Le Genopole à Évry : déjà cent entreprises
L’aventure de Genopole, projet voué à l’échec pour beaucoup, a pu cependant prendre corps grâce à la volonté tenace de quelques grands acteurs. Les premiers succès, en particulier en matière de séquençage du génome humain, sont un stimulant pour surmonter les difficultés liées à l’éloignement géographique, la notoriété ou la dimension hospitalo-universitaire, dans la perspective d’un avenir porté par des projets ambitieux et structurants.
REPÈRES
Selon un concept récemment introduit en France, Genopole peut être défini comme un bio cluster médical, c’est-à-dire un lieu où cohabitent et collaborent enseignants du supérieur (université, grandes écoles) et donc étudiants, chercheurs académiques des grands organismes publics de recherche ou du secteur industriel, grandes et petites entreprises innovantes, et en ce qui concerne Genopole, un hôpital. La présence sur un même site de tous ces acteurs est, selon les études menées dans divers sites dans le monde, un puissant catalyseur de développement de l’innovation et, par là, un facteur important de développement économique.
L’histoire du projet Genopole est, à bien des égards, extraordinaire. Sa genèse, son concept, le site où il s’est développé conduisaient tous les experts à la conclusion que les conditions pour un échec retentissant étaient réunies.
Miser à bon escient
L’intelligence de l’AFM fut de mettre beaucoup de moyens à la disposition de chercheurs éminents des organismes publics de recherche. Telle fut l’aventure vécue par Jean Weissenbach, médaillé d’or du CNRS en 2008, qui dirigeait avec Daniel Cohen ces recherches et fut, par la suite, le scientifique le plus cité au monde pour les travaux accomplis dans le laboratoire Généthon entre 1990 et 1995.
N’était-ce pas une folie que de lancer ex nihilo un tel projet à Évry, ville nouvelle, où n’existaient ni enseignement supérieur en biologie ni laboratoires de recherche dans ce domaine, ville qui n’avait aucune tradition de création d’entreprises innovantes, à la fois proche et trop éloignée de Paris, ville nouvelle desservie par une autoroute A6 souvent saturée, une ligne D du RER particulièrement peu performante ?
Pourtant, aujourd’hui, dix ans après, Genopole présente un bilan plus qu’enviable : un portefeuille de 69 entreprises de biotechnologie, ce qui en fait le premier site français dans ce domaine, 20 laboratoires académiques orientés vers les recherches en biologie, une université désormais résolument tournée vers la biologie et les sciences associées et au total près de 2 300 personnes travaillant sur le site.
Trois acteurs durablement engagés
À l’origine de cette réussite on trouve trois acteurs principaux. Le projet a bénéficié de toute la puissance de conviction de l’Association française contre les myopathies (AFM) qui avait implanté, dès 1991, son laboratoire Généthon à Évry.
Le soutien de Claude Allègre
Claude Allègre, dès son arrivée au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, comprit l’importance de la biologie et des sciences du vivant pour l’avenir de nombreux secteurs industriels et bien entendu pour la santé et la médecine humaine. Il soutint, avec toute sa force de conviction, le projet Genopole et fit pression sur les organismes publics de recherche pour qu’ils s’impliquent dans ce projet hors norme. Ces organismes publics de recherche joueront le jeu et favoriseront l’implantation de laboratoires de recherche dans ce quasi-désert scientifique (en biologie) qu’étaient encore Évry et sa région en 1998.
C’est dans ce laboratoire que furent développées des technologies nouvelles, dites de « biologie à grande échelle » (High Throughput Biology), qui conditionnaient les recherches d’avant-garde sur la structure de l’information génétique de l’homme (son génome). Les recherches placèrent ce laboratoire et la France au premier rang des nations dans le monde avec, notamment, la diffusion en exclusivité mondiale de la première cartographie du génome humain au début des années quatre-vingt-dix. Cette carte, offerte sans contrepartie à la communauté internationale, a permis d’accélérer de six années le séquençage du génome humain.
Le second acteur majeur de Genopole fut l’État et les trois ministres successifs de la Recherche : Élisabeth Dufourcq, qui accepta le principe de lancer ce grand programme de génomique, François d’Aubert, qui le mit en place, puis Claude Allègre, qui lança le projet Genopole. En trois années, de 1995 à 1998, l’État porta sur les fonds baptismaux de la République ce projet ambitieux susceptible de prolonger les efforts de l’AFM au plan international. À noter également l’action décisive du directeur de la Recherche à l’époque, Bernard Bigot, devenu depuis administrateur général du CEA, dans la mise en œuvre des décisions.
