Le renouveau du bois dans la construction
Le palais de l’Équilibre à Neuchâtel, Suisse. Planificateur artistique : Groupe H. et Charpente Concept, Thomas Buchi S.A. Bureau d’études technique : Groupe H. Département CVSE.
La construction en bois en France : bref retour en arrière
Courantes en France comme en Europe depuis le Moyen Âge, les maisons individuelles ou de bâtiments publics à pans de bois et à colombages ont marqué jusqu’au début du xviiie siècle l’architecture des villes et villages. On les retrouve ainsi toujours solidement plantées dans de nombreuses régions françaises. Alsace, Bresse, Champagne, Normandie, Dordogne, mais aussi Queyras, Briançonnais, Landes ou Pays basque présentent toujours de multiples témoignages de ces constructions caractéristiques de l’architecture traditionnelle régionale reposant sur l’utilisation des matériaux naturels disponibles sur place.
À partir du XVIIIe siècle, le bois pour les structures verticales (murs) a été progressivement délaissé.
Plusieurs raisons expliquent cette marginalisation progressive : la pénurie de matière due à la réduction des surfaces boisées par les défrichements agricoles et à la surexploitation des forêts restantes, notamment pour alimenter en énergie l’industrie naissante avant l’essor des énergies fossiles ; l’invention ou le développement d’autres matériaux de construction à partir de la seconde moitié du XIXe siècle : bétons, acier, sans cesse perfectionnés par les travaux des chercheurs et des ingénieurs, qui ont fait régulièrement progresser la connaissance et donc les performances de ces matériaux, distançant ainsi progressivement le bois ; la perte de main-d’œuvre qualifiée et de savoir-faire enfin, consécutive à la disparition pendant la Guerre de 14–18 de très nombreux charpentiers chargés des travaux d’étayage des tranchées.
Le bois a ainsi progressivement reculé dans les emplois structurels jusqu’aux années cinquante, tout en continuant à occuper des positions importantes dans les emplois intérieurs, en aménagement, menuiserie intérieure et extérieure, parquets, escaliers fabriqués à partir de sciages. Mais là aussi, le développement de nouveaux matériaux issus de la pétrochimie (profilés PVC, revêtements de sol souples…) est venu prendre des parts de marché au bois, notamment en menuiserie.
Les années soixante marquent cependant le début du retour du bois en structure dans la construction. Les progrès, très graduels, qui sont intervenus depuis lors sont dus à l’apparition de techniques et produits nouveaux, ainsi qu’à la détermination des professionnels et des dispositions réglementaires, tous facteurs décrits ci-après.
Le renouveau du bois de construction
Jusqu’au milieu du XXe siècle, la construction en bois reposait essentiellement sur l’utilisation de bois massifs. Les progrès des techniques d’usinage d’une part, de la chimie, notamment des colles d’autre part, ont permis des avancées considérables, surtout à partir des années cinquante, pour mettre à la disposition des architectes, des ingénieurs et des charpentiers bâtisseurs une gamme de plus en plus riche de produits et composants bois.
Les techniques de séchage artificiel permettant de maîtriser l’humidité du bois en fonction de ses transformations ultérieures, le développement des colles structurelles lié à celui des techniques d’aboutage, de panneautage et de lamellation rendent en effet possible la création des produits et composants industriels bois stabilisés aux caractéristiques mécaniques connues (traités au besoin selon les conditions d’utilisation finales).
La révolution des bois de structure industriels
Le lamellé-collé : c’est la première innovation technologique, issue du brevet déposé en 1906 par Otto Hertzer, maître charpentier allemand. Il a marqué en France le retour du bois dans la construction.
À partir des années soixante, cette technique permettant de franchir des portées dépassant les limites du bois massif a été largement utilisée pour la réalisation des charpentes de grandes portées supportant la couverture de grandes surfaces commerciales, bâtiments industriels, piscines ou salles de sport.
Plus récemment, à partir des années quatre-vingt, les recherches menées sur le continent américain, en Scandinavie et en Allemagne ont débouché sur la création de nouveaux composants structurels bois répondant de mieux en mieux aux exigences de la construction contemporaine. Ainsi sont arrivés sur le marché français plusieurs nouveaux produits, fabriqués à partir de différents procédés rendant plus homogène le matériau hétérogène qu’est le bois, et conservant ou améliorant ses caractéristiques physiques, mécaniques et esthétiques.
