Le Nouveau testament
Par tempérament, on peut incliner au respect des traditions et des pratiques confirmées par l’expérience. Et pourtant n’apprécier guère les anciennes salles dites » à l’italienne « . De la moitié des places, on ne voit la scène qu’au prix d’en rester torticole des heures après la fin du spectacle. pareil aux demoiselles Fenouillard, toutes déviées d’avoir trop longtemps cherché la tour Eiffel.
L’autre jour. la cause de tels maux fut une baignoire du Théâtre des Variétés. où nous mijotâmes sur des chaises au rembourrage merveilleusement coriace. Il ne saurait cependant être question d’abandonner ces salles enrichies par le souvenir de tant de pièces jouées au milieu des ors et des velours rouges. C’est aux Variétés par exemple que fut créée Topaze, qui y tint l’affiche deux ans malgré la dureté des sièges, Prenons les choses comme elles sont.
D’autant qu’en fait de dramaturges, nous autres Français sommes à présent plutôt contraints, à quelques rares exceptions près, de vivre aussi de souvenirs. Et c’est pour· quoi nous voulions voir jouer Le Nouveau Testament, de Sacha Guitry, montée, au milieu d’un décor parfaitement 1930, dans une mise en scène bien sage de B. Mural, qui n’éprouve pas le besoin, comme trop d’autres, d’ajouter des extravagances n’ayant d’évidence jamais été dans la pensée de l’auteur, même fortement sollicitée, on serait parfois tenté de dire gauchie, si l’on ne craignait que le mot prétât à confusion.
Sans doute les personnes d’inquiétude intellectuelle et portées sur les amertumes mentales n’aiment pas Sacha Guitry. Irritées peut-être de voir se mouvoir sur scène ses personnages, jamais oisifs mais vivant Sans trafic d’influence et de leur seule intelligence dans une large aisance, entourés de domestiques stylés et de meubles coûteux, au besoin cocus mais s’en arrangeant avec humour.
On sent bien qu’il y a là une manière de verve hautaine, au bord de l’impertinence à l’égard de la conscience de classe, qui n’est guère politiquement correcte.
Ceci dit, il n’est pas douteux que beaucoup de ses quelque cent trente pièces, si elles donnent toujours de passer une agréable soirée, ne laissent que rarement de fortes traces dans la mémoire. Tant elles se ressemblent et demeurent souvent à la surface des réalités humaines, à quelques brèves fulgurations près. Mais elles y demeurent de façon si séduisante qu’il sera beaucoup pardonné à leur auteur.
Surtout lorsqu’il est bien interprété, ce qui est le cas grâce, entre autres, à J.-P. Marielle reprenant avec aisance, mais sans les étonnants chapeaux chers au Maître, le rôle qu’il tenait, celui d’un médecin venant de faire, par testament, trois parts de sa fortune , l’une pour son épouse, l’autre pour une ancienne maltresse, la troisième pour la fille qu’il a eue d’elle.
Par malheur pour lui, mais bonheur pour les spectateurs, le testament tombe dans les mains de l’épouse (Françoise Fabian), qui en prend connaissance en présence d’un couple ami invité à dîner, alors qu’on attend le maître de maison retardé par une urgence,
Pour tout corser, il y a eu, dans le passé, quelques petites coucheries croisées entre les couples, dont ces circonstances exceptionnelles réveillent le souvenir.
Il est facile d’imaginer le parti et les répliques déchaînant le rire que le grand Sacha aura tiré de cette » idée « . Elles valent ou valaient, le déplacement.