Le programme de R & D de l’énergie aux États-Unis
Le Department of Energy (DOE) est l’Agence fédérale américaine en charge de la mise en œuvre de la politique énergétique. Existant depuis vingt-quatre ans, le DOE emploie 15 000 agents fédéraux et presque 100 000 contractuels. Son budget annuel de l’ordre de 23 milliards de dollars en fait une des principales agences. La politique énergétique américaine, telle qu’exposée dans le National Energy Policy, est essentiellement axée autour de deux axes principaux complémentaires, la production d’énergie à partir de sources primaires domestiques et la croissance économique. Le changement climatique et la réduction des pollutions associées à l’énergie sont fréquemment mentionnés, mais ne sont pas au cœur de la politique énergétique américaine – comme ils peuvent l’être, au moins au niveau des objectifs affichés, en Europe. Ainsi, le National Energy Policy ne propose pas d’objectifs quantitatifs pour la réduction des émissions.
Les émissions de polluants classiques sont principalement régies par le Clean Air Act et ses amendements. L’administration Bush a en outre proposé en 2002 la Clear Sky Initiative, et plusieurs propositions de loi favorisant une approche multipolluants commencent à apparaître tant au niveau local qu’au niveau fédéral. Quant aux émissions de CO2, il n’existe pour le moment aucun objectif chiffré imposé – les États-Unis n’ayant pas ratifié le protocole de Kyoto – mais un objectif annoncé par le président G. W. Bush de réduire de 18 % l’intensité des émissions en 20122 par rapport à 1990 par des engagements volontaires des industriels.
Au titre de la politique énergétique, le DOE se voit assigner quatre objectifs stratégiques relevant de quatre domaines : la Défense, l’Énergie, la Science et l’Environnement, ce dernier terme ayant en fait un sens très précis (cf. tableau 1).
Un tiers environ du budget du DOE est consacré au financement de programmes de recherche et développement (8,73 milliards de dollars, soit le 4e budget fédéral de R&D derrière la Défense, la Santé et la NASA3), qui sont effectués soit au sein d’un des laboratoires de l’Agence, soit par le biais de contrats avec des universités ou des acteurs industriels.
Tableau 2 — Décomposition du budget R&D du DOE par type de recherche (en million de dollars US) |
2003 – 2004 |
Recherche fondamentale 2750 2664Recherche appliquée 3020 3395 Développement Équipements |
Source : Analytical Perspectives – Budget of the US Government FY2005. |
Tableau 3 — Décomposition du budget R&D du DOE par grands bureaux (en million de dollars US) |
2003 – 2004 – 2005 (proposé) |
Science 3218 3307 3484Énergies renouvelables 322 357 375Transport de l’électricité 88 81 91 Énergie nucléaire Maîtrise de l’énergie4 Énergie fossile |
Il faut noter que le budget nucléaire inclut à la fois la R&D militaire et la R&D civile (environ 2⁄3 et 1⁄3 respectivement |
La majeure partie de ce budget R&D est consacrée d’une part aux activités de recherche fondamentale, qui portent principalement sur la physique des hautes énergies, la physique des matériaux, la biologie, et le développement de codes – entre autres pour l’étude du changement climatique – et d’autre part aux activités de recherche militaire sur le nucléaire, incluant la construction du site de stockage de Yucca Mountain – dont la mise en service est prévue dès 2010. Bien que ne relevant pas directement du développement de technologies, notons que l’entrée en service de ce site est par ailleurs susceptible d’influer positivement sur la relance du nucléaire à l’échelle internationale.
Les programmes portant sur la recherche appliquée et le développement dans le domaine » strict » des systèmes énergétiques – correspondant au 2e objectif stratégique – bénéficient donc d’un budget de l’ordre d’un milliard et demi de dollars, selon le périmètre plus ou moins strict que l’on considère5. Quatre bureaux sont chargés de la mise en œuvre de ces programmes : » Efficacité énergétique et énergies renouvelables « , » Énergie nucléaire « , » Énergies fossiles » et » Maîtrise de l’énergie « , certains programmes, en particulier l’Hydrogen Fuel Initiative, sont des programmes interagences (voire même impliquant d’autres départements comme le Department of Transportation pour l’utilisation de piles à combustible à hydrogène dans le secteur automobile). La figure 1 présente les budgets des trois dernières années pour ces quatre bureaux, où l’on constate une certaine régularité. La figure 2 présente les budgets agrégés par sources d’énergie primaire (plus hydrogène et piles à combustible).
