Le parcours initiatique d’un amoureux de l’industrie
J’avais souvent pensé à ma rentrée en école d’ingénieurs, mais rarement à ce que j’y ferais. Je savais que je souhaitais travailler dans l’industrie, probablement en partie pour suivre le parcours paternel, mais également parce que le côté concret des usines de production me séduisait : voir des produits sortir de chaîne, sentir cette valeur ajoutée bien palpable devant soi, etc.
REPÈRES
Il n’existe pas de cursus idéal pour faire carrière dans l’industrie. Que faut-il apprendre ? Quelle est la formation indispensable pour y arriver ? Par la suite, la voie classique pour un jeune ingénieur embauché est de commencer soit sur un poste de chercheur (valorisant ses acquis scientifiques), soit au contact du terrain en supervisant le montage ou le démarrage d’une installation (profitant de la souplesse géographique d’un jeune collaborateur).
J’avais suivi année après année des cours scientifiques, des cours de langues, mais là, le chemin ne semblait plus du tout aussi simple qu’auparavant. Je me disais que les matières scientifiques me permettraient de continuer une scolarité intéressante, tout en m’ouvrant des portes dans de grands groupes industriels.
J’ai choisi de suivre les cours de chimie et de biologie, simplement par goût.
Compléter les cours scientifiques
S’INVESTIR DANS LES ASSOCIATIONS
Parallèlement aux cours de l’École, j’ai eu la chance de m’investir dans différentes associations aux objectifs très variés. Les deux qui m’ont le plus marqué et servi aujourd’hui sont sans aucun doute la Khômiss et le Ski Club.
Simple missaire dans la première, j’ai eu la chance d’être président dans la seconde, qui faisait partie des rares associations loi de 1901, avec un budget assez considérable pour une association d’École. L’organisation de séjours à la neige sous différents formats m’a appris, mieux que mes cours, à encadrer une équipe, gérer un budget et tenir des objectifs.
Quand les temps sur le Plateau ont dû prendre fin, je me suis orienté vers l’École nationale des ponts et chaussées (ENPC), dont une filière m’intéressait tant pour les études environnementales que pour les sujets d’urbanisme.
De plus, l’ENPC proposait pas mal de cours annexes sur la finance, le juridique, etc., qui complétaient de façon intéressante les cours plus scientifiques proposés à l’X.
Découvrir une entreprise
Si mon stage scientifique m’a permis de savoir que je ne voulais pas faire de recherche, mon stage de fin d’études m’a beaucoup servi puisque je suis depuis ce temps dans la même entreprise : Air liquide. Cela fait huit ans que je suis sorti de l’ENPC et je viens d’entamer mon quatrième poste.
Lorsque je cherchais un stage de fin d’études, mes principaux critères étaient qu’il soit à l’étranger et en industrie.
“ Apprendre en quoi consiste concrètement le métier d’ingénieur ”
Naturellement, certains domaines me tentaient plus que d’autres (la chimie, la biologie ou les énergies) mais ce qui me tardait en tant que jeune ingénieur presque diplômé, c’était surtout de découvrir une entreprise et d’apprendre en quoi consistait concrètement le métier d’ingénieur.
Car – et c’est ce qui m’a le plus marqué lors de ces années d’École – jamais je n’avais pu obtenir de réponse à cette question simple : « Que fait un ingénieur en entreprise ? » À un jeune ingénieur qui me poserait la question aujourd’hui je ne saurais répondre que ceci : « Plein de choses. »
Travailler avec les commerciaux
J’ai commencé mon stage de fin d’études à Dallas sur une étude de marché sur les photovoltaïques : il s’agissait de déterminer le potentiel de ce marché pour l’utilisation des gaz purs vendus par Air liquide. En parallèle, j’étudiais la possibilité de déménager un centre de conditionnement de solvants pour développer la clientèle potentielle.
Après deux mois sur les six prévus, mes sujets étaient clos : conclusions négatives sur le premier sujet, coûts d’investissements trop élevés sur le second.
