Le LBO : une manière efficace de penser la relation entre actionnaire et dirigeants

Dossier : Capital InvestissementMagazine N°627 Septembre 2007
Par Stéphane MULARD (93)

Rare sont ceux qui peuvent y échap­per : le sujet des LBOs, de prime abord finan­cier et tech­nique, enva­hit de plus en plus la presse géné­rale, le débat poli­tique et même le débat syn­di­cal. Incon­tes­ta­ble­ment, les chiffres le montrent, les LBOs prennent une place gran­dis­sante dans l’é­co­no­mie mon­diale. Le suc­cès par­ti­cu­liè­re­ment frap­pant depuis cinq ans de cette nou­velle forme d’ac­tion­na­riat est d’a­bord lié à des fac­teurs éco­no­miques et régle­men­taires, décrits en détail dans tous les articles de la presse géné­rale (contraintes liées à la Bourse, taux his­to­ri­que­ment bas indui­sant un coût d’emprunt faible…). Néan­moins, au-delà de ces fac­teurs » tech­niques « , le suc­cès des LBO tient avant tout aux rela­tions effi­caces que ce type d’o­pé­ra­tion crée entre action­naires et dirigeants.

La genèse de la relation investisseur/manager, une étape clé du LBO

La rela­tion débute à un moment extrê­me­ment sen­sible pour l’é­quipe diri­geante : la vente de l’en­tre­prise qui les emploie. Ce moment est d’au­tant plus sen­sible qu’il s’a­git sou­vent pour le mana­ge­ment de la pre­mière expé­rience de vente. Non seule­ment cette période se carac­té­rise par une quan­ti­té de tra­vail accrue (au-delà du pro­ces­sus de vente, très gour­mand en temps, il faut conti­nuer à gérer la socié­té), mais l’é­quipe diri­geante s’es­time par­fois à risque, ce qui induit un stress supplémentaire.

C’est dans ce contexte que l’in­ves­tis­seur et les diri­geants essaient de créer une rela­tion de confiance, essen­tielle à la future réus­site de la tran­sac­tion : cette rela­tion s’ap­puie certes sur une alchi­mie entre les per­sonnes, mais éga­le­ment sur des dis­cus­sions appro­fon­dies autour d’un pro­jet à moyen terme pour l’en­tre­prise (si le pro­ces­sus de vente le per­met…) : quelle est la vision de l’en­tre­prise à cinq ans ? À dix ans ? Quelle stra­té­gie adop­ter pour y par­ve­nir ? Cet échange entre action­naire et diri­geants se révèle fon­da­men­tal : c’est là que se concré­tisent les visions des uns et des autres et que se dis­cute le pro­jet autour duquel s’ar­ti­cu­le­ra la future vie en commun.

Fina­le­ment, ces échanges sont résu­més dans un plan d’af­faires, terme plus com­mu­né­ment angli­ci­sé en busi­ness plan, exer­cice théo­rique mais néces­saire. Ce busi­ness plan détaille tous les élé­ments struc­tu­rants pour la vie de l’en­tre­prise à moyen terme (typi­que­ment dans les cinq années à venir), par exemple : quels clients prio­ri­taires démar­cher ? Quels nou­veaux pro­duits lan­cer ? Quelles zones géo­gra­phiques cibler en prio­ri­té ? Quelle orga­ni­sa­tion mettre en place ? Quelles acqui­si­tions mener ? Quels recru­te­ments effec­tuer ? Quels inves­tis­se­ments pré­voir ? Quel est le calen­drier à suivre ?

Au cours de cette ana­lyse de la stra­té­gie et de la ges­tion à moyen terme de la socié­té, un inves­tis­seur comme Che­quers n’a pas de pré­con­çus et s’a­dapte à la situa­tion. Ain­si, tous les plans peuvent être explo­rés, y com­pris ceux qui réduisent tem­po­rai­re­ment la ren­ta­bi­li­té de l’en­tre­prise pour amé­lio­rer le retour sur inves­tis­se­ment in fine.

L’es­sen­tiel réside dans la pro­fon­deur de la construc­tion de ce busi­ness plan et dans l’é­tude d’a­na­lyses dites de » sen­si­bi­li­té « , visant à com­prendre l’in­ci­dence sur la ren­ta­bi­li­té d’i­né­vi­tables écarts par rap­port au plan. Cet exer­cice per­met de don­ner au mana­ge­ment les moyens néces­saires à l’exé­cu­tion de son plan. En par­ti­cu­lier, il per­met de bien dimen­sion­ner le mon­tant et la nature de la dette uti­li­sée dans l’o­pé­ra­tion d’ac­qui­si­tion (pro­fil d’a­mor­tis­se­ment, sou­plesse des condi­tions, mise en place de ligne de finan­ce­ment du BFR, d’in­ves­tis­se­ment ou de crois­sance externe…).

