Le préfet maritime “l’amiral préfet”
Ils sont trois en France métropolitaine1 et nous les associons souvent dans notre mémoire à des noms qui ont fait la une de nos journaux au cours des dernières années : Erika, Prestige, Ievoli Sun2, East Sea3, Tricolor4… Mais leur quotidien est également fait de nombreuses interventions beaucoup moins spectaculaires. Jugez-en plutôt par l’exemple de cet extrait de carnet de route d’un préfet maritime pour la Manche et la mer du Nord.
- Contrôle et pression progressive sur le commandant et l’armateur d’un navire en difficulté5 mais qui ne veut pas l’avouer de peur de ne plus pouvoir maîtriser son programme. Sur une durée qui peut aller de quelques heures à plusieurs jours, il s’agit de montrer à tout bâtiment dont les routes et vitesses sortent des caractéristiques du transit normal que l’État français reste très vigilant et qu’il saura lui imposer – au besoin par la force – un comportement conforme à ses intérêts. Les moyens d’action possibles vont de l’interpellation à la prise en remorque d’autorité en passant par la visite d’évaluation et la mise en demeure.
- Sollicitations de familles de marins disparus en mer pour prolonger les recherches6. Une coopération du CROSS, du Centre des opérations de la marine de Cherbourg, du préfet maritime, du directeur départemental des Affaires maritimes, de la gendarmerie maritime, du procureur de la République, du Bureau des enquêtes et accidents de mer (BEA mer) du ministère des Transports permet de répondre au mieux et avec des moyens adaptés
- En dépit de l’interdiction qui lui est signifiée par le sémaphore de Barfleur, un chalutier rapporte à Port-en-Bessin une mine allemande de 1 000 kg datant de la dernière guerre récupérée dans ses filets. Une coopération entre le Centre des opérations de la marine de Cherbourg, le groupe des plongeurs démineurs de la marine à Cherbourg, la sous-préfecture de Bayeux, le maire et un armateur privé permet d’organiser en quelques heures l’évacuation d’une partie de la ville, la remise à l’eau de l’engin, son éloignement au large et sa neutralisation.
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Vedette des Affaires maritimes. MARINE NATIONALESauvetage et assistance à un petit ferry partant de Boulogne, tombant en panne complète d’énergie en sortant du port par 45 nœuds de vent et mouillé en catastrophe à quelques mètres des rochers. En moins de 90 minutes les passagers et une partie de l’équipage sont évacués par l’hélicoptère déployé par la Marine nationale à partir du Touquet. L’opération est conduite en étroite coopération avec le préfet du département et le préfet de la zone de défense Nord. Dans le cadre de l’accord franco-britannique MANCHEPLAN, un remorqueur de haute mer affrété par la Grande-Bretagne7 et un hélicoptère lourd Sea King de l’agence des garde-côtes britanniques sont présents sur zone en moins de deux heures pour poursuivre l’opération d’assistance.
- Constat d’infraction aux règles de la navigation dans le dispositif de séparation de trafic du Pas-de-Calais par un groupe d’une quinzaine de pêcheurs locaux. Un procès-verbal d’infraction est dressé. Quelques jours plus tard, le préfet maritime monte à Boulogne pour rencontrer les représentants des pêcheurs, leur exprimer un avertissement accompagné d’une petite médiatisation et d’une menace de sanction très sévère en cas de récidive.
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Vedette de la Gendarmerie maritime Elorn.
MARINE NATIONALE/S.-M. SEUROTDétection d’une pollution issue d’un déballastage volontaire réalisé par un navire en transit. En relation avec le Centre des opérations de la marine de Cherbourg, le CROSS fait réaliser un prélèvement d’eau pour analyse et réunir le maximum de preuves pour accompagner le procès-verbal d’infraction. Selon la réalité de la menace, il convient ensuite, en relation étroite avec les autorités territoriales, de mettre en œuvre une opération de surveillance de la pollution, de traitement et de communication vers le public.
