Le parcours initiatique d’un amoureux de l’industrie

Dossier : Premier PasMagazine N°697 Septembre 2014
Par Olivier LARTIGUE (01)

J’avais sou­vent pen­sé à ma ren­trée en école d’ingénieurs, mais rare­ment à ce que j’y ferais. Je savais que je sou­hai­tais tra­vailler dans l’industrie, pro­ba­ble­ment en par­tie pour suivre le par­cours pater­nel, mais éga­le­ment parce que le côté concret des usines de pro­duc­tion me sédui­sait : voir des pro­duits sor­tir de chaîne, sen­tir cette valeur ajou­tée bien pal­pable devant soi, etc.

REPÈRES

Il n’existe pas de cursus idéal pour faire carrière dans l’industrie. Que faut-il apprendre ? Quelle est la formation indispensable pour y arriver ? Par la suite, la voie classique pour un jeune ingénieur embauché est de commencer soit sur un poste de chercheur (valorisant ses acquis scientifiques), soit au contact du terrain en supervisant le montage ou le démarrage d’une installation (profitant de la souplesse géographique d’un jeune collaborateur).

J’avais sui­vi année après année des cours scien­ti­fiques, des cours de langues, mais là, le che­min ne sem­blait plus du tout aus­si simple qu’auparavant. Je me disais que les matières scien­ti­fiques me per­met­traient de conti­nuer une sco­la­ri­té inté­res­sante, tout en m’ouvrant des portes dans de grands groupes industriels.

J’ai choi­si de suivre les cours de chi­mie et de bio­lo­gie, sim­ple­ment par goût.

Compléter les cours scientifiques

S’INVESTIR DANS LES ASSOCIATIONS

Parallèlement aux cours de l’École, j’ai eu la chance de m’investir dans différentes associations aux objectifs très variés. Les deux qui m’ont le plus marqué et servi aujourd’hui sont sans aucun doute la Khômiss et le Ski Club.
Simple missaire dans la première, j’ai eu la chance d’être président dans la seconde, qui faisait partie des rares associations loi de 1901, avec un budget assez considérable pour une association d’École. L’organisation de séjours à la neige sous différents formats m’a appris, mieux que mes cours, à encadrer une équipe, gérer un budget et tenir des objectifs.

Quand les temps sur le Pla­teau ont dû prendre fin, je me suis orien­té vers l’École natio­nale des ponts et chaus­sées (ENPC), dont une filière m’intéressait tant pour les études envi­ron­ne­men­tales que pour les sujets d’urbanisme.

De plus, l’ENPC pro­po­sait pas mal de cours annexes sur la finance, le juri­dique, etc., qui com­plé­taient de façon inté­res­sante les cours plus scien­ti­fiques pro­po­sés à l’X.

Découvrir une entreprise

Si mon stage scien­ti­fique m’a per­mis de savoir que je ne vou­lais pas faire de recherche, mon stage de fin d’études m’a beau­coup ser­vi puisque je suis depuis ce temps dans la même entre­prise : Air liquide. Cela fait huit ans que je suis sor­ti de l’ENPC et je viens d’entamer mon qua­trième poste.

Lorsque je cher­chais un stage de fin d’études, mes prin­ci­paux cri­tères étaient qu’il soit à l’étranger et en industrie.

“ Apprendre en quoi consiste concrètement le métier d’ingénieur ”

Natu­rel­le­ment, cer­tains domaines me ten­taient plus que d’autres (la chi­mie, la bio­lo­gie ou les éner­gies) mais ce qui me tar­dait en tant que jeune ingé­nieur presque diplô­mé, c’était sur­tout de décou­vrir une entre­prise et d’apprendre en quoi consis­tait concrè­te­ment le métier d’ingénieur.

Car – et c’est ce qui m’a le plus mar­qué lors de ces années d’École – jamais je n’avais pu obte­nir de réponse à cette ques­tion simple : « Que fait un ingé­nieur en entre­prise ? » À un jeune ingé­nieur qui me pose­rait la ques­tion aujourd’hui je ne sau­rais répondre que ceci : « Plein de choses. »

Travailler avec les commerciaux

J’ai com­men­cé mon stage de fin d’études à Dal­las sur une étude de mar­ché sur les pho­to­vol­taïques : il s’agissait de déter­mi­ner le poten­tiel de ce mar­ché pour l’utilisation des gaz purs ven­dus par Air liquide. En paral­lèle, j’étudiais la pos­si­bi­li­té de démé­na­ger un centre de condi­tion­ne­ment de sol­vants pour déve­lop­per la clien­tèle potentielle.

Après deux mois sur les six pré­vus, mes sujets étaient clos : conclu­sions néga­tives sur le pre­mier sujet, coûts d’investissements trop éle­vés sur le second.