Une fois par­ache­vé, ce busi­ness plan consti­tue la feuille de route du mana­ge­ment à moyen terme, sur laquelle seront fon­dés d’une part, les rela­tions infor­melles régu­lières entre inves­tis­seur et diri­geants, et d’autre part, éga­le­ment, les accords for­mels entre eux.

La formalisation des relations entre actionnaire et équipe dirigeante

Tout d’a­bord, ces rela­tions se carac­té­risent par un hori­zon de temps signi­fi­ca­ti­ve­ment plus long que celui de la plu­part des socié­tés cotées. En effet, l’in­ves­tis­seur finan­cier rai­sonne typi­que­ment à cinq ans, à la dif­fé­rence de la Bourse qui sou­met les socié­tés cotées au rituel des résul­tats tri­mes­triels, avec toutes les contraintes que cela peut créer, à la fois en terme finan­cier et managérial.

Deuxiè­me­ment, le fonc­tion­ne­ment de la rela­tion actionnaire/management au jour le jour est par­ti­cu­liè­re­ment simple : il s’a­git le plus sou­vent de rela­tions bila­té­rales (une équipe diri­geante, un action­naire) s’ap­puyant sur les dis­cus­sions décrites pré­cé­dem­ment. Cette sim­pli­ci­té s’a­vère cru­ciale dans les cas où il faut prendre rapi­de­ment des déci­sions : les sujets ont sou­vent déjà été abor­dés, au moins dans les grandes lignes. La déci­sion est donc rapi­de­ment prise, par­ti­cu­liè­re­ment avec des inves­tis­seurs auto­nomes. Là encore, les entre­prises cotées sont dans une situa­tion très dif­fé­rente : il faut rendre des comptes à une mul­ti­tude d’ac­tion­naires, qui peuvent avoir des inté­rêts et des hori­zons d’in­ves­tis­se­ment divergents.

De plus, les échanges entre inves­tis­seur et diri­geants dans le cadre d’un LBO se font dans un cadre clai­re­ment défi­ni de sépa­ra­tion des rôles de l’ac­tion­naire et du mana­ge­ment, un point qui carac­té­rise la phi­lo­so­phie d’in­ves­tis­se­ment de Che­quers. Ce cadre est sou­vent for­ma­li­sé dans le mode de gou­ver­nance choi­si : direc­toire et conseil de sur­veillance. Dans ce type de gou­ver­nance, les diri­geants » dirigent « , gèrent l’en­tre­prise et exé­cutent le busi­ness plan ; de son côté, l’in­ves­tis­seur » sur­veille » l’exé­cu­tion de ce plan et sou­tient le mana­ge­ment (notam­ment, si besoin est, financièrement).

En outre, ce mode de fonc­tion­ne­ment est com­plé­té par la mise en place d’un sys­tème d’in­té­res­se­ment béné­fi­ciant à l’é­quipe diri­geante. Lors du mon­tage ini­tial, l’é­quipe diri­geante inves­tit aux côtés de l’in­ves­tis­seur finan­cier, qui met en place un sys­tème de rétro­ces­sion de sa plus value dans une situa­tion où le pro­jet se déroule bien. Ces deux spé­ci­fi­ci­tés per­mettent de confor­ter l’a­li­gne­ment com­plet des inté­rêts du diri­geant avec ceux de l’ac­tion­naire : il n’est donc pas néces­saire de perdre du temps à déchif­frer les moti­va­tions réelles ou sup­po­sées des uns et des autres.

En conclu­sion, conso­li­dées par des échanges qui ont per­mis de se connaître et par un cer­tain for­ma­lisme juri­dique (cha­cun étant action­naire, les échanges sont for­ma­li­sés dans un pacte d’ac­tion­naires), ces rela­tions actionnaire/dirigeant dans un LBO, on l’a vu, sont très dif­fé­rentes de celles qui ont cours dans une entre­prise cotée. Elles consti­tuent incon­tes­ta­ble­ment un des piliers du suc­cès des LBOs dans les der­nières années sur au moins deux plans.

D’a­bord, la réus­site éco­no­mique des LBOs en cours : grâce à l’ef­fi­ca­ci­té plus grande, à l’a­li­gne­ment des inté­rêts, à la refo­ca­li­sa­tion des esprits, à l’é­change construc­tif entre des diri­geants et des action­naires impliqués.

Ensuite, l’ac­cé­lé­ra­tion du nombre de LBOs effec­tué chaque année : grâce à l’at­trac­ti­vi­té du modèle pour les diri­geants (sim­pli­ci­té, ratio­na­li­té des déci­sions, absence de jeux poli­tiques… et inté­rêt éco­no­mique) ; au point que ce nou­veau modèle d’ac­tion­na­riat séduit un nombre crois­sant de diri­geants de socié­tés cotés.

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