Le problème des concessions hydroélectriques


La France a su développer son industrie hydroélectrique par les concessions, mais se heurte actuellement au dogmatisme de la Commission européenne pour maintenir ce régime de concession. Les travaux conduits par l’Assemblée nationale pour trouver une sortie de crise sont en cours. Il est vital de dépasser le dogme du marché pour prendre en compte les multiples usages d’intérêt public de l’eau.
L’hydroélectricité est une filière d’excellence éminemment stratégique pour la souveraineté de notre pays. De la « houille blanche », qui a impulsé hier l’essor industriel dans nos vallées, aux énergies renouvelables qui permettront demain la transition énergétique et environnementale, l’hydroélectricité est indiscutablement une force d’avenir. L’hydroélectricité est un secteur stratégique qui dépasse le cadre de la production d’énergie et recouvre de multiples enjeux.
De multiples enjeux
Un enjeu énergétique évidemment : l’hydroélectricité représente une part très importante de la production d’électricité et une part déterminante des énergies renouvelables, et elle contribue à renforcer notre souveraineté énergétique comme à l’équilibre du système électrique français.
Un enjeu industriel : la filière représente 25 000 emplois directs et indirects. Elle constitue aussi un élément du patrimoine industriel de nos territoires, notamment dans les vallées de montagne.
Un enjeu environnemental : c’est la première source de production d’énergie renouvelable, pilotable et flexible. Elle permet le stockage et la gestion de la pointe sans importation d’énergie moins vertueuse.
Un enjeu de service public : les opérateurs de l’hydroélectricité jouent un rôle crucial en matière de partage de la ressource pour le multiusage de l’eau comme l’irrigation agricole, le soutien d’étiage, la navigation touristique, la production de neige de culture.
Un enjeu de sécurité : au-delà de la sûreté des seuls barrages, de la sécurité des habitants et des vallées situées en aval, l’hydroélectricité contribue également à la sûreté en matière de gestion des crues. Les barrages jouent un rôle précieux d’écrêteurs de crues, prévenant inondations et catastrophes. Ils contribuent également à la sûreté nucléaire, en apportant une source d’eau de refroidissement.

Les concessions
La gestion des concessions ne doit donc pas être abordée sous le seul angle « production d’énergie », mais en prenant aussi en compte ses missions de service public, la gestion de l’eau et de ses multiusages, la sûreté de nos installations et le lien fort avec les territoires. La France compte près de 400 concessions hydroélectriques, exploitées en très grande majorité par EDF, CNR et la SHEM (Société hydroélectrique du Midi), qui représentent environ 25 GW. L’hydroélectricité représente 13 % de la production d’électricité au niveau national et 61 % de la production d’électricité d’origine renouvelable. EDF détient 80 % des concessions hydroélectriques et produit 66 % de l’énergie issue de l’hydraulique. Les concessions ont été généralement attribuées pour une durée de 75 ans. Une soixantaine de concessions seront arrivées à échéance en 2025.
“La gestion des concessions ne doit pas être abordée sous le seul angle « production d’énergie ».”
Le cadre européen
La mise en concurrence des concessions hydroélectriques en France a été rendue obligatoire par la perte du statut d’établissement public d’EDF il y a deux décennies, en 2004. La Commission européenne a engagé une première procédure d’infraction contre la France à ce sujet en 2006. En 2010, le gouvernement s’est engagé à lancer, avant 2015, des appels d’offres sur les concessions depuis lors échues. J’ai été rapporteure d’une mission d’information en 2013 pour trouver des solutions alternatives à la mise en concurrence. Depuis, aucun de ces appels d’offres n’est intervenu.
En 2015, l’article 118 de la loi de transition énergétique a fixé de nouveaux dispositifs de renouvellement des concessions, qui répondent aux exigences européennes tout en donnant des moyens juridiques de conserver le caractère public des concessions. La Commission européenne a exprimé ses réserves sur certaines dispositions. Elle a adressé à la France une mise en demeure le 22 octobre 2015, mettant en cause les mesures étatiques qui, selon elle, maintiennent la position dominante d’EDF. Cette mise en demeure enjoint à la France de proposer une autre solution garantissant l’ouverture à la concurrence libérale.