Ma chance a été que, suite à une série d’événements météo­ro­lo­giques extrêmes (Rita et Kate­ri­na), les rup­tures d’approvisionnement concentrent l’attention d’une bonne par­tie de mes effec­tifs ; cela m’a four­ni l’occasion de me recy­cler dans les études finan­cières pour la vente d’usines « stan­dard » (c’est-à- dire pré­di­men­sion­nées, par oppo­si­tion aux usines conçues sur mesure pour un client).

Ce poste m’a été très béné­fique car il m’a per­mis de tra­vailler direc­te­ment avec les com­mer­ciaux et les équipes tech­niques, alors que mes sujets de départ me lais­saient plus seul dans mon bureau.

C’est en tou­chant à tous les domaines que j’ai com­pris en quoi consis­tait le métier d’ingénieur.

Valoriser son diplôme

Après six mois, Air liquide a pro­po­sé de m’embaucher sur place. Je pré­fé­rais quant à moi ren­trer en France pour valo­ri­ser mon diplôme et retrou­ver celle qui devait deve­nir ma femme. Six mois étaient du reste suf­fi­sants pour appré­cier les charmes de Dallas.

JONGLER AVEC LES SECOURS

Mon premier chantier m’a le plus marqué, car cela a été sans doute le plus gros. Nous reprenions la production d’air dans un centre hospitalier universitaire (CHU). Nous devions installer un premier système provisoire pour permettre à la concurrence de débrancher sa production, puis assembler notre production finale incluant un double système de secours, le tout sans occasionner le moindre arrêt pour l’ensemble de l’hôpital.
Tout avait été bien paramétré mais nous n’avions pas prévu les températures élevées de l’été 2006 qui ont régulièrement bloqué les systèmes de compression automatique, nous forçant à jongler en continu avec les systèmes de secours.

Heu­reu­se­ment, l’entreprise tenait à me gar­der. J’ai pas­sé des entre­tiens dans plu­sieurs branches : la recherche, l’ingénierie et la san­té. Je n’avais pas la fibre de la recherche, et n’étais pas ren­tré en France pour repar­tir aus­si­tôt. Néan­moins, j’avais une réelle envie d’être sur le ter­rain et de voir les choses s’assembler, se construire puis fonctionner.

La branche san­té m’a alors pro­po­sé un poste qui satis­fai­sait com­plè­te­ment mes attentes : chef de pro­jet ins­tal­la­tion et ser­vices. Le titre est long, la liste des objec­tifs l’est encore plus. À par­tir de l’appel d’offres d’un client, j’étais res­pon­sable du cal­cul des débits, du dimen­sion­ne­ment des équi­pe­ments, de l’étude des coûts, de la vali­da­tion de l’investissement, de la pro­po­si­tion tech­nique au client, de l’approvisionnement, des com­mandes de ser­vices, des demandes d’utilités au client, du plan­ning, de la coor­di­na­tion, de la sécu­ri­té sur site, du sui­vi du chan­tier et de la récep­tion finale par le client.

Ce poste très com­plet me per­met­tait de suivre de A à Z des pro­jets petits mais variés. Le plus moti­vant était de se dire qu’au bout de la chaîne il y avait un patient : nous devions faire vite et bien, sans réper­cus­sion aucune sur le tra­vail de l’hôpital ou de la clinique.

Apprendre toujours apprendre

Après deux ans dans la san­té, je com­men­çais à bien connaître nos pro­duits, nos clients et mes col­la­bo­ra­teurs. J’étais fati­gué des allers retours entre Paris et Lyon chaque week-end. Je me suis donc ren­sei­gné pour trou­ver un poste à Paris.

“ Comprendre, communiquer, fédérer une équipe ”

La voie qui m’intéressait le plus était celle de l’ingénierie. Je vou­lais voir com­ment d’une simple demande client, on arrive à construire une usine de pro­duc­tion de gaz pour satis­faire les besoins tou­jours uniques des clients.

On m’a pro­po­sé trois postes dif­fé­rents. J’ai sur­pris pas mal de monde par mon choix, car j’ai pris celui des trois qui était consi­dé­ré comme le moins pres­ti­gieux : ingé­nieur pro­jet à Cham­pi­gny-sur- Marne. J’estime aujourd’hui que cela a été un des meilleurs choix que j’aie faits dans ma car­rière. C’est sans doute le poste où je me suis le plus épa­noui. Il m’a per­mis d’utiliser mes connais­sances sco­laires pour com­prendre les métiers qui gra­vi­taient autour de moi et de déve­lop­per mes com­pé­tences de com­mu­ni­ca­tion pour fédé­rer une équipe. Je pro­fite encore aujourd’hui de ces enseignements.

Coordonner les métiers techniques

J’ai donc com­men­cé mon poste en adjoint sur un pro­jet d’usine de sépa­ra­tion de l’air pour pro­duire de l’azote, oxy­gène et argon en Alle­magne et au Portugal.