- Une baleine morte de 30 tonnes s’échoue sur une plage de l’Ouest Cotentin, provoquant une nuisance très forte pour l’environnement. L’équarisseur local ne sait pas la prendre en charge. Une coopération entre le Centre des opérations de la marine, le groupe des plongeurs démineurs de la marine, le sous-préfet, la Société nationale de sauvetage en mer et un chalutier permet d’organiser en quelques heures le déséchouage de l’animal, son remorquage et sa » sublimation » au large par des procédés dont les démineurs ont le secret.
- Opposition d’organisations d’écologistes aux acheminements par voie de mer de combustible nucléaire retraité ou à retraiter localement. En relation très étroite avec le préfet du département, le préfet maritime monte une opération de maintien de l’ordre public en mer avec le concours des moyens de la Marine nationale et de la gendarmerie. Négociations pendant plusieurs jours pour éviter tout affrontement dangereux et une surenchère médiatique que souhaitent absolument éviter les autorités gouvernementales.
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Vedette de la SNSM. MARINE NATIONALE/M.-T. VEYRIERefus d’un commandant de port d’accueillir un navire ayant fait l’objet d’une opération d’assistance par le remorqueur Abeille Languedoc8 dans le très mauvais temps. Le préfet maritime intervient directement auprès du directeur général du port autonome pour faire accepter le navire dans son port.
- » Kidnapping » d’un inspecteur des pêches de Guernesey par un pêcheur de Bretagne Nord qui rentre à son port base. Le préfet maritime fait mettre en place une opération de récupération de l’inspecteur par hélicoptère en relation avec les autorités de Guernesey et le CROSS de Jobourg.
Etc., et pour être plus représentatif de l’ensemble des actions de nos préfets maritimes, il convient d’ajouter à cet inventaire les missions de lutte contre le trafic illicite de drogue, l’immigration clandestine ou le soutien au terrorisme international qui, jusqu’à présent, concernent plus particulièrement les zones maritimes Atlantique et Méditerranée, ainsi que le délégué du gouvernement aux Antilles.
Vedette des Douanes.
SIRPA/MARINE-PHOTO FRANCIS ROCHE-DOUANES
Urgentistes, négociateurs, garants du maintien de l’ordre public, réconfort de familles, gestionnaires de crises, policiers de nos routes maritimes, communicants, ils s’efforcent ainsi de faire cohabiter en sécurité – et en préservant les intérêts de nos régions maritimes – des acteurs dont les objectifs sont souvent divergents, dans un univers maritime encore très peu réglementé qui continue à être la propriété de tout le monde. Que représentent aujourd’hui ces préfets maritimes et que peuvent-ils devenir ?
Depuis les ordonnances de Charles V définissant en 1373 les fonctions de Jean de Vienne, amiral de France, certaines autorités maritimes ont toujours eu à exercer simultanément des responsabilités de défense militaire et civile. Cette organisation des pouvoirs en mer dans nos approches maritimes connaît deux grandes réorganisations depuis lors :
- Le 7 floréal de l’an VIII, soit près de deux mois et demi après la création du corps préfectoral par Napoléon9, un texte institue pour la première fois le préfet maritime » chargé de la sûreté des ports, de la protection de la côte… » À l’instar du préfet à terre, il a pour responsabilité d’asseoir l’autorité de l’État sur l’ensemble de nos approches maritimes.
- Dans le prolongement de quelques grandes pollutions maritimes comme celle de l’Amoco Cadiz, le décret du 9 mars 1978 formalise l’organisation des actions de l’État en mer. Il attribue à nos préfets maritimes la responsabilité de coordonner l’action opérationnelle de l’ensemble des moyens mis en œuvre par les différentes administrations de l’État intervenant en mer pour des missions de sécurité, de sûreté et de police administrative générale ne relevant pas directement d’autres administrations. Autorités à compétence interministérielle, ils rendent compte de leur action au Premier ministre, par l’intermédiaire de la Mission interministérielle de la mer. En 1979, ces mêmes responsabilités des préfets maritimes sont confiées outre-mer à des » délégués du gouvernement pour l’action de l’État en mer » choisis parmi des préfets ou des hauts-commissaires assistés par des officiers de marine commandants de zones maritimes. En 1995, la Mission interministérielle de la mer est remplacée par le Secrétariat général de la mer10.
