Le nucléaire : un secteur en plein essor !
L’annonce de la construction de nouveaux réacteurs en France dans un contexte marqué par une crise énergétique majeure, et la nécessité de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique place le nucléaire au cœur de tous les enjeux et préoccupations. Christophe Caizergues, Directeur Général de Vinci Énergie Nucléaire, dresse pour nous un état des lieux de la filière et nous explique comment son entreprise se positionne face à ces défis. Entretien.
Pouvez vous nous rappeler votre positionnement ainsi que vos principaux métiers dans le domaine du nucléaire ?
Nous sommes la filiale de Vinci Énergies en charge de la réalisation de travaux au sein des installations nucléaires. Il s’agit, majoritairement,de centrales nucléaires de Production d’Electricité. Nous pouvons également être amenés à intervenir sur des installations de Recherche du CEA, ainsi que sur des usines dédiées au cycle du combustible, comme celles d’Orano ou de Framatome.
Notre périmètre d’action couvre donc l’ensemble de la chaine de valeur de la filière Nucléaire, avec bien sur la production d’Electricité mais aussi l’amont et l’aval du cycle. Pour accompagner la filière, nous déployons tous les métiers propres au groupe Vinci Energies : Electricité et Instrumentation, Ventilation, Mécanique, Contrôle Non Destructif…
Un large panel de compétences que nous mettons en œuvre au service des installations nucléaires de nos clients. Vinci Énergies Nucléaire a vu le jour en 2012 pour répondre à la demande de nos clients d’avoir un interlocuteur unique sur les sujets relatifs à leur activité. Nous employons 2 000 personnes réparties dans 32 implantations sur l’ensemble du territoire et au plus proche des sites de nos clients. Nous réalisons un chiffre d’affaires annuel d’environ 300 millions d’euros. Nous avons la particularité d’avoir une filiale à Bristol au Royaume-Uni qui réalise des travaux sur la centrale nucléaire de Hinkley Point, ainsi qu’une filiale en Belgique.
Le contexte géopolitique et l’inflation des prix de l’énergie impactent votre secteur d’activité. Quel regard portez vous sur la situation actuelle ? Qu’en est-il plus particulièrement en France ?
Le secteur des énergies connaît actuellement de fortes tensions. Si la crise de la Covid et la guerre en Ukraine les ont rendues plus visibles, elles étaient toutefois sous-jacentes depuis déjà plusieurs années. Dans les années 70, la France a fait le choix de se doter d’un parc nucléaire avec 56 réacteurs. Ce programme de grande envergure a été une véritable réussite industrielle et a permis à notre pays de sécuriser son autonomie et indépendance énergétique.
À partir des années 90, les clivages politiques, les débats houleux autour du nucléaire, auxquels il faut ajouter des accidents nucléaires de grande ampleur à Tchernobyl et à Fukushima, ont amené de nombreux pays à se désengager de la production d’électricité via le nucléaire. C’est le choix fait par plusieurs pays européens, dont l’Allemagne et la Belgique. Inversement, d’autres pays, comme la Russie et la Chine, ont plutôt fait le choix de développer de grands programmes nucléaires, alors que le Royaume-Uni a récemment relancé sa filière nucléaire. En France, le nucléaire était en retrait avec notamment la fermeture de la centrale de Fessenheim et la programmation de la fermeture des centrales les plus anciennes. Au cours des cinq dernières années, l’urgence climatique et la nécessité de décarboner nos économies ont mis en évidence la place que le nucléaire doit avoir dans le mix énergétique français. Parce que le solaire et l’éolien sont des énergies intermittentes non pilotables et que les capacités hydrauliques de la France sont limitées, le nucléaire est une alternative qui émet très peu de CO2 sur laquelle la France peut s’appuyer.
Sur les 18 derniers mois, nous avons assisté à une montée en puissance de la question énergétique. Alors que de nombreux spécialistes ont annoncé que les pics d’exploration et de production des énergies fossiles, plus particulièrement du pétrole, étaient derrière nous, les difficultés d’approvisionnement du fait de la guerre en Ukraine ont complètement changé le rapport au nucléaire.
Aujourd’hui, 75 % des Français se disent favorables au nucléaire, alors qu’ils étaient moins de 50 % il y a 3 ans. En parallèle, il y a moins d’un an, la France a pris la décision de lancer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires : 6 EPR2 ont été validés et 8 réacteurs supplémentaires sont à l’étude.
