Le numérique, des chances à saisir
Tous les pays d’Afrique ont pris conscience des atouts du numérique pour leur développement. Trois piliers sont developpés : la connectivité aux réseaux de télécommunications, la transformation de l’État (des e‑gouvernements), et le développement de compétences nationales (former la population et favoriser la création d’une industrie nationale du numérique).
Les prérequis au développement d’une économie numérique sont en général regroupés en trois grands piliers : la connectivité aux réseaux de télécommunications, la transformation de l’État et de la société, et le développement de compétences nationales.
REPÈRES
Dans de nombreux domaines, l’Afrique présente un double visage dramatiquement en retard et, au contraire, porteur d’espoir. Ainsi, si la croissance du PIB, aux environs de 5 %, est encourageante, elle ne suffit pas pour absorber les besoins d’une population en croissance : 1,15 milliard d’habitants en 2015, 4 milliards prévus en 2100.
La répartition des richesses n’est pas non plus suffisante pour que la population puisse subsister partout dignement, et pour que les jeunes trouvent un emploi.
Le domaine du numérique n’échappe pas à cette vision contrastée, avec des retards importants, mis en évidence par le Networked Readiness Index mais aussi des chances à saisir.
LA CONNECTIVITÉ AUX RÉSEAUX DE TÉLÉCOMMUNICATIONS
Des progrès spectaculaires ont été accomplis dans ce domaine, notamment avec l’apport de la Banque mondiale, pour raccorder les capitales africaines du bord de mer aux câbles sous-marins de télécommunications.
D’autre part, les opérateurs de télécommunications ont généralement déployé leurs réseaux optiques et hertziens à l’intérieur des terres, en offrant des services de téléphonie mobile et l’accès aux données à l’intérieur des pays.
L’administration n’est pas en reste : elle s’efforce presque partout de construire un intranet gouvernemental, permettant de relier les écoles et les centres administratifs de la capitale et de l’intérieur des terres.
Le travail est en chantier, si bien que l’on peut actuellement considérer que la fracture numérique liée à la connectivité ne se situe plus tellement entre l’Europe et l’Afrique, mais plutôt entre les capitales africaines et l’intérieur des terres.
Les opérateurs de télécommunications ont généralement déployé leurs réseaux optiques et hertziens à l’intérieur des terres offrant l’accès aux données à l’intérieur des pays. © ALAIN DUCASS
Favoriser la création d’une industrie nationale du numérique pour développer la connectivité. © ALAIN DUCASS
LA TRANSFORMATION DE L’ÉTAT ET DE LA SOCIÉTÉ
C’est le deuxième pilier de la stratégie numérique des pays émergents.
Le gouvernement montre alors l’exemple de la transformation numérique du pays, en développant plus ou moins en profondeur ce que l’on appelle « e‑gouvernement » par des infrastructures adéquates, comme le cloud du Burkina Faso, tout en contribuant à sensibiliser, équiper et former les fonctionnaires et la société.
Une enquête bisannuelle des Nations unies permet de comparer les pays entre eux et de mesurer les progrès qu’ils ont accomplis, la dernière en date ayant eu lieu au printemps 2016.
LE DÉVELOPPEMENT DE COMPÉTENCES NATIONALES
Il s’agit de faire en sorte que la connectivité permette réellement de lutter contre la pauvreté1 en se transformant effectivement en emplois et en richesses pour le pays.
Cela implique non seulement de sensibiliser et de former la population, mais aussi de favoriser la création d’une industrie nationale du numérique, grâce à des politiques incitatives, des incubateurs, comme le CTIC de Dakar ou Sabotech de Conakry, une politique fiscale favorable au secteur TIC, des zones franches comme celle de Bassam en Côted’Ivoire, le développement du commerce électronique2, etc.
Un des maillons faibles fréquemment cité est l’accès des entreprises au financement3, auquel le numérique peut également contribuer.
L’administration s’efforce presque partout de construire un intranet gouvernemental, permettant de relier les écoles et les centres administratifs de la capitale et de l’intérieur des terres.
© KARELNOPPE / SHUTTERSTOCK.COM
LE NUMÉRIQUE CONTRE LA CORRUPTION
Les vertus du numérique sont irremplaçables pour sécuriser les recettes de l’État et lutter contre la corruption.
