Le marché des télécommunications : enjeux, perspectives et opportunités
Au cœur du monde des télécommunications, l’Arcep accompagne le secteur dans les évolutions technologiques tout en garantissant la concurrence et le respect des règlementations, au bénéfice des consommateurs. Au fil des années, les missions de cette institution ont évolué et s’ouvrent à de nouveaux sujets d’actualité. Explications de Sébastien Soriano (96), Président de l’Arcep, et Guillaume Mellier (99), Directeur “Fibre, infrastructures et territoires”.
L’Arcep est souvent appelée le gendarme des télécoms au vu de sa mission de régulateur. Qu’en est-il ?
Sébastien Soriano : L’Arcep est une autorité, dont le rôle est de s’assurer que le marché des télécommunications en France fonctionne bien. Son indépendance est garantie par un collège de 7 membres nommés pour un mandat de 6 ans par les présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat. Je suis à la tête de ce collège.
L’Arcep a été créée au moment de la libéralisation du secteur des télécommunications, autrefois un monopole de l’État conduit par les PTT, puis France Télécom. Dans ce cadre, la mission de l’Arcep a été de modifier le rôle de l’État par rapport aux réseaux : avant c’était l’État qui était en charge du déploiement des réseaux et de les apporter aux citoyens. Aujourd’hui, ce sont les opérateurs de télécommunications, qui s’en chargent et le régulateur est donc l’acteur public qui garantit le développement des réseaux dans l’intérêt des Français et l’atteinte d’objectifs.
Notre mission originelle tourne donc essentiellement autour du développement de la concurrence dans le cadre du passage du monopole à un marché concurrentiel avec désormais 4 grands opérateurs qui permettent aux utilisateurs d’avoir un vrai choix.
Plus particulièrement, quels sont les principaux sujets et dossiers que vous gérez dans le cadre de vos fonctions de régulateur ?
S.S : Le régulateur a trois principales missions :
- Il attribue les fréquences qui permettent aux différents opérateurs d’être actifs sur le marché mobile, en lien avec le Gouvernement.
- Il donne l’accès à des infrastructures essentielles. Cela nous a mené à ouvrir le réseau de France Télécom pour permettre le dégroupage : tous les autres opérateurs ont ainsi pu installer dans les centraux téléphoniques de France Télécom leurs équipements pour fournir de l’ADSL.
- Il garantit l’interconnexion en faisant en sorte que, malgré la profusion et la multiplication des acteurs, le réseau reste un du point de vue du consommateur.
Au cours des dernières années, l’Arcep s’est mobilisée autour de l’équipement du pays en réseaux en créant des incitations et un cadre de travail permettant ce déploiement.
Guillaume Mellier : Nous avons beaucoup travaillé sur le déploiement de la fibre optique en France. L’enjeu a été de trouver un équilibre entre l’incitation à l’investissement (faire en sorte d’avoir des opérateurs qui investissent et déploient la fibre plus largement) et, le fait que d’un point de vue financier, chaque opérateur ne peut pas déployer seul son réseau. Face à ces constats, il y avait la nécessité de faire en sorte que le réseau déployé soit mutualisé, c’est-à-dire que le réseau fibre soit utilisable pas tous. L’Arcep a donc posé un cadre de mutualisation et de partage de réseau en définissant les règles que doit respecter l’opérateur qui déploie la fibre, notamment l’obligation de faire une offre d’accès aux opérateurs tiers pour que ces derniers puissent utiliser ce réseau mutualisé. On parle d’un cadre « symétrique » de régulation, puisqu’il s’applique à tout opérateur qui déploie la fibre.
S. S : C’est une situation et un cadre assez originaux. Nous avons les avantages de la concurrence via cette pluralité d’acteurs qui investissent dans le déploiement du réseau et, en même temps, nous évitons un déploiement en silo du réseau qui obligerait les consommateurs à se tourner vers un opérateur prédéfini. In fine, nous avons réussi à garantir au consommateur le choix de son opérateur. Notre rôle de régulateur a évolué d’une mission d’ouverture à la concurrence à celle de veiller à l’équipement en infrastructures de notre pays. Nous avons aussi mené ce travail pour le très haut débit ainsi que pour la couverture du territoire en 4G, un chantier considérable, dans le cadre duquel nous avons conclu un accord avec les opérateurs et le gouvernement en janvier 2018, le New Deal Mobile, qui prévoit un investissement massif de la part des opérateurs pour couvrir les zones rurales en 4G.
Au cœur de l’actualité, il y a le déploiement de la 5G. Où en est-on ? Quel est votre rôle dans cette démarche ? Quelles sont les prochaines étapes ?
