Le Microlycée 93, la réussite pour les décrocheurs
Les besoins de la Seine-Saint-Denis en matière éducative sont considérables et méritent des traitements particuliers. Cela vaut pour toutes les catégories d’élèves. Mais s’attaquer au problème des élèves décrocheurs, n’est-ce pas peine perdue ? C’est ce que semble contredire l’expérience des microlycées dont nous parle Nathalie Broux, professeure agrégée de français. Elle exerce en Seine-Saint-Denis depuis septembre 2000, au Microlycée 93 depuis 2010, et au lycée innovant Germaine Tillion du Bourget depuis 2014.
Qu’est-ce que le Microlycée 93 ?
Le Microlycée 93, ouvert en 2009 à La Courneuve, est un établissement scolaire public expérimental, situé depuis 2014 au sein du lycée Germaine Tillion du Bourget. Il accueille 55 jeunes âgés de 16 à 25 ans, qui reprennent leurs études pour (re)passer le baccalauréat. Ces élèves « décrocheurs » ont tous interrompu complètement leur scolarité depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. Ils intègrent le Microlycée 93 directement en classe de première, pour préparer les baccalauréats ES ou L et poursuivre ensuite leurs études supérieures.
Ces jeunes sont-ils volontaires pour reprendre l’école, et pourquoi le veulent-ils ?
Tous nos élèves sont volontaires. Ils doivent même nous appeler eux-mêmes, et prendre rendez-vous pour le premier entretien. Leur motivation principale est le baccalauréat, qu’ils regrettent de ne pas avoir obtenu. Je dis souvent que si le bac ne vaut rien, c’est seulement pour ceux qui l’ont… car ce seuil scolaire et social, si symbolique, revêt une importance majeure pour nos élèves. Sans le bac, que l’on donne soi-disant « à tout le monde », ils se sentent profondément relégués, en échec.
Évidemment, au-delà de cet objectif du bac, que nous affichons volontiers, se cachent tous les autres aspects du raccrochage : une réhabilitation de leur intelligence, un regain d’estime de soi, un espoir de sortie de la précarité sociale. Cette dernière dimension est d’autant plus vraie dans un territoire comme le nôtre, chez des jeunes qui ont été précocement confrontés au marché du travail sans diplôme.
C’est pourquoi notre choix est de leur offrir une scolarité exigeante dans des filières générales, et non pas une qualification préprofessionnelle comme le font, par exemple, les Écoles de la 2e chance.
Chronologie
2000 : ouverture du premier Microlycée à Sénart (77).
2008 : deuxième Microlycée à Vitry-sur-Seine (94).
2009 : troisième Microlycée à La Courneuve (93), depuis 2014 au Bourget.
L’Académie de Créteil a été pionnière en la matière. Aujourd’hui, il existe des établissements comparables dans toute la France.
Quels « types » d’élèves accueillez-vous ?
Les parcours des élèves du Microlycée sont tous très différents, ce qui fait d’ailleurs la richesse foisonnante d’un tel établissement ! Il existe de multiples causes du décrochage scolaire, qui bien souvent se cumulent : orientation subie qui conduit à du découragement, absentéisme qui amène à un redoublement puis à l’arrêt progressif ou brutal de la scolarité, nécessité d’avoir un salaire qui rend la scolarité impossible, ruptures familiales, placement par l’Aide sociale à l’enfance qui s’accompagne d’une grande instabilité, situations de harcèlement à l’école, difficultés médicales et psychologiques majeures (addictions, dépressions, maladies graves, phobies), parcours migratoires, faits de délinquance…
Il est très important de dire que le décrochage scolaire n’est que très rarement un choix, une escapade heureuse. Contrairement aux représentations habituelles, ces jeunes n’ont pas de difficultés d’apprentissage, et font preuve d’une grande curiosité intellectuelle. Certains, en autodidactes, ont acquis une culture impressionnante, d’autres ont une maturité remarquable. Mais, à un certain moment de leur vie, le carcan de l’institution scolaire, son incapacité à prendre en compte la singularité de chacun, les en a éloignés.
Les structures de retour à l’école
Il existe une soixantaine de structures de retour à l’école en France. Toutes ne sont pas des microlycées : par exemple il y a aussi les Écoles de la deuxième chance dont le principe est légèrement différent. Ce nombre est en augmentation : 12 en 2012, 36 en 2016, 60 aujourd’hui. Les microlycées eux-mêmes sont au moins une dizaine (4 en région parisienne).
Les élèves sont entre 10 et 15 par classe.
