Le profilage des stupéfiants : Quand les mathématiques appuient la chimie
Afin de permettre à la justice de lutter plus efficacement contre des trafics aux ramifications complexes, il faut pouvoir établir des liens formels tant au niveau des investigations où l’analyse criminelle joue un rôle majeur (exploitation des données issues de l’enquête visant à tisser des liens pertinents) qu’au niveau des aspects criminalistiques où d’autres connexions peuvent également être établies (structure des réseaux, ampleur du marché local et national…). La chimie joue un rôle essentiel dans ces investigations.
Bien que très variés, tous les produits stupéfiants ne donnent pas lieu à une étude de profilage. En effet cette dernière exige une bonne connaissance des processus de fabrication dont les variabilités diverses sont la clé de voûte sur laquelle vont s’appuyer les experts du laboratoire. Au regard de cela, deux composés s’y prêtent particulièrement : la cocaïne et l’héroïne dont le profilage chimique interéchantillons permet d’établir que des saisies présentant des signatures chimiques identiques sont issues d’un même lot de production initiale.
Profilage chimique
La méthodologie utilisée à l’IRCGN a été mise au point en collaboration avec l’École des sciences criminelles de Lausanne et s’appuie sur l’analyse des proportions en alcaloïdes secondaires majeures de la cocaïne et de l’héroïne. La signature chimique d’un échantillon se compose d’un ensemble de marqueurs spécifiques du lot de fabrication auquel appartient l’échantillon. De plus, celle-ci n’est pas altérée par l’ajout de produits de coupage lors des étapes de distribution et présente une stabilité satisfaisante dans le temps pour permettre des comparaisons fiables entre plusieurs saisies. Elle permet par conséquent de rapprocher chimiquement des saisies opérées à tous niveaux de trafic dans des conditions différentes de temps et de lieux : cela permet par exemple d’identifier un grossiste mélangeant des lots d’héroïne provenant de deux laboratoires ou de deux lots différents.
REPÈRES
Outre les aspects liés au caractère illicite et à la problématique de santé publique, le trafic de stupéfiants génère une économie parallèle importante.
En effet, selon les derniers chiffres de l’Insee, les flux économiques générés seraient de l’ordre de 0,1 point du PIB soit environ 2,7 milliards d’euros annuels.
À la recherche de marqueurs analytiques
Les techniques analytiques utilisées pour mettre en évidence des alcaloïdes secondaires présents à l’état de traces et caractéristiques de la drogue d’intérêt (substances coextraites, impuretés et dérivés générés durant le processus de fabrication et/ou de production) s’appuient sur la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-MS).
L’exploitation des données chromatographiques (aires des pics chromatographiques) s’accompagne d’un traitement mathématique visant à établir les caractères discriminants entre les populations (échantillons liés et non liés) en fonction des variables (alcaloïdes) choisies comme l’ecgonine méthyl ester, l’ecgonine ou la tropacocaïne pour la cocaïne ; ou l’acétylcodéine, l’acétylthébaol ou la monoacétylmorphine pour l’héroïne.
Par exemple pour la cocaïne, le traitement de données des échantillons effectué est la normalisation de chaque variable (dans notre cas, les aires des pics chromatographiques pour chaque alcaloïde sélectionné). La valeur ainsi obtenue pour chaque variable correspond à la signature de l’échantillon.
Discrimination par la statistique
La recherche de liens de composition consiste à comparer mathématiquement la signature chimique de tout nouvel échantillon soumis à l’analyse avec celle des spécimens saisis antérieurement sur le territoire national, analysés à l’IRCGN et enregistrés dans une base de données de signatures chimiques. La comparaison deux à deux des signatures chimiques d’échantillons de cocaïne ou d’héroïne est réalisée en utilisant les outils statistiques ad hoc (exemples : paramètre C de la fonction cosinus carré, coefficient de corrélation de Pearson) :
Une valeur de comparaison supérieure ou égale au seuil décisionnel indiquera que les échantillons a et b comparés (contenant respectivement les alcaloïdes ai et bi) appartiennent à une même classe chimique et seront par conséquent considérés appartenir à un même lot de production.
Le seuil de décision, défini expérimentalement, correspond à la valeur minimale de corrélation pour laquelle deux échantillons sont déclarés liés (c.-à‑d. appartenant à une même classe chimique). L’objectif du laboratoire est donc d’optimiser la séparation entre les deux populations, afin de déterminer ce seuil de décision.
Réelle plus-value pour les enquêteurs, le profilage chimique des stupéfiants ne saurait être réalisé sans une exploitation approfondie des paramètres discriminants. Ce travail complexe s’appuie donc sur une approche statistique rigoureuse sans laquelle le risque de biais d’interprétation de la part de l’expert serait particulièrement important.