Le général René Olry (X1900) vainqueur de la bataille des Alpes de juin 1940
Quatre-vingts ans se sont écoulés depuis « l’étrange défaite » de 1940. Le souvenir de ce douloureux événement ne doit pas occulter la victoire de l’armée des Alpes en juin 1940 face aux Italiens mais aussi aux Allemands. L’honneur de la France a en effet été sauvé par le général Olry (X1900), commandant de l’armée des Alpes à partir du 5 décembre 1939 et jusqu’au 25 juin 1940.
Admis à l’X en 1900, René Olry était fils d’Albert Olry, X de la promo 1866 et ingénieur en chef des Mines. Il opte pour l’artillerie en 1902 et commence une brillante carrière militaire. Sa conduite pendant la Première Guerre mondiale lui a valu cinq citations dont deux à l’ordre de l’armée. Élève à l’École supérieure de guerre, puis détaché au Centre des hautes études militaires, il est chargé de plusieurs missions internationales et de divers commandements en métropole. Il est nommé général de brigade le 16 avril 1932. Général de corps d’armée en 1936, il commande en 1937 la XVe région à Marseille. À la tête du 15e corps d’armée dans les Alpes du Sud le 2 septembre 1939, il se voit confier l’armée des Alpes le 5 décembre 1939 avant qu’il soit promu général d’armée le 10 février 1940.
Le contexte de la drôle de guerre
Neuf cents généraux composent le haut commandement de l’armée de terre en 1939–1940, dont 190 polytechniciens. Parmi ceux-ci, cinq généraux d’armée : Blanchard et Condé, qui commandent respectivement la Ire et la IIIe armée, Colson, chef d’état-major de l’armée, Doumenc, major général des armées, enfin Olry, placé à la tête de l’armée des Alpes.
Le 1er septembre, le gouvernement italien proclame sa non-belligérance, ce qui signifie que l’Italie n’entrera pas immédiatement dans le conflit, mais se réserve pour la suite. Aussi, dès la fin septembre, lorsqu’il acquiert la certitude que l’Italie demeurera dans l’expectative, le Grand Quartier général, qui manque de troupes pour le front du Nord-Est, débute les prélèvements dans le Sud-Est. Les effectifs passent en trois mois de 600 000 hommes à 190 000 hommes dont seulement 85 000 combattants, aux ordres du général Olry, un spécialiste du théâtre alpin depuis le début des années 1930.
Pour ne rien arranger, les 3 divisions d’infanterie (DI) qui complètent les 4 secteurs défensifs et fortifiés (Rhône, Savoie, Dauphiné, Alpes-Maritimes) sont composées presque exclusivement de réservistes ayant fait leur service militaire dans les années 1920 ou au début des années 1930, donc ayant besoin d’être à nouveau formés.
Les préparatifs
Olry s’attache avec beaucoup d’opiniâtreté à améliorer leur potentiel et à les rendre capables de mener un combat défensif à partir du printemps. Il a réfléchi depuis huit ans à la défense des Alpes : il n’est plus question d’envisager une offensive en Italie comme certaines études françaises le prévoyaient avant-guerre. Les combats devront se dérouler à proximité de la frontière, sur une ligne organisée, avec des avant-postes et des sections d’éclaireurs skieurs (SES) qui ralentiront l’ennemi, par ailleurs pilonné méthodiquement par l’artillerie, avant qu’il se heurte à la ligne principale de résistance.
Pour atteindre son objectif, il lui faut forger l’outil de combat dont il estime avoir besoin. Tout d’abord, il fait reprendre l’instruction individuelle et collective. Il décide de créer des Centres d’instruction pour tous les spécialistes (transmetteurs, armes collectives, etc.). Il s’agit d’éviter la routine voire l’hibernation des unités pour, au contraire, entretenir la vigueur, la discipline et le moral. Le général Olry s’attache également à perfectionner la ligne principale de résistance, tant que les températures permettent de poursuivre les travaux en haute montagne. Il prévoit aussi d’assurer sa défense dans la profondeur : une deuxième position à base de destructions préparées à l’avance devra permettre de retarder l’ennemi s’il parvient à percer la ligne principale de résistance.
Si au printemps 1940 l’Italie est toujours non-belligérante, Olry, dans tous les ordres qu’il donne, agit comme si la guerre allait se déclencher les jours suivants. Il n’a reçu aucune orientation ou directive de l’échelon supérieur mais place son armée sous tension, prête à agir.
Un organisateur hors pair
À partir de début mai, les unités françaises sont poussées vers les crêtes frontières et la haute montagne. Olry veut être prêt à repousser une attaque italienne, mais il cherche aussi, en prenant cette décision, à ce que les unités se défassent le plus tôt possible des mauvaises habitudes de confort prises dans les vallées. Après le 10 mai et l’attaque allemande foudroyante qui se produit, il fait accélérer les préparatifs de tous ordres. La tension est désormais palpable au PC de l’armée à Valence. Entre le 20 et le 30 mai, le commandant de l’armée des Alpes peaufine son dispositif. Il décide de sa propre initiative de réquisitionner plusieurs dizaines d’autobus supplémentaires afin de pouvoir transférer plus facilement des unités d’un secteur à l’autre, selon les circonstances. Le dispositif d’alerte des unités de l’avant est activé à compter du 25 mai.
