Le rapprochement recherche-industrie à travers l’expérience du Salon européen de la recherche et de l’innovation, Entretien avec Jean Audouze

Dossier : ExpressionsMagazine N°625 Mai 2007
Par Robert MIZRAHI (70)

Jean Audouze, pour les élèves des promos 1972 à 1987, vous n’êtes pas un inconnu…

Jean Audouze, pour les élèves des promos 1972 à 1987, vous n’êtes pas un inconnu…

J’ai effec­ti­ve­ment eu la chance d’exer­cer les fonc­tions de maître de confé­rences dans le Dépar­te­ment de phy­sique, char­gé des ensei­gne­ments option­nels d’as­tro­phy­sique pen­dant quinze ans (1974−1989) paral­lè­le­ment à ma car­rière de cher­cheur au CNRS qui se dérou­la prin­ci­pa­le­ment à l’Ins­ti­tut d’as­tro­phy­sique de Paris que je diri­geai de 1978 à 1989. J’ai eu le bon­heur d’a­voir des élèves très sou­vent remar­quables. Je cite­rai en par­ti­cu­lier quatre femmes, Anne Duthil­leul-Cho­pi­net, Marie-Lau­rence Pitois-Pujade, Marie-Solange Tis­sier et Édwige Bon­ne­vie qui accom­plissent cha­cune de très brillants par­cours pro­fes­sion­nels. J’ai eu aus­si la pos­si­bi­li­té d’être à l’o­ri­gine d’une quin­zaine de voca­tions d’as­tro­phy­si­cien (ne)s. Je pense que ce nombre aurait été plus éle­vé si la modes­tie des rému­né­ra­tions des cher­cheurs dans les orga­nismes publics n’a­vait pas contre­car­ré mes efforts de persuasion…

Vous êtes président du Comité scientifique du Salon de la recherche et de l’innovation, dont la 3e édition a lieu à Paris (Porte de Versailles) les 7, 8 et 9 juin 2007. Comment se sont passées les deux premières ?

Le Salon euro­péen de la recherche et de l’in­no­va­tion est une ini­tia­tive conjointe d’un homme d’en­tre­prise, M. Poi­tri­nal, et d’un cher­cheur du CNRS, votre ser­vi­teur, que nous avons prise début 2004. Notre ambi­tion est de ras­sem­bler l’en­semble des acteurs de la recherche et de l’in­no­va­tion, tant publics que pri­vés, tant natio­naux que régio­naux ou qu’eu­ro­péens. En ce sens, cet évé­ne­ment est unique en Europe. Nos objec­tifs sont donc triples :

  1. orga­ni­ser le ren­dez-vous annuel de l’en­semble de la profession ;
  2. per­mettre à un large public consti­tué de per­sonnes curieuses et culti­vées qui viennent s’in­for­mer sur l’é­tat de la recherche et de l’in­no­va­tion en Europe et
  3. sen­si­bi­li­ser les jeunes aux car­rières scien­ti­fiques et tech­niques et favo­ri­ser le recru­te­ment des diplô­més dans ces domaines.
     

Le Salon est d’a­bord l’oc­ca­sion pour le sec­teur public et les entre­prises de mon­trer leurs acti­vi­tés de recherche et d’in­no­va­tion au tra­vers de stands attrac­tifs et démons­tra­tifs. Nous avons ain­si comp­té 130 ins­ti­tu­tions par­ti­ci­pantes en 2005 et 260 en 2006. Nous devrions appro­cher les 300 cette année. Une par­tie du CAC 40, des PME-PMI inno­vantes, les grands réseaux de recherche, les pôles de com­pé­ti­ti­vi­té et les régions actives dans ces domaines sont pré­sentes, avec les prin­ci­pales ins­ti­tu­tions de la recherche publique (CNRS, CEA, INRA…).

Par ailleurs, nous pro­gram­mons une cen­taine de tables rondes et confé­rences sur des sujets aus­si divers que l’ac­cès aux finan­ce­ments de la recherche, la pro­prié­té indus­trielle, la poli­tique de recherche des pays et des régions, les nano­ma­té­riaux, la télé­mé­de­cine, l’ex­plo­ra­tion spa­tiale du sys­tème solaire ou la mai­son du futur. Nous avons reçu 24 000 visi­teurs en 2005 et 35 000 en 2006 dont plus d’un tiers ont assis­té à au moins une confé­rence ou un débat. Nous espé­rons que plus de 40 000 visi­teurs vien­dront au Salon 2007 et que plus de 10 000 d’entre eux pro­fi­te­ront de notre pro­gramme scientifique.

