Le Luxe, l’industrie et la France

Dossier : Le LuxeMagazine N°620 Décembre 2006Par Vincent BASTIEN (67)

« Le pro­duit de luxe : un pro­duit ordi­naire pour gens excep­tion­nels, qui est éga­le­ment un pro­duit excep­tion­nel pour gens ordinaires. »

Une brève histoire du luxe

Dès l’ap­pa­ri­tion de la vie en socié­té chez Homo sapiens (et Homo nean­der­ta­len­sis), la notion de luxe a exis­té, simul­ta­né­ment à celle d’art qui lui est étroi­te­ment appa­riée (je revien­drai plus loin sur ce sujet). On peut dire que luxe et vie en socié­té sont consub­stan­tiels.

Au tout début, le luxe était l’a­pa­nage du (ou des) chef(s) : une sépul­ture de chef se recon­naît aux bijoux et autres objets d’art qu’elle contient.

Un des com­por­te­ments extrêmes fut celui de l’É­gypte ancienne : le comble du luxe étant la sur­vie après la mort, et cette sur­vie devant pas­ser par celle du corps, elle n’é­tait per­mise que par la momi­fi­ca­tion et l’é­di­fi­ca­tion d’un tom­beau « pour l’é­ter­ni­té ». Dans ce contexte ce luxe fut d’a­bord celui du seul Pha­raon, puis s’est éten­du au Grand Prêtre, puis pro­gres­si­ve­ment à d’autres.

Cette spé­ci­fi­ci­té du luxe comme réser­vé à une caste s’est long­temps main­te­nue : de tout temps et dans tout sys­tème théo­cra­tique, comme l’Eu­rope du Moyen Âge ou beau­coup de pays musul­mans d’au­jourd’­hui, l’argent doit être dépen­sé uni­que­ment Ad Majo­rem Dei Glo­riam, et dans beau­coup de nos vil­lages la somp­tuo­si­té de l’é­glise et celle des ins­tru­ments du culte est là pour le rap­pe­ler, comme c’est éga­le­ment le cas de beau­coup de mos­quées ou de temples hin­dous de par le monde.

De nos jours, on peut consta­ter qu’il y a cor­ré­la­tion étroite entre l’ac­cès au luxe et la démo­cra­ti­sa­tion réelle de la socié­té : la déme­sure du palais de Ceau­ces­cu à Buca­rest témoi­gnait mieux que tout du degré de dic­ta­ture atteint dans les « démo­cra­ties popu­laires » des pays com­mu­nistes, comme la col­lec­tion de chaus­sures d’I­mel­da Mar­cos de la situa­tion des Phi­lip­pines sous le régime de son mari ! Dans une socié­té réel­le­ment démo­cra­tique, tous ont la pos­si­bi­li­té d’ac­cé­der au luxe, même si les contraintes finan­cières de cha­cun sont un fac­teur limi­tant qui peut être très impor­tant. Dans une socié­té non réel­le­ment démo­cra­tique (dont font par­tie les démo­cra­ties popu­laires), l’ac­cès au luxe est stric­te­ment réser­vé à une « élite » défi­nie socia­le­ment (rois, émirs, princes, prêtres, membres de la direc­tion du Par­ti, etc.).

Il en résulte éga­le­ment que les vrais mar­chés du luxe sont ceux des grandes démo­cra­ties : il vaut mieux pour un indus­triel du luxe recher­cher, à pou­voir d’a­chat moyen équi­valent, les mar­chés les plus démo­cra­tiques (par exemple, le Japon plu­tôt que les pétromonarchies).

