Dans l’immédiat et à vue humaine, je ne pense pas qu’il y aura de changements majeurs quant à la tutelle de l’École par le ministère de la Défense.
X‑Info : Mais la première année du polytechnicien, qui consistait en un service strictement militaire, est définitivement révolue à long terme, non ?
Le général Novacq : Je ne peux pas vous répondre aujourd’hui sur ce point. Des propositions sur l’évolution de l’École sont faites au ministre par le groupe de travail.
X‑Info : Cela signifie-t-il que l’École pourrait disposer d’un statut particulier ?
Le général Novacq : Ce sujet fait partie bien sûr d’un des chantiers ouverts et de la mission du groupe de travail que d’aménager le statut pour tenir compte de la réalité nouvelle. Il s’agit d’accommodements, d’ajustements qui ne remettent pas en cause le cursus du polytechnicien, en particulier la première année consacrée au service national, effectué jusqu’à l’année dernière exclusivement sous forme militaire.
Il y a d’ores et déjà des expériences de service national sous ses formes civiles qui sont en cours. Cet aspect des choses n’est pas secondaire : il demeure au centre de la formation humaine et militaire. Un des changements considérables et positifs que j’ai d’ailleurs pu remarquer à mon arrivée à l’École est que le chef de corps est maintenant le directeur de la formation humaine et militaire. Je crois que cela définit bien son rôle. L’ordre de ces mots a son importance.
X‑Info : Votre prédécesseur estimait que son rôle à la tête de l’École n’était pas un rôle de contact direct avec les élèves. Partagez-vous le même point de vue ?
Le général Novacq : Le général Marescaux m’a fait part de son expérience de trois ans et demi à la tête de l’École. Je crois qu’il regrettait tout de même ce manque de contact lié à ses activités considérables.
Je pense qu’en tant que directeur général, je serai soumis au même rythme infernal. Il n’empêche que le directeur général a eu quelques occasions de rencontrer, non pas tous les élèves, mais au moins un certain nombre d’entre eux et de se faire une bonne idée de leurs préoccupations, de leurs attentes en matière d’enseignement.
Je souhaite, à l’image du général Marescaux, avoir des contacts fréquents avec la Kès, de façon à faire passer les messages dans un sens comme dans un autre.
X‑Info : Votre grade de général et votre fonction de directeur général sont-ils indissociables ?
Le général Novacq : Les textes disent que le directeur général de l’École est un officier général ou un ingénieur général. C’est donc une condition nécessaire mais non suffisante.
Maintenant, est-ce indissociable ? Vous me posez une colle. Je pense que le directeur général, du fait qu’il soit un officier général, symbolise bien la tutelle de l’École par le ministère de la Défense.
X‑Info : Je me permets de vous poser cette question car votre arrivée a suscité quelques rumeurs folles. Ces rumeurs vous présentaient sous un jour assez strict, peut-être en raison de votre participation au conflit irakien.
Le général Novacq : Je n’ai pas l’impression d’être un “ pète-sec ”. Je pense être un homme d’écoute. J’ai mon caractère, mes convictions. Quant à être strict… J’aime la rectitude morale et la rigueur dans le travail. Je laisse le soin à mes collaborateurs de découvrir mon caractère.
Propos recueillis
par Y. Gauchard