Le programme AMR au Royaume-Uni : le renouveau du nucléaire anglais
Après avoir eu un rôle de pionnier, le Royaume-Uni a subi une longue perte de compétence. Mais le gouvernement actuel s’est donné des objectifs ambitieux et investit des sommes importantes pour retrouver une position de pointe dans le nucléaire civil.
Le Royaume-Uni a eu un rôle de pionnier dans le développement de l’énergie nucléaire dès les années 1940. Après la Seconde Guerre mondiale, l’effort a continué et la première centrale nucléaire de production d’électricité commerciale a été construite au Royaume-Uni en 1956 à Calder Hall. Un parc de 26 réacteurs Magnox a ensuite été construit, suivi par 14 AGR (Advanced Gas-cooled Reactors), mis en service entre 1976 et 1989, puis un seul PWR (Pressurized Water Reactor, Sizewell B) mis en service en 1995. S’ensuivit une longue période sans aucun projet, jusqu’au lancement de la construction en septembre 2016 des deux EPR par EDF Energy et CGN (China General Nuclear) à Hinkley Point C (HPC). Après avoir été un pionnier et un leader de l’atome, le Royaume-Uni construit donc en ce moment des réacteurs de troisième génération de technologie étrangère, ayant subi une perte de compétence pendant la vingtaine d’années où il ne s’est rien passé.
Le renouveau de l’énergie nucléaire au Royaume-Uni
Ce renouveau de l’énergie nucléaire au Royaume-Uni, motivé par la volonté de décarboner la production électrique (objectif de net zero carbon emissions by 2050) et par l’épuisement progressif des ressources pétrolières et gazières de la mer du Nord, s’accompagne d’une montée en puissance à tous les niveaux : formation, apprentis, chaîne d’approvisionnement, industrie… Après avoir laissé passer la génération III, ce mouvement de renouveau veut trouver sa consécration dans l’établissement d’un nouveau leadership sur le long terme, cette fois sur les SMR (Small Modular Reactors) et AMR (Advanced Modular Reactors). Les SMR sont vus comme des modèles plus matures, essentiellement refroidis à l’eau, qui seraient déployables autour de 2030. Les AMR sont à peu près l’équivalent de la Gen IV au sens du GIF (Generation IV International Forum), avec des systèmes de refroidissement-caloporteurs innovants. Les AMR sont vus à plus long terme comme une solution possible pour de nouvelles utilisations de l’énergie, comme la chaleur à haute température pour les procédés industriels, ouvrant une nouvelle voie pour la production d’hydrogène par réaction chimique et la décarbonation éventuelle de divers secteurs industriels (aciéries par exemple).
Les rapports du NIRAB
Le Nuclear Innovation and Research Advisory Board (NIRAB), créé en 2014, a pour principales missions d’évaluer les actions menées dans le cadre du Nuclear Innovation Programme (NIP) mené par le Department for Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS), de recommander des domaines où l’innovation entraînerait une baisse des coûts et d’identifier les collaborations internationales les plus pertinentes. Il a publié en 2019 son premier rapport Clean growth through innovation – the need for urgent action. Le rapport recommande que le mix électrique se fonde à la fois sur des réacteurs de Gen III et également sur des SMR et des AMR. Pour ce faire, le rapport propose comme scénario un premier réacteur de type SMR opérationnel d’ici 2030 ; un AMR d’une technologie mature (réacteur rapide refroidi au sodium ou au gaz par exemple) après 2030 et un AMR plus innovant dans les années 2040.
Dans un second rapport publié en juin 2020 (Achieving Net Zero : the role of nuclear energy in decarbonisation), le NIRAB affine ses recommandations. S’appuyant sur l’engagement du gouvernement britannique, gravé dans la loi en juin 2019, pour le net zero 2050, il insiste sur une vision globale et intégrée de l’énergie et propose ainsi le développement de trois voies parallèles et complémentaires : les réacteurs de puissance, les SMR et les AMR. Ces deux derniers proposeront des solutions pour les autres secteurs émettant du CO2 : transport, industrie, chaleur. Pour le développement des AMR, le rapport préconise un investissement à partir de 2021 de 400 M£ pour la R & D et 600 M£ pour le prototype en lui-même. Afin de mener à bien le projet, ces fonds publics devront être complétés par des investissements privés, le coût pour mener à bien un tel projet se chiffrant à plusieurs milliards de livres.
Les engagements budgétaires du gouvernement
En septembre 2018, le BEIS a lancé son Advanced Modular Reactor (AMR) Feasibility and Development Project (AMR F & D Project) dans lequel 44 M£ ont été investis. La première phase a attribué un total de 4 M£ à 8 projets d’AMR retenus pour faire l’objet d’études de faisabilité. La seconde phase lancée en juillet 2020 a permis l’attribution des 40 M£ restants. Parmi les trois projets sélectionnés, l’un concerne l’HTGR de U‑Battery, filiale de l’entreprise d’enrichissement d’uranium d’Urenco. Le AMR RD & D programme est financé à hauteur de 170 millions de livres par le gouvernement britannique.
Un démonstrateur AMR devra être prêt pour la période 2030–2035 et le design de référence auquel les autres options seront comparées est le réacteur à haute température refroidi au gaz (High Temperature Gas Reactor ou HTGR). C’est ce qu’un rapport du Nuclear Innovation and Research Office (NIRO), qui fait partie du National Nuclear Laboratory (NNL), avait préconisé dans son rapport de juillet 2021, AMR Technical Assessment.
À la suite à ce rapport, le BEIS a ouvert en juillet 2021 une consultation publique sur le potentiel des HTGR dans le cadre du AMR RD & D programme. Lors de la conférence annuelle de la Nuclear Industry Association (NIA) en décembre 2021, le ministre du BEIS de l’époque a confirmé que la technologie retenue pour ce démonstrateur était celle des HTGR (le Royaume-Uni compte s’appuyer sur sa longue expérience dans les réacteurs refroidis au gaz : 26 réacteurs Magnox et 14 réacteurs AGR).
En février 2022 le BEIS a rendu public son premier appel à projet dans ce cadre intitulé AMR Research, Development and Demonstration Programme (Phase A). Les lauréats ont été désignés en septembre 2022 et se partagent pour cette phase 2,5 M£ : EDF Energy, Ultra Safe, U‑Battery et le NNL pour la partie Reactor Demonstration, et NNL et Springfields pour la partie Fuel Demonstration. Il faut enfin signaler qu’en parallèle 830 k£ sont prévus pour aider le régulateur nucléaire à renforcer ses capacités sur les AMR. Cela porte l’effort total du gouvernement à 3,3 M£ pour cette première phase. Ce n’est que le début de l’histoire et il y aura d’autres appels à projets afin d’aider le développement à maturité d’un HTGR au début de la décennie 2030.
Des objectifs ambitieux
Afin d’atteindre ses objectifs de neutralité carbone d’ici 2050 et pour retrouver un certain leadership sur les nouvelles technologies nucléaires, le Royaume-Uni compte sur les SMR et surtout sur les AMR pour ce faire. SMR et AMR sont complètement intégrés dans la feuille de route pour le net zero 2050. Le HTGR est le choix de technologie affiché et les premiers appels à projets lancent les études préliminaires de conception technique. L’objectif affiché est d’avoir un HTGR opérationnel au début de la décennie 2030.