La défi­ni­tion du luxe a tou­jours été une défi­ni­tion sociale, et sou­vent l’ob­jet d’un débat féroce, avec comme enjeu la vision de la socié­té dans son ensemble. L’op­po­si­tion entre Athènes et Sparte illustre bien ce conflit dans la civi­li­sa­tion hel­lé­nique. Cette oppo­si­tion s’est pour­sui­vie dans la civi­li­sa­tion romaine, la Répu­blique des ori­gines étant très hos­tile au luxe (voir dans Plu­tarque la vie de Caton l’An­cien [-234/-149] et la Lex Oppia de 215 av. J.-C., inter­di­sant entre autres aux femmes romaines de pos­sé­der plus d’une demi-once d’or), l’Em­pire très por­té vers le luxe (avec quelques excep­tions, comme cer­tains Anto­nins). Plus tard, des « lois somp­tuaires » ont régu­liè­re­ment été édic­tées, et dans toutes les socié­tés (les plus strictes ayant été les lois de la période Toku­ga­wa (1603−1808) au Japon), et le débat entre oppo­sants au luxe (comme argent gas­pillé inuti­le­ment alors qu’il y a des gens dans la misère) et par­ti­sans du luxe (comme embel­lis­se­ment de la vie, et comme moteur du déve­lop­pe­ment éco­no­mique dont béné­fi­cient fina­le­ment même les plus pauvres) a tra­ver­sé les époques. Aujourd’­hui, ce conflit est par­ti­cu­liè­re­ment exa­cer­bé en Chine, mais on retrouve en tous lieux et en tous temps cette oppo­si­tion entre ceux, hos­tiles au luxe, qui veulent une socié­té « mâle et guer­rière », et ceux qui la veulent « fémi­nine et raffinée ».

Les marchés et métiers du luxe

Sché­ma­ti­que­ment, il y a trois uni­vers pro­fes­sion­nels essentiels.

Les métiers « pur luxe depuis toujours »
Par­fu­me­rie et joaille­rie en sont les paran­gons ; ils remontent à la nuit des temps, à l’aube de la vie en socié­té, et on les ren­contre dans toutes les civilisations.

Leur exis­tence est incon­ce­vable en dehors de l’u­ni­vers du luxe (un déso­do­ri­sant n’est pas un par­fum), et leur longue his­toire en fait des métiers à ges­tion très spécifique.

Les métiers possédant un segment luxe significatif

L’a­gri­cul­ture, l’ha­bille­ment sont éga­le­ment des métiers de tou­jours, et qui ont dès l’o­ri­gine com­por­té un seg­ment luxe, plus ou moins impor­tant sui­vant les époques mais tou­jours pré­sent, et dans lequel notre pays est le réfé­rent tra­di­tion­nel (cham­pagne, vins et alcools fins, gas­tro­no­mie, haute couture).

Appa­rue avec la révo­lu­tion indus­trielle, l’au­to­mo­bile est un des meilleurs exemples d’une indus­trie moderne au sein de laquelle un puis­sant sec­teur luxe existe.

Les services

Les ser­vices, et le luxe dans les ser­vices, ont tou­jours exis­té (le nombre d’es­claves pos­sé­dé a tou­jours été, dans toutes les socié­tés, la mesure de la richesse et de la puis­sance). De nos jours, l’ex­plo­sion du « sec­teur ter­tiaire » fait que des cré­neaux de luxe appa­raissent dans les métiers les plus variés et là où on y pense peu, voire pas : que l’on songe au fort déve­lop­pe­ment actuel de la chi­rur­gie esthé­tique, dis­ci­pline récente, « pur luxe » s’il en est, appa­rue au sein d’un uni­vers très éloi­gné du luxe, l’hôpital.

En fait, on peut dire que, dans le monde d’au­jourd’­hui, un mar­ke­ting (que nos chers cama­rades veuillent bien me par­don­ner l’emploi de ce terme sou­vent consi­dé­ré comme héré­tique dans notre noble Asso­cia­tion, et de sur­croît anglo-saxon…) sophis­ti­qué et proac­tif peut faire sur­gir le luxe dans n’im­porte quel métier.