Mon rôle consis­tait à coor­don­ner les métiers tech­niques pour que cha­cun puisse avan­cer en temps et en heure dans la réa­li­sa­tion de l’usine. Ce que je trouve pas­sion­nant dans la coor­di­na­tion, c’est que les objec­tifs sont défi­nis mais qu’il y a autant de moyens de les atteindre que de coordinateurs.

J’ai tra­vaillé deux ans à ce poste et accu­mu­lé une somme impor­tante de connais­sances sur les dif­fé­rents métiers tech­niques de l’ingénierie : le monde mys­té­rieux du pro­cess, la lec­ture des sché­mas d’usines, la concep­tion des équi­pe­ments sous pres­sion, etc.

“ De nouvelles compétences sur la relation avec les clients ”

Voir évo­luer un modèle 3D où de simples tuyaux deviennent un assem­blage com­plexe, com­prendre les sys­tèmes de contrôle et de pilo­tage auto­ma­tique, revoir mes anciennes leçons d’électricité, conce­voir une usine qui com­mence 15 mètres sous le sol et finit à 40 mètres de hauteur.

Enfin voir le tout s’assembler comme un Lego (si tout va bien) et vivre au rythme des besoins des dif­fé­rentes équipes, entre les déci­sions très réflé­chies des bureaux et les réponses très urgentes des sites.

C’est en tou­chant à tous ces domaines que j’ai vrai­ment com­pris en quoi consis­tait le métier d’ingénieur. S’il est vrai que nous avons appris beau­coup de choses dans nos études, le pre­mier effort à four­nir en com­men­çant sur un poste est d’accepter que l’on ne sait pas grand-chose et que tous les spé­cia­listes et experts de l’ingénierie ont beau­coup à nous apprendre. La capa­ci­té d’un ingé­nieur est alors non pas de savoir la solu­tion mais de savoir où la trou­ver, vers qui se tour­ner, pour pro­gres­si­ve­ment gagner en indépendance.

On nous a appris avant tout à accu­mu­ler des connais­sances pour les syn­thé­ti­ser et prendre des déci­sions sur cette base.

Être chef

LES DEVOIRS DU CHEF

Si être le maître à bord est souvent gratifiant, il ne faut pas oublier ce qui va avec : prendre des décisions, les défendre et en assumer les conséquences, bonnes ou mauvaises. Si elles sont bonnes, c’est normal ; si elles sont mauvaises (et cela peut se voir longtemps après), il faut trouver une autre solution.
On ne peut pas reprocher à un chef de projet d’avoir pris une mauvaise décision (souvent le fruit d’une discussion collégiale avec des experts) mais on lui demande de savoir quels sont les risques, les moyens de contrôle et d’avoir l’honnêteté de prévenir si besoin la hiérarchie et les parties concernées.

Après deux ans, par oppor­tu­ni­té et par envie, j’ai grim­pé d’un éche­lon pour pas­ser chef de pro­jet sur le pro­jet que je sui­vais déjà depuis deux ans et qui avait été pro­gres­si­ve­ment déca­lé suite à la crise de 2009. Ce poste ne me sépa­rait pas tota­le­ment de la par­tie tech­nique (dont j’avais tou­jours le goût) mais m’offrait l’opportunité d’acquérir de nou­velles com­pé­tences sur la rela­tion client, le pilo­tage de la chaîne d’approvisionnement et le contrôle de projet.

Je pour­sui­vais donc mes deux pro­jets, en adjoint sur le pro­jet alle­mand et en lea­der sur le pro­jet por­tu­gais. Mal­gré tous les aléas, les deux pro­jets ont été ache­vés aux dates conve­nues et satis­font aujourd’hui lar­ge­ment aux per­for­mances demandées.

Relever les défis

Cette nou­velle oppor­tu­ni­té est un grand chan­ge­ment : chan­ge­ment de pays, chan­ge­ment de métier, etc.

Je suis depuis six mois pro­ject pro­cu­re­ment direc­tor en Alle­magne. En bref, je suis res­pon­sable, sur de très gros pro­jets, du fonc­tion­ne­ment et de la coor­di­na­tion de tous les métiers de la chaîne d’approvisionnement : achats, sui­vi des com­mandes, ins­pec­tions et transports.

Si être chef de pro­jet m’a per­mis de com­prendre le fonc­tion­ne­ment des pro­jets, des clients et des contrats, ce nou­veau poste me donne une visi­bi­li­té bien plus grande. Les pro­jets dans le centre alle­mand sont bien plus impor­tants et plus cri­tiques pour Air liquide. Mon rôle et mes déci­sions ont un impact sur mon équipe mais éga­le­ment sur les résul­tats de mon entité.

Je dois rele­ver des défis plus ris­qués, mais c’est tout l’intérêt d’être ingénieur.

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