ARCEP

Le marché des télécommunications : enjeux, perspectives et opportunités

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°753 Mars 2020
Par Sébastien SORIANO (X96)
Par Guillaume MELLIER (99)

Au cœur du monde des télé­com­mu­ni­ca­tions, l’Arcep accom­pagne le sec­teur dans les évo­lu­tions tech­no­lo­giques tout en garan­tis­sant la concur­rence et le res­pect des règle­men­ta­tions, au béné­fice des consom­ma­teurs. Au fil des années, les mis­sions de cette ins­ti­tu­tion ont évo­lué et s’ouvrent à de nou­veaux sujets d’actualité. Expli­ca­tions de Sébas­tien Soria­no (96), Pré­sident de l’Arcep, et Guillaume Mel­lier (99), Direc­teur “Fibre, infra­struc­tures et territoires”.

L’Arcep est souvent appelée le gendarme des télécoms au vu de sa mission de régulateur. Qu’en est-il ? 

Sébas­tien Soria­no : L’Arcep est une auto­ri­té, dont le rôle est de s’assurer que le mar­ché des télé­com­mu­ni­ca­tions en France fonc­tionne bien. Son indé­pen­dance est garan­tie par un col­lège de 7 membres nom­més pour un man­dat de 6 ans par les pré­si­dents de la Répu­blique, de l’Assemblée natio­nale et du Sénat. Je suis à la tête de ce collège.

L’Arcep a été créée au moment de la libé­ra­li­sa­tion du sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions, autre­fois un mono­pole de l’État conduit par les PTT, puis France Télé­com. Dans ce cadre, la mis­sion de l’Arcep a été de modi­fier le rôle de l’État par rap­port aux réseaux : avant c’était l’État qui était en charge du déploie­ment des réseaux et de les appor­ter aux citoyens. Aujourd’hui, ce sont les opé­ra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tions, qui s’en chargent et le régu­la­teur est donc l’acteur public qui garan­tit le déve­lop­pe­ment des réseaux dans l’intérêt des Fran­çais et l’atteinte d’objectifs.

Notre mis­sion ori­gi­nelle tourne donc essen­tiel­le­ment autour du déve­lop­pe­ment de la concur­rence dans le cadre du pas­sage du mono­pole à un mar­ché concur­ren­tiel avec désor­mais 4 grands opé­ra­teurs qui per­mettent aux uti­li­sa­teurs d’avoir un vrai choix.

Plus particulièrement, quels sont les principaux sujets et dossiers que vous gérez dans le cadre de vos fonctions de régulateur ?

S.S : Le régu­la­teur a trois prin­ci­pales missions :

  • Il attri­bue les fré­quences qui per­mettent aux dif­fé­rents opé­ra­teurs d’être actifs sur le mar­ché mobile, en lien avec le Gouvernement.
  • Il donne l’accès à des infra­struc­tures essen­tielles. Cela nous a mené à ouvrir le réseau de France Télé­com pour per­mettre le dégrou­page : tous les autres opé­ra­teurs ont ain­si pu ins­tal­ler dans les cen­traux télé­pho­niques de France Télé­com leurs équi­pe­ments pour four­nir de l’ADSL.
  • Il garan­tit l’interconnexion en fai­sant en sorte que, mal­gré la pro­fu­sion et la mul­ti­pli­ca­tion des acteurs, le réseau reste un du point de vue du consommateur.

Au cours des der­nières années, l’Arcep s’est mobi­li­sée autour de l’équipement du pays en réseaux en créant des inci­ta­tions et un cadre de tra­vail per­met­tant ce déploiement.

Guillaume Mel­lier : Nous avons beau­coup tra­vaillé sur le déploie­ment de la fibre optique en France. L’enjeu a été de trou­ver un équi­libre entre l’incitation à l’investissement (faire en sorte d’avoir des opé­ra­teurs qui inves­tissent et déploient la fibre plus lar­ge­ment) et, le fait que d’un point de vue finan­cier, chaque opé­ra­teur ne peut pas déployer seul son réseau. Face à ces constats, il y avait la néces­si­té de faire en sorte que le réseau déployé soit mutua­li­sé, c’est-à-dire que le réseau fibre soit uti­li­sable pas tous. L’Arcep a donc posé un cadre de mutua­li­sa­tion et de par­tage de réseau en défi­nis­sant les règles que doit res­pec­ter l’opérateur qui déploie la fibre, notam­ment l’obligation de faire une offre d’accès aux opé­ra­teurs tiers pour que ces der­niers puissent uti­li­ser ce réseau mutua­li­sé. On parle d’un cadre « symé­trique » de régu­la­tion, puisqu’il s’applique à tout opé­ra­teur qui déploie la fibre.