C’est d’ailleurs là le cœur de mon ensei­gne­ment à HEC ; si vous vou­lez en savoir plus, bien­ve­nue sur le cam­pus de Jouy-en-Josas (publi­ci­té gratuite)…

La dialectique du luxe : luxe pour moi ou luxe pour les autres

La défi­ni­tion du luxe, et a for­tio­ri de son mar­ke­ting, dépasse lar­ge­ment le cadre de cet article (voir ci-des­sus). Il faut sim­ple­ment savoir que la spé­ci­fi­ci­té des métiers du luxe implique des stra­té­gies mar­ke­ting tota­le­ment dif­fé­rentes des stra­té­gies clas­siques de grande consom­ma­tion ou de pro­duits de marque, même « haut de gamme », et que la France est très en pointe sur le sec­teur (voir les per­for­mances de LVMH ou de L’O­réal). À l’op­po­sé, l’i­gno­rance des règles de ce mar­ke­ting très spé­ci­fique coûte très cher : les cime­tières de l’in­dus­trie, en France comme ailleurs, sont rem­plis de cadavres de socié­tés mortes d’a­voir vou­lu « faire du luxe », et qui ont confon­du prix éle­vés et pro­duit de luxe.

Il y a cepen­dant deux aspects « consom­ma­teurs » qu’il me semble bon de mentionner :

1) le luxe est relatif et subjectif

Un pro­duit sera ou non un pro­duit de luxe, non seule­ment en fonc­tion des goûts de cha­cun (on peut ne pas aimer le cham­pagne) ou de ses moyens finan­ciers, mais éga­le­ment en fonc­tion d’un envi­ron­ne­ment social (le fugu est un luxe dans la culture japo­naise, pas ailleurs).

2) le luxe, comme le dieu Janus, a deux aspects indissociables : il doit être un luxe pour soi, mais également apparaître comme un luxe aux yeux des autres

Le luxe pour soi tout seul est un vice : voler, puis enfer­mer chez soi une œuvre d’art, ou un objet antique, pour être le seul à la contem­pler relève de la psy­chia­trie, et bien peu de gens boivent du cham­pagne en solitaire.

Le luxe uni­que­ment pour le regard des autres n’est que du snobisme.

Pour réus­sir dans le luxe, il faut donc impé­ra­ti­ve­ment répondre tant à l’at­tente per­son­nelle qu’à l’at­tente d’i­mage sociale de ses clients.

Luxe et société industrielle

Si le luxe remonte à l’o­ri­gine des socié­tés humaines, la socié­té indus­trielle est un nou­veau-né datant de la fin du XIXe siècle. Son objec­tif, cou­vrir les besoins fon­da­men­taux grâce à une pro­duc­tion à bas coûts, n’a rien à voir avec le luxe ; on peut même les consi­dé­rer comme anti­no­miques au sein du couple nécessaire-superflu.

Le pas­sage à la socié­té de consom­ma­tion de masse après la Deuxième Guerre mon­diale a vu la nais­sance du mar­ke­ting, dont l’ob­jec­tif était de per­mettre l’é­cou­le­ment d’une pro­duc­tion indus­trielle deve­nue excé­den­taire, et a entraî­né un chan­ge­ment d’op­tique : il ne suf­fi­sait plus de cou­vrir des besoins basiques, mais il s’a­gis­sait de décou­vrir, voire de créer arti­fi­ciel­le­ment, des envies à satis­faire (d’où le reproche sou­vent fait aujourd’­hui au mar­ke­ting de mani­pu­ler le consom­ma­teur ; voir à ce sujet Le sys­tème des objets de Jean Bau­drillard). Ce fut le début de la « marche vers le luxe » du consom­ma­teur occi­den­tal moyen.

Recouvrement des marchés du luxe et de la grande consommation (1975−1995)

Graphique : Le recouvrement des marchésCette évo­lu­tion vers le haut des pro­duits de la socié­té de consom­ma­tion, accé­lé­rée par la hausse mon­diale du niveau de vie qui a sui­vi la période de recons­truc­tion d’a­près-guerre, les a pro­gres­si­ve­ment rap­pro­chés des « pro­duits d’en­trée » de l’u­ni­vers du luxe (comme les par­fums), qui n’ont pas vu leur niveau de prix mon­ter. Ce pro­ces­sus de recou­vre­ment des zones de prix a com­men­cé au milieu des années soixante-dix.