S.S : L’enjeu premier actuellement est de mettre les opérateurs en capacité de déployer le réseau. Pour ce faire, il faut libérer des fréquences. Par ailleurs, les fréquences de la 5G sont harmonisées au niveau européen. Nous allons prochainement procéder à l’attribution de la bande cœur de la 5G, une bande comprise entre 3,4 et 3,8 gigahertz. Nous avons défini un cahier des charges avec le gouvernement. Les opérateurs viennent de déposer leur candidature. Une partie de la procédure se fera sous forme d’une enchère entre les opérateurs. Cette procédure d’attribution devrait aboutir en juin avec un lancement de la commercialisation par les opérateurs actuellement prévu en juillet. C’est un rendez-vous important pour l’Arcep : la dernière attribution de fréquences de cette ampleur remonte à 2011.
Nous avons veillé à ce que les conditions d’attribution permettent de maintenir une concurrence forte sur le marché. En parallèle, nous avons aussi défini des obligations de couverture assez ambitieuses. Avec la 4G, nous avons pu constater que les obligations mises dans les licences (les autorisations des fréquences) étaient insuffisantes. Assez rapidement, les Français qui habitent dans les territoires ruraux ou périurbains se sont plaints d’une qualité de service mobile insuffisante. C’est d’ailleurs pour cette raison notamment que le New Deal Mobile a été décidé. Avec la 5G, nous voulons éviter de recréer ces décalages dans la qualité de service, devenus aujourd’hui inadmissibles. Au travers des obligations imposées aux opérateurs, ces derniers doivent déployer le réseau en même temps dans les zones rurales et dans les zones urbaines.
Au-delà des consommateurs, la 5G a pour vocation d’apporter de nouveaux services aux entreprises…
La 5G va non seulement permettre au grand public d’avoir un forfait 10 fois plus rapide, mais elle va, en effet, aussi apporter des services aux entreprises. C’est la technologie qui va permettre de mettre en place l’internet des objets et la connectivité totale. Demain, nous pourrons imaginer des conteneurs connectés dans le secteur de la logistique ; des infrastructures portuaires et aéroportuaires connectées ; de la robotisation avec des machines guidées par Intelligence Artificielle qui vont recueillir des données pour optimiser divers aspects en temps réel ; ou encore la voiture autonome avec des capacités à activer un freinage en urgence si nécessaire ou qui va permettre la collecte de données sur l’état des routes… La 5G ne va pas seulement permettre la communication entre les hommes et les femmes, elle va aussi permettre la communication entre les machines pour faire fonctionner la ville intelligente, l’agriculture connectée, la santé connectée et bien d’autres domaines.
Parce qu’elle va contribuer à la modernisation, chaque secteur d’activité est amené à s’approprier cette technologie. À ce niveau, nous devons aussi veiller à ce que les opérateurs qui déploient la 5G travaillent avec ces acteurs de l’économie et développent des offres sur-mesure qui leur sont destinées et qui s’adaptent à leur besoin (déploiement d’infrastructures complémentaires…).
Nous travaillons aussi sur la bande de fréquence dite millimétrique, une bande de 26 gigahertz avec une faible portée qui va permettre de faire des couvertures locales, dans une logique de hotspot. Parce que nous avons une moindre maturité sur ces fréquences, nous avons lancé des plateformes d’expérimentations avec des consortiums d’origines diverses comme la Cité des Sciences et de l’Industrie, le port du Havre qui souhaite tester une logistique connectée, la SNCF sur une gare à Rennes ou encore la ville de Saint-Quentin en Yvelines qui veut équiper son vélodrome en prévision des Jeux Olympiques.
Avec la 5G, nous sommes sur une dimension d’innovation et d’exploration d’usages nouveaux.
L’arrivée de la 5G soulève des questions en termes de prix, de renforcement de la régulation, de collecte des données… Quels sont les enjeux qui vont en découler ? Comment appréhendez-vous ces sujets ?
S.S : Pour les prix, nous nous appuyons sur la concurrence. En France, nous disposons des prix les plus bas d’Europe. Ceci s’explique en partie par le fait que nous avons pu créer des modalités d’attribution des fréquences qui garantissent justement le bon fonctionnement de la concurrence. Nous n’avons pas de préoccupations particulières sur cette question.
En revanche, nous avons pu constater un débat de société émergeant autour de la 5G. Nous avons de plus en plus d’opposants aux technologies comme la reconnaissance faciale, mais aussi la 5G. Compte tenu de ce mouvement, l’Arcep veut adopter une posture neutre et d’écoute des différents points de vue afin d’objectiver ces débats.