La réus­site de ce Salon tient bien sûr à ce que la recherche et l’in­no­va­tion consti­tuent deux élé­ments essen­tiels qui condi­tionnent l’a­ve­nir de l’Eu­rope et de la France. Mais nous sommes éga­le­ment sou­te­nus par le minis­tère char­gé de l’En­sei­gne­ment supé­rieur et de la Recherche, et le Sénat. Le Com­mis­saire euro­péen à la Recherche, M. J. Potoc­nik, vien­dra d’ailleurs inau­gu­rer lui-même l’é­di­tion 2007. Nos par­te­naires ins­ti­tu­tion­nels (le CNRS, Sie­mens, Suez et Saint-Gobain) aus­si, sont d’une aide essen­tielle. Enfin, nous béné­fi­cions d’une cou­ver­ture média­tique excep­tion­nelle avec France-Télé­vi­sion, Radio Clas­sique, Le Pari­sien, Le Point, Usine Nou­velle, La Recherche, Sciences et Vie Junior

Les pays invités, la Hongrie en 2005, l’Allemagne en 2006 et l’Espagne en 2007, sont des exemples intéressants pour la France. Quels enseignements en tirez-vous ?

En 2005 nous avons choi­si la Hon­grie comme pays d’hon­neur parce que sa recherche fon­da­men­tale est excep­tion­nel­le­ment vivace pour un pays de sa taille (les plus grands mathé­ma­ti­ciens et phy­si­ciens qui ont exer­cé aux USA depuis la fin de la Seconde Guerre mon­diale sont d’o­ri­gine hon­groise). La Hon­grie eut ain­si l’oc­ca­sion de mon­trer com­bien sa recherche uni­ver­si­taire est per­for­mante. Depuis 2006 et sur­tout cette année, ce pays nous a deman­dé de mettre en valeur ses pôles de com­pé­ti­ti­vi­té, construits comme les nôtres à l’in­ter­face des uni­ver­si­tés et des entreprises. 

L’Al­le­magne fut le pays à l’hon­neur en 2006. Les rai­sons de ce choix sont mul­tiples : l’Al­le­magne est le pre­mier par­te­naire pour la recherche fran­çaise et nous sommes éga­le­ment leurs asso­ciés les plus impor­tants. Par ailleurs, leur sys­tème de recherche et d’in­no­va­tion fon­dé sur des struc­tures (les Max Planck, les Fraun­ho­fer, les Helm­holtz…) finan­cées conjoin­te­ment par le gou­ver­ne­ment fédé­ral et les län­ders consti­tuent des exemples dont nous devons nous ins­pi­rer. C’est ain­si que les réseaux Car­not, qui vont par­ti­ci­per de façon impor­tante au Salon 2007, sont assez proches des ins­ti­tuts Fraunhofer.

Notre choix pour 2007 s’est por­té sur l’Es­pagne. En pre­mier lieu la recherche de ce pays, qui était qua­si inexis­tante à la mort de Fran­co, s’est his­sée au tout pre­mier rang au cours de ces vingt-cinq der­nières années et ce, dans tous les domaines (recherches fon­da­men­tale et appli­quée). La seconde rai­son tient dans l’o­ri­gi­na­li­té du sys­tème espa­gnol qui confère une très grande auto­no­mie à cha­cune de ses régions. Cette édi­tion va nous per­mettre de prendre connais­sance des avan­cées les plus spec­ta­cu­laires de la recherche au sud des Pyré­nées et d’ap­pré­cier leurs façons d’or­ga­ni­ser leurs recherches pri­vée et publique. 

Nous sommes d’ailleurs très heu­reux de voir le nombre de pays par­ti­ci­pants pro­gres­ser régu­liè­re­ment. En 2007, outre l’U­nion euro­péenne, la Hon­grie, l’Al­le­magne et l’Es­pagne, nous allons béné­fi­cier de la pré­sence de l’I­ta­lie, la Suisse, la Pologne, la Fin­lande, la Rou­ma­nie… Nous espé­rons ras­sem­bler à terme non seule­ment les membres de l’U­nion euro­péenne mais aus­si les pays comme les États-Unis, la Chine ou l’Inde.