Les années quatre-vingt ont été celles du « boom » de l’in­dus­trie du luxe, dont les pro­duits deve­naient enfin acces­sibles au consom­ma­teur moyen des pays de la Triade (États-Unis, Europe, Japon). C’est l’é­poque de l’é­mer­gence rapide des grands actuels du luxe (Louis Vuit­ton, Car­tier, Cha­nel et autres), jeu duquel notre pays a par­ti­cu­liè­re­ment bien tiré son épingle, en par­ti­cu­lier par la consti­tu­tion du groupe LVMH.

Les années quatre-vingt-dix ont vu la mon­dia­li­sa­tion de ces grandes marques, qui ont réus­si à la fois à accroître leur posi­tion dans les pays de la Triade et à séduire les consom­ma­teurs des Nou­veaux pays indus­triels, comme la Corée ou le Bré­sil, puis aujourd’­hui la Chine et l’Inde.

Le début des années 2000 : la confusion

Après des années de sépa­ra­tion assez nette entre le ter­ri­toire du luxe et celui des pro­duits indus­triels, nous assis­tons aujourd’­hui à un recou­vre­ment des ter­ri­toires, entraî­nant une confu­sion des genres : le terme « luxe » est mis à toutes les sauces et uti­li­sé à tort et à tra­vers, cer­taines socié­tés de luxe se lancent dans le mar­ke­ting en copiant des tech­niques de grande consom­ma­tion, et vice ver­sa ; on pour­rait en conclure qu’il n’y a plus de réelle dif­fé­rence entre le luxe et la grande consom­ma­tion… Mais il n’en est rien, heu­reu­se­ment pour nous !

Pouvoirs publics et industrie du luxe en France : une longue incompréhension

Dans le droit fil de la dia­lec­tique éter­nelle (le luxe est-il un bien ou un mal pour la socié­té ?), la rela­tion entre les pou­voirs publics et l’in­dus­trie du luxe a beau­coup varié depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

1) Pen­dant les « trente glo­rieuses », l’in­dif­fé­rence, voire l’os­tra­cisme du monde poli­tique fran­çais face au luxe, a été très fort. Le Pré­sident Georges Pom­pi­dou, l’homme du déve­lop­pe­ment indus­triel de la France (TGV, télé­phone pour tous, auto­routes, voies sur berges) avait même décla­ré publi­que­ment (je cite de mémoire) : « La France, ce ne doit pas être seule­ment les par­fums et le cham­pagne »… et pour­tant, pour le monde entier, la France c’é­tait et c’est encore avant tout le par­fum, la haute cou­ture, le cham­pagne… Cruel aveu­gle­ment d’une classe poli­tique fran­çaise fer­mée à la réa­li­té du monde exté­rieur, même quand elle voyage…

Durant cette période, le luxe a été l’o­tage rituel des nom­breux conflits poli­tiques fran­co-amé­ri­cains, avec comme sport favo­ri le boy­cott du cham­pagne : si le Pré­sident Pom­pi­dou n’a­vait pas com­pris l’im­por­tance du luxe pour l’é­co­no­mie fran­çaise, les Amé­ri­cains, eux, en avaient pris toute la mesure !

Le Comi­té Col­bert, fon­dé en 1954 par Jean-Jacques Guer­lain pour faire entendre la voix des indus­tries du luxe, avait le plus grand mal à se faire entendre, mal­gré la pré­sence par­mi ses membres fon­da­teurs du groupe Saint-Gobain (c’é­tait Col­bert qui avait fon­dé la Manu­fac­ture des glaces de Saint-Gobain), très écou­té en « haut lieu ».

Cette atti­tude des pou­voirs publics avait deux causes essentielles :

. une cause phi­lo­so­phique : durant cette période, la pen­sée unique de l’é­poque était très mar­quée par le mar­xisme et le maoïsme (ceux qui ont fré­quen­té la rue d’Ulm et la rue Des­cartes à la fin des années soixante s’en sou­viennent). Dans ce cadre de pen­sée de nos « élites », le luxe était le Mal (en tout cas pour le peuple !), et c’é­taient Mao, Sta­line ou Cas­tro qui incar­naient le Bien ;

. une cause pra­tique : le luxe est sub­til, vola­til, très à l’é­coute du client ; il se prête donc mal à la rigi­di­té admi­nis­tra­tive de l’é­poque et aux grands plans pha­rao­niques : un « Plan Cal­cul », c’est du sérieux que tout le monde com­prend, et dans lequel on peut inves­tir (voire gas­piller), aux frais du contri­buable, d’é­normes sommes ; mais com­ment faire un « Plan Luxe » ?