S. S : C’est une situa­tion et un cadre assez ori­gi­naux. Nous avons les avan­tages de la concur­rence via cette plu­ra­li­té d’acteurs qui inves­tissent dans le déploie­ment du réseau et, en même temps, nous évi­tons un déploie­ment en silo du réseau qui obli­ge­rait les consom­ma­teurs à se tour­ner vers un opé­ra­teur pré­dé­fi­ni. In fine, nous avons réus­si à garan­tir au consom­ma­teur le choix de son opé­ra­teur. Notre rôle de régu­la­teur a évo­lué d’une mis­sion d’ouverture à la concur­rence à celle de veiller à l’équipement en infra­struc­tures de notre pays. Nous avons aus­si mené ce tra­vail pour le très haut débit ain­si que pour la cou­ver­ture du ter­ri­toire en 4G, un chan­tier consi­dé­rable, dans le cadre duquel nous avons conclu un accord avec les opé­ra­teurs et le gou­ver­ne­ment en jan­vier 2018, le New Deal Mobile, qui pré­voit un inves­tis­se­ment mas­sif de la part des opé­ra­teurs pour cou­vrir les zones rurales en 4G.

Au cœur de l’actualité, il y a le déploiement de la 5G. Où en est-on ? Quel est votre rôle dans cette démarche ? Quelles sont les prochaines étapes ?

S.S : L’enjeu pre­mier actuel­le­ment est de mettre les opé­ra­teurs en capa­ci­té de déployer le réseau. Pour ce faire, il faut libé­rer des fré­quences. Par ailleurs, les fré­quences de la 5G sont har­mo­ni­sées au niveau euro­péen. Nous allons pro­chai­ne­ment pro­cé­der à l’attribution de la bande cœur de la 5G, une bande com­prise entre 3,4 et 3,8 giga­hertz. Nous avons défi­ni un cahier des charges avec le gou­ver­ne­ment. Les opé­ra­teurs viennent de dépo­ser leur can­di­da­ture. Une par­tie de la pro­cé­dure se fera sous forme d’une enchère entre les opé­ra­teurs. Cette pro­cé­dure d’attribution devrait abou­tir en juin avec un lan­ce­ment de la com­mer­cia­li­sa­tion par les opé­ra­teurs actuel­le­ment pré­vu en juillet. C’est un ren­dez-vous impor­tant pour l’Arcep : la der­nière attri­bu­tion de fré­quences de cette ampleur remonte à 2011.

Nous avons veillé à ce que les condi­tions d’attribution per­mettent de main­te­nir une concur­rence forte sur le mar­ché. En paral­lèle, nous avons aus­si défi­ni des obli­ga­tions de cou­ver­ture assez ambi­tieuses. Avec la 4G, nous avons pu consta­ter que les obli­ga­tions mises dans les licences (les auto­ri­sa­tions des fré­quences) étaient insuf­fi­santes. Assez rapi­de­ment, les Fran­çais qui habitent dans les ter­ri­toires ruraux ou péri­ur­bains se sont plaints d’une qua­li­té de ser­vice mobile insuf­fi­sante. C’est d’ailleurs pour cette rai­son notam­ment que le New Deal Mobile a été déci­dé. Avec la 5G, nous vou­lons évi­ter de recréer ces déca­lages dans la qua­li­té de ser­vice, deve­nus aujourd’hui inad­mis­sibles. Au tra­vers des obli­ga­tions impo­sées aux opé­ra­teurs, ces der­niers doivent déployer le réseau en même temps dans les zones rurales et dans les zones urbaines.

Au-delà des consommateurs, la 5G a pour vocation d’apporter de nouveaux services aux entreprises…

La 5G va non seule­ment per­mettre au grand public d’avoir un for­fait 10 fois plus rapide, mais elle va, en effet, aus­si appor­ter des ser­vices aux entre­prises. C’est la tech­no­lo­gie qui va per­mettre de mettre en place l’internet des objets et la connec­ti­vi­té totale. Demain, nous pour­rons ima­gi­ner des conte­neurs connec­tés dans le sec­teur de la logis­tique ; des infra­struc­tures por­tuaires et aéro­por­tuaires connec­tées ; de la robo­ti­sa­tion avec des machines gui­dées par Intel­li­gence Arti­fi­cielle qui vont recueillir des don­nées pour opti­mi­ser divers aspects en temps réel ; ou encore la voi­ture auto­nome avec des capa­ci­tés à acti­ver un frei­nage en urgence si néces­saire ou qui va per­mettre la col­lecte de don­nées sur l’état des routes… La 5G ne va pas seule­ment per­mettre la com­mu­ni­ca­tion entre les hommes et les femmes, elle va aus­si per­mettre la com­mu­ni­ca­tion entre les machines pour faire fonc­tion­ner la ville intel­li­gente, l’agriculture connec­tée, la san­té connec­tée et bien d’autres domaines.

