Le nouveau recensement est un progrès
Le recensement français repose depuis 2004 sur une nouvelle méthode, alliant deux principes : la collecte tournante sur un cycle de cinq ans et le recours au sondage dans les communes de 10 000 habitants et plus en s’appuyant sur un répertoire exhaustif des immeubles (le RIL). Cette méthode remplace le comptage traditionnel organisé tous les huit ou neuf ans en vigueur jusqu’au recensement de 1999. Ainsi rénové, le recensement permettra de fournir chaque année des résultats détaillés à tous les niveaux géographiques d’intérêt, du pays entier à la commune et au quartier. Les premiers résultats (les chiffres de population de chacune des 36 681 communes françaises) paraîtront fin 2008. Cette réforme du recensement répond au besoin, de plus en plus marqué, de données démographiques récentes, surtout à des niveaux géographiques fins. Elle permet également de lisser les coûts du recensement, qu’ils soient humains ou budgétaires, et de mieux organiser et contrôler les opérations. Enfin, elle permet de réduire les omissions, grâce notamment au répertoire d’immeubles.
Dans une majorité de pays, les recensements généraux ont longtemps prévalu, car ils pouvaient revendiquer une propriété en apparence indiscutable : l’exhaustivité. Les professionnels de la statistique savent bien que cette exhaustivité apparente n’est qu’illusion, et qu’un recensement ne touche jamais la totalité de la population, en raison des aléas touchant la collecte d’information, ceux-ci pouvant être du même ordre que les incertitudes statistiques inhérentes à un sondage aléatoire sur un gros échantillon. Les recensements généraux ne fournissaient qu’une image imparfaite de la population, ce qui justifiait l’existence de différents ajustements. En 1999, il a ainsi fallu ajouter près de 500 000 personnes au recensement général pour boucler les bilans démographiques portant sur les naissances, les décès et les soldes migratoires : le mieux est l’ennemi du bien.
La fin des recensements classiques
Les recensements classiques ne répondent plus, ou à des coûts élevés, aux besoins modernes. Les pays européens et les États- Unis rencontrent de plus en plus de difficultés à les réaliser, ce qui conduit un nombre croissant d’entre eux à y renoncer. Ainsi, en Grande-Bretagne et en Italie, l’écart entre les populations recensées et les populations attendues a‑t-il pu atteindre l’ordre de grandeur du million.
Il est en effet de plus en plus difficile d’organiser et de financer un recensement général dans les pays modernes.
L’organisation très coûteuse en termes de main‑d’oeuvre (plus de 110 000 agents recenseurs pour le recensement de 1999 !) renvoie à un processus de production semiartisanal de plus en plus obsolète.
Un nombre croissant de pays abandonne donc le modèle des recensements généraux ; ceux qui les maintiennent les accompagnent d’enquêtes de contrôle très ambitieuses destinées à en évaluer – et à en corriger – les défauts de couverture, qui peuvent atteindre quelques pour cent.
De plus la périodicité quasi décennale des recensements généraux était unanimement jugée très insuffisante pour répondre aux besoins des utilisateurs locaux, besoins en forte croissance du fait de la décentralisation. La nouvelle méthode de recensement vise à fournir des données plus récentes puisque actualisées chaque année, à tous les niveaux géographiques. C’est là un accompagnement essentiel des politiques de décentralisation que de fournir aux collectivités locales les données nécessaires au pilotage de leurs actions.
En France, les registres ne constituent pas une alternative crédible
Divers pays d’Europe réalisent les comptages de population en utilisant des registres. Dans ces pays, les résidents ont l’obligation de se faire enregistrer en général à l’équivalent de la mairie de leur domicile afin de bénéficier de droits sociaux, notamment la santé.
Des besoins très spécifiques
Plus que le chiffre global de la population, il s’agit de déterminer le plus précisément les populations des communes, ainsi que les caractéristiques sociodémographiques de leurs habitants et de celles de leurs quartiers. Or la France comporte environ 36 700 communes, dont la moitié a moins de 400 habitants et le quart moins de 200 habitants, chiffre totalement » hors normes » par rapport à la plupart de nos partenaires. Le recensement doit donc mesurer toutes ces populations et leurs caractéristiques, avec un souci extrême de qualité, dans la mesure où plusieurs centaines de procédures réglementaires renvoient à la population légale de différentes unités administratives (collectivités locales, ZUS, ZFU, détermination des concours financiers de l’État aux collectivités locales, découpage électoral, implantation des pharmacies, organisation des communes…). Ce sont toutes ces particularités, conjuguées au souci de ne pas attendre dix années les chiffres de population, qui ont conduit l’Insee à adopter une méthode originale de recensement.