Ma chance a été que, suite à une série d’événements météorologiques extrêmes (Rita et Katerina), les ruptures d’approvisionnement concentrent l’attention d’une bonne partie de mes effectifs ; cela m’a fourni l’occasion de me recycler dans les études financières pour la vente d’usines « standard » (c’est-à- dire prédimensionnées, par opposition aux usines conçues sur mesure pour un client).
Ce poste m’a été très bénéfique car il m’a permis de travailler directement avec les commerciaux et les équipes techniques, alors que mes sujets de départ me laissaient plus seul dans mon bureau.
C’est en touchant à tous les domaines que j’ai compris en quoi consistait le métier d’ingénieur.
Valoriser son diplôme
Après six mois, Air liquide a proposé de m’embaucher sur place. Je préférais quant à moi rentrer en France pour valoriser mon diplôme et retrouver celle qui devait devenir ma femme. Six mois étaient du reste suffisants pour apprécier les charmes de Dallas.
JONGLER AVEC LES SECOURS
Mon premier chantier m’a le plus marqué, car cela a été sans doute le plus gros. Nous reprenions la production d’air dans un centre hospitalier universitaire (CHU). Nous devions installer un premier système provisoire pour permettre à la concurrence de débrancher sa production, puis assembler notre production finale incluant un double système de secours, le tout sans occasionner le moindre arrêt pour l’ensemble de l’hôpital.
Tout avait été bien paramétré mais nous n’avions pas prévu les températures élevées de l’été 2006 qui ont régulièrement bloqué les systèmes de compression automatique, nous forçant à jongler en continu avec les systèmes de secours.
Heureusement, l’entreprise tenait à me garder. J’ai passé des entretiens dans plusieurs branches : la recherche, l’ingénierie et la santé. Je n’avais pas la fibre de la recherche, et n’étais pas rentré en France pour repartir aussitôt. Néanmoins, j’avais une réelle envie d’être sur le terrain et de voir les choses s’assembler, se construire puis fonctionner.
La branche santé m’a alors proposé un poste qui satisfaisait complètement mes attentes : chef de projet installation et services. Le titre est long, la liste des objectifs l’est encore plus. À partir de l’appel d’offres d’un client, j’étais responsable du calcul des débits, du dimensionnement des équipements, de l’étude des coûts, de la validation de l’investissement, de la proposition technique au client, de l’approvisionnement, des commandes de services, des demandes d’utilités au client, du planning, de la coordination, de la sécurité sur site, du suivi du chantier et de la réception finale par le client.
Ce poste très complet me permettait de suivre de A à Z des projets petits mais variés. Le plus motivant était de se dire qu’au bout de la chaîne il y avait un patient : nous devions faire vite et bien, sans répercussion aucune sur le travail de l’hôpital ou de la clinique.
Apprendre toujours apprendre
Après deux ans dans la santé, je commençais à bien connaître nos produits, nos clients et mes collaborateurs. J’étais fatigué des allers retours entre Paris et Lyon chaque week-end. Je me suis donc renseigné pour trouver un poste à Paris.
“ Comprendre, communiquer, fédérer une équipe ”
La voie qui m’intéressait le plus était celle de l’ingénierie. Je voulais voir comment d’une simple demande client, on arrive à construire une usine de production de gaz pour satisfaire les besoins toujours uniques des clients.
On m’a proposé trois postes différents. J’ai surpris pas mal de monde par mon choix, car j’ai pris celui des trois qui était considéré comme le moins prestigieux : ingénieur projet à Champigny-sur- Marne. J’estime aujourd’hui que cela a été un des meilleurs choix que j’aie faits dans ma carrière. C’est sans doute le poste où je me suis le plus épanoui. Il m’a permis d’utiliser mes connaissances scolaires pour comprendre les métiers qui gravitaient autour de moi et de développer mes compétences de communication pour fédérer une équipe. Je profite encore aujourd’hui de ces enseignements.
