Le moyen-courrier du futur épargnera le temps perdu
Imaginer le transport aérien moyen-courrier dans vingt ou trente ans, c’est prendre un pari sur le monde. Un pari sur les technologies, l’économie mondiale, les attentes des clients et les préoccupations environnementales. Il devrait cependant devenir un transport fluide, facile, où le temps gagné en vol ne serait pas perdu au sol.
REPÈRES
Les avions sont une ressource chère et sont conçus pour une durée de vie de vingt-cinq à trente ans au minimum. Les constructeurs procèdent en général à des liftings successifs au fur et à mesure des avancées techniques (matériaux composites, par exemple).
Sur moyen-courrier, il existe une attente très forte de la part des compagnies aériennes de voir arriver de nouvelles générations d’avions moins consommateurs de carburant donc plus protecteurs de l’environnement et moins émetteurs de CO2. Des avions entièrement conçus from scratch (en partant de zéro) avec les technologies d’aujourd’hui.
Ailes volantes
Des ruptures technologiques sont quelquefois évoquées sur les cellules (concept d’ailes volantes ou autres avancées futuristes), nul n’est en mesure aujourd’hui de s’avancer sur leur compatibilité technique avec les infrastructures aéroportuaires.
Malheureusement, cela ne semble pas encore être programmé chez les deux principaux constructeurs qui entendent bien exploiter leur gamme d’Airbus A‑320 et de Boeing B‑737. Fabricants de cellules et motoristes ne paraissent pas avoir aujourd’hui de projet franchement révolutionnaire pour des avions moyen-courriers au terme envisagé.
Les turbines de type open fan qui sont développées à titre expérimental pourraient déboucher sur une évolution significative, au moins pour les avions court-courriers (temps de vol de l’ordre d’une heure) car pour ces distances les vitesses plus faibles d’exploitation ne sont pas un gros handicap. Ces propulseurs peuvent cependant être plus bruyants, même si grâce à des systèmes de doubles rotors contrarotatifs » le bruit est combattu par le bruit « .
Pas de projet révolutionnaire pour les avions moyencourriers
Le challenge pourrait venir de certains pays émergents, mais là aussi les espoirs sont faibles, car ces fabricants nouveaux venus (brésiliens, russes ou chinois) sont plutôt orientés sur des modules de petites tailles adaptés au transport régional mais restant de technologie éprouvée. Les acteurs professionnels sont également convaincus qu’au terme envisagé (un quart de siècle), nous ne disposerons pas de réelle énergie alternative pour le transport aérien. Les compagnies continueront donc à acheter des avions avec des cellules plus ou moins modernisées et des moteurs plus ou moins innovants mais fonctionnant encore avec du kérosène ou pour une part avec du » biocarburant « . La tendance dictée par les transporteurs et que l’on peut déjà noter porte sur la progression lente mais inexorable de la taille des modules pour en améliorer l’efficacité économique. En revanche, le coût du kérosène, qui sera nécessairement élevé, peut inciter les avionneurs à lancer un modèle d’avion, gros moyen-courrier de 200 à 250 sièges, avec deux allées centrales qui permettraient d’accélérer les opérations au sol.
Un besoin de mobilité
Le poids du carburant
Un facteur décisif sur le niveau de trafic vient du carburant, compte tenu du poids très important qu’il risque de représenter dans les coûts des compagnies à cet horizon. Même si les progrès technologiques et les efforts des compagnies aériennes permettent d’envisager une diminution progressive de la consommation, il n’en demeure pas moins que la rareté du kérosène se traduira par une augmentation des coûts de celui-ci.
L’économie mondiale a un rôle déterminant sur la santé du transport aérien : le développement du transport aérien est directement dépendant du développement économique dont il est en retour un des vecteurs principaux. Le besoin de mobilité s’exprime comme une priorité dès que les besoins vitaux (se nourrir, se loger) sont satisfaits.
Aussi l’aspiration aux voyages figure très tôt dans les préférences affichées par les individus, dès que le pouvoir d’achat augmente. Quant aux entreprises, elles voient dans l’abaissement progressif des frontières un élargissement de leur marché qui les oblige à voyager davantage. Ce constat sur l’impact de l’économie dans le futur du transport aérien n’a rien d’un scoop : le besoin de mobilité restera croissant sur les vingt ou trente prochaines années.
