Le métier du capital investissement, deux ou trois choses que je sais de lui
Ah ! qu’il est beau le métier du capital investissement, quand on lit le flot des lettres de motivation qui déferle sur les adhérents de l’AFIC !
Je suis passé par l’audit, dit l’un, ce qui est très formateur, mais tend à une certaine routine, et puis, contrôler c’est bien, mais faire soi-même, c’est mieux.
Je m’épanouis dans le Conseil en Stratégie, dit un autre, où mes nombreuses lumières trouvent matière à éclairer. Mais donner toujours de bons conseils sans les appliquer, ni voir leurs résultats à terme, est frustrant.
Je vous connais bien puisque je structure vos dettes de LBO, et maîtrise la gamme des outils financiers sophistiqués que vous utilisez, dit encore celui-ci, mais j’aimerais maintenant passer du côté de ceux qui décident, et actionnaire c’est plus valorisant que banquier.
Je suis votre apporteur d’affaire, votre confident, grâce à mon métier de conseil en Fusions et Acquisitions, dit celui-là. Certes, je suis mieux payé que chez vous. Mais, transaction faite, je disparais et c’est la suite qui m’intéresse.
Je travaille dans une entreprise, dit enfin ce dernier, à m’échiner pour générer vos reportings et plus-values, et j’aspire à vous rejoindre, pour monter sur la passerelle fort de la connaissance que j’ai de vos machines.
Oui, vous n’avez pas tort : ce métier est paré de beaucoup d’attraits. Mais, avant de vous y engager, réfléchissez.
Un client lointain
À votre client d’abord. C’est une personne lointaine qui fait un métier difficile : gérer beaucoup d’argent qui ne lui appartient pas, et qui est précieux, car il finance des retraites, des réserves d’assurances ou d’institutions dont la vocation est de durer, et toute mauvaise surprise financière est source de scandale… et de perte d’emploi pour votre client.
Précaution, méthode, vérification sont donc ses maîtres mots. L’objectif que lui ont fixé ses patrons est de trouver, pour 5 % des Fonds qu’il gère, des investissements qui, au prix d’un horizon de temps plus lointain, auront un rendement supérieur à celui des 95 % restants. Comment faire ? En allant investir dans des entreprises non cotées, donc inaccessibles par la Bourse, et où la fameuse » création de valeur » est plus rapide qu’ailleurs.
Mais il ne peut le faire lui-même et il va donc sélectionner des équipes qui le feront à sa place. Ces équipes, c’est vous ! Et il va vous passer au grill pour que vous démontriez que vous exercez ce métier depuis longtemps, avec succès sonnant et trébuchant ; en équipe et avec toujours la même équipe ; que vous avez gagné et fait gagner à vos investisseurs suffisamment d’argent ; mais que vous avez, plus que tout, envie et besoin d’en gagner plus, sans état d’âme.
Son attente de rendement annuel souhaité est de 25 %, un taux de 20 % est encore acceptable.
Pour y arriver, il faut pouvoir revendre 300 au bout de quatre à six ans ce qu’on a acheté 100 au départ, avec l’argent dudit client. Cela fait plus que 20 %. Mais il faut vous payer, il y a parfois des ratés, et puis, si vous lui rendez tout son argent avec un rendement minimum, il partage avec vous le surplus. Mais il ne partage que parce que vous avez investi à ses côtés au départ, et risqué avec lui de tout perdre. Si la carotte peut atteindre une bonne taille, elle est accrochée à un très long bambou et peut n’être jamais croquée.
Voilà votre client, c’est-à-dire celui qui vous paye le service que vous lui vendez : du rendement par des plus- values sur l’argent qu’il vous confie.
Trois fournisseurs clés
Votre fournisseur est beaucoup plus complexe. La fabrication de la plus-value dépend en effet de trois fournisseurs clés : un vendeur, un manager, un acheteur.
Il faut d’abord trouver une entreprise non cotée, à vendre, ou qui a besoin de capitaux : belle, pleine d’avenir, pas chère à l’entrée, et qu’on décide de vous proposer, à vous plutôt qu’à vos concurrents, pour d’autres raisons que le prix, sinon elle devient trop chère et adieu plus-value, veau, vache…
Il faut aussi que toute votre équipe partage votre envie d’acheter. Le meilleur moyen d’éviter les bêtises, c’est en effet de passer obligatoirement par le crible rigoureux du jugement de personnalités différentes. Mais pour un simple problème d’organisation de transport, La Fontaine nous a dit combien c’est difficile. Alors, pour investir dans une entreprise…
Il arrive qu’on y réussisse. Entre alors en jeu le deuxième fournisseur, personnage le plus méritant de toute l’histoire : le manager. Déjà là, ou parachuté, sa feuille de route est claire : diriger, motiver des équipes, développer, économiser le cash mieux qu’un Écossais, rendre compte, et, enfin, préparer la belle, l’entreprise, pour que dans quatre à six ans, ou même trois ans pour les rapides, le troisième fournisseur, l’acheteur, puisse efficacement jouer son rôle. Oui, notre métier repose sur ces hommes auxquels nous proposons chaque jour de résoudre la quadrature du cercle du management. Derrière tous nos succès il s’en trouve toujours un, ou plusieurs qui agissent en équipe.
À l’image de ce que fait notre client avec nous, nous veillons à les inciter et à les remercier (au sens propre !) en partageant avec eux la plus-value générée. Mais ils partagent aussi, avec nous, la tâche délicate de construire un projet qui transcende les changements de propriété du capital, qui puisse motiver toute l’entreprise, ses équipes et son environnement, sur des objectifs de long terme. Et qui soit compatible avec les objectifs, à plus court terme, de rendement de notre client à nous. Quadrature du cercle, on vous dit !
Quant au troisième fournisseur, l’acheteur, il fut un temps où il n’était pas trop regardant, prêt à rêver, lors de l’introduction en Bourse, à la belle histoire qu’on lui raconte, ou prêt à surpayer, pour grossir sa part de marché, entrer avec panache dans un nouveau secteur, ou récupérer une technologie que ses propres chercheurs n’ont pas vu venir. Mais les temps changent. Et souvent, aujourd’hui, cet acheteur vous ressemble. Du métier, il connaît toutes les ficelles. Et il ne faut jamais miser sur son aveuglement, même si cela peut réussir de temps en temps.
Quel métier, direz-vous ! N’est-il pas plus simple de faire commerce de pain ou de vin, ou même de produits financiers arbitrés d’heure en heure sur un écran d’ordinateur.
Un si beau métier
Si le commerce d’entreprise est un si beau métier, c’est que son produit, l’entreprise, est vivant : il a une jeunesse avec ses maladies mais aussi son enthousiasme, une croissance avec ses crises mais aussi ses conquêtes, une maturité avec ses routines et ses consécrations, il réunit des hommes et des femmes, des idées et des briques (with mortar) en une combinaison qui se renouvelle constamment.
Mais le commerce d’êtres vivants a ses exigences. Plus que tout autre commerce, il ne peut se contenter d’une utilité financière. Son utilité sociale doit être sa deuxième raison d’être, sans laquelle il verrait se détourner ses fournisseurs et se retrouverait, face à son client, ses rayons asséchés, pour commenter seulement les succès du passé.
Comment concilier utilité financière et utilité sociale, allez-vous demander ? Si vous êtes toujours candidat c’est justement le sujet de la dernière épreuve de sélection.
Alors à vous de jouer.