Le retour du nucléaire en Europe doit se faire au niveau communautaire
Nous partageons en Europe, avec les autres États, un marché en voie d’unification et un début de politique énergétique commune. L’intérêt de tous est que ce cadre inclut les conditions d’une meilleure acceptabilité commune. Les opportunités actuelles permettraient de réduire le coût de la filière et de valoriser le savoir-faire d’une industrie européenne.
La » renaissance » du nucléaire répond à la triple nécessité de réduire les émissions de CO2, assurer la sécurité d’approvisionnement électrique et offrir un prix compétitif. Elle emprunte des voies nationales en Europe et même dans le monde entier. Dans l’Union européenne les divergences entre États sont telles que discuter l’option nucléaire au Conseil demeure un tabou. Beaucoup en France jugent que ce n’est pas nécessaire et que le nucléaire relève strictement de la souveraineté nationale. Ce n’est pas mon avis.
Repères
Aujourd’hui, l’énergie nucléaire reste en tête pour la part d’électricité produite dans l’Europe à 27 avec 30,2 % des 3 309 TWh délivrés en 2006, devançant les combustibles solides (28,5 %), le gaz naturel (20,9 %) et l’ensemble des énergies renouvelables (14 %).
Dans certains pays, l’électricité d’origine nucléaire représente une part essentielle de la production (France, Lituanie, Slovaquie, Belgique, Suède, Bulgarie…) ; dans d’autres, elle garde une part significative (Hongrie, Slovénie, République tchèque, Finlande, Allemagne, Espagne, Grande-Bretagne…). Ailleurs, elle n’a pas été mise en oeuvre, par insuffisance d’infrastructure industrielle ou par opposition politique délibérée.
La vulnérabilité de l’Europe
En 1956, la crise de Suez a révélé la vulnérabilité énergétique de l’Europe, largement dépendante du pétrole importé.
Chaque État a voulu conserver la pleine maîtrise de sa politique énergétique
Le recours à l’énergie atomique est alors apparu comme la meilleure voie pour s’en affranchir et sécuriser la production d’électricité. Six pays ont fondé en 1957 la Communauté européenne de l’énergie atomique. Le traité visait à stimuler les efforts de recherche, favoriser l’essor d’une industrie nucléaire et assurer un haut niveau de sûreté. Mais les résultats sont restés minces, chaque État voulant conserver la pleine maîtrise de sa politique énergétique.
L’accident de Tchernobyl a ensuite décrédibilisé le nucléaire dans de nombreux pays. L’Italie y a renoncé ; l’Espagne et les Pays-Bas ont opté pour le non-renouvellement de leur parc ; et l’Allemagne a décidé en 2001 de fermer progressivement ses centrales en fonctionnement. Ces choix ont été facilités par l’apparition de nouvelles technologies rendant attractif l’usage du gaz naturel dans les centrales électriques, et surtout par une longue période de prix modérés pour toutes les énergies fossiles.
La tactique défensive des États pronucléaires n’a pas été très heureuse. Ils ont laissé diaboliser le nucléaire et ses acteurs et utilisé le traité Euratom – qui exige l’unanimité des États dans la plupart des cas – pour interdire toute immixtion communautaire dans leur secteur nucléaire national. Les États antinucléaires au contraire ont utilisé l’espace communautaire pour réduire l’avantage compétitif aux pays dotés de l’énergie nucléaire.
Agir dès maintenant
La Commission européenne situe entre 357 et 380 GW la capacité de production électrique à construire entre 2010 et 2020, moitié par le renouvellement des centrales en fin de vie, moitié pour répondre à l’augmentation de la demande. Mais les conditions actuelles avantagent les renouvelables, le gaz et, dans une moindre mesure, le charbon. Sans mesures positives en faveur de l’énergie nucléaire, celle-ci verrait sa capacité reculer de – 15 % à – 16 % d’ici 2020, selon les hypothèses. Ces scénarios ont été bâtis avant la crise économique actuelle ; ils laissaient craindre une insuffisance de capacité dès 2015 dans certains pays. Avec le ralentissement actuel de la demande, ce risque serait plus lointain. Mais le problème est peut-être moins un manque de capacité que de grosses difficultés en matière de prix de l’énergie de base – en niveau et en stabilité.
