Le projet de Constitution de l’Union Européenne
Le projet de Constitution auquel a abouti la Convention européenne avant le Conseil européen de Thessalonique – auquel le président Gisard d’estaing l’a présenté le 20 juin 2003 – est à la fois imparfait et inespéré. Il eût été chimérique d’imaginer que la Convention pût parvenir à un consensus plus constructif.
Résultat du premier véritable débat européen, ce projet comporte quelques avancées et quelques statu quo, mais aucun recul.
En matière de clarification et de simplification
Il définit plus clairement la répartition des compétences entre l’Union et les États membres et introduit, à côté des compétences exclusives et des compétences partagées, le concept de « domaine d’action d’appui », facilitant des actions communes ou de coordination.
Il crée un mécanisme de contrôle pour l’application du principe de subsidiarité et ce en impliquant pour la première fois les parlements nationaux.
Il simplifie les instruments juridiques d’action de l’Union européenne en ramenant leur nombre de quinze à six.
Il attribue à l’Union européenne une personnalité juridique unique.
Il supprime les distinctions entre les « trois piliers », sources de confusion et de chevauchement ; mais il maintient, ce qui est normal, quelques spécificités de procédure.
Il simplifie la terminologie, facilitant ainsi la compréhension du citoyen.
Pour aller vers plus d’Europe
Il crée un véritable espace de liberté, de justice et de sécurité dans l’Union (reconnaissance mutuelle accrue des décisions de justice, développement d’Eurojust et d’Europol).
Il crée un poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne, nommé par le Conseil européen et responsable devant lui, ministre qui sera à la fois président du Conseil des ministres des Affaires étrangères et vice-président de la Commission, afin d’assurer la coordination entre l’action diplomatique et la politique d’aide au développement.
Il prévoit la création d’une « Agence européenne de l’armement, de la recherche et des capacités militaires », ainsi que des possibilités accrues de coopération entre les États membres désireux d’aller plus avant dans ce domaine.
Il prévoit l’amélioration des procédures de coordination des politiques économiques et budgétaires.
Toutefois, malgré le désir de l’Allemagne, du Benelux, de la France et de l’Italie d’aller plus loin, la forte opposition de l’Espagne et de plusieurs des nouveaux États membres à dépasser les dispositions du traité de Nice n’a pas permis l’adoption de mesures assurant une réelle efficacité dans ce domaine.
En matière institutionnelle
Le » triangle institutionnel » (Commission européenne, Conseil européen, Parlement européen) a été préservé et même renforcé.
Le Parlement européen intervient avec un pouvoir de codécision (avec le Conseil européen) dans environ 80 domaines, au lieu de 37 aujourd’hui.
La composition du Parlement européen sera revue, mais seulement avant l’élection de 2009. Malheureusement il n’a pas été possible de formuler dans le projet de Constitution les règles précises qui supprimeraient les anomalies du régime actuel.
Le Conseil européen élira son président pour une durée de deux ans et demi (renouvelable une fois). Les pouvoirs propres de ce président seront modestes, mais la préparation, la continuité et l’efficacité des réunions, ainsi que la collaboration avec la Commission devraient s’en trouver significativement améliorées.
Des améliorations sont apportées aux formations du Conseil des ministres et le Conseil des ministres des Affaires étrangères sera présidé (cf. supra) par le ministre des Affaires étrangères de l’Union.
Le problème de la majorité qualifiée était l’un des plus difficiles à résoudre. Le président de la Convention a évité le blocage qui était très menaçant en reportant à 2009 la nouvelle – et très bonne – définition de la majorité qualifiée : majorité des États membres représentant les trois cinquièmes de la population de l’Union.
Toutefois on peut déplorer que trop de sujets (environ cinquante) restent soumis au droit de veto.
C’est aussi le facteur temps qui a permis un consensus sur la Commission. Le statu quo sera maintenu jusqu’au renouvellement de 2009, date à partir de laquelle le nombre des commissaires sera fixé à 15 (y compris le président et le ministre des Affaires étrangères, vice-président). La rotation sera égale entre la totalité des États membres dont ces commissaires seront originaires.
Toutefois, la Commission sera complétée par la nomination de commissaires sans droit de vote, venant de tous les États membres ne figurant pas au collège.
Il est clair que cette solution alourdira dangereusement le fonctionnement de la Commission d’ici 2009. En outre elle palliera très imparfaitement après cette date les anomalies comme la suivante : l’un au moins des trois États baltes (qui comptent 7,5 millions d’habitants) sera toujours présent à la Commission, mais non l’Allemagne, la France, l’Italie ou le Royaume-Uni (dont le moins peuplé compte 57,5 millions d’habitants et le plus peuplé 82 millions d’habitants) ; chacun de ces quatre États membres n’étant présent en moyenne que 60 % du temps (s’il n’y a que 25 États membres) !
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Le résumé précédent met en évidence certaines des erreurs ou insuffisances de ce projet de Constitution. En particulier le maintien du veto est un grave inconvénient dans les domaines comme ceux de la création de ressources propres, l’harmonisation fiscale, la création de services publics européens (notamment pour la surveillance des frontières de l’Union), la politique étrangère et – plus grave encore – la ratification de la Constitution et sa révision (au moins dans les cas à définir qui mériteraient une procédure moins lourde).
Le problème de la ratification est redoutable : celle-ci exige en principe l’unanimité. La lecture de l’article IV‑7 du projet de Constitution nous plonge dans un abîme de perplexité et singulièrement son alinéa 3 :
Si, à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la signature du traité instituant la Constitution, les quatre cinquièmes des États membres ont ratifié ledit traité et qu’un ou plusieurs États membres ont rencontré des difficultés pour procéder à ladite ratification, le Conseil européen se saisit de la question.
On se dit d’abord : quel flou ! quel euphémisme ! quelle absence de portée juridique ! Puis on se plaît à espérer que ce flou ne cache pas seulement l’impuissance actuelle à adopter des dispositions de bon sens écartant l’unanimité, mais aussi la détermination secrète, si quelques États membres votaient non, « d’inventer » alors une solution évitant que cet énorme travail collectif soit réduit à néant – et de l’inventer, paradoxalement, avec un pragmatisme tout britannique… pour sauver l’Union européenne.
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Les temps grammaticaux du présent et du futur ont été utilisés dans le texte ci-dessus. Qui ne partagerait pas mon optimisme mesuré et redouterait une « déconstruction » par la Conférence intergouvernementale de l’automne, introduira le conditionnel.
Il y a néanmoins des raisons d’espérer que la CIG ne dénaturera pas un texte dont elle devrait comprendre qu’il correspond assez largement aux attentes de l’opinion publique et qu’il n’est probablement pas de meilleure base aujourd’hui pour les progrès à réaliser dans quelque cinq ou dix ans à la lumière de l’expérience.
Le texte final du projet de Constitution, amélioré dans sa forme française (grâce à l’Académie française !) et légérement modifié dans sa partie III sur des points « techniques », a été remis le 18 juillet à Rome par le président Giscard d’Estaing à M. Berlusconi, président en exercice du Conseil européen.