Le réseau transeuropéen de transport : un équipement essentiel aux retards préoccupants
Assurer la libre circulation des personnes, des marchandises et des services : telle est la première obligation de l’Union européenne. Pour atteindre l’objectif fixé à Lisbonne en mars 2000, devenir l’économie la plus compétitive du monde, l’Europe doit mettre à la disposition de ses entreprises et de ses citoyens un système de communications moderne et performant qui irrigue l’ensemble du territoire européen.
Le rôle essentiel du transport dans la réussite de l’Europe semble parfois perdu de vue. Le sujet est rarement repris à l’ordre du jour des Conseils européens, ces réunions au sommet qui rassemblent quatre ou cinq fois par an les plus hautes autorités de chaque État membre.
Une organisation des transports insuffisamment intégrée, insuffisamment ouverte à la concurrence et disposant d’équipements trop souvent obsolètes entraîne pourtant des pertes économiques considérables, des nuisances pour l’environnement et de multiples inconvénients pour les citoyens.
La congestion, les encombrements et l’insécurité sont les révélateurs d’une situation peu satisfaisante.
Ce n’est pas que les « pères fondateurs » de l’Europe aient ignoré l’importance du transport : un chapitre spécial lui était consacré, comme pour l’agriculture ou le commerce, dans le traité signé à Rome en 1957.
Mais la divergence des intérêts nationaux était telle qu’il fallut attendre la fin des années 1980 pour que progressivement le marché européen du transport s’ouvre et pour que s’instaure un début de concurrence entre les modes et entre les entreprises. Ce processus est actuellement en voie d’achèvement.
De bonnes infrastructures pour une Europe sans frontières
Il fallut plus de temps encore pour que soit pris en considération ce qui apparaît pourtant comme une évidence. Aussi ouvert soit-il, un système de transport perd toute efficacité s’il ne dispose pas d’infrastructures de qualité. Et c’est au niveau européen que ce réseau doit être conçu. Chaque passage de frontière est, par nature, un goulet d’étranglement. Une Europe où les frontières internes ont été abolies ne peut se satisfaire d’une simple juxtaposition des réseaux nationaux dont l’objectif se limite à la satisfaction des besoins propres à chaque État, et cela d’autant plus que les flux intraeuropéens ne cessent de croître (d’ici 2020, ils vont encore doubler).
Nommé président de la Commission européenne en 1985, Jacques Delors se fit l’avocat de la création d’un véritable réseau européen. Dans le traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er novembre 1993, figure un chapitre consacré aux « réseaux transeuropéens », pour les transports, les télécommunications et l’énergie.
Je cite le président Delors : « Les réseaux sont les artères nourricières du grand marché. Leurs défaillances étouffent la compétitivité, gâchent les occasions de créer de nouveaux marchés, ce qui a pour conséquence que l’Europe crée moins d’emplois qu’elle ne le pourrait. »
Douze années ont passé depuis lors et le réseau transeuropéen de transport devient progressivement une réalité. En 1994, à Essen, 14 projets hautement prioritaires ont été identifiés. Aujourd’hui, l’Europe s’est élargie, elle compte 25 États membres, couvre 4 millions de km2 et rassemble 460 millions de citoyens.
La liste des projets prioritaires a été complétée (ils sont 30 maintenant) grâce notamment aux travaux menés par un groupe de travail animé par l’ancien Commissaire Karel Van Miert.
30 projets prioritaires à l’horizon 2020 pour 250 milliards d’euros
Achever dans son intégralité le réseau transeuropéen suppose d’ici 2020 un investissement évalué à 600 milliards d’euros. Le coût des 30 projets prioritaires, essentiellement des liaisons transfrontalières, a été fin 2005 estimé à environ 250 milliards d’euros.
Ce chiffre peut paraître considérable, mais il faut se rendre compte qu’il est inférieur au montant dont augmente en une seule année le PIB européen : celui-ci dépasse en effet les 10 000 milliards d’euros et la croissance fluctue actuellement entre 2,5 et 3 %. Comme la réalisation des 30 projets doit s’étaler sur une période de quinze ans, c’est 0,16 % du PIB qu’il faudra mobiliser chaque année, alors que l’on estime à 0,23 % le surplus de croissance qui devrait en découler.
Force cependant est de constater que la réalisation du réseau transeuropéen accumule les retards.
Seuls trois des quatorze projets d’Essen ont été menés à bonne fin. Dans un Livre blanc publié fin 2001, la Commission européenne dénonce tout à la fois le manque de volonté politique, la priorité donnée aux projets nationaux et l’incapacité de s’attaquer au « casse-tête du financement ».
Le casse-tête du financement
C’est effectivement l’insuffisance des moyens financiers qui constitue la cause principale du fossé grandissant entre les besoins et les équipements en infrastructure. Les budgets nationaux, qui constituent la source principale des financements, consacrent aujourd’hui moins de 1 % du PIB aux infrastructures contre 1,5 % il y a vingt ans.
Quant aux ressources en provenance du budget communautaire, elles sont loin d’atteindre un niveau satisfaisant.
Il est vrai que, dans les régions économiquement défavorisées, l’aide apportée au réseau transeuropéen de transport par les Fonds structurels et le Fonds de cohésion n’est pas négligeable (environ 20 milliards d’euros pour la période 2000–2006). Mais ce sont les moyens spécifiques inscrits au budget européen pour fournir l’impulsion nécessaire au financement des grands projets qui font le plus cruellement défaut.
Leur volume, de 600 millions d’euros par an entre 2000 et 2006, est tellement insuffisant qu’il faudrait le quintupler pour atteindre une véritable efficacité.
Le réseau transeuropéen de transport, grand oublié du débat budgétaire
C’est sans succès que la Commission a proposé cet accroissement de crédit pour la période 2007–2013. Le réseau de transport a été le grand oublié dans le débat budgétaire qui a agité l’Union européenne à la fin de l’année dernière et c’est finalement un simple doublement qui a été retenu. Maintenir l’aide à l’agriculture, développer les régions les plus pauvres, favoriser la recherche et l’innovation sont certes des objectifs respectables, mais, sans communications, leur réalisation sera fortement compromise.
De toutes les façons, même avec des efforts budgétaires accrus, le bouclage des plans de financement avec des moyens classiques resterait problématique. Il faut innover et, si les idées ne manquent pas, leur application fait encore défaut. Citons à titre d’exemple le recours à un grand emprunt, un mécanisme permettant d’octroyer des garanties d’emprunt ainsi que l’application de surpéages sur les routes situées dans les régions montagneuses.
Il est de plus indispensable de faire davantage appel aux ressources du secteur privé. Ce n’est pas en soi-même une nouveauté, le système des concessions notamment est bien connu, mais le partage des risques entre le public et le privé pose encore, pour les projets les moins rentables comme les projets ferroviaires, de sérieux problèmes. L’environnement juridique des partenariats public-privé ou PPP fait actuellement l’objet de nouvelles propositions de la Commission.
Le Commissaire européen aux transports, le Français Jacques Barrot, a récemment affirmé sa volonté de « mener à bien le défi de la réalisation du réseau transeuropéen de transport ». Il a notamment chargé six personnalités politiques, dont ses deux prédécesseurs Karel Van Miert et Loyola de Palacio, d’assurer la coordination nécessaire pour le lancement des grands projets transfrontaliers.
Il faut espérer que, malgré les restrictions budgétaires, la détermination de M. Barrot permettra de surmonter les obstacles qui contrarient la mise en œuvre d’un projet certes ambitieux, mais essentiel pour l’avenir de l’Europe.