Vous avez fait venir et rencontré beaucoup d’industriels et de centres de recherche publique. Comment cela se passe concrètement pour eux, et que retirent-ils de leur participation à une telle manifestation ?

Le suc­cès d’un Salon comme le nôtre tient beau­coup aux ini­tia­tives des par­ti­ci­pants. J’ai pu per­son­nel­le­ment appré­cier la façon dont cer­tains d’entre eux s’é­taient orga­ni­sés pour déve­lop­per les contacts et dis­cus­sions de tous ordres… Sans citer de noms, de nom­breux stands de l’é­di­tion 2006 étaient par­ti­cu­liè­re­ment per­for­mants à cet égard. Ce suc­cès tient à la qua­li­té des per­sonnes qui viennent ani­mer l’es­pace qu’ils ont accep­té d’organiser.

Je suis éga­le­ment très heu­reux d’ac­cueillir les res­pon­sables de la recherche des entre­prises visi­teuses, pour les­quels nous orga­ni­sons des contacts spé­ci­fiques. Cette année, nous accen­tuons un dis­po­si­tif par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié, l’or­ga­ni­sa­tion de par­cours thé­ma­tiques pro­po­sés aux visi­teurs. Notre réus­site dans ce domaine sera com­plète quand les dif­fé­rents stands mon­tre­ront de façon expli­cite l’en­semble des par­te­na­riats de tous ordres liant les expo­sants entre eux. Pour qu’un réseau de recherche ou d’in­no­va­tion soit vivace et per­for­mant, il faut qu’il sai­sisse toutes les occa­sions qui lui sont don­nées (le Salon en est une par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante !) pour démon­trer sa réa­li­té tangible.

Vous connaissez bien la recherche française, et même si votre discipline n’est pas la plus proche des enjeux industriels, quels enseignements tirez-vous de votre expérience d’organisateur de ce Salon sur ce qui, en France, serait de nature à amplifier les échanges entre ces deux mondes ?

Nos conci­toyens et leurs repré­sen­tants ont pris la mesure de l’im­por­tance de la recherche et de l’in­no­va­tion pour le main­tien des condi­tions de vie de notre monde occi­den­tal. Le Gou­ver­ne­ment a fait adop­ter une loi sur la recherche en 2006 et créé de nom­breux ins­tru­ments (Agence natio­nale pour la Recherche, réseaux Car­not, Pôles de com­pé­ti­ti­vi­té, rem­pla­ce­ment de l’AN­VAR par OSEO…) visant à favo­ri­ser le pro­grès de la recherche et de l’in­no­va­tion et à ren­for­cer les liens et le par­te­na­riat entre le monde uni­ver­si­taire et celui des entreprises.

Notre Salon euro­péen de la recherche et de l’in­no­va­tion se place très exac­te­ment dans cette logique : c’est d’a­bord une vitrine de ce grand sec­teur d’ac­ti­vi­tés ; c’est aus­si un lieu et un moment d’é­change, d’une part entre les acteurs et le public dont l’ap­pui est néces­saire pour la bonne marche des acti­vi­tés scien­ti­fiques qu’elles soient fon­da­men­tales ou appli­quées, d’autre part entre les acteurs eux-mêmes (les témoi­gnages concrets concer­nant les deux pre­mières édi­tions sont nom­breux quant à l’u­ti­li­té de ces échanges).

Mon sou­hait pour les années 2007 est que nous soyons en mesure d’ac­cueillir un nombre de plus en plus grand de par­te­naires dotés de moyens modestes comme les PME-PMI et les uni­ver­si­tés. Je sou­haite aus­si que l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion de notre Salon conti­nue à pro­gres­ser au même rythme pour en faire un véri­table évé­ne­ment euro­péen mul­ti­langue et multiculturel.

L’or­ga­ni­sa­tion de ce Salon est une œuvre de longue haleine dont on ne per­ce­vra vrai­ment les fruits que dans trois à cinq ans. Mon sou­ci est de main­te­nir l’é­qui­libre entre la fonc­tion d’in­for­ma­tion du public et celle de ren­dez-vous de la pro­fes­sion des cher­cheurs et des inno­va­teurs, entre tous les sec­teurs, tous les types de déci­deurs. Si, comme je le sou­haite nous y réus­sis­sons, nous aurons contri­bué à mettre en place un réel évé­ne­ment « citoyen ».

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