Le nucléaire
Sur la figure 1, le budget alloué au nucléaire peut sembler faible comparé aux autres budgets. Il faut cependant relativiser cette idée, d’une part parce que l’on n’a pas représenté le budget dédié à la R&D sur le nucléaire militaire et d’autre part parce que plusieurs programmes non R&D visent à relancer l’énergie nucléaire d’ici 2010. En matière de R&D civile, les axes principaux sont :
- la production d’hydrogène intégrée à de nouveaux cycles – ce programme s’intégrant dans le cadre plus général de la National Hydrogen Fuel Initiative initiée par l’administration Bush,
- le leadership du forum international » Génération IV » pour le développement des cycles nucléaires du futur6,
- la mise au point de procédés de transmutation pour le retraitement et la réutilisation des déchets,
- la fusion, les États-Unis ayant de nouveau rejoint le programme international ITER. Il est à noter que des fonds dans le budget du bureau Science and Technology sont dédiés à la fusion.
Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique
FIGURE 1 Budget des quatre principaux bureaux du DOE impliqués dans les programmes R&D sur les technologies de l’énergie |
Pour le nucléaire, on n’a pas tenu compte du nucléaire militaire afin de “ comparer ce qui est comparable ”. On a exclu du budget “ Maîtrise de l’énergie ” les budgets relatifs aux transferts de technologies. Source : DOE Budget Request 2005. |
Les énergies renouvelables ainsi que l’efficacité énergétique sont considérées dans la stratégie énergétique comme des éléments importants, mais il est aussi estimé que leur contribution restera marginale comparée à l’effort global requis pour satisfaire la demande. On peut tout de même remarquer que l’énergie solaire et la valorisation de la biomasse, soit comme co-combustible (avec du charbon) pour la production d’électricité, soit sous forme de bioéthanol comme carburant, bénéficient de budgets assez importants. Les énergies renouvelables sont de plus considérées dans le National Energy Policy comme susceptibles d’être des technologies exportables vers d’autres marchés.
Les énergies fossiles
On constate – et on ne s’en étonne d’ailleurs guère – à la lecture de la figure 1 que les énergies fossiles sont clairement les grandes bénéficiaires des budgets de R&D. Néanmoins, lorsqu’on regarde dans le détail (figure 2), on constate – et certains peuvent s’en étonner – que la seule énergie fossile qui bénéficie de programmes de recherche vraiment conséquents est le charbon. Cela n’a en fait rien d’étonnant. Si l’économie américaine est très largement dépendante du pétrole – la page » International » des journaux le rappelle fréquemment – en particulier pour les transports, elle est aussi très largement dépendante du charbon, puisque 51 % de l’électricité US est produite dans des centrales charbon, et que cette part n’est pas appelée à baisser significativement au cours des décennies à venir.
FIGURE 2 Budgets de R&D 2004 par source d’énergie (excepté pour l’hydrogène) |
Source : DOE Budget 2004. |
De plus, dans le cadre de la politique énergétique la valorisation des ressources domestiques est essentielle – et celles-ci sont essentiellement constituées des réserves de charbon : si l’on regarde le ratio » Réserves sur Production » qui donne une estimation du nombre d’années de réserves restantes pour une utilisation qui resterait constante, on constate que ce ratio (qui dimensionnellement s’exprime en années) vaut dix années pour le gaz naturel, à peine moins pour le pétrole, et 250 ans pour le charbon. Néanmoins, il faut se souvenir que ce chiffre n’a en pratique que peu à voir avec le nombre d’années effectif de production domestique : ainsi, en supposant une croissance de 0,5 % des réserves par an et une croissance de 1,47 % de la production (moyenne des vingt dernières années), il ne reste que 124 années, soit moitié moins que dans l’approche » statique « . D’autre part, le charbon est responsable de plus de 80 % des émissions de CO2 du secteur de la production d’électricité, et de presque un tiers des émissions globales américaines. Le charbon est aussi largement responsable d’une large part des émissions d’oxydes de soufre, d’oxydes d’azote et de mercure.
C’est d’ailleurs pour lutter contre les émissions de polluants locaux – mais avant tout pour valoriser une ressource domestique – qu’a été originellement lancé le programme » charbon propre » en 1985, et ces polluants continuent de faire l’objet de nombreux projets de recherche au sein de ce programme, qui a largement les faveurs de l’administration Bush. Ce programme comprend aussi depuis maintenant plusieurs années un sous-programme de plus en plus important sur la capture et la séquestration géologique du CO2 comme moyen de réduire drastiquement les émissions de CO2, en particulier celles issues des centrales charbon. Celles-ci peuvent être soit des centrales à combustion » classiques » (charbon pulvérisé ou lit circulant), soit basées sur la gazéification du charbon, ces cycles combinés intégrés à la gazéification (IGCC) étant aussi vus comme une source d’hydrogène.