Une étude disponible sur le site de la FESPI (Fédération des établissements scolaires publics innovants) fait état de coûts annuels par élève du même ordre, voire légèrement inférieurs à ceux d’un lycéen moyen (11 600 euros). Cela tiendrait notamment à un effectif non enseignant moins nombreux (par exemple il n’y a pas de surveillants ni de CPE).
La page du site de l’Éducation nationale consacrée à la lutte contre le décrochage scolaire évalue le coût du décrochage tout au long d’une vie à 230 000 euros.
Dans un microlycée, les professeurs ont un service pluriel qui se compose d’un temps d’enseignement de sa matière, de dispositifs interdisciplinaires, de temps de permanence, de tutorat et de concertation d’équipe.
Leur retour à l’école se passe-t-il bien ? Leur emploi du temps est-il aménagé ?
Le retour à l’école suppose un accueil particulier, et une souplesse que n’a pas le système classique. Notons d’ailleurs que ce dernier pourrait offrir de nombreux aménagements qui aideraient à lutter contre le décrochage scolaire.
Les élèves, même au Microlycée, n’ont jamais une scolarité linéaire, même s’ils sont très motivés. Ils sont souvent absents, connaissent des périodes de doute, et continuent de devoir affronter des difficultés personnelles qui sont autant d’empêchements à la rescolarisation. Au Microlycée, nous organisons une journée d’intégration, un voyage au milieu de l’hiver pour les remobiliser, nous leur téléphonons tous les matins s’ils ne sont pas arrivés en classe, nous comptabilisons leur « taux de présence » et non pas leurs absences, et ils sont suivis par un tuteur qui fait le point avec eux, individuellement, chaque semaine. Il faut qu’ils se sentent toujours les bienvenus et nous développons au mieux leur sentiment d’appartenance à l’établissement.
Par ailleurs, tout le projet pédagogique est pensé pour créer une cohérence des savoirs, et faire sens à leurs yeux. Leur emploi du temps, du fait de la préparation au baccalauréat, reste assez classique, mais quelques spécificités sont notables : philosophie et arts plastiques obligatoires dès la classe de première, cours interdisciplinaires, atelier d’écriture, sorties culturelles…
Enfin, la pratique des enseignants est fondée sur l’encouragement et la bienveillance, notamment en matière d’évaluation. La notation doit les accompagner vers la réussite au lieu de leur faire intérioriser l’échec. Inutile de préciser que l’on ne met pas de notes « punitives » au Microlycée, et que chaque devoir peut être retravaillé, rendu en retard, amélioré, chaque cours rattrapé.
Comment évaluer les résultats du Microlycée ?
Depuis bientôt dix ans, plus de 80 % de nos élèves obtiennent le bac chaque année. Certains, bien sûr, n’ont pas réussi à tenir jusqu’à l’examen et ont réitéré l’abandon de l’école. Mais ils sont minoritaires. Chez ceux qui parviennent à tenir jusqu’au bout, les statistiques sont très positives.
Évidemment, notre travail ne se résume pas à des chiffres à l’examen, et chaque année une évaluation plus qualitative est faite, qui repose sur leur socialisation au sein de l’établissement, leur participation aux projets, leur état de santé, etc. Nous devons les aider à passer un cap… Beaucoup reviennent nous voir et voient leurs années au Microlycée comme un tournant important.
Existe-t-il d’autres Microlycées, et comment se sont-ils développés ?
Le Microlycée 93 est membre de la Fédération des établissements scolaires publics innovants (FESPI), association proche des mouvements pédagogiques de l’Éducation nouvelle, qui regroupent plusieurs structures comparables au Microlycée 93, depuis dix ans. Cette fédération a diffusé nos pratiques. Sous l’impulsion de l’Union européenne, et du ministère de l’Éducation nationale, de nombreux microlycées ont ouvert ces dernières années, pour les baccalauréats professionnels, technologiques ou généraux. Ainsi, après des années de quasi-anonymat, nous faisons désormais partie du paysage éducatif officiel, puisqu’il existe en France une soixantaine de structures de retour à l’école (SRE), très diverses. On ne peut que s’en réjouir pour les jeunes déscolarisés !
Comment devient-on professeur au Microlycée ?
