Le Luxe, l’industrie et la France
« Le produit de luxe : un produit ordinaire pour gens exceptionnels, qui est également un produit exceptionnel pour gens ordinaires. »
Une brève histoire du luxe
Dès l’apparition de la vie en société chez Homo sapiens (et Homo neandertalensis), la notion de luxe a existé, simultanément à celle d’art qui lui est étroitement appariée (je reviendrai plus loin sur ce sujet). On peut dire que luxe et vie en société sont consubstantiels.
Au tout début, le luxe était l’apanage du (ou des) chef(s) : une sépulture de chef se reconnaît aux bijoux et autres objets d’art qu’elle contient.
Un des comportements extrêmes fut celui de l’Égypte ancienne : le comble du luxe étant la survie après la mort, et cette survie devant passer par celle du corps, elle n’était permise que par la momification et l’édification d’un tombeau « pour l’éternité ». Dans ce contexte ce luxe fut d’abord celui du seul Pharaon, puis s’est étendu au Grand Prêtre, puis progressivement à d’autres.
Cette spécificité du luxe comme réservé à une caste s’est longtemps maintenue : de tout temps et dans tout système théocratique, comme l’Europe du Moyen Âge ou beaucoup de pays musulmans d’aujourd’hui, l’argent doit être dépensé uniquement Ad Majorem Dei Gloriam, et dans beaucoup de nos villages la somptuosité de l’église et celle des instruments du culte est là pour le rappeler, comme c’est également le cas de beaucoup de mosquées ou de temples hindous de par le monde.
De nos jours, on peut constater qu’il y a corrélation étroite entre l’accès au luxe et la démocratisation réelle de la société : la démesure du palais de Ceaucescu à Bucarest témoignait mieux que tout du degré de dictature atteint dans les « démocraties populaires » des pays communistes, comme la collection de chaussures d’Imelda Marcos de la situation des Philippines sous le régime de son mari ! Dans une société réellement démocratique, tous ont la possibilité d’accéder au luxe, même si les contraintes financières de chacun sont un facteur limitant qui peut être très important. Dans une société non réellement démocratique (dont font partie les démocraties populaires), l’accès au luxe est strictement réservé à une « élite » définie socialement (rois, émirs, princes, prêtres, membres de la direction du Parti, etc.).
Il en résulte également que les vrais marchés du luxe sont ceux des grandes démocraties : il vaut mieux pour un industriel du luxe rechercher, à pouvoir d’achat moyen équivalent, les marchés les plus démocratiques (par exemple, le Japon plutôt que les pétromonarchies).
La définition du luxe a toujours été une définition sociale, et souvent l’objet d’un débat féroce, avec comme enjeu la vision de la société dans son ensemble. L’opposition entre Athènes et Sparte illustre bien ce conflit dans la civilisation hellénique. Cette opposition s’est poursuivie dans la civilisation romaine, la République des origines étant très hostile au luxe (voir dans Plutarque la vie de Caton l’Ancien [-234/-149] et la Lex Oppia de 215 av. J.-C., interdisant entre autres aux femmes romaines de posséder plus d’une demi-once d’or), l’Empire très porté vers le luxe (avec quelques exceptions, comme certains Antonins). Plus tard, des « lois somptuaires » ont régulièrement été édictées, et dans toutes les sociétés (les plus strictes ayant été les lois de la période Tokugawa (1603−1808) au Japon), et le débat entre opposants au luxe (comme argent gaspillé inutilement alors qu’il y a des gens dans la misère) et partisans du luxe (comme embellissement de la vie, et comme moteur du développement économique dont bénéficient finalement même les plus pauvres) a traversé les époques. Aujourd’hui, ce conflit est particulièrement exacerbé en Chine, mais on retrouve en tous lieux et en tous temps cette opposition entre ceux, hostiles au luxe, qui veulent une société « mâle et guerrière », et ceux qui la veulent « féminine et raffinée ».
Les marchés et métiers du luxe
Schématiquement, il y a trois univers professionnels essentiels.
Les métiers « pur luxe depuis toujours »
Parfumerie et joaillerie en sont les parangons ; ils remontent à la nuit des temps, à l’aube de la vie en société, et on les rencontre dans toutes les civilisations.
Leur existence est inconcevable en dehors de l’univers du luxe (un désodorisant n’est pas un parfum), et leur longue histoire en fait des métiers à gestion très spécifique.