FIGURE 3 Le programme “ charbon propre ” |
Source : DOE Budget Request 2005. |
Le gouvernement américain a d’ailleurs annoncé en 2003 le lancement du projet pilote FutureGen de très grande ampleur, pour un budget de l’ordre d’un milliard de dollars sur presque quinze ans. Ce projet vise à construire, dans le cadre d’un consortium industriel, une unité IGCC produisant de l’électricité (275 MW de capacité) et de l’hydrogène, le CO2 étant, quant à lui, capturé à des fins de réinjection.
L’hydrogène7
L’hydrogène comme vecteur énergétique, et plus particulièrement comme carburant remplaçant le pétrole, est avec le charbon un des axes majeurs des programmes de R&D du DOE. En janvier 2002, le DOE a mis en place un partenariat avec les constructeurs automobiles, la FreedomCAR8 Initiative. L’objectif de ce partenariat est principalement la réduction de la dépendance américaine vis-à-vis du pétrole (les projections estiment que 70 % du pétrole sera importé à l’horizon 2020) tout en réduisant les émissions polluantes par le développement de technologies piles à combustible pour les transports (à moyen-long terme) ainsi que par le développement de moteurs à combustion interne avancée et de véhicules hybrides. Ce partenariat s’inscrit depuis janvier 2003 dans le cadre plus large de l’Hydrogen Fuel Initiative, dont le montant annoncé est de 1,2 milliard de dollars. Cette initiative vise à réduire les coûts de production de l’hydrogène à partir de différentes sources primaires – principalement le gaz naturel sur le court terme et le charbon à plus long terme -, à développer des technologies de stockage et de distribution. À l’horizon 2010, les objectifs sont d’avoir baissé les coûts de production de l’hydrogène à partir du charbon à $ 30/baril équivalent pétrole.
La coopération internationale
Les programmes R&D domestiques sur les technologies » propres » de l’énergie sont importants, au moins en termes budgétaires. Cependant, il faut aussi noter que les actions de coopérations internationales jouent aussi un rôle important dans la stratégie R&D énergétique des États-Unis. Ainsi sur le nucléaire, avec le forum Génération IV, mais aussi sur l’hydrogène, avec le lancement de l’IPHE (International Partnership for Hydrogen Energy) et sur la séquestration du CO2 avec le Carbon Sequestration Leadership Forum. Ces forums multilatéraux, qui visent à organiser la recherche au niveau mondial sur ces thématiques, ont d’abord une vocation politique9, et peuvent être vus comme une volonté de » reprendre la main » en mettant en avant les solutions technologiques (et plus particulièrement la séquestration du CO2) pour résoudre le problème du changement climatique, devant les solutions de type réglementaire. D’autre part, les États-Unis sont engagés dans des actions de coopération bilatérale à un haut niveau politique avec de nombreux pays, en particulier avec la Chine, le Japon et la Norvège.
Quelles incidences sur l’environnement ?
Pour aller plus loin
Les documents officiels (budgets, plans stratégiques, descriptif des technologies développées, etc.) sont accessibles via le site du DOE http://www.energy.gov (et sites des différents bureaux accessibles par liens hypertextes) ainsi que sur le site de l’Energy Information Administration (EIA) sur http://eia.doe.gov/, à ne pas confondre avec l’Agence internationale de l’énergie, qui a publié sur ce sujet (entre autres) en 2002 Energy Policies of IEA countries : the US 2002 review et Dealing with climate change : policies and measures in IEA Member countries.
On lira aussi avec intérêt les publications du Centre français sur les États-Unis/Institut français des relations internationales (CFEIFRI) sur la politique énergétique américaine.