Aujourd’hui se dessinent donc les nouveaux contours du nucléaire de demain. Qu’en est-il ?
Avec potentiellement la construction de 14 réacteurs, la filière française du nucléaire est face à un programme colossal et des enjeux tout aussi importants. C’est, en effet, un programme majeur qui va mobiliser toutes les parties prenantes sur les 30 prochaines années.
Aujourd’hui, l’ensemble de la filière, plus de 220 000 personnes, est mobilisée sur des programmes, des travaux et des enjeux relatifs à l’entretien des centrales nucléaires existantes. Il s’agit d’opérations de maintenance et d’entretien de ces sites industriels qui sont réalisés lors des visites Décennales. À cela s’ajoute le programme grand carénage dont l’objet est d’optimiser la sécurité des sites nucléaires en capitalisant sur les retours liés à des accidents dans le monde entier, mais aussi d’étendre la durée de vie des installations nucléaires moyennant un certain nombre d’adaptations en conformité avec l’autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Le secteur du nucléaire doit donc s’adapter rapidement à un véritable changement de paradigme avec le passage d’une logique de fermeture de sites et de limitation de la production d’électricité par le nucléaire au lancement d’un programme de grande envergure avec plusieurs nouveaux réacteurs à construire.
Quels sont les principaux enjeux auxquels le secteur est confronté ?
Le premier enjeu est une question de ressources humaines et de formation. Pour pouvoir mener à bien les nouveaux projets sans impacter l’activité d’entretien et de maintenance du parc existant, la filière va devoir recruter 10 à 15 000 personnes par an, avec des profils variés (managers, ingénieurs, techniciens, monteurs, soudeurs, chaudronniers…), et sur une longue durée. Et cela, alors même que nous nous trouvons dans un contexte de forte tension et de pénurie de main d’œuvre en Europe. Pour tous les acteurs de la filière, cela implique d’importants efforts en termes de formation. Dans ce cadre, à notre niveau, nous nous rapprochons d’écoles et de centre de formation pour recruter des jeunes, les former et les faire monter en compétences sur nos métiers. Au-delà, cela implique aussi de fidéliser ses collaborateurs sur un marché du recrutement qui a vocation à devenir très concurrentiel.
Le second enjeu est une question d’amélioration de notre excellence opérationnelle afin de ne pas reproduire les écueils que nous avons connus avec la construction de Flamanville. Lancée en 2007, la centrale devait initialement être opérationnelle en 2012. La date de mise en service a depuis été reportée à 2024. Le coût initial du chantier a, lui aussi, connu de fortes dérives. Pour relever ce défi d’excellence opérationnelle, EDF a lancé le Plan Excell, le plan d’excellence de la filière nucléaire. La plupart des acteurs de cette filière l’ont, d’ailleurs, décliné au sein de leur organisation. Nous avons ainsi lancé notre Plan AVENIR en 2021 avec pour devise, « Bon du premier coup », afin de promouvoir une démarche d’amélioration axée sur l’excellence opérationnelle, la performance et l’efficacité. Dans ce projet, nous embarquons aussi nos fournisseurs et sous-traitants pour couvrir toute notre chaîne de valeur, harmoniser nos méthodes de travail et répondre aux mêmes exigences et standards.
Enfin, un troisième enjeu pour la filière est une meilleure prise en compte de la dimension Sociétale avec la RSE. C’est un engagement pris par Vinci depuis déjà plusieurs années et que l’on retrouve dans toutes les composantes du groupe. Aujourd’hui, Vinci Énergies Nucléaire est labellisé RSE par l’Afnor (niveau Engagé) et nous avons aussi certifié ISO 19443 la moitié de nos filiales, les autres basculant d’ici 2024. Nous sommes fiers de ces réalisations et restons mobilisés sur l’ensemble de ces sujets et enjeux aussi bien en interne, qu’au sein de notre groupe ou vis-à-vis de nos clients et partenaires.
Et pour conclure, vous projetez-vous sur ce nouveau marché du nucléaire ?
Notre ambition est de renforcer notre positionnement d’acteur de premier ordre de la filière nucléaire et de continuer à accompagner nos clients, et principalement EDF, dans leur activité aussi bien sur le parc existant que dans le cadre du développement des nouveaux programmes.