Le Meilleur Professeur,
On ne comprend rien à l’œuvre dramatique si l’on ne comprend pas qu’elle est d’abord la possibilité d’une incarnation écrit M. J.-L. Jeener dans des réflexions sur le théâtre. La plume d’un comédien et metteur en scène expérimenté mérite toujours considération, mais le mot “ incarnation ” prend plus de poids encore quand on sait que M. Jeener est également licencié en théologie.
Jaugée à cette aune, la compréhension de ce que doit être l’écriture dramatique dont fit preuve M. Daniel Besse en concevant Le Meilleur Professeur est éclatante. Je pense que beaucoup d’entre vous avaient vu Les Directeurs, du même auteur, pièce évoquée en son temps dans ces colonnes (mai 2001). Depuis, il nous aura divertis avec Hypothèque et Les Bonniches, mais il revient, cette fois au Petit Théâtre de Paris, à du sérieux, et même du tragique : il y a aussi un suicide dans Le Meilleur Professeur.
Du tragique, à quoi pourtant se mêle du cocasse, comme dans la réalité de la vie, alors incarnée non pas au sein d’une entreprise, mais d’un lycée. Cet établissement est dirigé par un proviseur, joué par P. Magnan – il jouait le Président dans Les Directeurs – un proviseur blasé, qui en a beaucoup vu et exerce avec une lassitude bougonne et hautaine un métier qui ne ressemble plus à ce qu’il était. Il n’y a plus de mauvais élèves, déclare-t-il en pesant ses mots pour montrer qu’il maîtrise le langage du temps, il y a des élèves en difficulté. Il concède cependant qu’existent encore de bons et de mauvais professeurs, et voilà justement que le Rectorat lui demande de désigner le meilleur de son lycée, en vue de le faire participer à une émission consacrée à la gloire de l’Éducation nationale.
Malgré ses airs de ne pas y toucher, il connaît bien son monde et fait son choix. Or si ce choix n’emballe pas le titulaire, un professeur de lettres peu attiré par les balivernes télévisées, il révolte certains de ses collègues : un prof de maths revendicatif et sournois, pratiquant les arrêts de travail pour mal de dos lui permettant d’aller faire de la voile à Saint-Malo, mais se plaignant d’avoir été moins bien noté cette année par “ Monsieur le Proviseur ” : de “ excellent professeur ”, sa note est passée à “ très bon professeur ”. Un prof d’histoire bavard et syndicalement enflammé d’indignation en constatant que le proviseur a osé désigner le meilleur d’entre eux sans en référer démocratiquement à l’ensemble du corps professoral.
Et devant le spectateur qui ne sait plus bien s’il est au théâtre ou vraiment dans un lycée, tout ce microcosme s’agite, revendique, débat, reçoit une journaliste dans le vent, attirée par cette histoire d’émission télévisée, des parents d’élèves. Une mère en particulier dont le fils vient de subir une petite intervention chirurgicale destinée à corriger une légère malformation intime. Lors de son retour au lycée, sa professeur d’anglais a jugé intelligent de lui demander, devant toute la classe, des nouvelles de son organe, de sorte que ses camarades ne l’appellent plus que “ la couille ”, sobriquet que le gosse, on s’en doute, supporte mal.
Son professeur principal, celui qui est choisi pour l’émission, promet gentiment de veiller particulièrement sur lui. Le proviseur, également saisi par la mère et conscient de ne pouvoir rien faire, se débarrasse d’elle, à peine poliment.
Je ne vais certes pas vous raconter toute la pièce, qui va beaucoup plus loin dans la réalité des personnages que ce que la critique s’est trop souvent contentée d’y voir : une grinçante peinture de notre présente Éducation (?) nationale, de la même veine que ce Prof de J.-P. Dopagne, si magistralement interprétée naguère par M. Jean Piat à la Gaîté Montparnasse. Sans aucun doute, notre façon nationale d’éduquer les jeunes ne sort pas glorifiée de l’affaire, mais M. Besse ne s’en tient pas à la simple satire, propre à exciter le rire. Après tout, chacun sait déjà que le mammouth est en pleine déliquescence, bien qu’y subsistent d’indiscutables îlots de résistance à la culture du n’importe quoi, et qu’il vaut mieux en rire, de peur d’être obligé d’en pleurer.
M. Besse va beaucoup plus loin parce qu’aucun de ses personnages n’est simple. Ils sont tous profondément humains, en cela que le bien et le mal y sont inextricablement mêlés. Le Proviseur n’est pas un stéréotype du cynique désabusé : il sait aussi se battre quand il faut, et bien que cela ne l’intéresse pas, pour obtenir les crédits nécessaires à la rénovation de l’escalier. Le professeur d’histoire se révèle in fine autre chose qu’un râleur syndiqué et grandiloquent : dans le drame, il est capable de poser le doigt sur l’essentiel. Quant au peu sympathique professeur de mathématiques, il finit par se montrer touchant à force d’immaturité si naïve qu’il ne saisit pas même la contradiction entre son désir enfantin d’être bien noté du proviseur et ses fréquentes escapades à Saint-Malo.
Ajoutons que les interprètes sont tous à la hauteur de leur difficile incarnation en êtres vivants et complexes, dont le metteur en scène, S. Hillel, a parfaitement compris, et exprimé, la pleine humanité.