Les métiers possédant un segment luxe significatif
L’agriculture, l’habillement sont également des métiers de toujours, et qui ont dès l’origine comporté un segment luxe, plus ou moins important suivant les époques mais toujours présent, et dans lequel notre pays est le référent traditionnel (champagne, vins et alcools fins, gastronomie, haute couture).
Apparue avec la révolution industrielle, l’automobile est un des meilleurs exemples d’une industrie moderne au sein de laquelle un puissant secteur luxe existe.
Les services
Les services, et le luxe dans les services, ont toujours existé (le nombre d’esclaves possédé a toujours été, dans toutes les sociétés, la mesure de la richesse et de la puissance). De nos jours, l’explosion du « secteur tertiaire » fait que des créneaux de luxe apparaissent dans les métiers les plus variés et là où on y pense peu, voire pas : que l’on songe au fort développement actuel de la chirurgie esthétique, discipline récente, « pur luxe » s’il en est, apparue au sein d’un univers très éloigné du luxe, l’hôpital.
En fait, on peut dire que, dans le monde d’aujourd’hui, un marketing (que nos chers camarades veuillent bien me pardonner l’emploi de ce terme souvent considéré comme hérétique dans notre noble Association, et de surcroît anglo-saxon…) sophistiqué et proactif peut faire surgir le luxe dans n’importe quel métier.
C’est d’ailleurs là le cœur de mon enseignement à HEC ; si vous voulez en savoir plus, bienvenue sur le campus de Jouy-en-Josas (publicité gratuite)…
La dialectique du luxe : luxe pour moi ou luxe pour les autres
La définition du luxe, et a fortiori de son marketing, dépasse largement le cadre de cet article (voir ci-dessus). Il faut simplement savoir que la spécificité des métiers du luxe implique des stratégies marketing totalement différentes des stratégies classiques de grande consommation ou de produits de marque, même « haut de gamme », et que la France est très en pointe sur le secteur (voir les performances de LVMH ou de L’Oréal). À l’opposé, l’ignorance des règles de ce marketing très spécifique coûte très cher : les cimetières de l’industrie, en France comme ailleurs, sont remplis de cadavres de sociétés mortes d’avoir voulu « faire du luxe », et qui ont confondu prix élevés et produit de luxe.
Il y a cependant deux aspects « consommateurs » qu’il me semble bon de mentionner :
1) le luxe est relatif et subjectif
Un produit sera ou non un produit de luxe, non seulement en fonction des goûts de chacun (on peut ne pas aimer le champagne) ou de ses moyens financiers, mais également en fonction d’un environnement social (le fugu est un luxe dans la culture japonaise, pas ailleurs).
2) le luxe, comme le dieu Janus, a deux aspects indissociables : il doit être un luxe pour soi, mais également apparaître comme un luxe aux yeux des autres
Le luxe pour soi tout seul est un vice : voler, puis enfermer chez soi une œuvre d’art, ou un objet antique, pour être le seul à la contempler relève de la psychiatrie, et bien peu de gens boivent du champagne en solitaire.
Le luxe uniquement pour le regard des autres n’est que du snobisme.
Pour réussir dans le luxe, il faut donc impérativement répondre tant à l’attente personnelle qu’à l’attente d’image sociale de ses clients.
Luxe et société industrielle
Si le luxe remonte à l’origine des sociétés humaines, la société industrielle est un nouveau-né datant de la fin du XIXe siècle. Son objectif, couvrir les besoins fondamentaux grâce à une production à bas coûts, n’a rien à voir avec le luxe ; on peut même les considérer comme antinomiques au sein du couple nécessaire-superflu.
Le passage à la société de consommation de masse après la Deuxième Guerre mondiale a vu la naissance du marketing, dont l’objectif était de permettre l’écoulement d’une production industrielle devenue excédentaire, et a entraîné un changement d’optique : il ne suffisait plus de couvrir des besoins basiques, mais il s’agissait de découvrir, voire de créer artificiellement, des envies à satisfaire (d’où le reproche souvent fait aujourd’hui au marketing de manipuler le consommateur ; voir à ce sujet Le système des objets de Jean Baudrillard). Ce fut le début de la « marche vers le luxe » du consommateur occidental moyen.
