Le Puy du Fou
CET ÉTÉ, La Baule ne nous gâta point en matière de théâtre : une seule pièce, jouée malencontreusement un jour qui ne nous convenait pas. Pour des raisons que j’ignore, financières peut-être, le temps semble révolu où certaines des troupes se produisant au Festival d’Angers venaient ensuite nous divertir sur la scène d’Atlantia. C’est bien dommage mais il convient de prendre les choses comme elles viennent.
Nous nous rabattîmes donc sur Le Puy du Fou, ce qui est d’ailleurs une façon malsonnante de s’exprimer : elle semble faire de ce parc une manière de pis-aller, alors qu’il s’agit tout au contraire d’un mieux-aller, surtout quand on songe à bien d’autres élucubrations scéniques contemporaines, même rhodaniennes et renommées. Peut-être, amis lecteurs, serez-vous pourtant surpris de trouver cette évocation du Puy du Fou sous une rubrique censée parler de théâtre. C’est tout bonnement parce qu’il s’agit bel et bien de spectacles, fondés, tout comme au théâtre, sur la conjonction d’un sujet, d’une mise en scène, d’un décor et d’un public, quatre composantes que réunit pleinement le prestigieux parc vendéen.
Encore que nous n’avons pas assisté à la grandiose Cinéscénie nocturne : le parc était trop éloigné de nos bases pour envisager un retour prolongé de nuit, alors que le coucher à proximité est malaisé, exigeant en tout cas réservation, puis emport de pyjama, rasoir et brosse à dents, toutes dispositions par nature simples mais se prêtant mal à l’improvisation de dernier moment. De toute manière, une grande journée suffit amplement à l’enchantement du visiteur, qui pourtant ne trouvera pas le temps de tout voir, sauf à se comporter comme un forcené et déjeuner vite fait, pratique malsaine pour la digestion et, de surcroît, ne permettant de profiter ni de la gastronomie vendéenne ni des chants et danses à l’ancienne qui souvent l’accompagnent au parc.
À défaut de tout voir donc, je serais tenté de recommander au visiteur nonchalant, qui ne serait encore jamais venu, de ne surtout point manquer le spectacle de fauconnerie, actuellement intitulé Le Bal des oiseaux fantômes, le thème étant une vieille légende d’oiseaux mystérieusement disparus dans les souterrains du château médiéval du Puy, aujourd’hui en ruine. Mais ce thème, gentiment naïf, conté-mimé par deux ravissantes filles, devient sous nos yeux éblouis la matière d’une fantastique démonstration de dressage d’oiseaux, tel qu’il est enseigné à l’école de fauconnerie du Puy du Fou. Durant une bonne demiheure, l’on se trouve transporté dans une féerie onirique et ailée, avec ces nuées de faucons lentement descendant en spirale du haut d’un ballon captif, cet envol de centaines de pigeons voyageurs jaillissant soudain, comme à un appel, d’un antique pigeonnier, ou le final des aigles venant se poser, toutes ailes déployées, sur le poing tendu de leur fauconnier, ou de leur fauconnière, sur fond des cuivres et des bois de Tannhäuser.
Parce que Le Puy du Fou, c’est aussi la musique, jamais vulgaire ni envahissante, délicate et classique, que d’invisibles diffuseurs susurrent dans les allées des bois, musique du Quintette des cuivres jouant en perruques poudrées La Petite Musique de nuit ou La Marche turque dans un charmant théâtre de verdure, musique d’époque aussi des automates du Bourg 1900, apparaissant périodiquement à leurs fenêtres, indifférents et mécaniques, pareils en cela à l’orgue de Barbarie que mouline un étrange géant au sourire énigmatique et immuable, hochant la tête en regardant les badauds sans paraître les voir.
De toutes ces choses, et de bien d’autres encore, monte, comme une buée matinale, un charme simple et bon enfant, un côté “ jour de fête ” commuant la foule, un tout-venant de vacanciers peu portés d’allure sur la spéculation intellectuelle ou la culture musicale, en un public enchanté et silencieux, ne laissant traîner derrière soi ni canettes vides ni emballages perdus et découvrant que l’on peut passer de plus magnifiques moments devant des évocations d’un passé, sans doute embelli et simplifié, qu’en regardant des niaiseries télévisées. Et après tout, s’il faut s’en remettre à la fauconnerie pour se laisser emporter, ne fût-ce qu’un instant, par la splendeur de Tannhäuser, pourquoi pas ?