Le rapprochement recherche-industrie à travers l’expérience du Salon européen de la recherche et de l’innovation, Entretien avec Jean Audouze
Jean Audouze, pour les élèves des promos 1972 à 1987, vous n’êtes pas un inconnu…
Jean Audouze, pour les élèves des promos 1972 à 1987, vous n’êtes pas un inconnu…
J’ai effectivement eu la chance d’exercer les fonctions de maître de conférences dans le Département de physique, chargé des enseignements optionnels d’astrophysique pendant quinze ans (1974−1989) parallèlement à ma carrière de chercheur au CNRS qui se déroula principalement à l’Institut d’astrophysique de Paris que je dirigeai de 1978 à 1989. J’ai eu le bonheur d’avoir des élèves très souvent remarquables. Je citerai en particulier quatre femmes, Anne Duthilleul-Chopinet, Marie-Laurence Pitois-Pujade, Marie-Solange Tissier et Édwige Bonnevie qui accomplissent chacune de très brillants parcours professionnels. J’ai eu aussi la possibilité d’être à l’origine d’une quinzaine de vocations d’astrophysicien (ne)s. Je pense que ce nombre aurait été plus élevé si la modestie des rémunérations des chercheurs dans les organismes publics n’avait pas contrecarré mes efforts de persuasion…
Vous êtes président du Comité scientifique du Salon de la recherche et de l’innovation, dont la 3e édition a lieu à Paris (Porte de Versailles) les 7, 8 et 9 juin 2007. Comment se sont passées les deux premières ?
Le Salon européen de la recherche et de l’innovation est une initiative conjointe d’un homme d’entreprise, M. Poitrinal, et d’un chercheur du CNRS, votre serviteur, que nous avons prise début 2004. Notre ambition est de rassembler l’ensemble des acteurs de la recherche et de l’innovation, tant publics que privés, tant nationaux que régionaux ou qu’européens. En ce sens, cet événement est unique en Europe. Nos objectifs sont donc triples :
- organiser le rendez-vous annuel de l’ensemble de la profession ;
- permettre à un large public constitué de personnes curieuses et cultivées qui viennent s’informer sur l’état de la recherche et de l’innovation en Europe et
- sensibiliser les jeunes aux carrières scientifiques et techniques et favoriser le recrutement des diplômés dans ces domaines.
Le Salon est d’abord l’occasion pour le secteur public et les entreprises de montrer leurs activités de recherche et d’innovation au travers de stands attractifs et démonstratifs. Nous avons ainsi compté 130 institutions participantes en 2005 et 260 en 2006. Nous devrions approcher les 300 cette année. Une partie du CAC 40, des PME-PMI innovantes, les grands réseaux de recherche, les pôles de compétitivité et les régions actives dans ces domaines sont présentes, avec les principales institutions de la recherche publique (CNRS, CEA, INRA…).
Par ailleurs, nous programmons une centaine de tables rondes et conférences sur des sujets aussi divers que l’accès aux financements de la recherche, la propriété industrielle, la politique de recherche des pays et des régions, les nanomatériaux, la télémédecine, l’exploration spatiale du système solaire ou la maison du futur. Nous avons reçu 24 000 visiteurs en 2005 et 35 000 en 2006 dont plus d’un tiers ont assisté à au moins une conférence ou un débat. Nous espérons que plus de 40 000 visiteurs viendront au Salon 2007 et que plus de 10 000 d’entre eux profiteront de notre programme scientifique.
La réussite de ce Salon tient bien sûr à ce que la recherche et l’innovation constituent deux éléments essentiels qui conditionnent l’avenir de l’Europe et de la France. Mais nous sommes également soutenus par le ministère chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et le Sénat. Le Commissaire européen à la Recherche, M. J. Potocnik, viendra d’ailleurs inaugurer lui-même l’édition 2007. Nos partenaires institutionnels (le CNRS, Siemens, Suez et Saint-Gobain) aussi, sont d’une aide essentielle. Enfin, nous bénéficions d’une couverture médiatique exceptionnelle avec France-Télévision, Radio Classique, Le Parisien, Le Point, Usine Nouvelle, La Recherche, Sciences et Vie Junior…
Les pays invités, la Hongrie en 2005, l’Allemagne en 2006 et l’Espagne en 2007, sont des exemples intéressants pour la France. Quels enseignements en tirez-vous ?
En 2005 nous avons choisi la Hongrie comme pays d’honneur parce que sa recherche fondamentale est exceptionnellement vivace pour un pays de sa taille (les plus grands mathématiciens et physiciens qui ont exercé aux USA depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale sont d’origine hongroise). La Hongrie eut ainsi l’occasion de montrer combien sa recherche universitaire est performante. Depuis 2006 et surtout cette année, ce pays nous a demandé de mettre en valeur ses pôles de compétitivité, construits comme les nôtres à l’interface des universités et des entreprises.