En 2019, nous avons porté dans la loi l’autorisation d’augmentation de puissance sans mise en concurrence sur les installations existantes, ce qui a permis de lancer sept projets.
Un chantier législatif en cours
À ce jour, si aucune mise en concurrence n’a été effectuée, et c’est plutôt positif car on peut dire que la persévérance a payé, le futur des installations reste incertain et n’offre pas la visibilité suffisante aux opérateurs pour leur permettre d’investir et de développer un nouveau potentiel hydroélectrique, notamment sur des STEP, outil particulièrement précieux, que l’on estime à 4 GW supplémentaires. Ce contentieux européen, vieux de quinze ans, doit donc absolument être levé. Nous devons pour cela trouver un accord avec la Commission européenne. C’est l’objet de la mission d’information que nous conduisons actuellement avec mon collègue Philippe Bolo sur le mode de gestion des ouvrages hydroélectriques et que nous avons souhaité ouvrir à un député de chaque groupe politique de l’Assemblée nationale, afin que nous fassions dans notre rapport des propositions les plus consensuelles possibles, qui pourraient être portées dans une proposition de loi.
Plusieurs pistes de solution
Plusieurs solutions sont aujourd’hui sur la table et nous étudions la robustesse juridique de chacune d’entre elles, ainsi que l’acceptabilité des différents scénarios par la Commission européenne, que nous rencontrons régulièrement ainsi que l’ensemble des acteurs de la filière : le passage du régime concessif au régime d’autorisation ; la solution de la quasi-régie ; la modification de la directive « concession » européenne de 2014, en demandant l’exclusion de l’hydroélectricité ; l’étude de propositions de compensations ouvertes aux autres opérateurs.
Faciliter le développement
En cette année 2025 qui célèbre les cent ans de l’Exposition internationale de la houille blanche, nos barrages restent plus que jamais les marqueurs d’une modernité qui a traversé le siècle. Le combat que nous menons pour conserver la maîtrise de nos ouvrages doit impérativement être gagné pour préserver l’essentiel. Celui d’un modèle qui place la sécurité, la souveraineté, l’éthique et la transition énergétique au-dessus de la marchandisation. Bien vital de nos sociétés et bien commun de l’humanité, l’énergie liée à l’eau ne peut s’envisager sous l’angle de la concurrence « libre et non faussée ».
La France, au-delà des sensibilités, doit s’évertuer à convaincre Bruxelles que la situation du commerce international et les questions climatiques et sociales ont profondément évolué depuis le premier contentieux et que l’objectif de l’Union européenne devrait être aujourd’hui celui de faciliter le développement d’énergies renouvelables dans tous les pays, ce qui bénéficiera à tous les Européens, plutôt que d’entraver les initiatives des différents États. Nous devons faire entendre la voix de la raison et de l’efficacité qui doit primer sur celle du dogme du marché.
Emmanuelle Verger (X93), directrice d’EDF Hydro
Au-delà d’être renouvelable, bas carbone et souveraine, l’hydroélectricité est aussi stockable, pilotable et flexible : par exemple le parc hydraulique d’EDF peut mettre à disposition plus de 14 000 MW de puissance en quelques minutes, soit l’équivalent de plus de dix réacteurs nucléaires. Ce rôle essentiel pour la sécurité du système électrique sera d’autant plus important dans le mix énergétique de demain.
Il existe un potentiel de développement significatif pour répondre encore davantage à ces enjeux, mais en l’absence de visibilité sur l’avenir du régime juridique des concessions hydrauliques en France, les opérateurs ne peuvent pas réaliser d’investissements d’augmentation de puissance. Le statu quo, qui dure depuis plus de quinze ans, a largement freiné le développement de l’hydroélectricité en France.
Il est aujourd’hui devenu urgent d’identifier la meilleure solution juridique possible pour sortir de l’impasse et relancer le développement. Parmi les solutions étudiées, celle privilégiée par EDF – parce que c’est la seule qui nous semble permettre d’aboutir rapidement à une solution globale et pérenne – consisterait à modifier le régime juridique des concessions en basculant celles-ci dans le régime des autorisations qui s’applique déjà à l’ensemble des autres moyens de production en France (y compris la petite hydro-électricité) et qui est la règle dans une grande partie des pays européens pour les ouvrages hydroélectriques.