Le patrouilleur Pluvier surveillant le site du naufrage du Tricolor. MARINE NATIONALE
Aujourd’hui le préfet maritime constitue un point fort de notre organisation. Il n’a pas d’équivalent en Europe11. Sa reconnaissance comme seul représentant du Premier ministre et de ses ministres pour exercer en mer le pouvoir de police administrative générale, réglementer, mettre en demeure, assurer la direction et la coordination des moyens de l’État d’une part, son expérience de marin d’autre part, lui permettent de s’imposer comme un interlocuteur naturel de tous les intervenants12. Dans la crise, il est le commandant indiscuté de l’opération maritime. Dans l’exercice de sa responsabilité locale de direction interministérielle il bénéficie de l’assistance de la chaîne de préparation et de conduite des opérations interarmées dont il est également un maillon important, sous la » casquette » du commandant militaire de la zone maritime.
Il s’appuie enfin sur l’ensemble des moyens d’action de l’État en mer, parmi lesquels on peut souligner plus particulièrement : les CROSS équipés par le ministère des Transports, les Centres d’opérations de la marine, les aéronefs de service public13 de la Marine nationale exerçant une alerte permanente, les moyens de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM)14, les remorqueurs de service public affrétés par la Marine nationale, les avions de détection de pollution mis en œuvre par l’Administration des douanes, les patrouilleurs de la gendarmerie maritime et toutes les compétences entretenues par les unités de la marine telles que plongeurs démineurs, commandos marine, bâtiments de la Flotte, sémaphores…
Une telle facilité confère à notre organisation une souplesse et une réactivité remarquables dans l’action. Elle présente néanmoins plusieurs imperfections à reprendre pour en faire une référence future au sein de l’Union européenne.
Bien conçu pour mobiliser rapidement une quantité importante de moyens aéronavals sous la direction unique des préfets maritimes afin de gérer des situations de crises, le dispositif actuel souffre néanmoins de trois faiblesses principales :
- il présente des capacités encore disparates, souvent peu complémentaires et interopérables, développées indépendamment pour les besoins spécifiques des administrations. Son efficacité n’est donc pas à la hauteur du potentiel que les administrations tiennent à la disposition des préfets maritimes et il montre des insuffisances notoires dans le cadre de la maîtrise d’événements de mer majeurs15 ;
- il n’est pas permanent et ne donne donc pas au préfet maritime la capacité suffisante de conduire des actions systématiques dans la durée pour prévenir ou anticiper les crises, incidents ou événements de mer ;
- sa définition et l’organisation de sa mise en œuvre apparaissent complexes et peu visibles aux différents acteurs de la mer, aux collectivités territoriales concernées et à nos interlocuteurs étrangers.
C’est le constat qui a conduit le Premier ministre à décider au cours des deux derniers Comités interministériels de la mer (en 2003 et 2004) les trois orientations suivantes pour renforcer l’organisation de l’action de l’État en mer :
- le préfet maritime exercera dorénavant une autorité fonctionnelle permanente élargie sur l’ensemble des moyens nautiques et aériens des services de l’État dédiés à l’action de l’État en mer ;
- les unités dédiées, fournies par les administrations de l’État intervenant en mer et la Marine nationale, seront identifiées par un marquage spécifique bien visible ;
- un dispositif permanent de moyens bien identifiés adaptés aux besoins spécifiques de l’action de l’État en mer dans sa zone de responsabilité est mis à sa disposition.
Sans faire explicitement référence à la constitution d’une force de garde-côtes, on veut donc donner de la visibilité à une organisation de direction interministérielle, unique, permanente, capable de maîtriser à tous niveaux les risques liés à l’activité maritime.
Centre opérationnel de secours et de sauvetage, CROSS Corsen, Finistère. MARINE NATIONALE
Les principes de l’élargissement de l’autorité fonctionnelle des préfets maritimes et du marquage spécifique des unités sont acquis et en cours de mise en place. La définition dans un cadre interministériel d’un dispositif permanent de moyens adaptés aux missions » élargies » des préfets maritimes est un exercice plus complexe conduit actuellement par le Secrétariat général de la mer. Il s’agit d’établir un schéma directeur des moyens d’action de l’État en mer qui s’inscrive dans le cadre d’une véritable politique nationale, défini et financé de manière cohérente dans l’esprit de la loi organique pour les lois de finances.
