Le premier modèle numérique 3D du traitement des insuffisances respiratoires
Le poumon est un organe complexe dont les voies aériennes sont organisées en un réseau arborescent de bronches qui conduisent l’air depuis la bouche jusqu’aux alvéoles, lieux où s’opèrent les échanges gazeux entre l’air et le sang. Au cours du cycle respiratoire, ces alvéoles se dilatent et se contractent de manière alternative et régulière, amenant ainsi l’air chargé en oxygène près de leurs parois durant l’inspiration (la paroi alvéolo-capillaire constitue la barrière air-sang), et expulsant l’air chargé en gaz carbonique de façon inverse durant l’expiration.
“ L’absence ou le manque de surfactant entraîne une très grande difficulté à respirer ”
Ces parois sont normalement tapissées d’une substance liquide, un surfactant, qui réduit considérablement la tension de surface existant à l’interface air-eau. Or, ce surfactant n’est produit par le fœtus qu’un mois environ avant le terme de la grossesse.
Par conséquent, les grands prématurés en sont dépourvus. L’absence ou le manque de surfactant entraîne chez eux une très grande difficulté à respirer et une insuffisante alimentation en oxygène (hypoxémie) : c’est le Syndrome de détresse respiratoire du nouveau-né (SDRN).
Détresse respiratoire aiguë
Chez l’adulte, en revanche, c’est une inflammation de la paroi alvéolo-capillaire (d’origine souvent infectieuse) qui peut entraîner une perte d’étanchéité de cette paroi, un afflux de liquide dans la partie aérienne (autrement dit, un oedème pulmonaire) accompagné de l’arrivée de débris et matériels inflammatoires, et enfin une dégradation de la performance de transfert gazeux de cette paroi (résultant en une hypoxémie et une hypercapnie).
Dans cette situation, l’interface air-surfactant disparaît aussi partiellement ou en totalité, ce qui conduit à l’apparition d’un Syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA).
Un surfactant de substitution
L’un des traitements préconisés et reconnus du SDRN consiste à instiller dans la trachée du nouveau- né un surfactant de substitution (d’origine animale ou de synthèse) qui va s’écouler le long des bronches puis des voies acinaires pour finalement se distribuer sur la paroi alvéolo-capillaire afin d’en restaurer les propriétés mécaniques.
Cette thérapie, dite thérapie par substitution de surfactant (TSS)1, présente un bilan contrasté.
Même si elle a fait preuve de son efficacité avec une réduction de plus de 50 % de la mortalité chez le nouveau-né, près de 35 % des bébés prématurés ne répondent toujours pas à ce traitement. La situation est encore plus problématique chez l’adulte.
Après quelques études prometteuses chez le mouton et l’homme à la fin des années 1990, montrant une chute de 40 % à 20 % de la mortalité, des essais ultérieurs n’ont pas permis de mettre en évidence une quelconque amélioration induite par cette thérapie. Depuis, cette voie thérapeutique a été abandonnée sans que l’on parvienne réellement à identifier les causes de cet échec.
Efficacité ou homogénéité
PIXABAY
En analysant et en simplifiant les équations des écoulements fluides au sein du poumon, notre équipe a mis au point le premier modèle physicomathématique tridimensionnel de transport de surfactant dans l’intégralité de l’arbre bronchique. Les mécanismes qui gouvernent ce transport sont multiples et interagissent de façon complexe.
Cependant, on peut comprendre la propagation d’un bouchon de liquide dans l’arbre bronchique en le décomposant sous la forme d’une succession de deux types d’étapes élémentaires essentielles :
- le dépôt d’une partie du bouchon liquide de surfactant sur les parois de la bronche qu’il traverse ;
- la division de ce bouchon à chaque bifurcation de l’arbre.
Or, l’essence du problème tient à ce que l’efficacité et l’homogénéité de la distribution alvéolaire finale de surfactant sont gouvernées de manière contradictoire par ces deux étapes.
En effet, moins le bouchon liquide va vite, et moins il dépose de matériel sur les parois de la bronche, augmentant ainsi la quantité de surfactant finalement distribuée dans la région alvéolaire. L’administration est alors efficace.
À l’inverse, plus le bouchon liquide va vite, et plus la séparation à chaque bifurcation s’opère de manière équitable, malgré la possible asymétrie due à la morphologie et à la gravité. L’administration est alors homogène.
Autrement dit, la distribution finale dans l’ensemble des alvéoles pulmonaires est le fruit d’un compromis entre efficacité et homogénéité, compromis qui dépend des propriétés physicochimiques du surfactant, de la taille du patient, de son orientation et de la méthode d’administration (dose, débit, multiplicité, etc.).
Revisiter des voies thérapeutiques
Ces travaux ouvrent ainsi la voie à une révision complète des essais cliniques passés et à une revisite possible de voies thérapeutiques abandonnées pour de mauvaises raisons.
“ L’équipe a mis au point le premier modèle physicomathématique 3D de transport de surfactant”
En effet, grâce à ce modèle, nous avons pu montrer que les hypothèses classiques qui sous-tendaient l’interprétation de ces essais étaient loin d’être toujours vérifiées. En particulier, l’hypothèse classique de « compartiment bien mélangé », qui suppose que le médicament se répartit de manière homogène dans la « cible » (la zone alvéolaire du poumon) peut être gravement mise en défaut.
Si elle est encore assez valable pour un poumon de petite taille comme celui du nouveau-né (encore faut-il effectuer l’administration en plusieurs postures, et en pivotant le bébé, ce que les médecins savent de manière empirique), elle peut devenir complètement fausse chez un poumon de taille plus importante comme celui d’un adulte.
Concevoir une administration efficace
POUR EN SAVOIR PLUS
M. Filoche, C.-F. Tai, J. B. Grotberg, “A three-dimensional model of surfactant delivery into the lung”, Proc. Natl. Acad. Sci. USA 112 (30) : 9287–9292 (2015).
Avec ce modèle physicomathématique, il devient aujourd’hui possible de prédire la distribution finale, de modifier de façon virtuelle la viscosité ou la densité du surfactant pour optimiser l’administration pour une arborescence donnée, ou encore de cibler une zone précise à atteindre dans le cas où l’on désire une administration spécifique.
On peut imaginer que, dans l’avenir, les médecins et les laboratoires pharmaceutiques puissent disposer d’un véritable outil numérique leur permettant de concevoir (engineer en anglais) une administration efficace et individualisée pour les assister dans le traitement des syndromes de détresse respiratoire.
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1. On parle également de Surfactant Replacement Therapy (SRT) en anglais.