Le lamibois ou LVL » Laminated Veneer Lumber » : issu également des travaux menés par le Centre technique du bois et de l’ameublement (CTBA) dans les années soixante-dix, et fabriqué aux USA et dans les pays nordiques, c’est un lamellé-collé de placage de résineux sur chant. Les placages de 3 mm d’épaisseur obtenus par déroulage sont collés à chaud, fil sur fil, par joints scarfés décalés : le plateau ainsi fabriqué est ensuite coupé et refendu. Ses caractéristiques mécaniques sont supérieures de plus de 30 % à celles du bois massif. Son champ d’application est vaste : poutres droites ou profilés, pièces de charpente, panneaux supports de toiture et de couverture droite ou cintrée, etc.
École maternelle – Sartrouville (78). Architecte : D. Molard.
Le paralam, fabriqué aux USA, est réalisé à partir de fines et longues lamelles massicotées dans des placages de déroulages de résineux, orientées dans le sens de la longueur, enduites d’une résine phénolique hydrofuge puis extrudées et polymérisées par micro-ondes. Stable et particulièrement résistant, le paralam a des propriétés mécaniques supérieures de 50 % à celles du bois massif qui le rendent particulièrement adapté à la réalisation de poutres maîtresses, de poteaux et de linteaux de grandes portées. Alors que le paralam est obtenu à partir du déroulage de grumes, l’intralam est un produit semblable constitué de grands copeaux issus de rondins.
Les poutres en I : on trouve désormais différents types de poutres composites triangulées ou à âme pleine, en bois ou associant bois et métal. L’un des principaux atouts de ces poutres est leur poids qui peut être inférieur de 40 % à celui d’une poutre en bois massif de même résistance : elles sont donc manuportables, ce qui favorise un montage rapide et facile principalement en pannes de toiture et de plancher.
Les panneaux OSB » Oriented Strand Board » à lamelles orientées, développés à l’origine au Canada et aux USA, et fabriqués en France depuis les années quatre-vingt : des plaquettes de bois tranchées à partir de billons de résineux, encollées avec des résines thermodurcissables, composent un matelas de trois couches successives croisées, pressées ensuite à chaud dans une presse continue. Le panneau obtenu est particulièrement stable, résistant à l’humidité, ce qui autorise sa mise en œuvre en extérieur. Il a une résistance mécanique voisine de celle du contreplaqué. Esthétique et fonctionnel, ses applications sont nombreuses dans la construction : voiles travaillant des murs à ossature bois, planchers porteurs sur appuis discontinus, âmes de poutres en I, panneaux décoratifs lasurés…
Maison individuelle, Narbonne, Aude. Architectes : A. Escriva, D. Belda.
Plus récemment dans les années quatre-vingt-dix, on a assisté depuis l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse au développement accéléré d’un autre type de bois massif reconstitué : avec les bois massifs aboutés, et les duos ou trios (composés de deux ou trois barres de bois massif abouté), collés avec des colles polyuréthanes invisibles, les concepteurs et charpentiers disposent désormais de poutres ayant les mêmes caractéristiques mécaniques et d’aspect que celles du bois massif, mais parfaitement stabilisées, pouvant atteindre de grandes longueurs et sections : plus de 1 million de mètres cubes ont été ainsi produits et mis en œuvre en 2001. Une première ligne de fabrication est actuellement en cours de démarrage en France et d’autres projets devraient prochainement voir le jour.
Complétant la gamme des panneaux à base de bois massif reconstitué, le développement toujours en Allemagne et Autriche ainsi qu’en Scandinavie de panneaux épais de bois massif contrecollé, dont les dimensions vont de 4 à 16 mètres de longueur, 1 à 3 mètres de largeur, 15 à 60 centimètres d’épaisseur, ouvre également un champ nouveau pour la construction d’éléments autoporteurs de planchers, de murs, ou de supports de toiture préusinés et prêts à monter.
La révolution du numérique
L’apparition de ces nouveaux composants intervient en même temps que se développent de façon accélérée les outils informatiques et productiques dans les bureaux d’étude et les ateliers : de puissants logiciels de dessin et de calcul des structures et formes les plus complexes ont ainsi été développés spécifiquement pour le bois.
Certains d’entre eux utilisés par l’architecte, le bureau d’étude et l’entreprise permettent par l’échange de données informatiques d’optimiser et sécuriser le pilotage des centres d’usinage à commande numérique.
Ces centres d’usinage constituent une véritable révolution dans la construction en bois : on peut réaliser grâce à eux toutes les tailles et usinages de pièces de charpente droites ou courbes quelle que soit leur complexité avec une précision, une qualité et un coût inégalés.