Enfin, durant les dix jours qui précèdent le conflit, la préparation s’accélère encore. Le 1er juin, les dispositifs de déraillement des trains venant d’Italie sont mis en place. Menton est évacué en totalité à partir du 3 juin. À partir du 6, c’est toute l’armée qui prend l’alerte, et non plus seulement les postes d’observation et unités de l’avant.
Quel bilan tirer du comportement du chef de l’armée des Alpes durant cette drôle de guerre ? Le général Olry fait preuve d’une hauteur de vue inhabituelle et domine incontestablement les événements. S’il ne désobéit jamais, il prend de larges initiatives sans en référer au niveau supérieur qu’il sait peu intéressé aux problèmes de son armée. Les ordres, instructions et directives qu’il donne montrent qu’il prend toutes ses responsabilités en s’affranchissant souvent des procédures. Sans doute cette situation, loin de lui peser, le satisfait-elle car il connaît ses talents d’organisateur et aime disposer d’autonomie. Enfin, il a confiance dans son étoile, car tout lui a donné raison jusqu’alors.
“La défaite du Nord-Est qui nous atteint
n’est pas la nôtre.”
L’affrontement
Mussolini déclare la guerre à la France le 10 juin dans la soirée. Compte tenu de la situation catastrophique qui prévaut dans le Nord-Est, Olry va plus que jamais être livré à lui-même. Dans la nuit du 10 au 11 juin, la frontière est rendue hermétique à toute attaque motorisée par des destructions opérées sur tous les itinéraires principaux. Durant les dix premiers jours les deux armées s’observent et se jaugent puis, le 21 juin, l’attaque générale se déclenche, menée frontalement dans tous les secteurs par plus de 210 000 hommes. L’assaillant, mal préparé moralement et matériellement, sans plans préconçus, doit improviser et se heurte à une défense très étudiée qu’il ne réussit pas à rompre. Le bien-fondé de l’organisation adoptée par le général Olry apparaît en pleine lumière.
La tactique contre le danger allemand
En revanche, il doit improviser une défense face aux Allemands qui vont, à brève échéance, menacer les arrières de son armée, le principe retenu étant de ne prélever aucune formation se trouvant face aux Italiens. Concrètement, le général Olry décide de créer de nouvelles unités de marche à partir des dépôts et des unités qui refluent dans la vallée du Rhône. Il prévoit la mise en place, à court terme, non pas d’une mais de trois lignes de défense successives, qui permettront de se replier et de mener des coups d’arrêt, même si l’ennemi parvient à percer en un point donné.
Grâce à ces mesures la valeur de trois divisions légères d’infanterie sont mises sur pied, soit au total un peu plus de 22 200 combattants, aux ordres de généraux expérimentés qu’il a lui-même choisis. Le résultat obtenu dépasse toutes les prévisions.
Le 21 juin, il adresse à ses subordonnés une instruction personnelle et secrète (IPS) dans laquelle il explique comment il voit la situation et donne ses ordres. Son armée, statique, est placée dans une posture plein est, face à l’Italie, elle doit y rester malgré le danger allemand qui surgit. Pour s’opposer à ce dernier, il va utiliser principalement les unités de marche qu’il vient de constituer. Puis il poursuit par ces mots lourds de sens : « La défaite du Nord-Est qui nous atteint n’est pas la nôtre. Vis-à-vis de l’Italie, qui est notre adversaire normal, que nous contenons à 1 contre 4, je veux que nous gardions le front haut. » Aussi ordonne-t-il à ses subordonnés, s’ils venaient à être encerclés par les Italiens et les Allemands, de se rendre à ces derniers, car il ne veut pas que les Italiens, qu’il sait battus, s’approprient une gloire à moindres frais.
Une victoire méconnue
La suite est connue. À l’heure de l’armistice, les Italiens seront parvenus en quelques endroits seulement à aborder la position de résistance française, en ayant subi de très lourdes pertes : 37 morts côté français, 631 côté italien. Face aux Allemands, le général Olry réussira in extremis à conserver sa ligne de résistance sur le Rhône et l’Isère. Malgré d’ultimes tentatives dans les jours qui précèdent l’armistice, la Wehrmacht n’arrivera pas à entrer ni dans Grenoble, ni dans Annecy.
Une autre des qualités qu’on peut incontestablement lui reconnaître est l’opiniâtreté. En effet, le commandant de l’armée des Alpes se montre imperturbable, rien ne le faisant dévier de la mission qu’il s’est fixée. Sans beaucoup de moyens sur ce théâtre secondaire, il a dû improviser dès sa prise de commandement pour permettre à son armée de fonctionner et de remplir ses missions. Sa réussite n’en est que plus exemplaire.
Olry fut, de loin, un des meilleurs généraux de cette triste campagne. Loin des yeux des chefs militaires occupés dans le nord du pays, et aussi de la bureaucratie étatique, il a bénéficié d’une marge d’initiative qui lui a permis d’exploiter à fond ses immenses qualités d’organisateur et de chef militaire. Précocement disparu en 1944, il n’a malheureusement pas laissé dans l’histoire la trace qu’il mérite. Il est d’autant plus important de les présenter aujourd’hui, que ces qualités correspondent aussi à celles que les chefs d’entreprise devront mettre en œuvre dans la guerre économique qui s’annonce toujours plus virulente. La comparaison entre les situations des deux fronts illustre, au-delà de ces qualités, l’importance d’un environnement politique ou administratif moins contraignant, une fois l’objectif fixé.
Pour en savoir plus : Le front des Alpes : une armée invaincue
http://max-schiavon-histoire.doomby.com/pages/content/juin-1940-la-guerre-des-alpes.html