Rétros­pec­ti­ve­ment, on peut se deman­der si le rejet par les pou­voirs publics n’a pas été la chance de l’in­dus­trie du luxe en France après la guerre : pas de contraintes étouf­fantes à subir, pas de comptes à rendre à l’ad­mi­nis­tra­tion, pas de chasse aux sub­ven­tions, pas de « petits cadeaux » à faire, mais une com­pé­ti­tion exa­cer­bée au niveau mon­dial, où toute l’éner­gie des socié­tés allait à la recherche sys­té­ma­tique de la créa­tion, de la satis­fac­tion des clients. Cette obses­sion a per­mis de créer des socié­tés puis­santes, très ren­tables, très expor­ta­trices, et for­te­ment créa­trices d’emplois de qua­li­té en France (depuis trente ans, Louis Vuit­ton ouvre un nou­vel ate­lier de pro­duc­tion en France tous les deux ou trois ans, et n’a jamais licen­cié ; qui dit mieux ?).

2) Le bas­cu­le­ment a eu lieu vers la fin des années quatre-vingt, où on a pris conscience au plus haut niveau de l’É­tat à quel point l’in­dus­trie du luxe était impor­tante pour la France, tant en termes de créa­tion de richesses et d’emplois, qu’en termes de balance com­mer­ciale nette :

. une bou­teille de cham­pagne ven­due à l’é­tran­ger c’est 100 % de pro­du­ced in France (en fait 99 %, car le liège du bou­chon pro­vient du Por­tu­gal), ven­du sans faire appel à des faci­li­tés de crédit,
. la qua­si-tota­li­té des fla­cons de par­fum est pro­duite dans la val­lée de la Bresle,
. par contre, un Air­bus (ou un TGV) ven­du à l’ex­port n’est que très par­tiel­le­ment pro­duit en France, et demande des efforts mas­sifs de finan­ce­ment (cré­dit client), voire des trans­ferts par­tiels de production.

Ce retour­ne­ment de com­por­te­ment s’est fait assez rapi­de­ment, et a été très utile, en par­ti­cu­lier au niveau de l’aide à la lutte contre la contre­fa­çon, une des plaies du métier. Je me rap­pelle avoir pré­si­dé le 4 jan­vier 1993, en tant que repré­sen­tant de Louis Vuit­ton, une mémo­rable « jour­née des douanes » à Rois­sy, où la Direc­tion des douanes avait réuni toutes ses équipes, alors très inquiètes pour leur ave­nir suite aux accords de Schen­gen, pour leur don­ner comme nou­vel objec­tif la lutte contre la contre­fa­çon, en leur expli­quant l’im­por­tance pour la France de pro­té­ger son indus­trie du luxe. À par­tir de ce jour, les doua­niers nous ont appor­té une aide très effi­cace, qui a par suite fait tache d’huile en Europe, puis dans le reste du monde.

Aujourd’­hui, il est clair que le sou­tien des pou­voirs publics, à tous les niveaux, est une aide consi­dé­rable pour cette indus­trie stratégique.

Le luxe : l’atout majeur de la France dans la mondialisation

La mondialisation est une opportunité majeure pour le luxe

Les moteurs éco­no­miques de ce métier sont en effet :
. l’aug­men­ta­tion du pou­voir d’achat,
. la démo­cra­ti­sa­tion des socié­tés civiles,
. l’ac­cès de tous aux médias (télé­vi­sion essentiellement),
. l’urbanisation.

La mon­dia­li­sa­tion est un accé­lé­ra­teur puis­sant de toutes ces évolutions.