De cinq centres installés en France en 1995, dont trois dans des entreprises de lamellé-collé, on est ainsi passé à plus de quatre-vingt-dix centres en production en 2001. à titre indicatif, l’Allemagne dispose pour sa part actuellement d’un parc de six cents machines !
La mise sur le marché des bois industriels calibrés et stabilisés correspondant parfaitement aux exigences de ces centres d’usinage ainsi que les innovations constantes dans la mise au point de systèmes d’assemblages et de connecteurs métalliques (plaques, inserts, broches…) permettent désormais une préfabrication optimisée en atelier se traduisant par des montages rapides et propres de composants usinés et préassemblés. Les perspectives sont prometteuses pour la construction en bois : de multiples exemples le montrent.
Le bois dans les constructions contemporaines
Le bois sous ses diverses formes est en effet de plus en plus employé pour tous les types de programmes dans le bâtiment, en structure, en parement, en vêture, en aménagements extérieurs et même en génie civil.
L’attrait pour la maison en bois de plus en plus présente dans les magazines de la maison ne cesse de se renforcer et constitue un domaine important de développement. L’accueil très favorable réservé par les entreprises, les architectes et les constructeurs au projet de formation opérationnelle » Maison Bois Outils Concept » mis en place par le Comité national pour le développement du bois (CNDB) en témoigne.
Léger, maniable et propre, le bois est de plus en plus apprécié pour la réhabilitation, la surélévation ou l’extension de tous types de bâtiments, marchés en fort développement.
De même, son aspect vivant et sa surface douce et chaleureuse en font un matériau particulièrement adapté aux bâtiments scolaires : de plus en plus d’écoles, mais aussi des collèges et des lycées utilisent largement le bois en vêture et en structure.
En aménagements extérieurs et en génie civil, les progrès dans les produits de traitement et l’utilisation d’essences adaptées favorisent désormais l’usage du bois pour des aménagements urbains ou paysagers, mais aussi pour des ouvrages d’art comme le pont de Crest (Drôme), le pont de Merle (Corrèze) ou le pont de l’aire du Chavanon sur l’A89.
Une volonté professionnelle
Consciente des enjeux du marché de la construction pour la filière bois, et de l’image passéiste du bois chez nombre de prescripteurs et décideurs, la filière bois a confié en 1994 au CNDB la mission de redonner au bois sa place dans la construction : en effet en l’absence d’opérateurs industriels majeurs, seule l’action collective pouvait permettre d’apporter une réponse aux attentes du marché.
S’inspirant de l’exemple » d’Arge Holz « , organisme de promotion qui favorise depuis des décennies l’emploi du bois dans la construction en Allemagne, les délégués régionaux du CNDB apportent ainsi depuis 1995 aux maîtres d’ouvrage, architectes et bureaux d’étude une information et une aide technique compétente et efficace qui commence à porter ses fruits.
Les quarante numéros de la publication bimestrielle Séquences bois publiés à ce jour ont créé par ailleurs pour eux une familiarité et un lien régulier avec le bois dans l’architecture, jusque-là inexistant et essentiel pour l’émergence des projets : les réalisations présentées mettent en évidence combien l’association de différents matériaux de construction pour profiter des performances de chacun est un des principaux moteurs du développement de l’architecture contemporaine en bois.
En amont, le CNDB travaille en concertation avec les écoles d’architecture, d’ingénieurs et d’IUT de génie civil, pour les inciter et les aider à enrichir voire créer dans ces établissements un enseignement du bois et de la construction en bois jusque-là très peu développé ou inexistant : les professeurs confirment que les attentes des étudiants en architecture vis-à-vis du bois sont grandes.
Une volonté politique : le » Plan Bois Construction Environnement »
En Europe, de nombreux pays considèrent l’utilisation du bois comme une des mesures permettant de minimiser les émissions de CO2 dans l’atmosphère et de le stocker. Plusieurs gouvernements encouragent ainsi son emploi dans la construction et même en génie civil.
Pont de Merle, vallée de la Maronne, Corrèze.
Architecte : H. David. Bureau d’études technique : Sodeteg, J.-L. Michotey et C. Poumeau.
Ainsi, bien que faiblement boisés, les Pays-Bas ont mis en place une politique de développement durable dont un des objectifs est d’augmenter de 20 % la part du bois dans le bâtiment. En Allemagne on prévoit qu’à court terme 20 % des maisons individuelles auront une structure bois. En Belgique, une volonté politique de promotion du bois au cours des dernières années a permis de faire passer la part des maisons individuelles en bois à 15 %.
