Le rhum

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°547 Septembre 1999Rédacteur : Laurens DELPECH

Le rhum est une eau-de-vie obte­nue par la dis­til­la­tion de liquides fer­men­tés pro­ve­nant de la canne à sucre. En France, on asso­cie le rhum aux Antilles, ce qui n’est pas faux, sur­tout si on prend les Antilles au sens large en y incluant par exemple Cuba, mais la réa­li­té est plus com­plexe. On fait beau­coup de rhum au Vene­zue­la, au Mexique et au Bré­sil (sous le nom de cacha­ça). Le rhum le plus ven­du au monde (Bacar­di) est dis­til­lé à Puer­to Rico et le second pro­duc­teur mon­dial est brésilien.

À l’origine, la canne à sucre n’est pas une plante du Nou­veau Monde, elle est native de la Chine et de l’Inde. Au XVe siècle, elle était culti­vée dans les îles de l’Atlantique (notam­ment les Cana­ries). C’est de là qu’elle par­ti­ra, à l’occasion d’une escale de Chris­tophe Colomb, vers les Amé­riques. Elle s’y adap­te­ra par­fai­te­ment. Bien­tôt, les Espa­gnols et les Por­tu­gais, rapi­de­ment sui­vis des Anglais et des Fran­çais, crée­ront de vastes plan­ta­tion pour expor­ter vers l’Europe du sucre et de la mélasse, qui étaient à l’époque des pro­duits de grand luxe. Très vite, on s’apercevra de la pos­si­bi­li­té d’obtenir à par­tir de la mélasse une bois­son fer­men­tée pou­vant ser­vir de matière pre­mière pour dis­til­ler un alcool : le rhum était né.

Une histoire colorée

Le rhum a com­men­cé par être une bois­son des­ti­née aux esclaves noirs et aux pirates. Au XVIIe et sur­tout au XVIIIe siècle, le rhum pren­dra quand même un peu de galon : la Royal Navy déci­de­ra d’en dis­tri­buer une ration quo­ti­dienne à ses marins, pour l’ajouter à l’eau qui deve­nait imbu­vable après quelques semaines de navi­ga­tion. L’amiral Penn, bap­ti­sé “ old grog ” par ses hommes car il por­tait tou­jours des vête­ments d’un tis­su assez rude appe­lé “ gro­gram ”, crée­ra le pre­mier cock­tail au rhum grog en déci­dant de ser­vir aux marins le rhum addi­tion­né d’eau et de jus de citron (pour lut­ter contre le scorbut).

Entre-temps, la fabri­ca­tion du rhum com­men­çait à pro­gres­ser. En 1694 arri­vait aux Antilles un homme qui allait gran­de­ment en amé­lio­rer les tech­niques de dis­til­la­tion : le père Labat. Il fit de cet alcool le rhum que nous connais­sons aujourd’hui. Le résul­tat fut que les expor­ta­tions vers la métro­pole aug­men­tèrent beau­coup, à un tel point que les pro­duc­teurs d’eaux-de-vie fran­çais deman­dèrent à être pro­té­gés par des taxes à l’importation. Les der­nières de ces taxes, ins­ti­tuées par Louis XIV, furent levées par Napo­léon. L’Empereur avait besoin de beau­coup d’alcool pour le moral de ses troupes et pour ses ambu­lances de campagne…

Le XIXe siècle fut très favo­rable au rhum : l’invention de la colonne à dis­til­ler, suc­cé­dant à l’alambic, per­mit de pro­duire un rhum de qua­li­té en plus grande quan­ti­té et à moindre coût. Sur­tout le “coup de chance” inouï du rhum (comme d’ailleurs du whis­ky écos­sais) fut l’apparition suc­ces­sive de l’oïdium et du phyl­loxé­ra en France qui, en tuant les vignes, dimi­nue­ra pour de longues années la pro­duc­tion de cognac et en fera un alcool très cher, au moment même où la consom­ma­tion d’alcool par habi­tant aug­men­tait, pas­sant de 1,12 litre à 4,7 litres par an.

Au XXe siècle, le rhum sera un acteur majeur de la Pre­mière Guerre mon­diale avant de souf­frir de la pro­hi­bi­tion amé­ri­caine. Il s’est bien rat­tra­pé depuis, puisque le rhum repré­sente 10 % de la pro­duc­tion mon­diale d’alcool. Une grande par­tie du rhum consom­mé à tra­vers le monde sert de base à des cock­tails : ti-punch (Antilles fran­çaises), daï­qui­ri (Antilles, États-Unis), caï­pi­rin­has (Bré­sil) et autres moji­tos (Cuba).

Les différentes sortes de rhums

La grande majo­ri­té des rhums (90 %) se fait à par­tir de mélasse, les autres à par­tir de jus de canne à sucre fer­men­tés. Ce der­nier type de rhum est appe­lé dans les dépar­te­ments d’outre-mer “ rhum agri­cole ”. On ne fait plus guère de rhum agri­cole que dans les Antilles fran­çaises et en Haïti.

Le rhum blanc est tel qu’il est sor­ti de l’alambic ou de la colonne à dis­til­ler, seule­ment légè­re­ment rec­ti­fié pour en abais­ser le niveau alcoo­lique. Il est conser­vé tel quel dans des cuves vitri­fiées avant d’être mis en bou­teille. Ce type de rhum est sur­tout des­ti­né à ser­vir de base aux cocktails.

Le rhum brun de qua­li­té stan­dard est en fait un rhum blanc auquel du sucre cara­mé­li­sé a été ajou­té pour lui don­ner une cou­leur et un goût dif­fé­rents. Ses ver­sions stan­dard sont uti­li­sées dans la pâtis­se­rie, les grogs ou les cock­tails, alors que de bons rhums bruns de qua­li­té supé­rieure peuvent aus­si se dégus­ter pour eux-mêmes.

Les rhums vieux sont des rhums bruns très légè­re­ment ou pas du tout cara­mé­li­sés qui ont pas­sé plu­sieurs années (de trois à quinze ans) dans des fûts, qui leur ont don­né une riche cou­leur brune, com­pa­rable à celle des grandes eaux-de-vie, comme le cognac ou l’armagnac. Cer­tains sont millésimés.

Les bons rhums vieux sont de grands alcools à part entière, qui se dégustent en tant que tels. Ils déve­loppent des arômes de miel, de tabac et de fruits séchés qui en font un par­te­naire idéal du cigare.

Les meilleurs rhums fran­çais pro­viennent de la Mar­ti­nique (une appel­la­tion d’origine contrô­lée “ Rhum agri­cole de la Mar­ti­nique ” vient d’être créée en novembre 1996). Les meilleures marques sont Bailly, Clé­ment, Depaz, Dillon, Duquesne* et Saint-James.

La France est aus­si pré­sente sur le cré­neau des rhums non agri­coles avec la socié­té Per­nod- Ricard qui a les droits exclu­sifs de dis­tri­bu­tion du rhum “Hava­na Club”, pro­duit à Cuba. Elle com­mer­cia­lise en France le Sil­ver Dry et le Hava­na Club trois ans, qui sont par­faits pour les cock­tails ain­si que les Hava­na Club cinq ans et sept ans qui sont de très bons rhums de dégus­ta­tion. Il existe enfin un excellent rhum agri­cole haï­tien, le Barbancourt.

_______________________________
* Aucune paren­té avec le rédac­teur en chef de cette revue.

Poster un commentaire