Dans ce concert mon­dial, c’est la France qui joue la par­ti­tion majeure, celle du pre­mier vio­lon ; c’est d’ailleurs le seul métier où elle ait une place recon­nue de lea­der. À nous de nous battre pour la conserver !

La force de la France dans ce domaine vient tout d’a­bord du fait que notre pays est mon­dia­le­ment légi­time sur ce sec­teur (effet d’image).

Elle vient aus­si du fait qu’un réseau dense de four­nis­seurs per­for­mants s’est consti­tué autour des acteurs majeurs : la par­fu­me­rie fran­çaise, ce n’est pas que Guer­lain, Yves Saint-Laurent, Dior et les autres, mais c’est aus­si tous les ver­riers de la val­lée de la Bresle, leurs four­nis­seurs (mou­listes entre autres), les car­ton­niers, la plas­tur­gie, etc.

On peut com­pa­rer cette situa­tion à celle de l’au­to­mo­bile alle­mande, elle aus­si domi­nante dans le luxe : der­rière Porsche ou BMW, il y a Bosch et toute la chaîne des autres fournisseurs.

Dans ces deux exemples, le suc­cès est col­lec­tif, et donc beau­coup plus durable que s’il dépen­dait d’une seule firme, voire, pire encore, d’un seul créa­teur de talent.

De plus, une stra­té­gie de luxe est sou­vent la meilleure réponse à la lutte des prix et à la délo­ca­li­sa­tion, et cette stra­té­gie est valable dans tous les sec­teurs éco­no­miques, même si c’est dans ceux de l’a­gri­cul­ture, et par­ti­cu­liè­re­ment des vins, ou dans ceux de l’é­qui­pe­ment de la per­sonne, comme la maro­qui­ne­rie, où c’est le plus évident.

Le cas de l’au­to­mo­bile en est l’exemple le plus frap­pant aujourd’­hui : l’in­dus­trie amé­ri­caine, très moyenne gamme, est entrée il y a vingt ans dans une longue ago­nie ; c’est ce qui est en train d’ar­ri­ver en France, elle aus­si trop moyenne gamme (voir le suc­cès « à la Pyr­rhus » de la Logan, made out of France chez Renault) ; en Alle­magne, Porsche et BMW, bien ancrées dans le cré­neau du luxe, rient, et Wolks­wa­gen pleure.

Cela dit, la mondialisation peut être aussi une menace pour certains secteurs majeurs du luxe

Le cas de la mode est frap­pant. Certes, mode et luxe sont fon­da­men­ta­le­ment contra­dic­toires, et donc dif­fi­ci­le­ment com­pa­tibles : la mode joue sur l’ins­tant, le luxe sur la longue durée. Cela dit, pen­dant long­temps il a été pos­sible, et par­ti­cu­liè­re­ment en France, de fondre les deux en une acti­vi­té très pro­fi­table, autour de la haute cou­ture. Les émules d’Em­ma Bova­ry ont été des clientes nom­breuses et fidèles jus­qu’aux années quatre-vingt.

La mon­dia­li­sa­tion a bou­le­ver­sé la donne, la délo­ca­li­sa­tion de la confec­tion, au Magh­reb d’a­bord puis main­te­nant en Asie, vidant de sa sub­stance l’in­dus­trie tex­tile en France.

Aujourd’­hui, la haute cou­ture fran­çaise n’a presque plus de clients, et elle doit sa (belle et glo­rieuse) sur­vie aux pro­duits déri­vés (essen­tiel­le­ment par­fum et acces­soires), et non plus à sa décli­nai­son en prêt-à-por­ter. Elle est res­tée un art qui crée un rêve et sou­tient une image, mais elle n’est plus le moteur d’une indus­trie tex­tile puis­sante et exportatrice.

L’es­sen­tiel du mar­ché de la mode est main­te­nant entre les mains de grandes socié­tés de dis­tri­bu­tion (H & M, Zara), et la fabri­ca­tion en France n’est plus qu’anecdotique.

Mora­li­té : la mon­dia­li­sa­tion est un atout pour le luxe tant que l’on est capable de pro­duire chez soi, comme le font par exemple Louis Vuit­ton en France ou Car­tier en Suisse.

