Le praticien hospitalier
La formation du praticien hospitalier
Dans le cadre du CHU, il existe deux statuts de praticien hospitalier :
- le praticien hospitalier salarié par l’hôpital est un fonctionnaire titulaire des collectivités locales ou régionales dont dépend l’hôpital. Son activité est prioritairement une activité de soins, le plus souvent associée à une activité de recherche clinique ;
- le praticien hospitalier fonctionnaire d’État, salarié par l’Éducation nationale en tant que professeur ou maître de conférences des universités exerce officiellement à mi-temps une activité de praticien hospitalier à l’hôpital universitaire. À ce titre il reçoit de l’hôpital une indemnité qui, en raison du non-cumul des salaires dans la fonction publique, ne sera pas prise en compte pour la retraite bien qu’elle représente environ la moitié du revenu.
La titularisation en tant que praticien hospitalier n’intervient généralement qu’entre 35 et 45 ans. Auparavant le candidat a dû accomplir le cursus des études médicales avec le concours très sélectif (en moyenne un candidat reçu sur huit) organisé à la fin de la première année du premier cycle d’études médicales (PCEM1) et qui a demandé en réalité, pour plus de 90 % d’entre eux, deux années de préparation intense.
Après les deux années du premier cycle consacrées principalement aux matières dites fondamentales (anatomie, biophysique, biochimie, histo-embryologie, biologie, physiologie) l’étudiant entre dans un deuxième cycle de quatre années (DCEM1 à DCEM4). Il consacre ses matinées à l’hôpital, les cours étant regroupés sur les après-midi. S’il envisage une carrière hospitalière ou de spécialité, il devra préparer durant le deuxième cycle le concours de l’internat qui lui permettra d’effectuer le troisième cycle d’études médicales.
L’interne des hôpitaux est un médecin spécialiste en formation. Il commence à soigner et prescrire des examens ou des traitements, sous la responsabilité du chef du service dans lequel il exerce. Après la soutenance de sa thèse de doctorat d’État en médecine, il pourra demander sa qualification au Conseil de l’ordre des médecins.
Au terme de l’internat (quatre ou cinq années), le médecin spécialiste a la possibilité, en fonction des places disponibles, de demander un poste de chef de clinique des universités – assistant des hôpitaux (CCA), pour une durée de deux ans renouvelable deux ans. Il obtient alors son premier poste hospitalo-universitaire.
En tant que chef de clinique il est responsable de la formation au lit du malade des étudiants hospitaliers du deuxième cycle. En tant qu’assistant des hôpitaux, il supervise le travail des internes et effectue généralement deux fois par semaine la visite avec eux. Il assure également quelques enseignements dirigés l’après-midi dans le cadre de l’enseignement de la faculté. S’il envisage de poursuivre une carrière hospitalière, il doit encore trouver le temps pendant son clinicat, s’il ne l’a déjà fait durant son internat, de s’initier à la recherche en obtenant un DEA. Il pourra alors prendre en charge une activité de recherche et écrire les publications qui seront d’un grand poids lors du concours à un poste titulaire de praticien hospitalier.
À la fin de son clinicat, le médecin peut en effet décider de concourir au poste de praticien hospitalier. Nombreux sont les candidats et rares sont les élus. S’agissant d’un concours sur titres, il importe surtout au candidat de montrer, par son enseignement, par ses compétences hospitalières, par ses publications de recherche, qu’il est indispensable au bon fonctionnement de l’institution dans laquelle il sera amené à travailler.
Il faut de plus qu’un poste soit disponible, ce qui amènera le plus souvent le candidat à devoir attendre encore en moyenne deux à quatre ans en allant compléter sa formation à l’étranger (généralement avec une bourse de recherche) ou en se contentant d’un statut hospitalier très provisoire (vacataire hospitalier à plein temps). La rémunération de ce dernier type de poste (moins de 15 000 F nets par mois) est dérisoire eu égard au niveau d’études et de compétences de la personne.
Les missions du praticien hospitalier
La mission essentielle du praticien hospitalier est une mission de soins qui ne peut être dissociée d’une mission de recherche et d’une mission d’enseignement.
La mission de soins comprend l’activité de soins auprès des patients hospitalisés dans le service et l’activité de consultation auprès des patients externes. L’objet de l’activité de soins est différent suivant la situation : il peut s’agir d’établir le diagnostic précis d’une maladie, d’en réaliser un bilan régulier, d’effectuer un traitement particulier, de remédier à une situation d’urgence.