En effet, on rencontre assez fréquemment des situations où le numérique est rejeté car la télédéclaration et le télépaiement permettraient une transparence et une traçabilité qui n’arrangeraient pas certains acteurs en place, qui profitent d’un système d’impôts à trois niveaux : l’impôt nominal, fixé par la loi de finances et le code des impôts, que presque personne ne paye ; l’impôt effectivement versé, souvent inférieur, à la suite d’une négociation entre le fonctionnaire chargé du recouvrement et le contribuable ; et enfin l’impôt effectivement perçu par l’État qui correspond à ce que le fonctionnaire déclare avoir perçu, et qui peut être significativement différent de l’impôt payé.
Il n’est pas facile de sortir de telles situations, car il faudrait diminuer l’impôt théorique, dont le taux est insupportable pour les contribuables et relever les salaires des fonctionnaires, en leur donnant une part des suppléments de recettes perçus par l’État ainsi qu’une confiance dans l’avenir et dans les institutions.
CROWDFUNDING
Il demeure cependant un equity gap, c’est-à-dire une carence de produits financiers pour couvrir les besoins en financement des PME pour des montants unitaires de l’ordre de 10 000 €, trop grands pour le microcrédit et trop petits pour des fonds d’investissement.
Là encore, le numérique contribue à pallier ce manque, grâce à l’émergence de sociétés de financements participatifs ou crowdfunding, qui permettent aux investisseurs, et notamment à la diaspora africaine, d’investir dans des start-ups africaines.
Outre les sociétés généralistes bien connues5, certaines entreprises de financement sont spécialisées sur l’Afrique, comme l’indiquaient RFI et les intervenants du forum Anzisha6 : Afrikwity, CoFundy dédiée à l’Afrique du Nord, Its About My Africa, LelapaFund, Smala&Co, entreprise de la diaspora tunisienne, Jump Start Africa, entreprise californienne disposant d’une partie de site en français.
DÉPASSER UN FILTRE NÉGATIF
Les Français ignorent souvent que beaucoup des Africains que nous croisons en France sont issus de l’intelligentsia africaine, et qu’il y a parmi eux des personnalités talentueuses, de grande culture et inventives. © RICCARDO NIELS MAYER / FOTOLIA.COM
J’aimerais partager une prise de conscience à propos des Africains que nous croisons en France. Leurs habitudes culturelles et leur pauvreté7 leur valent un certain mépris de la société, pourtant les Français ignorent souvent que beaucoup d’entre eux sont issus de l’intelligentsia africaine, et qu’il y a parmi eux des personnalités talentueuses, de grande culture et inventives.
Il nous faut donc dépasser l’espèce de filtre négatif, dénué de curiosité et d’attrait, avec lequel nous regardons souvent nos concitoyens africains, de toutes latitudes, pour savoir s’intéresser aux trésors d’intelligence, de créativité et de volonté de réussir qu’ils recèlent du fait même de leur situation, sans compter l’ouverture qu’ils représentent sur les Afriques, du Nord et du Sud, de l’Ouest et de l’Est, qui renferment des trésors de diversité et d’opportunité.
De quoi changer notre regard.
RELIER LE NORD AU SUD
Je suis persuadé que les entreprises du Nord qui noueront des partenariats avec des entreprises du Sud auront plus de chances que les autres de réussir.
C’est sur cette conviction que j’ai conçu l’Alliance franco-tunisienne pour le numérique, grande sœur de l’Alliance franco-ivoirienne pour le numérique, et que j’ai choisi pour mon entreprise de réinvestir 10 % à 20 % de mon chiffre d’affaires en Afrique, sur des projets éthiques.
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1. Rappelons que les Objectifs du millénaire pour le développement ont récemment laissé place aux Objectifs du développement durable.
2. Étude sur le commerce électronique en Afrique, avril 2016.
3. 70 % des PME africaines rencontreraient des difficultés à trouver du financement à long terme.
4. Des chiffres par pays sont en général publiés dans les rapports d’activité des régulateurs des télécommunications.
5. On peut notamment penser à Kisskissbankbank, Babyloan, parmi plusieurs centaines de sites référencés par the Soho Loft.
6. Colloque organisé deux ans de suite dans les locaux de l’X, par le Binet et le groupe X‑Afrique.
7. Cette pauvreté est en partie choisie car la plupart des Africains envoient chaque mois une partie de leurs revenus à leurs familles restées au pays.