Asiatique d’abord
Par-delà la perspective de trois méga-alliances au niveau mondial (One World, Star Alliance et Sky Team), la déréglementation continuera à s’étendre vers l’Asie, au même titre que la logique d’open sky. L’émergence d’acteurs puissants en Asie viendra à terme renforcer ce dispositif de trois méga-alliances lorsque des compagnies chinoises ou indiennes en seront devenues des membres influents : le barycentre des échanges mondiaux se déplace lentement vers l’Asie. Ainsi pour ce qui concerne les flux de trafics estimés en intra-américain, intraeuropéen et intra-asiatique, les évolutions d’ici 2020 seront significatives : le trafic intra États-Unis qui en 2005 représentait 25 % des flux mondiaux ne devrait plus peser que 16 % en 2020. Tandis que le trafic intra-asiatique qui ne représentait que 14 % des flux de l’aérien mondial devrait atteindre 18 %. Enfin, l’intraeuropéen, qui pesait 9,5 % des flux mondiaux, devrait s’établir à 11,5 %. Le moyen-courrier de demain sera donc d’abord intra-asiatique.
L’abaissement progressif des frontières oblige à voyager davantage
Si l’on se contente de se focaliser sur l’Europe élargie et le domestique, trois types d’acteurs principaux desserviront ce marché : bien sûr encore les compagnies de réseaux (les trois méga-alliances), mais aussi les low-cost et les trains à grande vitesse. Essayer de déterminer aujourd’hui quelles parts de marchés respectives prendront ces différents acteurs serait une belle tromperie car la convergence entre les low-cost, dont les coûts augmentent en même temps que leur âge et leur complexité, et les compagnies de réseaux, qui arrivent parallèlement à faire diminuer les leurs, est déjà engagée.
En outre, si le rail à grande vitesse semble avoir gagné la partie en prenant la majorité du trafic pour les liaisons de moins de trois heures, il assure en revanche très mal les interconnexions. Il sera devenu demain un nouvel enjeu de convergence par les investissements que les différents acteurs pourront faire entre eux, dès lors que le rail sera enfin libéralisé (cas, par exemple, de la présence d’Air France sur la très grande vitesse ferroviaire).
Enfin, il convient de mentionner que, dans cette économie de demain, la » télétransportation » (vidéoconférence, vidéoprésence…) pourrait prendre plus d’importance, même si ces techniques peinent depuis vingt ans à s’enraciner dans les réflexes du monde des affaires.
Les business jets
Un segment particulier du transport, prisé par les hommes d’affaires, est celui des business jets. Ce segment, qui a connu un coup de jeune et un essor aux États-Unis grâce à l’arrivée des VLJ (Very Light Jets), aura probablement plus de mal à s’imposer en Europe en raison à la fois de la saturation du trafic aérien et de son impact écologique comparé au transport régulier.
Gagner du temps au sol
On a souvent trop vite fait, quand on débat de l’évolution du moyen-courrier, de sous-estimer la diversité des attentes des clients et de croire qu’en dehors de l’arbitrage entre les prix et le produit à bord, rien d’autre n’existe. C’est mal connaître le besoin de nombreux clients qui ont réalisé depuis longtemps que, dans un voyage aérien d’une à deux heures, le plus long ce n’était jamais le voyage mais le temps perdu autour. À commencer par le temps pour se rendre à l’aéroport qu’il faut augmenter d’un temps de précaution lié aux aléas de circulation : qui n’a jamais pesté ou raté un avion à cause de l’absence de véritable desserte ferrée et de la calamiteuse desserte routière de Roissy ?
Il faut aussi un temps de précaution supplémentaire pour le véritable » parcours du combattant » auquel chacun se trouve confronté lorsqu’il faut faire la queue pour l’enregistrement, puis pour le passage des filtres de police et d’inspection. Que de stress accumulé, que de temps perdu avec, faut-il le rappeler, une égalité de traitement dans le temps perdu des clients qui peuvent pourtant avoir payé des tarifs qui vont du simple au quintuple !
Le rail à grande vitesse l’emporte pour les liaisons de moins de trois heures
De nombreuses compagnies ont dans leurs cartons des projets prenant en compte tout ce temps perdu. C’est là, au sol, que la bataille est à gagner. Le transport aérien sur moyen-courrier en 2040 devrait donc être un transport fluide, facile, où le temps gagné en vol ne serait pas perdu au sol. Les techniques de reconnaissance biométrique existent déjà, elles seront généralisées d’ici là ainsi que les puces RFID (identification par radiofréquence) et tous les dispositifs facilitateurs liés par exemple aux téléphones mobiles (cartes d’embarquement, etc.).