Coordonner les métiers techniques
J’ai donc commencé mon poste en adjoint sur un projet d’usine de séparation de l’air pour produire de l’azote, oxygène et argon en Allemagne et au Portugal.
Mon rôle consistait à coordonner les métiers techniques pour que chacun puisse avancer en temps et en heure dans la réalisation de l’usine. Ce que je trouve passionnant dans la coordination, c’est que les objectifs sont définis mais qu’il y a autant de moyens de les atteindre que de coordinateurs.
J’ai travaillé deux ans à ce poste et accumulé une somme importante de connaissances sur les différents métiers techniques de l’ingénierie : le monde mystérieux du process, la lecture des schémas d’usines, la conception des équipements sous pression, etc.
“ De nouvelles compétences sur la relation avec les clients ”
Voir évoluer un modèle 3D où de simples tuyaux deviennent un assemblage complexe, comprendre les systèmes de contrôle et de pilotage automatique, revoir mes anciennes leçons d’électricité, concevoir une usine qui commence 15 mètres sous le sol et finit à 40 mètres de hauteur.
Enfin voir le tout s’assembler comme un Lego (si tout va bien) et vivre au rythme des besoins des différentes équipes, entre les décisions très réfléchies des bureaux et les réponses très urgentes des sites.
C’est en touchant à tous ces domaines que j’ai vraiment compris en quoi consistait le métier d’ingénieur. S’il est vrai que nous avons appris beaucoup de choses dans nos études, le premier effort à fournir en commençant sur un poste est d’accepter que l’on ne sait pas grand-chose et que tous les spécialistes et experts de l’ingénierie ont beaucoup à nous apprendre. La capacité d’un ingénieur est alors non pas de savoir la solution mais de savoir où la trouver, vers qui se tourner, pour progressivement gagner en indépendance.
On nous a appris avant tout à accumuler des connaissances pour les synthétiser et prendre des décisions sur cette base.
Être chef
LES DEVOIRS DU CHEF
Si être le maître à bord est souvent gratifiant, il ne faut pas oublier ce qui va avec : prendre des décisions, les défendre et en assumer les conséquences, bonnes ou mauvaises. Si elles sont bonnes, c’est normal ; si elles sont mauvaises (et cela peut se voir longtemps après), il faut trouver une autre solution.
On ne peut pas reprocher à un chef de projet d’avoir pris une mauvaise décision (souvent le fruit d’une discussion collégiale avec des experts) mais on lui demande de savoir quels sont les risques, les moyens de contrôle et d’avoir l’honnêteté de prévenir si besoin la hiérarchie et les parties concernées.
Après deux ans, par opportunité et par envie, j’ai grimpé d’un échelon pour passer chef de projet sur le projet que je suivais déjà depuis deux ans et qui avait été progressivement décalé suite à la crise de 2009. Ce poste ne me séparait pas totalement de la partie technique (dont j’avais toujours le goût) mais m’offrait l’opportunité d’acquérir de nouvelles compétences sur la relation client, le pilotage de la chaîne d’approvisionnement et le contrôle de projet.
Je poursuivais donc mes deux projets, en adjoint sur le projet allemand et en leader sur le projet portugais. Malgré tous les aléas, les deux projets ont été achevés aux dates convenues et satisfont aujourd’hui largement aux performances demandées.
Relever les défis
Cette nouvelle opportunité est un grand changement : changement de pays, changement de métier, etc.
Je suis depuis six mois project procurement director en Allemagne. En bref, je suis responsable, sur de très gros projets, du fonctionnement et de la coordination de tous les métiers de la chaîne d’approvisionnement : achats, suivi des commandes, inspections et transports.
Si être chef de projet m’a permis de comprendre le fonctionnement des projets, des clients et des contrats, ce nouveau poste me donne une visibilité bien plus grande. Les projets dans le centre allemand sont bien plus importants et plus critiques pour Air liquide. Mon rôle et mes décisions ont un impact sur mon équipe mais également sur les résultats de mon entité.
Je dois relever des défis plus risqués, mais c’est tout l’intérêt d’être ingénieur.