De ce fait, les personnes ont tout intérêt à procéder à un tel enregistrement. Néanmoins, les personnes, notamment étrangères, qui quittent le territoire ont peu d’incitations à se faire retirer du registre, surtout si elles comptent revenir dans le pays d’accueil. De même, les décès peuvent être tardivement enregistrés. D’où des enquêtes de contrôle pour évaluer la proportion des non-résidents inscrits à tort, et en tirer des correctifs extrapolés à l’ensemble du territoire, ce qui conduit à des résultats assez approximatifs, surtout au niveau local. En France, il n’existe pas de registres de population, mais on dispose de données administratives exhaustives ou presque (fichiers fiscaux et sociaux…). Il s’agit cependant de bases de données de moindre qualité que le recensement : omissions plus fréquentes (sans-abri…), et rattachement des personnes aux centres des impôts obéissant à des règles fiscales différentes de celles déterminant les populations légales des communes.
L’utilisation de registres apporterait-elle quelque chose à la palette des données administratives disponibles ? La réponse est clairement négative. En outre, les besoins auxquels le recensement doit répondre en France sont trop particuliers pour que les registres de population constituent une alternative (voir encadré).
Reconnaissance internationale
La nouvelle méthode du recensement est inscrite dans la loi
La nouvelle formule de recensement a été validée par un conseil scientifique composé de statisticiens français et étrangers, puis par les organismes internationaux responsables de l’harmonisation des statistiques, et elle respecte les critères essentiels définis par l’ONU pour les recensements de la décennie 2010. Parallèlement, Eurostat a dressé une liste de critères de qualité, portant sur la pertinence, la précision, l’actualité et la ponctualité, l’accessibilité et la clarté, la comparabilité et la cohérence.
L’Insee a pu démontrer à Eurostat que ces critères étaient vérifiés par la nouvelle méthode, ce qui a légitimé la reconnaissance réglementaire. À cette légitimation par nos pairs s’ajoute une légitimation politique nationale : la nouvelle méthode du recensement est en effet inscrite dans la loi depuis 2002.
Une qualité accrue et un meilleur contrôle de la qualité
On dispose aujourd’hui d’un répertoire d’adresses exhaustif dans les grandes communes, ce qui permet de réduire les omissions de logements et de personnes, point faible des recensements classiques. Moins détaillé qu’un registre, ce répertoire garantit une meilleure exhaustivité et diminue sensiblement les aléas liés à la collecte (oublis et omissions), et surtout leur instabilité temporelle. La légère imprécision due à l’aléa de sondage dans ces grandes communes est plus que compensée par de moindres risques de biais.
Dans les communes de moins de 10 000 habitants, on a recours à une formule de recensement classique. Cependant, le fait de ne recenser annuellement qu’un cinquième des communes allège sensiblement le travail et en autorise une meilleure maîtrise, ce qui permet à nouveau de réduire les aléas liés à la collecte. L’amélioration de l’exhaustivité ne fait pas débat. En revanche, une critique fréquemment adressée à la nouvelle méthode est le risque d’augmenter les doubles comptes, c’est-à-dire les personnes comptées deux fois à tort. Le reproche est fondé, dans la mesure où, contrairement aux recensements généraux, tous les résidents ne sont pas interrogés de façon synchrone, même si le synchronisme n’est pas parfait dans les recensements classiques (la collecte s’étale pour des raisons pratiques sur près de deux mois).
C’est pourquoi un grand nombre d’actions qualité ont été mises en place afin d’évaluer et d’éviter ce risque de surdénombrement. L’annualisation permet en effet de passer de l’artisanat à une méthode plus industrielle mettant en place des processus de production pérennes. Le déploiement de processus de production permet d’élaborer des démarches qualité appliquées systématiquement :
• à l’Insee où des bilans, qualitatifs et quantitatifs, sont réalisés auprès de tous les acteurs et portent sur la pertinence des processus, les charges de travail, l’utilisation de telle ou telle fonctionnalité applicative, les organisations mises en place et les charges de travail. Ils sont menés par voie de questionnaires mais fréquemment enrichis par des rencontres bilatérales ;
• auprès des sous-traitants en charge de la saisie, qui établissent en fin de campagne un bilan complet des opérations ;
• par des mesures et des contrôles de qualité pratiqués à toutes les phases du dispositif.
L’annualisation permet de passer à une méthode industrielle
Enfin, la Commission nationale d’évaluation du recensement associant l’Insee, les communes et les utilisateurs se réunit deux à trois fois par an. Présidée par un sénateur et associant des chercheurs et des associations, elle évalue les processus de collecte et de contrôle, propose des adaptations sur les différents protocoles et devra se prononcer sur les changements des textes qui régissent l’organisation des opérations de recensement. Les évolutions décidées au vu d’une campagne peuvent ainsi être mises en oeuvre dans une campagne ultérieure. Avec une opération permanente, l’évaluation rétroagit sur le processus de production soit l’année suivante, soit ultérieurement s’il s’agit d’une évolution lourde.
