Si le marketing B2B ne fait généralement pas face aux mêmes ordres de grandeur que le B2C en termes de nombre de clients, il doit en revanche gérer deux facteurs supplémentaires de complexité.

Le nouveau rôle du marketing dans le commerce interentreprises

Dossier : Marketing digitalMagazine N°746 Juin 2019
Par David BERGONZO (95)

Le mar­ke­ting B2B s’est enga­gé au début des années 2000 dans un long par­cours de trans­for­ma­tion digi­tale. Cer­tains des thèmes clés y sont simi­laires – don­nées, per­son­na­li­sa­tion, « cen­tri­ci­té client »… – mais d’autres fac­teurs essen­tiels sont à l’œuvre, liés notam­ment à l’existence d’une force de vente qui a, jusqu’à récem­ment, été le moteur d’affaires qua­si exclu­sif de l’entreprise. Dans le B2B, c’est une véri­table redis­tri­bu­tion des rôles entre vente et mar­ke­ting que la trans­for­ma­tion digi­tale implique.

Pour une grande majo­ri­té d’entreprises B2B, le modèle de dis­tri­bu­tion a jusqu’ici repo­sé prin­ci­pa­le­ment sur une équipe com­mer­ciale, en interne ou via des dis­tri­bu­teurs, et sur une cadence dic­tée par la proac­ti­vi­té des ventes et par leur capa­ci­té à « mettre le pied dans la porte » : appels télé­pho­niques, e‑mails, cartes de visite échan­gées pen­dant les confé­rences… Ce modèle, ryth­mé par les four­nis­seurs, trouve son ori­gine dans le fait que l’information sur l’offre, sinon l’offre elle-même, est rela­ti­ve­ment limi­tée : l’acheteur doit com­po­ser pour l’essentiel avec l’information qui lui a été appor­tée. Le rôle du mar­ke­ting est alors prin­ci­pa­le­ment celui de sup­port aux acti­vi­tés de vente, cen­tré notam­ment sur l’organisation d’événements, la pro­duc­tion de sup­ports com­mer­ciaux ou l’exécution d’e‑mailings.

Du push vers le pull

Mais Inter­net a pro­fon­dé­ment chan­gé la donne. Le client peut aujourd’hui accé­der faci­le­ment aux offres de mul­tiples four­nis­seurs poten­tiels et à plé­thore d’informations les concer­nant, infor­ma­tions four­nies par les four­nis­seurs eux-mêmes mais aus­si par des tiers : ana­lystes, jour­na­listes, com­pa­ra­teurs, autres clients… Il se docu­mente à son rythme et en fonc­tion de ce qu’il sait être son besoin prin­ci­pal. Il attend une expé­rience simi­laire à celle à laquelle il est désor­mais habi­tué en tant que consom­ma­teur en ligne, et il ne sou­haite géné­ra­le­ment pas enga­ger une dis­cus­sion avec un repré­sen­tant com­mer­cial avant la phase de négo­cia­tions des prix et des condi­tions : dif­fé­rentes études estiment que deux tiers à quatre cin­quièmes de la déci­sion d’achat est prise avant le début de cette phase à pro­pre­ment par­ler commerciale.

C’est là l’enjeu de la trans­for­ma­tion digi­tale dans le mar­ke­ting B2B : un redé­ploie­ment vers la cap­ta­tion de la demande expri­mée (pull) plu­tôt que l’expression non sol­li­ci­tée de l’offre (push). Dans ce sens, on peut noter que beau­coup des limi­ta­tions ins­tau­rées par la mise en place du RGPD en 2018 sont en phase avec cette évo­lu­tion, et que c’est le mar­ché, pas la régle­men­ta­tion, qui res­treint pro­gres­si­ve­ment l’activité tra­di­tion­nelle de « chasse » des équipes commerciales.

Le nouveau rôle du marketing B2B dans le commerce interentreprises
© Pure­So­lu­tion

La primauté du contenu

Pour l’équipe mar­ke­ting, les impli­ca­tions sont nom­breuses, à com­men­cer bien sûr par une évo­lu­tion du mix des canaux uti­li­sés : plus de médias en ligne, plus de réfé­ren­ce­ment natu­rel et payant, moins d’événements phy­siques, moins de pla­quettes com­mer­ciales… Mais l’évolution la plus pro­fonde est peut-être à trou­ver du côté du conte­nu, à la fois dans son archi­tec­ture et dans sa production.

Plus de la moi­tié des ache­teurs B2B consultent au moins 8 conte­nus pen­dant leur par­cours d’achat, et 30 % sup­plé­men­taires en consultent entre 5 et 7. Ce par­cours com­mence par exemple par l’écoute d’un pod­cast ou la lec­ture d’un article, se pour­suit avec un webi­naire et la lec­ture de rap­ports d’analystes puis, en aval, avec la consul­ta­tion de fiches tech­niques et d’études de cas clients.