Pour réaliser sa mission le praticien hospitalier n’est pas isolé, car il participe à une équipe dont la hiérarchie, même si elle peut être ressentie de façon plus ou moins lourde, rend plus improbable l’erreur humaine. Il peut de plus aisément bénéficier de l’avis d’équipes de spécialités différentes.
C’est dans sa mission de soins, me semble-t-il, que le praticien hospitalier apprécie au mieux la véritable richesse de sa profession. Même si les motivations peuvent être très différentes d’un praticien à l’autre, la motivation essentielle reste pour la plupart la relation singulière qui s’établit entre patient et médecin, relation enrichie à l’hôpital par les liens souvent profonds qui unissent tous les membres d’une même équipe soignante.
S’il est habituel de voir dans la relation patient-médecin, lorsqu’elle est réussie, un signe de la vocation du médecin à aider et soulager son prochain, il me semble devoir également insister sur la réciprocité de l’aide : c’est souvent parce qu’un individu ressent au fond de lui-même l’importance fondamentale et l’absolue nécessité pour s’épanouir personnellement de tisser des liens qu’il choisit une profession à caractère humaniste comme la médecine.
L’hôpital public a une mission de recherche clinique à laquelle tout praticien hospitalier se doit de participer. L’environnement hospitalo-universitaire est un contexte particulièrement incitatif à plusieurs titres : un CHU abrite des services d’excellence ayant bâti leur réputation sur un domaine précis de pathologies dans lequel ils disposent d’un recrutement très large propice à l’évaluation de nouvelles thérapeutiques ; un CHU abrite généralement, en plus des laboratoires universitaires dont les moyens matériels sont notoirement insuffisants, plusieurs unités dépendant d’organismes publics de recherche biologique ou médicale, en particulier des unités de l’INSERM ou du CNRS.
Ces unités apportent des moyens matériels et humains (chercheurs, ingénieurs, techniciens, administrateurs) importants. Nombre d’unités INSERM ou d’équipes de recherche travaillant dans ces unités sont d’ailleurs dirigées par un praticien hospitalier (et donc non statutaire de cet organisme). Les projets de recherche clinique nécessitent de plus en plus fréquemment la collaboration de plusieurs services d’un même hôpital ou d’hôpitaux différents et la collaboration d’unités de recherche. Par ailleurs les avancées technologiques dans le domaine biomédical, en particulier en ce qui concerne les équipements dits » lourds » (imagerie, hémodialyse), sont le plus souvent le fruit d’une étroite collaboration entre les services hospitaliers et l’industrie.
La mission d’enseignement de professeurs des universités-praticiens hospitaliers ou PU-PH, maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers ou MCU-PH consiste tout d’abord à assurer l’enseignement à la faculté pour les étudiants. Les professeurs sont chargés des cours magistraux tandis que les maîtres de conférences et les chefs de clinique sont chargés des enseignements dirigés.
La tendance pédagogique actuelle consiste à diminuer le nombre de cours magistraux et à les remplacer par des séances d’apprentissage (apprentissage au raisonnement clinique, apprentissage par problèmes) qui ne peuvent être effectuées qu’en petits groupes nécessitant chacun la présence d’un assistant. Le rôle du professeur devient primordial pour la coordination des thèmes des différentes séances et la supervision de leur réalisation.
Les praticiens hospitaliers qui côtoient les étudiants en stage dans leur service prennent naturellement plaisir à partager avec eux leur expérience, en particulier lors de séances de discussion de cas cliniques ou de séances de bibliographie : ce partage constitue d’ailleurs une forme interactive particulièrement efficace d’enseignement ou d’apprentissage.
Inquiétudes et préoccupations
Comme beaucoup d’autres le monde médical a considérablement évolué durant les dernières années. Mais les changements sont parfois source d’inquiétudes ou de préoccupations.
Une première préoccupation découle des contraintes budgétaires qui pèsent sur l’activité de soins. Un certain rationnement existe de fait, en rapport avec la maîtrise médicalisée des dépenses de santé : ce n’est pas nécessairement anormal, car la santé a un coût.
L’écoute du malade et l’intimité de la relation sont au cœur de l’activité de soins.
© ASSISTANCE PUBLIQUE-HÔPITAUX DE PARIS
Mais puisque la tendance actuelle est à la transparence, je souhaite également dire la souffrance morale du praticien hospitalier qui tend à perdre, pour des raisons économiques, sa liberté de prescrire le traitement qu’il croit le mieux adapté pour son patient : responsable de l’unité d’hémodialyse (rein artificiel) du service de néphrologie du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, je dois parfois diriger certains patients dont l’état de santé justifierait la continuité de la prise en charge dans un centre lourd d’hémodialyse vers une structure plus légère, moins adaptée parce que le nombre de postes d’hémodialyse en centre lourd est contingenté ou parce que les conditions matérielles proposées au personnel soignant de ces centres sont à l’origine de difficultés de recrutement.