Comment gérer le luxe

1) Une personne seule de grand talent peut créer un empire industriel, comme l’ont fait par exemple chez nous un Marcel Dassault ou un Jacques Durand (Verreries d’Arques).

La réus­site dans le luxe sup­pose à la fois une intel­li­gence ration­nelle et une intel­li­gence intui­tive (les Amé­ri­cains diraient cer­veau droit et cer­veau gauche). Comme per­sonne ne peut être les deux à la fois (on a tous un hémi­sphère domi­nant), le suc­cès dans le luxe sup­pose un tan­dem complémentaire.

Le couple Yves Saint-Laurent et Pierre Ber­gé en est un paran­gon, mais sans aller aus­si loin dans la rela­tion per­son­nelle, il faut au moins un tan­dem mana­geur-créa­teur comme celui for­mé par Yves Car­celle (66) et Marc Jacobs qui ont fait de Louis Vuit­ton la pre­mière marque de luxe au monde, ou celui for­mé par Syd­ney Tole­da­no et John Gal­lia­no, qui ont brillam­ment réus­si à relan­cer Dior.

2) Il faut également un actionnaire fort et de référence pour assurer une vue à long terme, comme le montre l’exemple de Bernard Arnault chez LVMH : un groupe de luxe ne doit pas être soumis aux caprices de la Bourse.

3) La forte accointance entre le luxe et l’art est un aspect clé de la gestion de ce métier, et qui le rend passionnant.

Aujourd’­hui, ce sont les mai­sons de luxe (ou leurs grands action­naires) qui sont les vrais mécènes en France : expo­si­tions de pein­tures spon­so­ri­sées par LVMH, Fon­da­tion Car­tier pour l’Art contem­po­rain, toute nou­velle Fon­da­tion Louis Vuit­ton, etc.

Sans elles, Paris ris­que­rait de n’être plus Paris, et le rayon­ne­ment de la culture fran­çaise beau­coup plus faible dans le monde d’aujourd’hui.

Les X et l’industrie du luxe

Au milieu des années soixante-dix, bien peu d’entre nous réus­sis­saient dans ce métier ; l’un des rares que je croi­sais régu­liè­re­ment dans la pro­fes­sion était Mau­rice Roger (59), PDG des par­fums Dior et auteur de suc­cès spec­ta­cu­laires comme Poi­son ou Fah­ren­heit.

Aujourd’­hui, beau­coup de nos cama­rades s’é­pa­nouissent dans ce métier ; le chef d’en­tre­prise qui a indis­cu­ta­ble­ment le mieux réus­si mon­dia­le­ment dans le luxe, Ber­nard Arnault, est pas­sé par la Mon­tagne Sainte-Gene­viève (nous n’é­tions pas encore à Palai­seau à l’époque)…

Notre for­ma­tion en effet, si elle nous enseigne la rigueur, indis­pen­sable dans le mana­ge­ment de ce métier très com­plexe, com­porte une part impor­tante de culture (arts et lettres) ; nos deux hémi­sphères sont mis à contri­bu­tion, et j’ai tou­jours consta­té, durant les vingt et quelques années que j’ai pas­sé dans l’u­ni­vers du luxe, que le fait d’être matheux m’ai­dait à com­prendre les créa­teurs (une belle démons­tra­tion mathé­ma­tique est une œuvre de créa­tion), faute d’être moi-même créateur.

Je ter­mi­ne­rai donc mon article par une invi­ta­tion à tous nos cama­rades, et sur­tout les plus jeunes, à ne pas oublier dans leur choix de car­rière les métiers du luxe : s’ils sont curieux, créa­tifs et dyna­miques, ils peuvent y construire une réus­site pro­fes­sion­nelle brillante et inter­na­tio­nale, aider au déve­lop­pe­ment et au rayon­ne­ment de la France, satis­faire leur pas­sion de l’es­thé­tique… mais au prix de beau­coup de travail !

En bref, tra­vailler pour la Patrie et la Gloire, même si ce n’est pas pour les Sciences…

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