Il s’agit donc de dis­tri­buer l’information en élé­ments concis, cohé­rents et gra­nu­laires, pour accom­pa­gner le che­mi­ne­ment de la recherche du client. Beau­coup de four­nis­seurs se trouvent éli­mi­nés durant cette phase, avant même toute inter­ac­tion avec les ventes. En plus d’être adap­té à de mul­tiples canaux numé­riques, le conte­nu doit donc être pro­gres­sif, et appor­té au client en fonc­tion des conte­nus qu’il a déjà consul­tés et de la façon dont il y a réagi. Cette mise à dis­po­si­tion contex­tuelle et par étape du conte­nu, le nur­tu­ring, donne lieu à d’importants inves­tis­se­ments dans des outils spé­cia­li­sés d’automatisation.

Le conte­nu appor­té par le mar­ke­ting change éga­le­ment de nature : le client se docu­mente sur les carac­té­ris­tiques fonc­tion­nelles de l’offre et sur sa pro­po­si­tion de valeur, mais il sou­haite désor­mais trou­ver en ligne des infor­ma­tions ou ser­vices qui n’étaient tra­di­tion­nel­le­ment four­nis que sur demande, dans le cadre des échanges avec l’équipe com­mer­ciale : struc­ture de prix, essais gra­tuits, démos, retours d’expérience… Com­pa­rés aux conte­nus mar­ke­ting tra­di­tion­nels, plus sta­tiques et cen­trés sur la des­crip­tion de l’offre et de ses avan­tages, ces conte­nus exigent une coor­di­na­tion plus étroite et sans dis­con­ti­nui­té avec d’autres équipes internes : pro­duit, tech­no­lo­gie, finance, juri­dique… Par exemple, la publi­ca­tion de grilles tari­faires intro­duit des obli­ga­tions spé­ci­fiques et doit être coor­don­née avec la poli­tique de remises de l’entreprise.

“2÷3 à 45 de la décision d’achat est prise
avant toute interaction avec les ventes”

Le client, entreprise et individu à la fois

En B2B comme en B2C, la ges­tion et l’exploitation des don­nées sont deve­nues un enjeu cen­tral. Si le mar­ke­ting B2B ne fait géné­ra­le­ment pas face aux mêmes ordres de gran­deur que le B2C en termes de nombre de clients, il doit en revanche gérer deux fac­teurs sup­plé­men­taires de complexité.

D’abord, le client est mul­ti­forme et dif­fi­cile à appré­hen­der. C’est d’une part l’entreprise, avec ses don­nées intrin­sèques (sec­teur indus­triel, taille, don­nées inves­tis­seurs et acti­vi­té cor­po­rate…), mais aus­si celles rela­tives à la rela­tion client-four­nis­seur, dans un envi­ron­ne­ment B2B où les offres sont sophis­ti­quées et les contrats sou­vent sur mesure, la des­crip­tion même du sta­tut de client est com­plexe et doit être défi­nie de manière à enri­chir la seg­men­ta­tion du mar­ke­ting : l’entreprise est-elle un client actif ou dor­mant ? En tant que four­nis­seurs, quelle est notre empreinte par rap­port au poten­tiel com­mer­cial du compte, en termes d’utilisation à tra­vers l’entreprise (filiales, dépar­te­ments) et de péné­tra­tion de l’offre ? Uti­lisent-ils un pro­duit ou un ser­vice unique, ou bien notre gamme com­plète ? Sommes-nous le four­nis­seur de réfé­rence ou chaque inves­tis­se­ment fait-il l’objet d’un appel d’offres ouvert et concurrentiel ?

Mais le client, ce sont éga­le­ment les employés de l’entreprise, impli­qués direc­te­ment ou indi­rec­te­ment dans la déci­sion d’achat. Ils peuvent être dis­sé­mi­nés dans dif­fé­rents dépar­te­ments, y com­pris pour une même oppor­tu­ni­té com­mer­ciale : achats, finance, IT, uti­li­sa­teurs finaux… Leur acti­vi­té indi­vi­duelle est, elle aus­si, sus­cep­tible d’informer sur les prio­ri­tés des déci­deurs et d’orienter le mar­ke­ting : cookies, réseaux sociaux, inter­views, conférences…

Tirant par­ti de ces puits d’information, une gamme diverse de tech­niques de per­son­na­li­sa­tion s’est déve­lop­pée dans le mar­ke­ting B2B, com­bi­nant à la fois don­nées internes et externes mais aus­si don­nées entre­prises et don­nées employés. Elle recouvre dif­fé­rents degrés de sophis­ti­ca­tion, allant de la per­son­na­li­sa­tion macro (comme le conte­nu d’une page web modi­fié en fonc­tion de l’industrie du compte), à une per­son­na­li­sa­tion plus fine, voire une véri­table indi­vi­dua­li­sa­tion, dans le cas de comptes stra­té­giques (Account-Based Mar­ke­ting, ABM) : par exemple, les nomi­na­tions de cadres diri­geants ou les opé­ra­tions de fusion-acqui­si­tion sont sou­vent géné­ra­trices d’opportunités – ou de risques – pour les fournisseurs.