Parce qu’elle va contri­buer à la moder­ni­sa­tion, chaque sec­teur d’activité est ame­né à s’approprier cette tech­no­lo­gie. À ce niveau, nous devons aus­si veiller à ce que les opé­ra­teurs qui déploient la 5G tra­vaillent avec ces acteurs de l’économie et déve­loppent des offres sur-mesure qui leur sont des­ti­nées et qui s’adaptent à leur besoin (déploie­ment d’infrastructures complémentaires…).

Nous tra­vaillons aus­si sur la bande de fré­quence dite mil­li­mé­trique, une bande de 26 giga­hertz avec une faible por­tée qui va per­mettre de faire des cou­ver­tures locales, dans une logique de hots­pot. Parce que nous avons une moindre matu­ri­té sur ces fré­quences, nous avons lan­cé des pla­te­formes d’expérimentations avec des consor­tiums d’origines diverses comme la Cité des Sciences et de l’Industrie, le port du Havre qui sou­haite tes­ter une logis­tique connec­tée, la SNCF sur une gare à Rennes ou encore la ville de Saint-Quen­tin en Yve­lines qui veut équi­per son vélo­drome en pré­vi­sion des Jeux Olympiques.

Avec la 5G, nous sommes sur une dimen­sion d’innovation et d’exploration d’usages nouveaux.

L’arrivée de la 5G soulève des questions en termes de prix, de renforcement de la régulation, de collecte des données… Quels sont les enjeux qui vont en découler ? Comment appréhendez-vous ces sujets ?

S.S : Pour les prix, nous nous appuyons sur la concur­rence. En France, nous dis­po­sons des prix les plus bas d’Europe. Ceci s’explique en par­tie par le fait que nous avons pu créer des moda­li­tés d’attribution des fré­quences qui garan­tissent jus­te­ment le bon fonc­tion­ne­ment de la concur­rence. Nous n’avons pas de pré­oc­cu­pa­tions par­ti­cu­lières sur cette question.

En revanche, nous avons pu consta­ter un débat de socié­té émer­geant autour de la 5G. Nous avons de plus en plus d’opposants aux tech­no­lo­gies comme la recon­nais­sance faciale, mais aus­si la 5G. Compte tenu de ce mou­ve­ment, l’Arcep veut adop­ter une pos­ture neutre et d’écoute des dif­fé­rents points de vue afin d’objectiver ces débats.

Par­mi les sujets sou­le­vés, il y a la ques­tion envi­ron­ne­men­tale. La 5G va per­mettre le trans­port de signaux avec une meilleure effi­ca­ci­té éner­gé­tique. Néan­moins, étant don­né les volumes de don­nées qui peuvent être envoyés, la consom­ma­tion éner­gé­tique pour­rait in fine aug­men­ter. De la même manière, on peut ima­gi­ner, qu’à l’instar de la 4G et de la fibre optique qui ont favo­ri­sé le déploie­ment du strea­ming- qui est, par ailleurs, très éner­gi­vore – la 5G peut don­ner lieu à des usages très consom­ma­teurs tels que les jeux vidéo en réa­li­té vir­tuelle. Mais, on peut aus­si ima­gi­ner des usages qui, au contraire, pour­raient contri­buer à faire bais­ser la consom­ma­tion d’énergie. Aujourd’hui, une part impor­tante de la pol­lu­tion en ville vient des voi­tures qui tournent en rond pour trou­ver une place pour se garer. Le recours à des cap­teurs sur les places de par­king et des véhi­cules équi­pés d’ordinateur de bord connec­té per­met­trait une ges­tion intel­li­gente des places de par­kings avec des voi­tures qui pour­raient trou­ver plus rapi­de­ment une place où se garer.

À cela s’ajoute la ques­tion de la col­lecte des don­nées. La 5G a des carac­té­ris­tiques tech­niques qui font que le réseau est intel­li­gent. Le réseau s’adapte aux usages et usa­gers pour ame­ner une meilleure qua­li­té et opti­mi­ser la demande éner­gé­tique. Cela signi­fie aus­si que le réseau a des infor­ma­tions sur l’abonné : loca­li­sa­tion, mana­ge­ment d’un cer­tain nombre d’usages… Dans ce cadre se pose la ques­tion de la ges­tion de ces flux de don­nées par les opé­ra­teurs. Un dia­logue avec ces der­niers est pré­vu pour expli­ci­ter la nature de ces flux et la manière dont ils vont les gérer.

5G

L’Arcep est aussi garant de la neutralité du net. De quoi s’agit-il ?