Le temps de plus en plus important dévolu à des tâches administratives devient aussi une source d’inquiétude. Le praticien hospitalier est confronté à des tâches nouvelles qui lui semblent en dehors de l’exercice pour lequel il a été formé : justification d’un examen ou d’un traitement coûteux, codage des dossiers, participation à de multiples commissions, etc. Ce temps est nécessairement pris aux dépens du temps consacré au patient ou à l’équipe soignante.
Très absorbé par des tâches administratives qui n’ont rien à voir avec les longues études qu’il a suivies en faculté, dévalorisé sur le plan financier par rapport à ses collègues partis dans le secteur libéral, il ne reste souvent au praticien hospitalier pour reprendre confiance que la possibilité de dégager les deux demi-journées qui lui sont officiellement reconnues pour une éventuelle activité libérale. La médecine privée à l’hôpital reste pourtant, me semble-t-il, une anomalie : elle donne au mieux l’image d’une médecine à deux tarifs, au pire celle d’une médecine à deux vitesses.
Mais cette activité peut s’avérer indispensable, en particulier afin d’assurer une retraite décente puisque la retraite des praticiens de statut hospitalo-universitaire est calculée sur le seul revenu accordé par l’Éducation nationale. Et pour cette raison, je n’oserais parier moi-même ne jamais céder à ce type d’activité.
Praticien hospitalier et polytechnicien ?
Je souhaiterais terminer cet article par une vision plus personnelle de mon activité car beaucoup de lecteurs doivent se demander s’il y a un quelconque intérêt à dépenser au minimum quatre années de sa vie pour » faire » Polytechnique avant de » faire » sa médecine.
La formation reçue à Polytechnique ne saurait être considérée comme inutile par tout honnête homme, y compris par un futur médecin. Elle ne saurait non plus laisser indifférent : ce n’est pas tout à fait un hasard si j’ai choisi d’effectuer mon internat en néphrologie, spécialité concernée par les maladies rénales où la démarche diagnostique y est, plus que dans toute autre spécialité, particulièrement logique.
Praticien hospitalier en néphrologie, j’enseigne à l’université non pas la néphrologie mais la biophysique, discipline concernant tous les aspects de la physiologie et de la physiopathologie qui peuvent être expliqués à l’aide d’une démarche s’appuyant sur la physique. Enfin, mon activité de recherche concerne plus particulièrement les machines d’hémodialyse. Ma formation antérieure me semble avoir été adaptée pour devenir une interface, je l’espère utile, entre l’unité d’hémodialyse dont j’ai la responsabilité et les industriels qui conçoivent et développent les générateurs d’hémodialyse du futur…
Mais les données ont quelque peu changé depuis ma sortie de l’École, en particulier depuis l’introduction dans les années quatre-vingt de la biologie dans le programme d’enseignement. Cette introduction était une véritable révolution dans une école d’ingénieurs généralistes comme Polytechnique, et pourtant il est désormais parfaitement clair qu’une formation solide en sciences dites exactes (mathématiques, physique, chimie) et en informatique est indispensable pour aborder la biologie. La formation reçue à l’X semble bien un atout majeur pour débuter une carrière passionnante et fructueuse dans le champ des sciences du vivant et tout spécialement dans le domaine de la recherche fondamentale ou appliquée.
Cependant les études de médecine restent longues même si, depuis une dizaine d’années, l’ancien élève de l’X peut espérer être dispensé des deux premières années d’études. Entreprendre sa médecine après la sortie de l’École peut sembler un intervalle, voire une perte de temps particulièrement inutile à l’âge où l’ouverture et la souplesse de l’esprit sont des atouts considérables pour acquérir une formation à la recherche de haut niveau et espérer des résultats prometteurs.
Les perspectives de carrière sont bien plus attirantes aujourd’hui dans le monde de l’entreprise que dans celui de la médecine. Dans ces conditions, il semble évident qu’un jeune polytechnicien sera mieux valorisé dans un autre secteur.
Mais si le premier objectif d’un camarade est la rencontre singulière entre le patient et lui, médecin chargé de le soigner, alors pour lui comme pour moi, rien ne devra ni ne pourra l’empêcher de tenter cette extraordinaire aventure.
Il restera toujours que le médecin exerce le plus beau métier du monde : non vraiment, je ne regrette rien…