La relation humaine
Les e‑technologies
Les clients ont considérablement évolué ces dix dernières années grâce aux » e‑technologies « . Ils continueront sur cette lancée et maîtriseront mieux ces techniques fiables et sûres pour s’informer, réserver, préparer leur vol en toute liberté sur Internet ; obtenir leur carte d’accès à bord sur Internet, sur borne libre-service en aéroport ou sur téléphone mobile ; modifier leur voyage ; bénéficier de services tels que les itinéraires pour les correspondances, les systèmes d’alerte sur les mobiles, etc.
Les solutions sur Internet (voir encadré) répondent à de vraies attentes des clients, mais ne remplacent en aucun cas la relation humaine. Les nouvelles technologies permettent de dégager les équipes de tâches à faible valeur ajoutée pour les recentrer sur la relation de service : assistance particulière, prise en main en cas d’aléas, etc.
De plus, la visibilité extrême qu’offrent les moteurs de recherche sur Internet a modelé l’appréciation du consommateur autour du critère de prix, rabaissant le transport aérien au rang de » commodité » sur court et moyen-courrier et diminuant de façon significative le poids des marques.
Dans le même temps, même si cela est apparemment paradoxal, le référentiel des valeurs évolue aussi chez le consommateur, qui est de plus en plus sensible aux préoccupations éthiques et écologiques. Cette évolution peut alors conduire à des choix de marques jugées plus vertueuses que d’autres parce que communiquant mieux sur les valeurs porteuses.
Un développement durable
Le confort des vieux
La démographie entraîne le vieillissement moyen des populations et cela aura des conséquences sur la clientèle aérienne : nécessité de confort, de circuits courts, de lieux de repos et d’assistance de manière générale.
Impossible, enfin, de réfléchir à 2040 sans évoquer un sujet qui jouera un rôle déterminant dans le secteur du transport dans les années à venir.
Il s’agit de l’émission de gaz à effet de serre (le CO2 pour ce qui concerne les avions). Le transport aérien n’émet que 2 à 3 % du CO2 total d’origine humaine, mais c’est déjà trop, surtout aux yeux d’une opinion publique qui veut ignorer les pourcentages rejetés par les autres activités et l’on sait que les mythes ont la vie dure.
Le transport aérien est très facile à rançonner
La prise de conscience de ce que notre planète est en danger est une très bonne chose à laquelle tous les acteurs – compagnies aériennes en tête – doivent contribuer. Mais désigner l’aérien comme bouc émissaire n’est pas sérieux. Compte tenu de sa contribution à l’économie, c’est commettre un contresens profond sur ce qu’est le développement durable. Les échanges de permis d’émissions étendus progressivement à toutes les activités humaines devraient peu à peu réguler et rendre plus rationnel le discours actuel.
Le transport aérien détient aujourd’hui le triste privilège d’apparaître comme étant le plus polluant et le plus futile alors que, dans le même temps, il est très facile à rançonner comme en témoigne la liste impressionnante des taxes et redevances dont il fait régulièrement l’objet.
On peut espérer qu’à l’horizon dont nous parlons, discours et actes seront devenus plus équitables dans ce domaine.
Traquer les consommations inutiles
Air France s’est lancée dans la traque systématique aux consommations inutiles de carburant, tout en assurant la sécurité des vols et la réussite des correspondances. Au sol, l’amélioration de la gestion du trafic à Roissy-Charles-de-Gaulle va permettre de diminuer les temps de roulage et d’attente. En vol, le projet de ciel unique européen permettra d’optimiser les routes et donc réduire les distances de vol. À bord, on peut gagner du poids sur l’ensemble des équipements et du matériel, depuis les verres en plastique jusqu’à la documentation papier des équipages, en passant par les équipements de cabine (exemple, nouveaux sièges plus légers) ou l’eau potable… L’amélioration des informations fournies aux équipages permet un calcul plus précis de l’emport de carburant. Enfin, les pilotes ont la possibilité d’appliquer les procédures de vol les plus appropriées pour consommer moins de carburant : recherche permanente du niveau de vol et de la vitesse adaptés, négociation avec le contrôle aérien de routes directes, roulage au sol avec un moteur coupé, etc.