Une telle union entre acteurs est rarissime
Enfin et surtout, Genopole reçoit, dès son démarrage, le soutien de toutes les collectivités territoriales, le Conseil général en premier, la ville d’Évry, la Région Île-de-France, la Communauté d’agglomération d’Évry Centre-Essonne, et cela quelles que soient les couleurs politiques. Tous mesurèrent l’importance stratégique de ce projet pour leur territoire.
Une telle union entre ces acteurs est rarissime, mais encore plus rarissime lorsqu’elle s’inscrit sans faiblir dans le temps. Sans cette convergence, accompagnée de dotations budgétaires importantes, Genopole n’aurait jamais vu le jour et n’aurait jamais pu se développer.
Séquençage du génome humain et premiers succès
Notoriété mondiale
Un exemple de la notoriété mondiale de Genopole est donné par l’entreprise Gene Signal née à Évry dont le produit GS 101 – un oligonucléotide indiqué pour le traitement du rejet de greffe de cornée et faisant l’objet d’un essai de phase 3 – vient d’être classé parmi les cinq produits les plus prometteurs de l’année par l’Agence mondiale Thomson Reuters.
Le premier des succès de Genopole est, sans conteste, d’avoir pu contredire tous les oiseaux de mauvais augure qui se complaisaient à prédire son échec. Les chercheurs, réputés casaniers, se sont déplacés jusqu’à Évry, le divorce entre le monde de la recherche académique et celui de l’entreprise s’est estompé. En matière de recherche, le premier succès et le plus visible reste la participation au séquençage du génome de l’homme auquel le Centre national de séquençage (CNS), l’actuel Genoscope, a contribué.
Un des premiers sites mondiaux dans la recherche sur les cellules souches
En ce qui concerne les thérapeutiques humaines et le développement de médicaments nouveaux, il n’y a pas encore eu de succès mondial à Évry, mais cela est logique. Genopole n’a que dix ans et tout nouveau médicament nécessite une quinzaine d’années de recherche et de développement. Des traitements sont en cours de développement au sein d’entreprises de biotechnologie, qui commencent à être reconnus au niveau mondial.
Enfin, en matière de création d’entreprises, nous pouvons aussi parler de succès : la prédiction selon laquelle aucun chercheur ne viendrait pour présenter un projet de création d’entreprise est clairement et heureusement démentie.
Le génome humain : 23000 gènes
C’est à Jean Weissenbach, devenu directeur du CNS, et à ses équipes que l’on doit l’annonce, dès 2000, que le génome de l’homme comptait bien moins de gènes que ce qui était pressenti alors. Il avait vu juste puisque au lieu des 60 000 à 200 000 gènes attendus et annoncés le génome de l’homme n’en compte que » 23 000 « . De nombreux gènes de prédisposition aux grandes pathologies, diabète, cardiovasculaire et autres, furent identifiés par le Centre national de génotypage qui rayonne au plan européen, en participant à la plupart des grands programmes européens d’identification de ces gènes. Chacun de ces gènes peut servir de cible à de nouveaux médicaments ou conduire à des diagnostics nouveaux pour prévenir le développement de ces pathologies graves.
Développer l’intégration et la notoriété
L’avenir de Genopole dépend des moyens qui seront mis en oeuvre pour dépasser les difficultés auxquelles le bioparc se heurte encore. La première difficulté tient à la distance (à la fois trop grande et trop faible) qui sépare Évry de Paris. En effet, la proximité d’Évry avec la capitale incite de nombreux chercheurs à vivre à Paris. Mais rallier Genopole reste souvent difficile, notamment parce que la ligne D du RER connaît une grande fréquence d’incidents en tout genre. À terme, ce problème sera résolu.
La deuxième difficulté réside dans la jeunesse de l’université d’Évry Val-d’Essonne, moins connue que ses homologues d’Orsay et de Paris, bien plus anciennes. Or, il faudra à l’université d’Évry cinq à dix ans d’efforts soutenus pour afficher un palmarès qui rassure les étudiants. Peu de lycéens connaissent la qualité des laboratoires de recherche de Genopole et de l’université d’Évry au sein desquels travaillent la plupart des enseignants en biologie de cette université.
