Le magnan des sucs
« Dans son roman Mort de quelqu’un paru en 1911, Jules Romains, enfant du pays, décrivait ainsi le vieux quartier de Saint-Julien : C’était l’endroit le plus doux, le plus méditatif, le plus éternel du bourg. Cette phrase est gravée sur les murs de la cité. Et le professeur de français de faire remarquer, dans ce plus éternel, le côté poétique de la prose de Jules Romains car, disait-il, toutes les éternités se valent. Jusqu’au jour où, le cours de Laurent Schwartz chapitre 1 aidant, je pus lui expliquer qu’il y a des ensembles infinis infiniment plus grands que d’autres et donc peut-être des éternités infiniment plus longues que d’autres. L’écrivain était-il un visionnaire ? La relecture du cours chapitre 2 m’a laissé finalement dubitatif !»
C’est ainsi que s’exprime Jean Goliger, poudrier de la 59, et Capitolien1 de souche, en parlant de son village, Saint-Julien-Chapteuil. Il s’est retiré, comme il dit, de la « vie sociale polytechnicienne » mais me reçoit chaleureusement dans sa splendide ferme familiale, parfaitement « dans son jus » pour évoquer, non sans un certain chauvinisme, les merveilles de ce pays. Et, parmi elles, éternelle de cette éternité concentrée dans l’instant qu’évoque notre ami, la savoureuse tradition culinaire qui s’est installée sur les « sucs », ces monts bien nommés aux confins de la Haute- Loire, à la frontière ardéchoise.
Tradition bistrotière
Chez Jean-Pierre Vidal2, face à l’église, l’une de ces ravissantes et émouvantes romanes qui parsèment le pays, se perpétue une tradition plus que centenaire, celle du « bistrot de Justin », son père, qui, avec sa femme Odette, abreuvait paysans, représentants de commerce ou maquignons.
Située sur la place du marché, si animée les jours de foire, cette adresse était un sanctuaire incontournable. Non loin, dans les estaminets locaux, on se gobergeait de spécialités locales, des champignons, cèpes comme mousserons, des fromages, fromage aux artisons, fourme du Lizieux moelleuse et persillée, Sarassou, châtaignes et les lentilles, ah ! les lentilles, savoureux pilier du repas vellave, accompagnées du fin gras du Mézenc, nourri au foin naturel de la montagne, et de toutes sortes de cochonnailles.
Pour terminer, on dégustait les myrtilles finement parfumées du Meygal et, plutôt qu’une cuillerée de bicarbonate, on favorisait sa digestion d’une douce verveine du Velay, ou de la « goutte », jetée cul sec dans le gosier. Jean-Pierre, devenu « toque d’Auvergne », n’est donc pas tombé dans la marmite par hasard ; tous les ingrédients étaient réunis pour l’y faire plonger. Ces ingrédients, au parfum du terroir, avec lesquels il a su jongler pour les accorder délicatement à l’usage des fines gueules, sans pour autant les trahir. Rendu célèbre par ses tuiles à la farine de lentilles, il a conjugué passion novatrice et tradition.
Parfum du terroir
La lauze est devenue chez lui un plat à fromage ou à foie gras, foie gras en symphonie d’accommodements, qui cède à ses caprices et ravit nos palais. Car, de la lauze de sa région, Jean-Pierre a fait des assiettes.
Chez Jean-Pierre Vidal, inutile de commander des produits modernes ou « exotiques », c’est avec les produits locaux que son talent s’éveille : associations raffinées, cuissons parfaites, légèreté quoique charpentée.
Je garde un souvenir ému et chaleureux de sa purée aux cèpes, fondante et abondante, servie directement du faitout à l’assiette… Mais aussi, du filet mignon de porc, de l’agneau noir du Velay…
La forêt apparaît fréquemment dans notre assiette et trouve son apogée dans les desserts qui utilisent la myrtille et la mûre, comme la verveine ou le miel. L’addition est à la hauteur de la qualité des mets, sans plus.
Plume d’autruche
Un seul regret, en ce qui me concerne, c’est que Jean-Pierre n’ait pas tenté de travailler une de ces délicieuses autruches, ses voisines du suc de la Tortue, élevées en liberté, par Jean- François et Corinne Coste3. Quant à moi, je m’y suis essayée.
Résultat : une viande rouge et goûteuse d’une tendreté à faire fondre n’importe quel ogre. Ainsi, pour paraphraser encore Jules Romains, « qu’un potage soit immangeable, cela ne tient qu’à un cheveu» ; il ne tient qu’à une plume d’autruche qu’il soit délicieux.
Ce petit détour dans un coin de campagne sublime mais bien isolé nous prouve, s’il en était besoin, que les trésors cachés de nos terroirs méritent le déplacement. Je vous recommande savoureusement ce périple.
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1. Natif de Saint-Julien-Chapteuil.
2. Jean-Pierre Vidal – Place du Marché
43260 Saint-Julien-Chapteuil Tél. : 0471087050 www.restaurant-vidal.com
3. Les Autruches de la Tortue
Jean-François et Corinne Coste Le Fraisse – 43260 Saint-Julien-Chapteuil
Tél. : 0684505019 – 0471084558
www.lesautruchesdelatortue.fr (vente à la ferme)
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Un peu plus jeune, mais Capitolien de souche, j’ai connu Jean Golliger, fils du docteur Golliger, le garçon le plus intelligent du village. Futur Polytechnicien, il n’a pas oublié St Julien…Moi aussi, je connais bien JP Vidal et son chaleureux restaurant. Il a repris les locaux de son papa Justin, ou nous allions jouer au baby foot ou écouter le Juke box, dans les années 60. Que deviens tu Jean ? Moi même Jean Abras, Ingénieur AM, je n’oublierai jamais St Julien.…où je reviens souvent.
Jean ABRAS