Le maître Daniel Piedfer, l’élégance de lame de l’X
Décédé le 31 mars 2023 dans sa soixante-seizième année, Daniel Piedfer fut pendant près de quarante ans maître d’armes et professeur de danse à l’École polytechnique. Il fut un promoteur infatigable de l’héritage et des valeurs de l’X, au travers de l’escrime et du traditionnel quadrille des lanciers du bal de l’X.
Né le 26 novembre 1947 en Allemagne, Daniel Piedfer est fils de militaire. Sa petite enfance se passe au gré des affectations de son père dans plusieurs pays, dont le Sénégal. Il passe ensuite, jusqu’à ses 14 ans, plusieurs années en Algérie durant la guerre d’indépendance. Sa famille est logée par l’armée avec d’autres militaires français mobilisés dans la guerre.
Une enfance marquée par la guerre
Chaque matin, Daniel et sa sœur aînée prennent le chemin de l’école escortés par des soldats. Un soir, à la sortie de l’école, il trouve un panier posé par terre. C’était une bombe, qui heureusement a pu être désamorcée à temps. Un autre jour, sur le chemin du marché, accompagné de sa mère et sa sœur, Daniel assiste à des scènes de panique : des coups de feu, des gens qui tentent de fuir. Le marché est en train de se faire attaquer. Il n’est qu’à une rue du marché. À une rue près, il aurait été en plein cœur de l’attaque et à portée des tirs…
Daniel Piedfer a été profondément marqué par son enfance en Algérie. Bien qu’il ait souvent vu la mort en face et qu’il l’ait quelquefois évitée de très peu, il raconte qu’à cette époque il n’avait pas peur : l’innocence de l’enfance lui cachait l’atrocité des scènes dont il était témoin, ainsi que les dangers auxquels il était exposé.
Une vie au service du sport
De retour en France en 1961, la famille de Daniel Piedfer s’installe à Aix-en-Provence – où les cendres de Daniel viennent de rejoindre celles de son père. Son service militaire, qu’il commence à 18 ans, est une révélation. En 1966, il s’engage à l’école des sous-officiers de l’armée de l’Air. À sa sortie, il est affecté à l’École interarmées des sports de Fontainebleau comme enseignant d’éducation physique et sportive. Après un séjour à l’école de formation des sous-officiers de l’armée de l’Air à Nîmes, sans connaître l’escrime, il postule à l’école des maîtres d’armes de Fontainebleau, puis y suit la formation pendant deux ans. C’est donc sur le tard, presque « par hasard », comme il le dit, qu’il se met à l’escrime.
Maître d’armes spécialiste de sabre
En 1972, son diplôme de maître d’armes acquis, Daniel est affecté à l’École des pupilles de l’air, près de Grenoble, où il reste onze ans. Pendant cette période, il est infatigable : il pratique la danse trois à quatre heures par jour en semaine et passe vingt-huit week-ends par an, hors vacances scolaires, en compétition d’escrime – soit sur les pistes comme compétiteur, soit comme entraîneur.
Daniel construit progressivement son palmarès sportif. Son premier résultat d’envergure est de devenir champion de France de l’armée de l’Air au sabre – après s’être entraîné et avoir échoué au fleuret. Cette victoire au sabre est révélatrice : dans la même année, il est vainqueur d’un tournoi interrégional au sabre. Il est ensuite quatre fois champion de France militaire par équipe (dont trois fois avec l’X), trois fois champion des clubs sportifs et artistiques, trois fois champion de France des maîtres d’armes. Il participe en outre à trois championnats du monde militaires et à deux coupes d’Europe en tant que civil.
Une passion pour la transmission
C’est en 1983 que Daniel Piedfer est affecté à l’École polytechnique en tant que maître d’armes et chef de section escrime. Il ne quittera plus l’X. Pendant onze ans, il participe à la formation à l’escrime des promotions polytechniciennes successives. En arrivant à l’École, sur les conseils de son professeur de danse, il crée également son propre club de danse et enseigne notamment la valse, le rock et le rock acrobatique.
“Il totalise près de quarante ans d’enseignement à l’X.”