Un centre hospitalo-universitaire
Le Centre de recherche clinique et translationnelle sera chargé d’assurer le transfert des résultats de la recherche académique ou des entreprises aux malades, un rôle qui nécessite la disponibilité de moyens spécifiques, la disponibilité de médecins et de chercheurs. Or, seule une dimension hospitalo-universitaire peut permettre d’obtenir de tels moyens. Ce statut, le Centre hospitalier sud-francilien ne l’a pas encore, il faudra l’obtenir au moins pour le CRCT.
Le troisième enjeu réside dans l’avenir du futur Centre hospitalier sud-francilien d’Évry-Corbeil (installé au cœur de Genopole) dont l’ouverture est prévue dès 2011. Pour établir des liens entre la recherche fondamentale, la recherche clinique et les entreprises de biotechnologie, le CHSF et Genopole ont décidé la construction d’un Centre de recherche clinique et translationnelle (CRCT). Il sera dédié, pour l’essentiel, à l’approche thérapeutique des maladies génétiques rares pour lesquelles Genopole construit actuellement, avec l’AFM et Généthon, un Centre de bioproduction des vecteurs, nécessaire aux traitements de ces maladies gravissimes. Genopole, aidé par l’AFM, aura ainsi puissamment contribué au développement de l’aventure scientifique et médicale qui permettra dans quelques années la guérison de malades atteints de maladies génétiques rares.
Quatre axes de développement structurants
L’avenir de Genopole se décline autour de plusieurs grands projets ambitieux et structurants. Du côté de la recherche, Genopole deviendra probablement l’un des premiers sites européens, voire mondiaux, dans la recherche sur les cellules souches multipotentes humaines. L’importance de ce domaine pour la médecine et la recherche paraît déterminante. Grâce aux cellules dites » IPS » (des cellules adultes que des chercheurs arrivent à modifier afin qu’elles se comportent comme des cellules multipotentes), le site connaît un essor insoupçonnable depuis deux ans et suscite l’intérêt des grands industriels. Le potentiel de développement, en recherche fondamentale, en pratique médicale et en recherche industrielle, des cellules souches multipotentes paraît immense.
L’intérêt des grands industriels
Le dernier exemple est donné par le laboratoire I‑Stem issu d’une collaboration entre l’AFM, l’Inserm, l’université d’Évry Val-d’Essonne et Genopole, qui vient de signer un accord avec le groupe suisse Roche pour aider ce groupe à utiliser la technique » IPS » et cribler de nouveaux médicaments. Les cellules pourront peut-être traiter certaines pathologies dégénératives du système nerveux central, telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson.
La conjugaison des approches de génomique appliquées à ces cellules permettra par ailleurs d’appréhender leur fonctionnement et le mécanisme de différenciation avec une grande finesse.
Deuxième axe fort : la biologie systémique et de synthèse. Elle vise à mettre au point de nouveaux systèmes qui, en » mimant » le vivant, peuvent accomplir des tâches précises. La biologie vit ce que la chimie a connu, il y a un siècle et demi, lorsque progressivement la chimie analytique a fait place à la chimie de synthèse. Cette activité aura pour cadre un nouvel institut de l’université d’Évry créé avec l’appui du CNRS.
Devenir un site de niveau mondial dans le domaine de la bioproduction.
Troisième axe : devenir un site de niveau mondial dans le domaine de la bioproduction. Genopole réunira sur son site près d’une dizaine de projets différents dans ce domaine : bioproduction de molécules thérapeutiques, de vaccins, d’enzymes, d’oligonucléotides thérapeutiques, d’anticorps monoclonaux, de nouveaux systèmes de production de biocarburants à partir de déchets verts, etc.
Quatrième axe enfin : le Centre de recherche clinique et translationnelle permettra aux chercheurs, aux industriels, aux médecins du site de développer les nouvelles approches thérapeutiques évoquées ci-dessus.
Bien sûr, le développement de Genopole nécessitera encore des efforts importants des pouvoirs publics, mais le bioparc est promis à un bel avenir à l’image de Saclay, son homologue du Sud-Francilien, pour les sciences dures.