En France, la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie du 30 décembre 1996 témoigne d’une prise de conscience des problèmes écologiques au niveau politique. L’article 21.5 de cette loi stipule en effet que » pour répondre aux objectifs de la présente loi, un décret en Conseil d’État fixera les conditions dans lesquelles certaines constructions nouvelles devront comporter une quantité minimale de matériaux en bois « . Cette disposition s’inscrit parmi les différentes mesures prises par la France pour respecter les engagements du protocole de Kyoto.
Le secteur de la construction utilise en effet les deux tiers des sciages et la moitié des panneaux dérivés du bois consommés en France. Or le bois ne représente que 10 % de la valeur des matériaux utilisés en France dans le bâtiment alors que ce pourcentage est beaucoup plus élevé dans la plupart des pays industrialisés. L’État, suivant les recommandations de la Mission interministérielle à l’effet de serre, a fixé comme objectif d’augmenter de 25 % la part du bois dans la construction d’ici 2010 qui passerait ainsi de 10 % à 12,5 %.
Ceci se traduirait en 2010 par l’utilisation annuelle de 4 millions de mètres cubes supplémentaires de bois dans la construction avec un double impact sur le CO2 : le CO2 stocké par fixation du carbone, le CO2 évité par les économies d’énergie générées par la substitution du bois à d’autres matériaux de construction davantage consommateurs d’énergie fossile. Au total, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) estime que ceci devrait permettre une réduction des émissions de CO dans l’atmosphère d’environ 7 millions de tonnes. Cette valeur représente 14 % des engagements de la France au titre du protocole de Kyoto.
Pour atteindre cet objectif, l’État a décidé la mise en place d’un » Plan Bois Construction Environnement » reposant sur :
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le décret d’application de l’article 21.5 de la loi sur l’air
Le projet de décret qui doit être publié en 2002 repose sur l’affichage de la volonté du maître d’ouvrage de faire plus ou moins appel au bois et ceci dès l’établissement du programme de l’ouvrage avant que l’architecte n’intervienne. Il devra ultérieurement veiller au respect de ce choix par l’architecte puis par les entreprises.
Des ratios moyens de volumes de bois consommés par mètre carré de SHON (surface hors œuvre nette) ont été définis pour chacune des 12 grandes catégories d’ouvrages représentant les différentes typologies de bâtiment. Des exemples d’application du décret permettront aux maîtres d’ouvrage d’orienter leur choix.
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un accord-cadre national » Bois Construction Environnement »
Signé le 28 mars 2001 par huit ministères, l’ADEME et neuf organisations professionnelles, cet accord-cadre comporte une charte et une série d’engagements de chacun des signataires.
La charte définit dix objectifs prioritaires :
- contribuer à diffuser auprès de l’opinion publique et des prescripteurs une information claire et objective sur les synergies entre forêt, bois, environnement et construction, et sur les performances des produits bois ;
- utiliser la communication interne des signataires de la charte pour sensibiliser les acteurs publics et privés de la construction à l’impact de l’utilisation du bois sur la qualité environnementale du cadre bâti ;
- concourir à offrir des produits industriels adaptés à la demande des transformateurs et utilisateurs, en qualité, en quantité et en prix ;
- maîtres d’œuvre : examiner avec une attention accrue les solutions bois, y compris pour la réalisation d’ouvrages où elles ne sont pas ou plus traditionnelles. Instaurer des modes de dévolution des marchés mieux adaptés à une bonne valorisation technique et économique du matériau bois par les entreprises ;
- stimuler les rapprochements entre acteurs pour augmenter les performances techniques et économiques des technologies bois dans la construction ;
- encourager les investissements structurants de moyen et long terme dans la filière bois construction ;
- renforcer la recherche publique et privée sur le matériau bois, ses composites et adjuvants, aussi bien dans ses domaines d’excellence que dans les domaines où il accuse un retard ;
- introduire les bases d’une connaissance des techniques » bois » dans les formations techniques généralistes et dans la formation des architectes ;
- réexaminer les textes réglementaires et normatifs afin de corriger d’éventuelles dispositions défavorables à l’emploi du bois ;
- encourager l’adhésion volontaire des maîtres d’ouvrage aux dispositions du décret d’application de l’article 21–5 de la loi sur l’air visant à une consommation minimale de bois dans les bâtiments.
L’État et les professionnels se sont donc engagés avec le » Plan Bois Construction « , à faire progresser la part du bois dans la construction et, ainsi, accroître la contribution positive de ce matériau au développement durable et à la qualité environnementale des bâtiments.