Les professeurs qui enseignent au Microlycée ne reçoivent pas de formation particulière en amont. C’est leur intérêt pour la question du décrochage scolaire, leur désir de se confronter à cette difficulté spécifique, qui les amènent à candidater. Ils sont recrutés sur des postes à profil. Ce qui est le plus important, c’est qu’ils acceptent une vision large de leur métier. Il leur faut tout d’abord enseigner leur matière dans la perspective de l’examen, avec des élèves qui impliquent une grande différenciation pédagogique. Il faut également assurer des cours interdisciplinaires, mais aussi des permanences téléphoniques pour appeler les élèves, répondre aux sollicitations extérieures. Enfin, le tutorat est une part importante de la mission, et cela peut nous conduire à accompagner chaque jeune dans de nombreuses démarches hors du cadre spécifiquement scolaire. C’est donc un engagement qui recoupe tous les aspects du champ éducatif.
Heureusement, même si nous ne sommes pas tous formés avant d’arriver, l’équipe est un lieu de coformation et de soutien très important. Une réunion hebdomadaire la réunit, animée par les coordonnateurs. Par ailleurs, nous participons à des séminaires et à des échanges de pratiques qui nous amènent à comprendre comme accompagner au mieux nos élèves. C’est une remise en question permanente, une expérience très forte. Avec des élèves décrocheurs, nous perdons toutes nos certitudes…, nous modifions notre vision de la société et de l’école, en questionnant notamment les idées d’échec et de mérite. Selon moi, enseigner au Microlycée est un engagement politique qui, pour les bons élèves que nous avons été, donne envie de bouleverser les matrices du système scolaire tout entier.
Ressources
Histoire et fonctionnement des Microlycées : Les Microlycées. Accueillir les décrocheurs, changer l’école, par Nathalie Broux et Éric de Saint-Denis, Éditions ESF, 2013.
Les ouvrages de Catherine Blaya dont Décrochages scolaires. L’école en difficulté,
De Boeck, 2010.
Éduscol, portail du ministère de l’Éducation nationale pour les professionnels de l’éducation :
http://eduscol.education.fr/cid53699/microlycees.html
Témoignage de K, 20 ans, ancienne élève du Microlycée 93 du Bourget de 2014 à 2016
« Après avoir arrêté ma scolarité en début de première générale suite à des problèmes personnels et passé une année à broyer du noir sans espoir quelconque, j’ai décidé de me raccrocher aux études et me suis fixé un objectif : passer mon bac.
J’ai ouvert les portes d’un petit CIO où j’ai fait la rencontre d’un conseiller d’orientation qui m’a parlé du Microlycée.
Au début, pas très confiante, j’ai franchi le pas car je ne pouvais pas négliger cette seconde chance qui s’offrait à moi,
et avec du recul, je pense que cette décision est une des meilleures que j’ai prises dans ma vie…
On m’a reçue très vite pour un entretien et un petit test. Face à moi, j’ai trouvé deux femmes rayonnantes qui ont su me mettre en confiance mais surtout qui ont été très à l’écoute. Suite à ce rendez-vous, on m’a rappelée après quelques jours pour m’annoncer mon admission au Microlycée.
C’est ici que commencèrent deux belles années au cours desquelles j’ai rencontré des personnes en or et des professeurs incroyables ; j’étais non pas dans un microlycée mais dans un mégalycée. Tout était propice à ce qu’on s’y sente bien : une journée d’intégration, un professeur référent avec qui on fait le point chaque semaine, des projets et sorties, un voyage, des locaux spacieux, plusieurs salles de classe, un foyer où il faisait bon vivre avec une petite cuisine, quelques PC et jeux de société… Ils nous apprenaient à nouveau le rythme scolaire et nous stimulaient à coup de SMS toute l’année quand nous avions des coups de mou. Au Microlycée, on ne se sent jamais abandonné mais plutôt stimulé et entouré en permanence !
Au niveau des cours, je me retrouvais avec un système que je n’avais jamais connu auparavant (c’est ce qui fait tout le ML). Nous étions en petit comité, les cours étaient interactifs et pleins de vie. On était face à des enseignants passionnés qui ne demandaient qu’à transmettre, ils étaient tous superattentifs et parfois les cours se construisaient après des dialogues profs-élèves très intéressants. Je me suis également découvert un réel amour pour l’art grâce à ma professeure d’arts plastiques ; car au Microlycée, on nous proposait à notre grand bonheur deux options au choix pour le bac, anglais ou arts plastiques spécialité.
Aujourd’hui grâce à cette structure et toutes ces personnes, j’ai atteint mon objectif et suis fière de moi ; j’ai eu mon bac mais j’ai surtout évolué, grandi et fait de belles rencontres humaines. Merci pour ce second souffle. »