En 1990, il est sollicité par la promotion 1988 et l’AX pour enseigner le quadrille des lanciers, prenant la suite du danseur étoile Jacques Chazot. Avant de prendre sa retraite militaire au grade de major, Daniel est affecté une nouvelle fois à Fontainebleau. Il continue cependant à participer aux entraînements de la section escrime à l’École, ainsi qu’à animer la danse et le quadrille. Civil, il est engagé par la direction de la formation sportive pour entraîner les élèves au sabre, de 2008 à décembre 2022. Il totalise ainsi près de quarante ans d’enseignement à l’X.
Le quadrille des lanciers
Cette danse d’origine anglaise, pratiquée à l’origine aux Indes par des cavaliers armés de lance, est introduite en France dans les années 1860. Constituée de cinq figures et impliquant seize couples, elle est un moment incontournable du bal de l’X, qui est le seul évènement continuant à faire vivre cette tradition en France. Au bal, les élèves danseuses et danseurs ont le privilège d’être accompagnés par la musique de la Garde républicaine. Une photo iconique est prise chaque année sur les marches de l’Opéra Garnier : les quadrilleuses en robe rouge (taillée sur mesure) et les quadrilleurs en GU, entourant Daniel dans son smoking impeccable, en tant que maître de ballet.
Un loisir mêlant les disciplines
Dans son parcours, Daniel Piedfer a rencontré et a été formé par Claude Carliez, légendaire maître d’armes et coordonnateur des combats et des cascades d’une multitude de films de cape et d’épée des années 1950 à 2000. Dès les années 1970, Daniel se spécialise dans l’escrime artistique, une discipline confidentielle qu’on appelle alors « escrime ancienne ». Elle lui permet de combiner ses nombreux centres d’intérêt : escrime, théâtre, chorégraphies et histoire. Au fil des années, il effectue de nombreuses recherches sur les armes, combats, danses, chants et manières de vivre aux époques des mousquetaires ainsi que des pirates et corsaires.
Les premières séances d’escrime artistique sur le plateau ont lieu avec la promotion 2004. En 2007, un binet est créé par les promotions 2005 et 2006. Au fil des années, le binet affermit sa réputation en offrant des représentations lors d’évènements internes ainsi que dans plusieurs châteaux en France. Mais chaque année depuis 2010 son heure de gloire a lieu au bal de l’X, où un enchaînement en GU est présenté au pied des marches de l’Opéra Garnier. Depuis plusieurs années, Daniel faisait également participer des élèves de l’X à la troupe des corsaires dont il était le « Cap’tain », au festival historique « La Ciotat 1720 », en Provence.
La salle d’armes à son nom
Daniel Piedfer s’est éteint le 31 mars 2023 à la suite d’un long combat contre le cancer. Membre du comité directeur de l’académie d’armes de France, il était titulaire de la Médaille militaire, de la médaille de bronze de la Défense nationale et de la médaille d’or de la Jeunesse et des Sports. « Je garde beaucoup de très bons contacts avec les X ; je ne les choisis pas, ce sont eux qui me choisissent », déclarait-il. C’est dans cet esprit que la communauté polytechnicienne adresse à son épouse ainsi qu’à ses trois enfants ses condoléances et pensées les plus amicales. De son maître d’armes et maître de ballet, l’École polytechnique gardera un souvenir ému. La salle d’armes du plateau sera renommée en son honneur le 30 juin prochain.
6 Commentaires
Ajouter un commentaire
« Il participe en outre à trois championnats du monde militaires… » et y parvint même à l’occasion en finale : vice-champion du monde, c’était la médaille dont il était le plus fier. Un esprit tout en finesse, et qu’il savait si bien transmettre.
Merci pour cette précision. J’aurais dû l’inclure, mais je n’ai eu confirmation qu’après la soumission de l’article.
Très emouvant, et un aptonyme qui lui va comme un gant ! Il nous avait fait tourbillonner dans la joie et la rigueur.
En ce qui concerne l’escrime artistique, quelques frémissements ont eu lieu dès la promo x2002, peu avant la 2004.
Merci pour cet article ! J’ai eu la chance de danser le quadrille deux fois. Je garde la mémoire d’un homme absolument charmant et bien justement respecté.
J’ai passé presque 10 ans avec Daniel à l’école des pupilles de l’air de Grenoble en tant que moniteur de sports, et je garde des souvenirs impérissables de notre « troupe » de clowns qu’il avait mis en place, et qui faisait le bonheur des fêtes de Noël dans de nombreuses associations…qu’est-ce qu’on s’est amusé dans nos répétitions !!!
C’est vraiment une belle personne qui nous a quitté !
Jluc Vigouroux