L’Allemagne fut le pays à l’honneur en 2006. Les raisons de ce choix sont multiples : l’Allemagne est le premier partenaire pour la recherche française et nous sommes également leurs associés les plus importants. Par ailleurs, leur système de recherche et d’innovation fondé sur des structures (les Max Planck, les Fraunhofer, les Helmholtz…) financées conjointement par le gouvernement fédéral et les länders constituent des exemples dont nous devons nous inspirer. C’est ainsi que les réseaux Carnot, qui vont participer de façon importante au Salon 2007, sont assez proches des instituts Fraunhofer.
Notre choix pour 2007 s’est porté sur l’Espagne. En premier lieu la recherche de ce pays, qui était quasi inexistante à la mort de Franco, s’est hissée au tout premier rang au cours de ces vingt-cinq dernières années et ce, dans tous les domaines (recherches fondamentale et appliquée). La seconde raison tient dans l’originalité du système espagnol qui confère une très grande autonomie à chacune de ses régions. Cette édition va nous permettre de prendre connaissance des avancées les plus spectaculaires de la recherche au sud des Pyrénées et d’apprécier leurs façons d’organiser leurs recherches privée et publique.
Nous sommes d’ailleurs très heureux de voir le nombre de pays participants progresser régulièrement. En 2007, outre l’Union européenne, la Hongrie, l’Allemagne et l’Espagne, nous allons bénéficier de la présence de l’Italie, la Suisse, la Pologne, la Finlande, la Roumanie… Nous espérons rassembler à terme non seulement les membres de l’Union européenne mais aussi les pays comme les États-Unis, la Chine ou l’Inde.
Vous avez fait venir et rencontré beaucoup d’industriels et de centres de recherche publique. Comment cela se passe concrètement pour eux, et que retirent-ils de leur participation à une telle manifestation ?
Le succès d’un Salon comme le nôtre tient beaucoup aux initiatives des participants. J’ai pu personnellement apprécier la façon dont certains d’entre eux s’étaient organisés pour développer les contacts et discussions de tous ordres… Sans citer de noms, de nombreux stands de l’édition 2006 étaient particulièrement performants à cet égard. Ce succès tient à la qualité des personnes qui viennent animer l’espace qu’ils ont accepté d’organiser.
Je suis également très heureux d’accueillir les responsables de la recherche des entreprises visiteuses, pour lesquels nous organisons des contacts spécifiques. Cette année, nous accentuons un dispositif particulièrement apprécié, l’organisation de parcours thématiques proposés aux visiteurs. Notre réussite dans ce domaine sera complète quand les différents stands montreront de façon explicite l’ensemble des partenariats de tous ordres liant les exposants entre eux. Pour qu’un réseau de recherche ou d’innovation soit vivace et performant, il faut qu’il saisisse toutes les occasions qui lui sont données (le Salon en est une particulièrement importante !) pour démontrer sa réalité tangible.
Vous connaissez bien la recherche française, et même si votre discipline n’est pas la plus proche des enjeux industriels, quels enseignements tirez-vous de votre expérience d’organisateur de ce Salon sur ce qui, en France, serait de nature à amplifier les échanges entre ces deux mondes ?
Nos concitoyens et leurs représentants ont pris la mesure de l’importance de la recherche et de l’innovation pour le maintien des conditions de vie de notre monde occidental. Le Gouvernement a fait adopter une loi sur la recherche en 2006 et créé de nombreux instruments (Agence nationale pour la Recherche, réseaux Carnot, Pôles de compétitivité, remplacement de l’ANVAR par OSEO…) visant à favoriser le progrès de la recherche et de l’innovation et à renforcer les liens et le partenariat entre le monde universitaire et celui des entreprises.
Notre Salon européen de la recherche et de l’innovation se place très exactement dans cette logique : c’est d’abord une vitrine de ce grand secteur d’activités ; c’est aussi un lieu et un moment d’échange, d’une part entre les acteurs et le public dont l’appui est nécessaire pour la bonne marche des activités scientifiques qu’elles soient fondamentales ou appliquées, d’autre part entre les acteurs eux-mêmes (les témoignages concrets concernant les deux premières éditions sont nombreux quant à l’utilité de ces échanges).
Mon souhait pour les années 2007 est que nous soyons en mesure d’accueillir un nombre de plus en plus grand de partenaires dotés de moyens modestes comme les PME-PMI et les universités. Je souhaite aussi que l’internationalisation de notre Salon continue à progresser au même rythme pour en faire un véritable événement européen multilangue et multiculturel.
L’organisation de ce Salon est une œuvre de longue haleine dont on ne percevra vraiment les fruits que dans trois à cinq ans. Mon souci est de maintenir l’équilibre entre la fonction d’information du public et celle de rendez-vous de la profession des chercheurs et des innovateurs, entre tous les secteurs, tous les types de décideurs. Si, comme je le souhaite nous y réussissons, nous aurons contribué à mettre en place un réel événement « citoyen ».