Le Plateau à vol d’oiseau : Petite chronique ornithologique platâlienne
Le Plateau de Palaiseau est riche d’une vie intellectuelle scientifique bouillonnante. Mais, pour qui sait la voir et l’entendre, une autre vie se dévoile, entre les arbres, aux alentours des bâtiments et aux abords du plan d’eau.
Dessins d’Eloïse Letournel (2017)
Les portes du RER s’ouvrent. Un panneau bleu indique clairement Lozère, tandis que l’École se glisse en petits caractères juste en-dessous. Un tunnel sous les voies ; une route à traverser ; une allée à emprunter. C’est une fatalité, il faut monter.
Promenons-nous
Un peu plus haut, un carrefour. De courtes marches s’élèvent sur un sentier étroit vers la gauche ; un chemin plus large et moins escarpé se glisse entre les arbres vers la droite. Bien évidemment, le raidillon mène plus rapidement au Platâl. Mais, pourquoi ne pas continuer un peu entre les arbres ? Pourquoi ne pas prendre le temps de découvrir ce dont les alentours de l’École regorgent ? Du vert, rien que du vert. Vingt minutes, ce n’est qu’un court délai pour prendre conscience de la richesse naturelle de notre campus. Faisons un détour.
Les hôtes de ces bois
Les hauts arbres qui bordent le plateau sont propices aux corvidés d’Île-de-France. Si corneilles et pies sont facilement visibles, il faut faire quelques pas à l’ombre des branches pour qu’un cri rauque et sonore trahisse la présence d’un troisième habitant, moins connu. Le Geai des chênes, Garrulus glandarius, est une autre espèce du groupe des corbeaux, relativement courante, qui affectionne les parcs des grandes villes. Farouche, il est fréquemment observé en vol, lorsqu’il fuit, alors que ses ailes déployées laissent apercevoir deux beaux miroirs bleus sur ses rémiges. Son cri d’alarme accompagne sa recherche d’un environnement plus serein, puis, à l’abri entre les feuilles, il surveille le passage de l’intrus.
Migrateurs par avion
Notre sentier débouche sur la route des Joncherettes. Il n’y a qu’un pas à faire pour pénétrer dans la forêt du même nom. Au sommet des chênes en lisière, de grands oiseaux verts s’affairent, dont la silhouette et le bec rouge crochu rappellent les climats tropicaux. Les Perruches à collier, Psittacula krameri, originaires d’Afrique et d’Asie équatoriales, se sont adaptées au continent européen en se répandant depuis les aéroports internationaux. Les premiers individus seraient issus de braconnage. Désormais, ces volatiles exotiques se sentent chez eux sous la pluie et dans le brouillard de Palaiseau.
Des équilibristes chamarrés
Dans des branches un peu plus basses, un Écureuil roux se mesure aux équilibristes sylvestres, amateurs d’escalade sur écorce : les pics et les grimpereaux. Pics verts et épeiches, ce dernier d’un plumage noir et blanc rehaussé d’une calotte rouge, habitent le bois des Joncherettes toute l’année. Ils sont aussi délicats à approcher que le geai, si bien qu’ils sont tous deux plus reconnaissables à leur cri d’alarme, qui résonne dans la forêt lorsqu’un promeneur les dérange.
Le Grimpereau des jardins, Certhia brachydactyla, est un autre acrobate des troncs, bien plus discret cependant. Au printemps, son chant doux et aigu révèle sa présence alors qu’il se nourrit d’insectes vivant dans les écorces. Malin, il n’est pas simple à observer. Dès qu’il se sent épié, il se plaît à faire le tour du tronc afin de rester toujours hors de portée de l’observateur. Tenter de se déplacer pour ne pas le perdre de vue devient bien vite un gag de cartoon, dans lequel Tom poursuit Jerry autour d’un arbre. Nul ne sert de s’entêter, ce petit volatile brun est sur son territoire. Passons notre chemin.
Ô temps ! Suspends ton vol
Les chemins forestiers éclairés par des rais de lumière se faufilant parmi les ramures mènent au rond-point d’entrée de l’École polytechnique. De là, une voie carrossable conduit plein ouest aux abords du lac, généreusement coloré d’une teinte rose lorsque le crépuscule approche. Tant qu’il demeure de la lumière, une svelte silhouette blanche surveille la surface de l’eau. Soudain, elle se fige en l’air, en vol stationnaire frénétique. Elle pique, elle plonge, puis regagne les airs hors de l’onde, fière du poisson qu’elle vient de saisir. Ainsi pêche la Sterne pierregarin, Sterna hirundo, aussi poétiquement nommée hirondelle des mers. Habituée des zones portuaires et des lacs proches de la côte, la voir ainsi s’installer sur le lac de l’École est un signe très positif. Un couple a niché et élevé un petit cette année, avant de prendre son envol pour la migration hivernale, voyage qui le mènera dans l’autre hémisphère.
L’autre défilé aérien
Notre promenade s’achève de l’autre côté du plan d’eau, Cour des cérémonies, où le ciel doré d’un soir de septembre se peuple d’une foule de petits oiseaux turbulents : des Hirondelles rustiques, Hirundo rustica, qui se regroupent, elles aussi avant de migrer. Les jeux aériens constituent leur passe-temps favori. Leurs parades nuptiales donnent à voir de belles figures de voltige, et, la plupart du temps, ces agiles déplacements servent à attraper des proies en vol. Les hirondelles fendent les nuages de moucherons, dans l’espoir d’en gober un au passage. La douceur du crépuscule s’emplit de leur gazouillis délicat, tandis que les derniers rayons de soleil vivifient les reflets bleus de leur plumage. Bientôt, ce sera l’heure du départ.
Un écrin à découvrir
Que ce soit pour vingt minutes ou pour toute une journée, il est toujours possible de s’évader sur le chemin du Conscrit. Être installé en région parisienne dans un tel écrin de verdure est une réelle chance, qu’il faut savoir apprécier et protéger. Le premier pas est aisé, il suffit de s’émerveiller. Il suffit de lever les yeux pour prendre conscience de la vie qui nous entoure, et, surtout, de ne pas emprunter les chemins les plus courts.