Loïc Bertrand (94), le goût de la recherche
Juvénile d’aspect, souriant, réfléchi, habile aussi, attentif à l’image qu’il projette, tourné vers autrui et donnant sa pleine confiance à ceux qu’il estime, Loïc Bertrand se consacre à l’étude des matériaux anciens au moyen du rayonnement synchrotron.
Il sait gré à l’École polytechnique d’une formation à la mesure de ses vœux. Son attrait pour les musées, à la fin de l’adolescence, son goût prononcé pour la poésie lors de ses années à Palaiseau, se conjuguèrent ensuite lors de sa formation par la recherche.
Il garde un excellent souvenir de ses études secondaires au lycée Lakanal, à Sceaux, d’une émulation avec cinq ou six autres élèves. Il se destina à la recherche dès cette époque, et jamais n’envisagea d’autre carrière. Sa prépa à Henri-IV se fit dans un climat de solidarité.
Après sa réussite au concours d’entrée, le service militaire lui fut initialement (La Courtine, Angers) pénible, « je ne m’attendais pas à ce qu’on m’apprenne à faire la guerre ». Il le poursuivit à Corte.
Un escrimeur
À l’X, Loïc Bertrand fut un élève motivé, travailleur, d’autant que l’interdisciplinarité, très réelle, des cours lui fut une révélation. Il suivit, en HSS, le cours d’Hervé Loilier sur l’histoire de la peinture. Celui de Jean-Pierre Dupuy, en philosophie, l’enchanta, « une vraie, vraie découverte ».
Il poursuivit à l’École l’escrime, déjà pratiquée auparavant. Il en garde le souvenir de longues phases d’observation (talent qu’il tient de son père), entrecoupées d’assauts ultrarapides ; alternance qu’il applique à présent dans son métier de chercheur.
Il choisit les Mines comme école d’application et fit délibérément tous ses stages dans le privé (Rhône-Poulenc, Elf Aquitaine, Saint-Gobain). Passant outre au règlement, aidé en cela par les enseignants du laboratoire de physique de la matière condensée à l’École, Jean-Pierre Boilot en particulier, il suivit en parallèle avec les Mines un DEA de physique à Paris-VI.
Des cheveux, des armures et des violons
Introduit par Maurice Bernard au laboratoire de recherche des Musées de France, au Louvre, il y prépara une thèse de doctorat, sous la supervision de Philippe Walter.
Loïc Bertrand voulait travailler sur la peinture. Georges Tsoucaris le convainquit d’étudier plutôt des vestiges archéologiques de cheveux.
Toujours à l’instigation du Dr Tsoucaris, Loïc Bertrand se perfectionna par une année de postdoc à Cambridge (Angleterre), dans le laboratoire de Tom Blundell, en biocristallographie, où il travailla sur la structure des protéines CK2 (une enzyme de la famille des kinases) et KPHMT (une enzyme décamérique), par diffraction des rayons X aux petits angles.
Revenu en région parisienne et, sur son élan, Loïc Bertrand étudia des matériaux anciens – le métal d’armures médiévales, entre autres – d’abord au laboratoire de physique des solides d’Orsay, en liaison avec Jean Doucet, puis, sur le synchrotron SOLEIL, avant même son démarrage.
Ne se contentant pas d’études pionnières, il réunit sous le sigle IPANEMA (Institut photonique d’analyse non-destructive européen des matériaux anciens) une équipe d’une douzaine de personnes, financée par le CNRS et le ministère de la Culture.
Elle mit à bien des études de divers matériaux anciens, tels que le bleu de Prusse, le vernis des violons de Stradivarius, ou des fossiles d’espèces de poissons disparues.
De belles prises
Féru d’escrime, ce chercheur s’est rendu habitué de l’incursion rapide et fructueuse dans un champ d’investigation. Comme il ne manque pas de patience, il en revient avec de belles, et parfois spectaculaires, prises. Il les double du souci d’instaurer de nouvelles méthodologies.
Loïc Bertrand souhaiterait que l’évaluation des chercheurs, en notre pays, tienne davantage compte de telles contributions, tout aussi importantes, à son estime, que la publication de beaux résultats dans de grandes revues internationales – comme il le fait.
Jusqu’aux aspects épistémologiques
Directeur de laboratoire, Loïc Bertrand excelle tant à insuffler un esprit d’équipe qu’à dénicher les moyens matériels pour faire fonctionner son groupe à haut régime. À l’automne 2013, la ministre de la Recherche inaugurait un nouveau bâtiment, mitoyen du synchrotron SOLEIL, pour IPANEMA.
Qu’IPANEMA se soit hissé d’emblée aux premiers rangs mondiaux, prenant de vitesse même les Américains, fait la fierté de Loïc Bertrand Cela l’incite à élargir sa visée jusqu’aux aspects épistémologiques. Bref, il se construit une belle carrière.