Le mot du président : Des mères « coupables »

Dossier : ExpressionsMagazine N°658 Octobre 2010
Par Christian GERONDEAU (57)

L’exa­men des ori­gines des élèves reçus au concours d’en­trée à Poly­tech­nique en 2010 confirme un constat bien connu. 80 % d’entre eux ont un père issu, soit de caté­go­ries sociales bien pré­cises – cadres ou chefs d’en­tre­prise – soit du corps ensei­gnant. Mais le plus inté­res­sant n’est pas là. Il tient au fait que le constat est voi­sin lors­qu’on s’in­té­resse à la pro­fes­sion des mères. À nou­veau, 80 % de celles-ci appar­tiennent aux mêmes caté­go­ries sociales, la pro­por­tion de membres du corps ensei­gnant y étant d’ailleurs net­te­ment plus impor­tante que celle rele­vée par­mi les pères.

Ce constat mérite qu’on s’y arrête. Comme c’est le cas pour la plu­part des espèces ani­males, notre patri­moine géné­tique veut que ce soit les mères qui s’oc­cupent essen­tiel­le­ment des petits. À par­tir du moment où les femmes ont de plus en plus la pos­si­bi­li­té d’ac­cé­der aux études supé­rieures, il ne faut pas s’é­ton­ner que leur pre­mier sou­ci soit d’ai­der leurs enfants au long du cycle pri­maire et secon­daire des études et par­fois au-delà.

Agir ailleurs

Ce sont donc les mères qui sont « res­pon­sables » de la pro­por­tion très éle­vée des enfants des classes sociales intel­lec­tuelles au sein de ceux et de celles qui réus­sissent le concours de l’É­cole poly­tech­nique ou des autres éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur de pre­mier plan. Mais qui ose­rait inter­dire aux mères d’ai­mer et d’ai­der leurs enfants ?

C’est ailleurs qu’il faut agir pour atté­nuer les inéga­li­tés liées à la nais­sance. Fort heu­reu­se­ment, le pes­si­misme ne s’im­pose pas.

S’il est vrai que la situa­tion à Poly­tech­nique et dans les autres écoles de pre­mier rang est celle qui vient d’être décrite, la réa­li­té est bien dif­fé­rente quand on consi­dère la glo­ba­li­té des quelque 150 écoles d’in­gé­nieurs recon­nues par la Confé­rence des Grandes Écoles.

Perpétuer l’ascenseur social

Celles-ci offrent 2 000 places de plus qu’il y a de can­di­dats. Autre­ment dit, tous les jeunes qui ont une cer­taine dis­po­si­tion pour les matières scien­ti­fiques peuvent en tra­vaillant suf­fi­sam­ment accé­der à une école qui leur pro­cu­re­ra une for­ma­tion sanc­tion­née par un diplôme recon­nu par l’É­tat. Celui-ci leur ouvri­ra grandes les portes du mar­ché de l’emploi et leur assu­re­ra l’ac­cès aux classes dites favo­ri­sées, quelle que soit leur propre ori­gine sociale.

Prises dans leur glo­ba­li­té, les grandes écoles conti­nuent à jouer plei­ne­ment le rôle « d’as­cen­seur social » qui a tou­jours été le leur, et que seul per­met un pro­ces­sus de sélec­tion fon­dé sur des concours qui rendent impos­sible tout favo­ri­tisme car ils sont fon­dés sur des épreuves ano­nymes et par nature quantifiables.

Main­te­nir un sys­tème de sélec­tion conçu pour mettre fin au règne des privilèges

Tout autre mode de recru­te­ment, tels ceux basés sur des quo­tas, ne peut que débou­cher sur des échecs en cours de sco­la­ri­té ou sur des diplômes déva­lo­ri­sés ne don­nant pas de véri­table accès au mar­ché du tra­vail. Il faut donc main­te­nir un sys­tème de sélec­tion qui remonte aux ori­gines de la Répu­blique et qui a été pré­ci­sé­ment conçu pour mettre fin au règne des pri­vi­lèges qui carac­té­ri­sait l’An­cien Régime.

Ce mode de sélec­tion ne garan­tit en effet à per­sonne un accès facile aux grandes écoles les plus recher­chées. Il exige bien au contraire de la part des jeunes qui s’y pré­sentent des années d’un tra­vail aus­tère et intense en vue de concours d’une dif­fi­cul­té sans égale dans le monde occi­den­tal. Comme l’ex­plique remar­qua­ble­ment Jean-Paul Bri­ghel­li, pro­fes­seur de classe pré­pa­ra­toire lit­té­raire, dans un récent ouvrage au titre révé­la­teur, Tueurs d’é­lites, qui répond à ceux qui cri­tiquent les grandes écoles, un tel dis­po­si­tif tire vers le haut tout notre ensei­gne­ment supé­rieur, et pas seule­ment les dizaines de mil­liers de jeunes qui fré­quentent les classes préparatoires.

Donner l’espoir

Mais il faut aus­si don­ner le maxi­mum de chances à ceux qui n’ont pas trou­vé dans leur envi­ron­ne­ment fami­lial l’ap­pui dont ont pu béné­fi­cier ceux qui appar­tiennent à des milieux intel­lec­tuel­le­ment favo­ri­sés. C’est ce que font pré­ci­sé­ment les jeunes poly­tech­ni­ciens pré­sents à l’É­cole. Chaque semaine, près de 200 d’entre eux mènent des acti­vi­tés de tuto­rat ou de pro­mo­tion sociale auprès de 3500 jeunes lycéens de milieux défa­vo­ri­sés pour les inci­ter, les aider, ou leur don­ner les moyens aca­dé­miques, cultu­rels, ou sociaux pour se lan­cer dans les études supérieures.

C’est par de telles actions conduites par nos cama­rades et par d’autres, que pour­ront être conci­liés la spé­ci­fi­ci­té d’un mode de sélec­tion et de for­ma­tion qui nous est propre et dont nous pou­vons être fiers, et la sau­ve­garde de pos­si­bi­li­tés de pro­mo­tion sociale indis­pen­sables pour qu’une par­tie de notre jeu­nesse ne perde pas espoir.

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