Une politique énergie-climat
L’Union dispose désormais de réels pouvoirs en matière d’environnement et a décidé de bâtir une politique » énergie-climat « .
Renforcer la coopération
Les États nucléaires pourraient prendre l’initiative de » coopérations renforcées « . Un premier objectif serait de réduire le coût d’accès au nucléaire en adoptant une procédure d’agrément unifiée pour la construction des centrales. Une autre initiative bienvenue consisterait à mettre en commun les ressources en formation, en créant un réseau délivrant des diplômes d’ingénieur et technicien reconnus par ces pays. Actuellement la pénurie de compétences est grave, et l’attrait pour cette filière serait stimulé par la perspective d’une carrière sans frontières.
Le paquet adopté sous la présidence française comporte des aspects positifs – en particulier les engagements pris pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Cela étant, et même si la récession risque de retarder les investissements, le contexte général est favorable à l’action pour le nucléaire : l’urgence climatique, les besoins des pays émergents, les problèmes de compétitivité, les effets pervers de la volatilité des prix. Huit tranches sont actuellement en construction au sein de l’Union européenne (2 en Bulgarie, 1 en Finlande, 1 en France, 2 en Roumanie et 2 en Slovaquie). Rien qu’en Grande-Bretagne, le potentiel s’élève à 23 tranches, selon le Livre blanc publié par le gouvernement en mars 2008. De plus, au niveau communautaire, plusieurs mesures sont en discussion qui peuvent favoriser la reprise du nucléaire et son développement par les firmes et les États qui le souhaitent. Ainsi, la Commission européenne a proposé le 26 novembre 2008 un socle commun pour les autorités nationales de sûreté nucléaire. L’adoption d’une directive renforcerait sensiblement la confiance de l’opinion publique envers cette énergie. Il a également été proposé de doubler le montant des prêts Euratom de la Banque européenne d’investissement.
De nombreuses propositions
D’autres propositions émergent dans le débat public1 : encadrer le marché des quotas de CO2 de façon à éviter un prix excessivement bas qui décourage l’investissement dans les énergies faiblement carbonées et dans l’efficacité énergétique ; alléger les procédures permettant aux gros consommateurs industriels de signer des contrats d’approvisionnement en électricité à long terme, élargissant ainsi la visibilité nécessaire à leurs investissements en Europe ; établir des garanties financières à l’exportation, afin de placer les fournisseurs européens d’équipements nucléaires sur pied d’égalité avec leurs concurrents, américains, coréens, russes ou japonais, qui obtiennent ce soutien de leurs pays.
L’adoption d’une directive renforcerait sensiblement la confiance de l’opinion publique
Valoriser le savoir-faire
Aucune de ces mesures ne constitue une intrusion dans les politiques nationales : chaque État reste maître de ses choix énergétiques. Mais elles visent toutes à réduire le coût de la filière et à valoriser le savoir-faire d’une industrie européenne qui trouverait ainsi des débouchés internationaux plus importants. 56 eurodéputés ont récemment signé une déclaration conjointe en faveur du nucléaire ; la Commission vient de lancer le Forum de Prague et Bratislava consacré aux échanges sur le sujet ; la dernière analyse stratégique sur la situation énergétique européenne remet la sécurité d’approvisionnement au centre des préoccupations. Il ne faut surtout pas renoncer à provoquer une meilleure acceptabilité de l’énergie nucléaire en Europe.
1. Cf. dans L’Option de Confrontations Europe, n° 24, « La renaissance du nucléaire – un enjeu pour l’Europe », actes du Colloque européen des 27 et 28 mars 2008 à Paris, sept. 2008.