Recouvrement des marchés du luxe et de la grande consommation (1975−1995)
Cette évolution vers le haut des produits de la société de consommation, accélérée par la hausse mondiale du niveau de vie qui a suivi la période de reconstruction d’après-guerre, les a progressivement rapprochés des « produits d’entrée » de l’univers du luxe (comme les parfums), qui n’ont pas vu leur niveau de prix monter. Ce processus de recouvrement des zones de prix a commencé au milieu des années soixante-dix.
Les années quatre-vingt ont été celles du « boom » de l’industrie du luxe, dont les produits devenaient enfin accessibles au consommateur moyen des pays de la Triade (États-Unis, Europe, Japon). C’est l’époque de l’émergence rapide des grands actuels du luxe (Louis Vuitton, Cartier, Chanel et autres), jeu duquel notre pays a particulièrement bien tiré son épingle, en particulier par la constitution du groupe LVMH.
Les années quatre-vingt-dix ont vu la mondialisation de ces grandes marques, qui ont réussi à la fois à accroître leur position dans les pays de la Triade et à séduire les consommateurs des Nouveaux pays industriels, comme la Corée ou le Brésil, puis aujourd’hui la Chine et l’Inde.
Le début des années 2000 : la confusion
Après des années de séparation assez nette entre le territoire du luxe et celui des produits industriels, nous assistons aujourd’hui à un recouvrement des territoires, entraînant une confusion des genres : le terme « luxe » est mis à toutes les sauces et utilisé à tort et à travers, certaines sociétés de luxe se lancent dans le marketing en copiant des techniques de grande consommation, et vice versa ; on pourrait en conclure qu’il n’y a plus de réelle différence entre le luxe et la grande consommation… Mais il n’en est rien, heureusement pour nous !
Pouvoirs publics et industrie du luxe en France : une longue incompréhension
Dans le droit fil de la dialectique éternelle (le luxe est-il un bien ou un mal pour la société ?), la relation entre les pouvoirs publics et l’industrie du luxe a beaucoup varié depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
1) Pendant les « trente glorieuses », l’indifférence, voire l’ostracisme du monde politique français face au luxe, a été très fort. Le Président Georges Pompidou, l’homme du développement industriel de la France (TGV, téléphone pour tous, autoroutes, voies sur berges) avait même déclaré publiquement (je cite de mémoire) : « La France, ce ne doit pas être seulement les parfums et le champagne »… et pourtant, pour le monde entier, la France c’était et c’est encore avant tout le parfum, la haute couture, le champagne… Cruel aveuglement d’une classe politique française fermée à la réalité du monde extérieur, même quand elle voyage…
Durant cette période, le luxe a été l’otage rituel des nombreux conflits politiques franco-américains, avec comme sport favori le boycott du champagne : si le Président Pompidou n’avait pas compris l’importance du luxe pour l’économie française, les Américains, eux, en avaient pris toute la mesure !
Le Comité Colbert, fondé en 1954 par Jean-Jacques Guerlain pour faire entendre la voix des industries du luxe, avait le plus grand mal à se faire entendre, malgré la présence parmi ses membres fondateurs du groupe Saint-Gobain (c’était Colbert qui avait fondé la Manufacture des glaces de Saint-Gobain), très écouté en « haut lieu ».
Cette attitude des pouvoirs publics avait deux causes essentielles :
. une cause philosophique : durant cette période, la pensée unique de l’époque était très marquée par le marxisme et le maoïsme (ceux qui ont fréquenté la rue d’Ulm et la rue Descartes à la fin des années soixante s’en souviennent). Dans ce cadre de pensée de nos « élites », le luxe était le Mal (en tout cas pour le peuple !), et c’étaient Mao, Staline ou Castro qui incarnaient le Bien ;
. une cause pratique : le luxe est subtil, volatil, très à l’écoute du client ; il se prête donc mal à la rigidité administrative de l’époque et aux grands plans pharaoniques : un « Plan Calcul », c’est du sérieux que tout le monde comprend, et dans lequel on peut investir (voire gaspiller), aux frais du contribuable, d’énormes sommes ; mais comment faire un « Plan Luxe » ?
Rétrospectivement, on peut se demander si le rejet par les pouvoirs publics n’a pas été la chance de l’industrie du luxe en France après la guerre : pas de contraintes étouffantes à subir, pas de comptes à rendre à l’administration, pas de chasse aux subventions, pas de « petits cadeaux » à faire, mais une compétition exacerbée au niveau mondial, où toute l’énergie des sociétés allait à la recherche systématique de la création, de la satisfaction des clients. Cette obsession a permis de créer des sociétés puissantes, très rentables, très exportatrices, et fortement créatrices d’emplois de qualité en France (depuis trente ans, Louis Vuitton ouvre un nouvel atelier de production en France tous les deux ou trois ans, et n’a jamais licencié ; qui dit mieux ?).