La méthode du nouveau recensement
Le premier principe de la méthode est de répartir la collecte de l’information sur un cycle quinquennal, pour produire chaque année une information relative à l’année médiane du cycle. Chaque année A, les données seront donc produites à partir des collectes des années A à A‑4 et sont représentatives de l’année A‑2. Le second principe est de recourir au sondage dans les plus grandes communes, celles dont la population est suffisante pour qu’un sondage fournisse une information robuste. Ce recours au sondage répond au souci d’alléger la charge que représente
le recensement, pour l’Insee comme pour les communes et les personnes enquêtées ; il permet également de mieux contrôler la qualité de la collecte et notamment de réduire les omissions, plus nombreuses dans les grandes villes. Le sondage s’appuie sur un répertoire exhaustif des immeubles, le RIL (Répertoire d’immeubles localisés).
Les communes de moins de 10 000 habitants sont recensées exhaustivement, à raison d’un cinquième chaque année. Les 35 750 communes de moins de 10 000 habitants, qui représentent la moitié de la population de la France, ont été réparties en cinq groupes. Chaque année, une enquête exhaustive concerne toutes les communes de l’un de ces groupes. Au bout de cinq ans, on réinterroge les communes du premier groupe, et ainsi de suite. Ces cinq groupes sont équilibrés sur une dizaine de critères démographiques (population, répartition par sexe et grands groupes d’âge) ou relatifs au parc de logements (nombre de logements, nombre de résidences principales). L’équilibrage est assuré au niveau national et pour chacune des 26 régions de France.
Dans les 900 communes de 10 000 habitants et plus, les enquêtes ne sont menées annuellement que sur 8 % des logements, répartis sur l’ensemble du territoire de la commune. Au bout de cinq ans, 40 % de la population de chacune de ces communes aura donc été enquêtée, un taux suffisant pour garantir la fourniture de données robustes sur la commune et ses quartiers.
La base de sondage, dans chaque grande commune, est constituée par le RIL, liste exhaustive des immeubles (qu’ils soient d’habitation, administratifs, industriels ou commerciaux), identifiés et localisés à leur adresse, grâce à un Système d’information géographique. Le RIL a été initialisé en partant du recensement général de 1999 et mis à jour depuis au moyen de fichiers administratifs (permis de construire, fichiers de gestion de la fiscalité locale) ou postaux (fichiers d’adresses de La Poste). Il est soumis chaque année à l’expertise des communes et validé in fine par l’Insee.
Au total, 70 % de la population est recensée au cours d’un cycle quinquennal.
Les communautés (maisons de retraite, internats, établissements pénitentiaires, communautés religieuses, centres d’hébergement…) sont recensées exhaustivement (la collecte est tournante sur cinq ans). Les personnes sans abri, les personnes vivant en habitation mobile terrestre et les mariniers sont recensés exhaustivement, une fois tous les cinq ans.
Des marges de progression nombreuses
La nouvelle formule va faire ses preuves dès la fin de 2008, en fournissant les premiers résultats. Sa souplesse lui permet de disposer d’importantes marges de progrès. Ainsi, une utilisation accrue des données administratives pourrait permettre d’augmenter la qualité (précision et exhaustivité), ou alléger la charge de collecte. Les progrès techniques rapides en matière de systèmes d’information géographiques peuvent également être mis à profit de façon progressive. Enfin, la collecte par Internet sera expérimentée dès 2010, et a priori étendue en 2011.
L’évaluation rétroagit sur le processus de production
L’investissement lourd que représente cette innovation sera amorti dans la durée grâce à l’utilisation annuelle. De façon étonnante, le nouveau recensement fait l’objet de critiques contradictoires de la part de certains démographes, en particulier en raison des risques accrus de doubles comptes. Mais les démographes ne sont pas toujours les derniers à avoir critiqué les défauts d’exhaustivité du recensement de 1999. D’autres ne rêvent que de registres de population, ignorant les lacunes et insuffisances de cette méthode signalées régulièrement par les statisticiens scandinaves. Le nouveau recensement n’est pas exempt de tous reproches, mais constitue un progrès notable par rapport au modèle précédent sans tomber dans les travers des registres. Son point fort réside sans doute dans la gestion enfin professionnelle de la qualité, à l’instar de toute opération moderne de production. Cette vertu a permis de le faire très rapidement reconnaître comme valable par la communauté internationale des statisticiens, ce qui est déjà en soi un grand succès. Nul doute enfin que le grand public, toujours friand de données démographiques récentes, adhérera très rapidement à la nouvelle méthode.