Parmi les sujets soulevés, il y a la question environnementale. La 5G va permettre le transport de signaux avec une meilleure efficacité énergétique. Néanmoins, étant donné les volumes de données qui peuvent être envoyés, la consommation énergétique pourrait in fine augmenter. De la même manière, on peut imaginer, qu’à l’instar de la 4G et de la fibre optique qui ont favorisé le déploiement du streaming- qui est, par ailleurs, très énergivore – la 5G peut donner lieu à des usages très consommateurs tels que les jeux vidéo en réalité virtuelle. Mais, on peut aussi imaginer des usages qui, au contraire, pourraient contribuer à faire baisser la consommation d’énergie. Aujourd’hui, une part importante de la pollution en ville vient des voitures qui tournent en rond pour trouver une place pour se garer. Le recours à des capteurs sur les places de parking et des véhicules équipés d’ordinateur de bord connecté permettrait une gestion intelligente des places de parkings avec des voitures qui pourraient trouver plus rapidement une place où se garer.
À cela s’ajoute la question de la collecte des données. La 5G a des caractéristiques techniques qui font que le réseau est intelligent. Le réseau s’adapte aux usages et usagers pour amener une meilleure qualité et optimiser la demande énergétique. Cela signifie aussi que le réseau a des informations sur l’abonné : localisation, management d’un certain nombre d’usages… Dans ce cadre se pose la question de la gestion de ces flux de données par les opérateurs. Un dialogue avec ces derniers est prévu pour expliciter la nature de ces flux et la manière dont ils vont les gérer.
L’Arcep est aussi garant de la neutralité du net. De quoi s’agit-il ?
S.S : Le principe de la neutralité du net interdit aux opérateurs de faire un internet à deux vitesses. Ils ne peuvent par exemple pas construire de partenariats commerciaux avec certains services auxquels ils offriraient une meilleure qualité de service. C’est le consommateur qui doit pouvoir arbitrer la qualité des services. L’opérateur ne doit donc pas intervenir en freinant ou en donnant des avantages à certains services. Ce principe découle d’une règlementation européenne adoptée en 2015. Il est appliqué de manière assez efficace en France et nous avons peu de difficulté à le faire respecter. Néanmoins, à la suite d’un rapport détaillé fourni par l’Arcep, en février 2018, il nous est apparu que la liberté d’accès des utilisateurs aux services de leur choix sans interférence n’est plus totalement garantie, non pas à cause des opérateurs, mais des smartphones et de leur OS (Operating System), dont les deux principaux sont iOS d’Apple et Android de Google. Nous avons mis en évidence dans ce rapport les restrictions imposées aux utilisateurs par ces OS : un utilisateur ne peut pas installer n’importe quelle appli, ou télécharger n’importe quel service, déporter ses données ou appli d’un système à l’autre … Nous estimons que le développement de l’internet des objets va venir exacerber la situation actuelle où il est évident que la liberté des utilisateurs est déjà entravée par les choix imposés par ces OS. L’Arcep a fait une proposition pour l’adoption de mesures et faire évoluer la loi.
L’Arcep a aussi une nouvelle mission : réguler le secteur de la distribution de la presse…
S.S : C’est une mission d’une nature différente. L’organisation du secteur de la presse découle de l’après-guerre et est encadrée par la Loi Bichet qui prévoyait que le chaînon entre l’imprimerie et le kiosque à journaux soit géré sous forme de coopérative avec des journaux qui maîtrisent ce segment logistique pour garantir la livraison des journaux dans le respect de la liberté de la presse.
Aujourd’hui, c’est un secteur fragile et face à une situation économique difficile. Sur l’initiative du ministre de la Culture, fin 2018, la modalité de régulation a changé et nous a été confiée pour accompagner la modernisation de ce secteur.
Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?
S.S : Notre objectif était de faire augmenter l’investissement dans les télécommunications. À la tête de l’Arcep depuis 5 ans, j’ai pu observer de nettes améliorations : nous avons un système de concurrence qui garantit des prix bas auquel s’ajoutent des investissements dans les infrastructures qui sont passés de 7 à 10 milliards en 4 ans, soit une augmentation de près de 40%. C’est un sujet qui reste néanmoins d’actualité notamment avec l’arrivée de la 5G.
Sur le moyen terme, l’idée est de pouvoir capitaliser sur ce succès en matière de régulation dans les télécommunications afin de l’appliquer à d’autres secteurs dans lequel il y a des déficits de concurrence. Parmi ceux-ci, celui qui semble problématique est le numérique, avec une poignée de grands acteurs qui amènent une innovation d’exception, ce qui leur permet d’ériger de nouvelles formes de monopole. L’enjeu n’est bien évidemment pas de réguler l’internet qui doit être un espace de liberté et qui est, par ailleurs, déjà assez réglementé et régulé. L’idée est plutôt de créer une régulation spécifique à l’instar des obligations asymétriques précédemment mentionnées. Nous estimons que la France, voire l’Europe, devrait se fixer comme objectif la création et la mise en place de cette nouvelle régulation en s’inspirant de l’expérience réussie dans la télécommunication afin de créer des environnements qui profitent à toutes les parties prenantes, quelle que soit leur taille.
Pour en savoir plus : https://www.arcep.fr/