2) Le basculement a eu lieu vers la fin des années quatre-vingt, où on a pris conscience au plus haut niveau de l’État à quel point l’industrie du luxe était importante pour la France, tant en termes de création de richesses et d’emplois, qu’en termes de balance commerciale nette :
. une bouteille de champagne vendue à l’étranger c’est 100 % de produced in France (en fait 99 %, car le liège du bouchon provient du Portugal), vendu sans faire appel à des facilités de crédit,
. la quasi-totalité des flacons de parfum est produite dans la vallée de la Bresle,
. par contre, un Airbus (ou un TGV) vendu à l’export n’est que très partiellement produit en France, et demande des efforts massifs de financement (crédit client), voire des transferts partiels de production.
Ce retournement de comportement s’est fait assez rapidement, et a été très utile, en particulier au niveau de l’aide à la lutte contre la contrefaçon, une des plaies du métier. Je me rappelle avoir présidé le 4 janvier 1993, en tant que représentant de Louis Vuitton, une mémorable « journée des douanes » à Roissy, où la Direction des douanes avait réuni toutes ses équipes, alors très inquiètes pour leur avenir suite aux accords de Schengen, pour leur donner comme nouvel objectif la lutte contre la contrefaçon, en leur expliquant l’importance pour la France de protéger son industrie du luxe. À partir de ce jour, les douaniers nous ont apporté une aide très efficace, qui a par suite fait tache d’huile en Europe, puis dans le reste du monde.
Aujourd’hui, il est clair que le soutien des pouvoirs publics, à tous les niveaux, est une aide considérable pour cette industrie stratégique.
Le luxe : l’atout majeur de la France dans la mondialisation
La mondialisation est une opportunité majeure pour le luxe
Les moteurs économiques de ce métier sont en effet :
. l’augmentation du pouvoir d’achat,
. la démocratisation des sociétés civiles,
. l’accès de tous aux médias (télévision essentiellement),
. l’urbanisation.
La mondialisation est un accélérateur puissant de toutes ces évolutions.
Dans ce concert mondial, c’est la France qui joue la partition majeure, celle du premier violon ; c’est d’ailleurs le seul métier où elle ait une place reconnue de leader. À nous de nous battre pour la conserver !
La force de la France dans ce domaine vient tout d’abord du fait que notre pays est mondialement légitime sur ce secteur (effet d’image).
Elle vient aussi du fait qu’un réseau dense de fournisseurs performants s’est constitué autour des acteurs majeurs : la parfumerie française, ce n’est pas que Guerlain, Yves Saint-Laurent, Dior et les autres, mais c’est aussi tous les verriers de la vallée de la Bresle, leurs fournisseurs (moulistes entre autres), les cartonniers, la plasturgie, etc.
On peut comparer cette situation à celle de l’automobile allemande, elle aussi dominante dans le luxe : derrière Porsche ou BMW, il y a Bosch et toute la chaîne des autres fournisseurs.
Dans ces deux exemples, le succès est collectif, et donc beaucoup plus durable que s’il dépendait d’une seule firme, voire, pire encore, d’un seul créateur de talent.
De plus, une stratégie de luxe est souvent la meilleure réponse à la lutte des prix et à la délocalisation, et cette stratégie est valable dans tous les secteurs économiques, même si c’est dans ceux de l’agriculture, et particulièrement des vins, ou dans ceux de l’équipement de la personne, comme la maroquinerie, où c’est le plus évident.
Le cas de l’automobile en est l’exemple le plus frappant aujourd’hui : l’industrie américaine, très moyenne gamme, est entrée il y a vingt ans dans une longue agonie ; c’est ce qui est en train d’arriver en France, elle aussi trop moyenne gamme (voir le succès « à la Pyrrhus » de la Logan, made out of France chez Renault) ; en Allemagne, Porsche et BMW, bien ancrées dans le créneau du luxe, rient, et Wolkswagen pleure.
