Le mot du président : Des mères « coupables »
L’examen des origines des élèves reçus au concours d’entrée à Polytechnique en 2010 confirme un constat bien connu. 80 % d’entre eux ont un père issu, soit de catégories sociales bien précises – cadres ou chefs d’entreprise – soit du corps enseignant. Mais le plus intéressant n’est pas là. Il tient au fait que le constat est voisin lorsqu’on s’intéresse à la profession des mères. À nouveau, 80 % de celles-ci appartiennent aux mêmes catégories sociales, la proportion de membres du corps enseignant y étant d’ailleurs nettement plus importante que celle relevée parmi les pères.
Ce constat mérite qu’on s’y arrête. Comme c’est le cas pour la plupart des espèces animales, notre patrimoine génétique veut que ce soit les mères qui s’occupent essentiellement des petits. À partir du moment où les femmes ont de plus en plus la possibilité d’accéder aux études supérieures, il ne faut pas s’étonner que leur premier souci soit d’aider leurs enfants au long du cycle primaire et secondaire des études et parfois au-delà.
Agir ailleurs
Ce sont donc les mères qui sont « responsables » de la proportion très élevée des enfants des classes sociales intellectuelles au sein de ceux et de celles qui réussissent le concours de l’École polytechnique ou des autres établissements d’enseignement supérieur de premier plan. Mais qui oserait interdire aux mères d’aimer et d’aider leurs enfants ?
C’est ailleurs qu’il faut agir pour atténuer les inégalités liées à la naissance. Fort heureusement, le pessimisme ne s’impose pas.
S’il est vrai que la situation à Polytechnique et dans les autres écoles de premier rang est celle qui vient d’être décrite, la réalité est bien différente quand on considère la globalité des quelque 150 écoles d’ingénieurs reconnues par la Conférence des Grandes Écoles.
Perpétuer l’ascenseur social
Celles-ci offrent 2 000 places de plus qu’il y a de candidats. Autrement dit, tous les jeunes qui ont une certaine disposition pour les matières scientifiques peuvent en travaillant suffisamment accéder à une école qui leur procurera une formation sanctionnée par un diplôme reconnu par l’État. Celui-ci leur ouvrira grandes les portes du marché de l’emploi et leur assurera l’accès aux classes dites favorisées, quelle que soit leur propre origine sociale.
Prises dans leur globalité, les grandes écoles continuent à jouer pleinement le rôle « d’ascenseur social » qui a toujours été le leur, et que seul permet un processus de sélection fondé sur des concours qui rendent impossible tout favoritisme car ils sont fondés sur des épreuves anonymes et par nature quantifiables.
Maintenir un système de sélection conçu pour mettre fin au règne des privilèges
Tout autre mode de recrutement, tels ceux basés sur des quotas, ne peut que déboucher sur des échecs en cours de scolarité ou sur des diplômes dévalorisés ne donnant pas de véritable accès au marché du travail. Il faut donc maintenir un système de sélection qui remonte aux origines de la République et qui a été précisément conçu pour mettre fin au règne des privilèges qui caractérisait l’Ancien Régime.
Ce mode de sélection ne garantit en effet à personne un accès facile aux grandes écoles les plus recherchées. Il exige bien au contraire de la part des jeunes qui s’y présentent des années d’un travail austère et intense en vue de concours d’une difficulté sans égale dans le monde occidental. Comme l’explique remarquablement Jean-Paul Brighelli, professeur de classe préparatoire littéraire, dans un récent ouvrage au titre révélateur, Tueurs d’élites, qui répond à ceux qui critiquent les grandes écoles, un tel dispositif tire vers le haut tout notre enseignement supérieur, et pas seulement les dizaines de milliers de jeunes qui fréquentent les classes préparatoires.
Donner l’espoir
Mais il faut aussi donner le maximum de chances à ceux qui n’ont pas trouvé dans leur environnement familial l’appui dont ont pu bénéficier ceux qui appartiennent à des milieux intellectuellement favorisés. C’est ce que font précisément les jeunes polytechniciens présents à l’École. Chaque semaine, près de 200 d’entre eux mènent des activités de tutorat ou de promotion sociale auprès de 3500 jeunes lycéens de milieux défavorisés pour les inciter, les aider, ou leur donner les moyens académiques, culturels, ou sociaux pour se lancer dans les études supérieures.
C’est par de telles actions conduites par nos camarades et par d’autres, que pourront être conciliés la spécificité d’un mode de sélection et de formation qui nous est propre et dont nous pouvons être fiers, et la sauvegarde de possibilités de promotion sociale indispensables pour qu’une partie de notre jeunesse ne perde pas espoir.