Données chiffrées
http://www.energy.gov
http://eia.doe.gov/
http://www.iea.org/
http://cait.wri.org/
Comme nous l’avons rappelé, même s’il y est fait explicitement référence dans les différents documents, l’environnement n’est pas un des objectifs prioritaires de la politique énergétique. Néanmoins, à l’issue de cette – trop brève10 – revue des programmes sur les technologies de l’énergie aux États-Unis, la question de leurs incidences potentielles sur l’environnement se pose. Le DOE, dans le cadre de la gestion de la R&D fédérale, tente de quantifier les bénéfices de chaque programme par le biais du Governement Performance and Results Act reporting. Par exemple, il est estimé que les programmes du bureau » Efficacité énergétique et énergies renouvelables » se traduiraient par une réduction de 35 Mt CO2-eq en 2010 et 213 Mt CO2-eq en 2025 (soit respectivement 0,5 % et 3,05 % des émissions de 2000). Il faut néanmoins noter que ces estimations reposent sur des modélisations dont les hypothèses seraient à discuter en détail.
Si l’on se risque à un exercice de » futurologie » en extrapolant à partir des programmes actuels, l’avenir énergétique durable qui se dessine à l’horizon de ce siècle semble assez loin de certaines images que l’on peut avoir. En effet, il semble faire la part belle à deux sources d’énergie primaire – le charbon avec séquestration du CO2 et traitements avancés des fumées et le nucléaire – et à deux vecteurs énergétiques complémentaires, l’électricité et l’hydrogène, ce dernier ayant comme objectif premier de réduire la dépendance pétrolière. Il faut cependant noter que la production d’hydrogène à partir de gaz naturel sur le court et moyen terme ne réglera pas complètement la dépendance vis-à-vis des importations – excepté si le programme sur la valorisation des hydrates de méthane aboutit.
En ce qui concerne la réduction des émissions, en particulier celles dues au secteur électrique, il est probable que les programmes permettent de développer des technologies ad hoc comme cela a déjà été le cas par le passé pour les émissions d’oxyde de soufre par exemple. Cependant, un cadre législatif sera nécessaire au déploiement de ces technologies. Par exemple, un » signal-prix » de la tonne de CO2 sera nécessaire au déploiement des technologies de stockage, que ce soit par un mécanisme de marché de type » cap-and-trade » ou par des incitations fiscales.
Il est possible que ces résultats aient une incidence au niveau international, si les technologies sont effectivement développées et déployées dans les pays en voie de développement, et plus particulièrement dans les pays disposant de larges réserves de charbon comme la Chine ou l’Inde11.
En guise de conclusion, remarquons simplement que ce futur énergétique à base de nucléaire et d’énergie fossile avec séquestration du CO2 peut être mis en parallèle avec certains scénarios » facteur 4 » développés récemment par la MIES12, susceptibles de permettre à la France d’atteindre son objectif de division par quatre des émissions à l’horizon 205013. Néanmoins, ces scénarios prennent aussi en compte une importante contrainte sur la consommation d’énergie finale par habitant, dimension qui n’est pas à l’ordre du jour pour le moment outre-Atlantique.
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1. Guillaue De SMEDT est membre du bureau de X‑Environnement. Les vues exprimées ici sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Air Liquide.
2. C’est-à-dire le ratio émission de CO2/PIB.
3. Chiffres pour l’année fiscale 2004. La requête pour l’année fiscale 2005 annoncée début 2004 est similaire.
4. Ce budget n’inclut pas le budget d’environ 360 M US$ pour le transfert technologique aux acteurs locaux (États, collectivités, petits industriels…).
5. On pense ici à des programmes de transfert technologique qui se trouvent à l’interface, ou aux budgets dédiés à la gestion de la recherche et aux frais de fonctionnement et non affectés directement à un programme précis.
6. Pour une présentation détaillée du programme Génération IV, se reporter à l’article de É. Huffer dans ce numéro.
7. Nous ne discutons pas ici de la faisabilité » physique » – ou non – de la » civilisation hydrogène » tant vantée par certains médias et certains hommes politiques (en particulier américains !).
Pour ce point, se reporter à l’article de J. Perrin et J.-F. Deschamps dans ce numéro.
8. Cooperative Automotive Research.
9. L’IPHE et le CSLF ont des structures assez proches, avec un comité politique et un comité technique, le second rapportant au premier.
10. Nous n’avons en effet pas pu aborder dans le détail ni les aspects techniques, ni les aspects plus politiques comme la mise en place des » forums internationaux « , ou de la mise en place de partenariats technologiques bilatéraux à deux niveaux (politique et technique).
11. Sur les questions de convergence des PVD, voir l’article de C. Philibert et F. Cattier dans ce numéro.
12. Mission interministérielle de l’effet de serre.
13. » La division par quatre des émissions de dioxyde de carbone en France d’ici 2050 « , rapport de mission de P. Radanne, mars 2004.