Cela dit, la mondialisation peut être aussi une menace pour certains secteurs majeurs du luxe
Le cas de la mode est frappant. Certes, mode et luxe sont fondamentalement contradictoires, et donc difficilement compatibles : la mode joue sur l’instant, le luxe sur la longue durée. Cela dit, pendant longtemps il a été possible, et particulièrement en France, de fondre les deux en une activité très profitable, autour de la haute couture. Les émules d’Emma Bovary ont été des clientes nombreuses et fidèles jusqu’aux années quatre-vingt.
La mondialisation a bouleversé la donne, la délocalisation de la confection, au Maghreb d’abord puis maintenant en Asie, vidant de sa substance l’industrie textile en France.
Aujourd’hui, la haute couture française n’a presque plus de clients, et elle doit sa (belle et glorieuse) survie aux produits dérivés (essentiellement parfum et accessoires), et non plus à sa déclinaison en prêt-à-porter. Elle est restée un art qui crée un rêve et soutient une image, mais elle n’est plus le moteur d’une industrie textile puissante et exportatrice.
L’essentiel du marché de la mode est maintenant entre les mains de grandes sociétés de distribution (H & M, Zara), et la fabrication en France n’est plus qu’anecdotique.
Moralité : la mondialisation est un atout pour le luxe tant que l’on est capable de produire chez soi, comme le font par exemple Louis Vuitton en France ou Cartier en Suisse.
Comment gérer le luxe
1) Une personne seule de grand talent peut créer un empire industriel, comme l’ont fait par exemple chez nous un Marcel Dassault ou un Jacques Durand (Verreries d’Arques).
La réussite dans le luxe suppose à la fois une intelligence rationnelle et une intelligence intuitive (les Américains diraient cerveau droit et cerveau gauche). Comme personne ne peut être les deux à la fois (on a tous un hémisphère dominant), le succès dans le luxe suppose un tandem complémentaire.
Le couple Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé en est un parangon, mais sans aller aussi loin dans la relation personnelle, il faut au moins un tandem manageur-créateur comme celui formé par Yves Carcelle (66) et Marc Jacobs qui ont fait de Louis Vuitton la première marque de luxe au monde, ou celui formé par Sydney Toledano et John Galliano, qui ont brillamment réussi à relancer Dior.
2) Il faut également un actionnaire fort et de référence pour assurer une vue à long terme, comme le montre l’exemple de Bernard Arnault chez LVMH : un groupe de luxe ne doit pas être soumis aux caprices de la Bourse.
3) La forte accointance entre le luxe et l’art est un aspect clé de la gestion de ce métier, et qui le rend passionnant.
Aujourd’hui, ce sont les maisons de luxe (ou leurs grands actionnaires) qui sont les vrais mécènes en France : expositions de peintures sponsorisées par LVMH, Fondation Cartier pour l’Art contemporain, toute nouvelle Fondation Louis Vuitton, etc.
Sans elles, Paris risquerait de n’être plus Paris, et le rayonnement de la culture française beaucoup plus faible dans le monde d’aujourd’hui.
Les X et l’industrie du luxe
Au milieu des années soixante-dix, bien peu d’entre nous réussissaient dans ce métier ; l’un des rares que je croisais régulièrement dans la profession était Maurice Roger (59), PDG des parfums Dior et auteur de succès spectaculaires comme Poison ou Fahrenheit.
Aujourd’hui, beaucoup de nos camarades s’épanouissent dans ce métier ; le chef d’entreprise qui a indiscutablement le mieux réussi mondialement dans le luxe, Bernard Arnault, est passé par la Montagne Sainte-Geneviève (nous n’étions pas encore à Palaiseau à l’époque)…
Notre formation en effet, si elle nous enseigne la rigueur, indispensable dans le management de ce métier très complexe, comporte une part importante de culture (arts et lettres) ; nos deux hémisphères sont mis à contribution, et j’ai toujours constaté, durant les vingt et quelques années que j’ai passé dans l’univers du luxe, que le fait d’être matheux m’aidait à comprendre les créateurs (une belle démonstration mathématique est une œuvre de création), faute d’être moi-même créateur.
Je terminerai donc mon article par une invitation à tous nos camarades, et surtout les plus jeunes, à ne pas oublier dans leur choix de carrière les métiers du luxe : s’ils sont curieux, créatifs et dynamiques, ils peuvent y construire une réussite professionnelle brillante et internationale, aider au développement et au rayonnement de la France, satisfaire leur passion de l’esthétique… mais au prix de beaucoup de travail !
En bref, travailler pour la Patrie et la Gloire, même si ce n’est pas pour les Sciences…