La définition du rôle du préfet maritime et l’organisation interministérielle de préparation et de conduite des actions de l’État en mer ont fait la preuve de leur grande efficacité. Il convient de les conserver dans l’avenir. C’est le dispositif des moyens consacrés à la protection de nos approches maritimes qui montre aujourd’hui ses limites pour répondre au bon niveau à une exigence croissante de sécurité et de sûreté maritime. La démarche entreprise par le Secrétariat général de la mer doit permettre de l’améliorer à coût social et financier minimum. Elle doit nécessairement ouvrir par ailleurs sur des initiatives multinationales européennes et devrait nous permettre d’aborder avec une véritable force de proposition notre relation naissante avec la nouvelle Agence européenne de sécurité maritime.
Pourquoi n’envisagerions-nous pas dans l’avenir des préfets maritimes européens ?
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1. Le préfet maritime pour la Manche et la mer du Nord réside à Cherbourg, le préfet maritime pour l’Atlantique à Brest et le préfet maritime pour la Méditerranée à Toulon. Outre-mer, ces responsabilités sont exercées par certains préfets qui sont les délégués du gouvernement pour l’action de l’État en mer.
2. Nom d’un chimiquier qui a fait naufrage au nord-ouest du Cotentin en 2000.
3. Échouage en 2001 d’un cargo transportant un millier d’immigrants clandestins près de Saint-Raphaël.
4. Naufrage en 2002 du transport de véhicules Tricolor en plein milieu du Pas-de-Calais à l’issue d’une collision.
5. Environ un navire sur mille (soit un peu plus d’un tous les deux jours) connaît au cours de son passage dans la Manche une avarie qui le contraint à stopper pour faire une réparation.
6. Chaque hiver, plusieurs chalutiers disparaissent dans la zone de responsabilité du préfet maritime pour la Manche et la mer du Nord, entraînant la mort de trop nombreux marins.
7. Depuis cette époque, la France et la Grande-Bretagne ont renforcé leur coopération dans le détroit du Pas-de-Calais en assurant conjointement le financement de cette permanence de remorqueur.
8. Remorqueur affrété par la Marine nationale qui, au même titre que l’Abeille Flandres au large d’Ouessant, assure une permanence d’assistance au nord de la presqu’île du Cotentin.
9. Le 28 pluviôse de l’an VIII.
10. À ne pas confondre avec le Secrétariat d’État à la mer. Le Secrétariat général de la mer est interministériel. Il assure pour le Premier ministre la coordination au sein du gouvernement du traitement de toutes les questions relevant du domaine de l’action de l’État en mer. Il exerce le secrétariat du Comité interministériel de la mer, outil du Premier ministre pour décider de la politique maritime du gouvernement. Rattaché au ministère de l’Équipement et des Transports, le Secrétariat d’État à la mer traite des problèmes de sécurité et de sûreté maritime dans l’intermédiaire de deux directions : la direction des affaires maritimes et des gens de mer, la direction des transports maritimes, des ports et du littoral.
11. Le poste de » Secretary of State Representative » (SOSREP) mis en place en 1999 auprès de l’Agence des garde-côtes britannique est probablement celui qui correspond le mieux aujourd’hui à notre préfet maritime. Il convient cependant de souligner que, selon les informations qui nous ont été communiquées à ce jour, le SOSREP n’est responsable que de la seule gestion de l’assistance aux navires accidentés et des conséquences de cet accident. Dans les autres pays, la séparation dans l’action des différentes administrations intervenant en mer reste très forte.
12. Pouvoir central, armateurs, commandants de navires, moyens d’action en mer des autres administrations, Société nationale de sauvetage en mer, autorités et collectivités territoriales, préfets de départements, préfets de zones de défense, médias, experts, autorités et moyens étrangers, etc.
13. Avions de patrouille maritime et hélicoptères de service public du type Super Frelon ou Dauphin.
14. Ils contribuent au sauvetage de plus de 40 % des naufragés.
15. En particulier en cas de pollution majeure ou d’accident mettant en cause un paquebot ou un ferry transportant un grand nombre de passagers.