“Il faut souvent réactualiser et clarifier
le modèle de distribution dans son ensemble”

Stratégie de transformation

Ampli­fi­ca­tion, nur­tu­ring, qua­li­fi­ca­tion…, le mar­ke­ting se retrouve donc en pre­mière ligne, et « seul », pour accom­pa­gner le pros­pect dans la phase ini­tiale, et de plus en plus déter­mi­nante, de son éva­lua­tion. Cette évo­lu­tion majeure implique une stra­té­gie de trans­for­ma­tion coor­don­née de bout en bout du cycle client, et en par­ti­cu­lier avec les ventes.

C’est d’abord un impé­ra­tif com­mer­cial : une fois qua­li­fié et enre­gis­tré, le trans­fert de l’opportunité com­mer­ciale (lead) du mar­ke­ting vers les ventes doit être rapide et sans perte d’information. Besoin, calen­drier, bud­get, déci­deurs impli­qués dans l’achat…, toute l’information col­lec­tée lors de la qua­li­fi­ca­tion doit tran­si­ter d’un sys­tème vers l’autre, et le pas­sage de relai doit être caden­cé par des noti­fi­ca­tions, work­flows et signaux d’alerte adé­quats. L’équipe com­mer­ciale doit éga­le­ment faire montre de dis­ci­pline et réac­ti­vi­té dans le sui­vi de ces leads : pour le pros­pect, cette phase déter­mine sou­vent la pre­mière impres­sion de ce que seront la réac­ti­vi­té et la conti­nui­té de ser­vice du fournisseur.

Mais c’est sou­vent le modèle de dis­tri­bu­tion dans son ensemble qu’il faut réac­tua­li­ser et cla­ri­fier. Pro­ces­sus et par­tage des tâches, indi­ca­teurs de per­for­mance, sys­tèmes d’information, et par­fois même nomen­cla­ture… La res­pon­sa­bi­li­té nou­velle, ou éten­due, du mar­ke­ting dans la pre­mière phase du par­cours du client s’accompagne de nom­breuses questions.

À quels cri­tères une oppor­tu­ni­té doit-elle répondre pour pas­ser du mar­ke­ting aux ventes ? Quel niveau de détail est atten­du en sor­tie de qua­li­fi­ca­tion ? Par exemple, le mar­ke­ting doit-il se conten­ter de décrire le besoin de manière qua­li­ta­tive, ou doit-il le pré­ci­ser jusqu’à un pro­duit spécifique ?

Qui doit entre­te­nir l’engagement avec un pros­pect poten­tiel­le­ment très pro­met­teur mais sans poten­tiel com­mer­cial sur le court terme ? Est-ce le rôle du mar­ke­ting ou des ventes ? Cette seconde option offre sans doute un plus haut degré de per­son­na­li­sa­tion mais pré­sente le risque d’un manque d’attention, les équipes com­mer­ciales don­nant natu­rel­le­ment la prio­ri­té aux oppor­tu­ni­tés mûres et en phase de clôture.

Quels indi­ca­teurs de per­for­mance pour le mar­ke­ting ? Un indi­ca­teur basé sur la prise de com­mande réa­li­sée est garant de la qua­li­té des leads, mais dépend beau­coup de la per­for­mance des ventes en aval. Un indi­ca­teur cen­tré sur les leads n’est pas vali­dé par une déci­sion d’achat de la part des clients, et repose donc sur la qua­li­té de la qua­li­fi­ca­tion, basée sur des cri­tères sou­vent subjectifs.

Com­ment ali­gner les inves­tis­se­ments mar­ke­ting aux besoins des dif­fé­rents ter­ri­toires com­mer­ciaux, en fonc­tion de leurs quo­tas et de l’état de leur pipe­line ? Un ter­ri­toire en dif­fi­cul­té peut révé­ler un mar­ché plus concur­ren­tiel ou moins por­teur que pré­vu : l’investissement mar­ke­ting y est certes plus deman­dé, mais y sera peut-être moins pro­duc­tif que dans un ter­ri­toire déjà plus performant.

Trou­ver réponse à ces ques­tions est sou­vent l’histoire de com­pro­mis, voire de recherche du moindre mal. C’est là la dif­fi­cul­té, mais aus­si l’opportunité, que la trans­for­ma­tion digi­tale pré­sente au mar­ke­ting B2B : pas­ser d’un rôle d’accompagnement des ventes à celui d’un appor­teur d’affaires, voire à celui d’un véri­table centre de profit.


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