S.S : Le prin­cipe de la neu­tra­li­té du net inter­dit aux opé­ra­teurs de faire un inter­net à deux vitesses. Ils ne peuvent par exemple pas construire de par­te­na­riats com­mer­ciaux avec cer­tains ser­vices aux­quels ils offri­raient une meilleure qua­li­té de ser­vice. C’est le consom­ma­teur qui doit pou­voir arbi­trer la qua­li­té des ser­vices. L’opérateur ne doit donc pas inter­ve­nir en frei­nant ou en don­nant des avan­tages à cer­tains ser­vices. Ce prin­cipe découle d’une règle­men­ta­tion euro­péenne adop­tée en 2015. Il est appli­qué de manière assez effi­cace en France et nous avons peu de dif­fi­cul­té à le faire res­pec­ter. Néan­moins, à la suite d’un rap­port détaillé four­ni par l’Arcep, en février 2018, il nous est appa­ru que la liber­té d’accès des uti­li­sa­teurs aux ser­vices de leur choix sans inter­fé­rence n’est plus tota­le­ment garan­tie, non pas à cause des opé­ra­teurs, mais des smart­phones et de leur OS (Ope­ra­ting Sys­tem), dont les deux prin­ci­paux sont iOS d’Apple et Android de Google. Nous avons mis en évi­dence dans ce rap­port les res­tric­tions impo­sées aux uti­li­sa­teurs par ces OS : un uti­li­sa­teur ne peut pas ins­tal­ler n’importe quelle appli, ou télé­char­ger n’importe quel ser­vice, dépor­ter ses don­nées ou appli d’un sys­tème à l’autre … Nous esti­mons que le déve­lop­pe­ment de l’internet des objets va venir exa­cer­ber la situa­tion actuelle où il est évident que la liber­té des uti­li­sa­teurs est déjà entra­vée par les choix impo­sés par ces OS. L’Arcep a fait une pro­po­si­tion pour l’adoption de mesures et faire évo­luer la loi.

L’Arcep a aussi une nouvelle mission : réguler le secteur de la distribution de la presse…

S.S : C’est une mis­sion d’une nature dif­fé­rente. L’organisation du sec­teur de la presse découle de l’après-guerre et est enca­drée par la Loi Bichet qui pré­voyait que le chaî­non entre l’imprimerie et le kiosque à jour­naux soit géré sous forme de coopé­ra­tive avec des jour­naux qui maî­trisent ce seg­ment logis­tique pour garan­tir la livrai­son des jour­naux dans le res­pect de la liber­té de la presse.

Aujourd’hui, c’est un sec­teur fra­gile et face à une situa­tion éco­no­mique dif­fi­cile. Sur l’initiative du ministre de la Culture, fin 2018, la moda­li­té de régu­la­tion a chan­gé et nous a été confiée pour accom­pa­gner la moder­ni­sa­tion de ce secteur.

Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?

S.S : Notre objec­tif était de faire aug­men­ter l’investissement dans les télé­com­mu­ni­ca­tions. À la tête de l’Arcep depuis 5 ans, j’ai pu obser­ver de nettes amé­lio­ra­tions : nous avons un sys­tème de concur­rence qui garan­tit des prix bas auquel s’ajoutent des inves­tis­se­ments dans les infra­struc­tures qui sont pas­sés de 7 à 10 mil­liards en 4 ans, soit une aug­men­ta­tion de près de 40%. C’est un sujet qui reste néan­moins d’actualité notam­ment avec l’arrivée de la 5G.

Sur le moyen terme, l’idée est de pou­voir capi­ta­li­ser sur ce suc­cès en matière de régu­la­tion dans les télé­com­mu­ni­ca­tions afin de l’appliquer à d’autres sec­teurs dans lequel il y a des défi­cits de concur­rence. Par­mi ceux-ci, celui qui semble pro­blé­ma­tique est le numé­rique, avec une poi­gnée de grands acteurs qui amènent une inno­va­tion d’exception, ce qui leur per­met d’ériger de nou­velles formes de mono­pole. L’enjeu n’est bien évi­dem­ment pas de régu­ler l’internet qui doit être un espace de liber­té et qui est, par ailleurs, déjà assez régle­men­té et régu­lé. L’idée est plu­tôt de créer une régu­la­tion spé­ci­fique à l’instar des obli­ga­tions asy­mé­triques pré­cé­dem­ment men­tion­nées. Nous esti­mons que la France, voire l’Europe, devrait se fixer comme objec­tif la créa­tion et la mise en place de cette nou­velle régu­la­tion en s’inspirant de l’expérience réus­sie dans la télé­com­mu­ni­ca­tion afin de créer des envi­ron­ne­ments qui pro­fitent à toutes les par­ties pre­nantes, quelle que soit leur taille.


Pour en savoir plus : https://www.arcep.fr/

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