Premier ouvrage mentionnant le terme : économie politique (1615)

Le rôle des institutions dans le développement économique : les leçons de l’histoire

Dossier : Défricher des voies nouvellesMagazine N°552 Février 2000Par : Jacques BRASSEUL, professeur de sciences économiques

Les institutions, clé de la performance économique

Les institutions, clé de la performance économique

Des expli­ca­tions tra­di­tion­nelles du sous-déve­lop­pe­ment, deux grandes ten­dances ont domi­né dans l’a­près-guerre : la pre­mière est l’ex­pli­ca­tion tiers-mon­diste, avec ses diverses variantes – néo­marxiste, dépen­dan­tiste, struc­tu­ra­liste -, selon laquelle les pays du tiers-monde devraient leur retard à l’ex­ploi­ta­tion et au pillage dont ils ont été vic­times de la part des pays capi­ta­listes avan­cés depuis les grandes décou­vertes (les­quels pays devraient leur richesse aux mêmes causes, déve­lop­pe­ment et sous-déve­lop­pe­ment étant ain­si les deux facettes d’un même phé­no­mène, l’ex­pan­sion du capi­ta­lisme mon­dial) ; la seconde est l’expli­ca­tion néo­clas­sique, illus­trée par le sché­ma linéaire de Ros­tow, selon laquelle le pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment, basé sur l’in­dus­tria­li­sa­tion, se dif­fu­se­rait pro­gres­si­ve­ment dans le monde depuis son ori­gine, la révo­lu­tion indus­trielle en Angle­terre au XVIIIe siècle. Dans cette der­nière expli­ca­tion, on aurait un phé­no­mène de conta­gion pro­gres­sive, de tache d’huile, où le déve­lop­pe­ment gagne­rait de proche en proche.

L’a­na­lyse his­to­rique et l’ex­pé­rience du déve­lop­pe­ment réel dans le tiers-monde ont lar­ge­ment dis­cré­di­té la pre­mière expli­ca­tion, qui conserve cepen­dant des par­ti­sans et aus­si une grande faveur dans l’o­pi­nion publique. Cepen­dant la deuxième expli­ca­tion pèche un peu trop par son opti­misme, d’une part parce que nombre de pays ont résis­té à ce phé­no­mène de dif­fu­sion de la moder­ni­té et ne montrent guère de signes d’un déve­lop­pe­ment rapide, et d’autre part du fait du fameux « fos­sé crois­sant » entre pays riches et pays pauvres, encore sou­li­gné avec alarme dans le der­nier rap­port sur le déve­lop­pe­ment de la Banque mon­diale (1999), qui annonce par la voix de son éco­no­miste en chef, Joseph Sti­glitz : Le monde est en train de perdre la bataille contre la pau­vre­té.

Les théo­ries ins­ti­tu­tion­na­listes du sous-déve­lop­pe­ment per­mettent d’ex­pli­quer cette contra­dic­tion entre les faits et la vision opti­miste néo­clas­sique. Il ne s’a­git pas d’une troi­sième expli­ca­tion, mais d’un com­plé­ment à appor­ter à la deuxième, pour mieux rendre compte de la réa­li­té pré­sente et pas­sée, et peut-être aus­si com­prendre les pers­pec­tives qui s’ouvrent avec le deuxième mil­lé­naire. En gros, selon ces théo­ries, les ins­ti­tu­tions sont la clé de la per­for­mance des éco­no­mies (North, 1992) et les dif­fé­rences entre ins­ti­tu­tions, les blo­cages ou les adap­ta­tions réus­sies au plan ins­ti­tu­tion­nel, expliquent les écarts de déve­lop­pe­ment, les suc­cès des uns et les échecs des autres.

Le cou­rant ins­ti­tu­tion­na­liste en éco­no­mie appa­raît à la fin du XIXème siècle aux États-Unis avec Thor­stein Veblen (1857−1929). Sur la ques­tion du déve­lop­pe­ment, il note que celui-ci se pro­duit lorsque des actions indi­vi­duelles créent des ins­ti­tu­tions capables de sou­te­nir leur dyna­mique dans un pro­ces­sus cumu­la­tif. Le sous-déve­lop­pe­ment se per­pé­tue quand les ins­ti­tu­tions ne peuvent four­nir un cadre ins­tru­men­tal adé­quat pour les actions humaines et dégé­nèrent en pra­tiques rituelles. Ces actions indi­vi­duelles ne sont pas seule­ment celles orien­tées autour de la recherche du pro­fit, mais aus­si celles qui tendent à chan­ger les ins­ti­tu­tions qui déter­minent les com­por­te­ments indi­vi­duels. Il n’y a pas que l’en­tre­pre­neur capi­ta­liste qui a un rôle à jouer, il y a aus­si « l’en­tre­pre­neur ins­ti­tu­tion­nel » qui lance les chan­ge­ments au niveau des ins­ti­tu­tions. (Cité par Dop­fer, 1994).

Pour les ins­ti­tu­tion­na­listes, l’é­co­no­mie est un sys­tème d’ac­ti­vi­tés reliées qui com­prend un savoir-faire et des tech­niques, un stock de capi­tal phy­sique, mais aus­si un réseau com­plexe de rela­tions per­son­nelles ren­for­cées par les habi­tudes, les cou­tumes, les pas­sions et les croyances d’un peuple. Cette concep­tion est appli­cable aus­si bien aux socié­tés modernes qu’aux socié­tés du paléo­li­thique, ou à n’im­porte quelle autre. L’é­co­no­miste doit étu­dier tous ces aspects, et c’est sur ce point que les éco­no­mistes ortho­doxes divergent. Ceux-ci consi­dèrent comme exo­gènes des élé­ments tels que les déter­mi­nants à long terme de la crois­sance, l’at­ti­tude envers le tra­vail, le com­por­te­ment face à l’é­pargne et au risque, la qua­li­té de l’es­prit d’en­tre­prise, la résis­tance des ins­ti­tu­tions au chan­ge­ment et la taille des mar­chés. Cepen­dant, affron­tés au pro­blème des pays sous-déve­lop­pés, les néo­clas­siques sont obli­gés de tenir compte de ces variables.

C’est le cas d’Ar­nold Har­ber­ger qui note que dans un pays pauvre, les obs­tacles à la crois­sance abondent : des élites sociales et poli­tiques non récep­tives au chan­ge­ment, des lacunes énormes en termes de qua­li­fi­ca­tion et de capa­ci­tés requises pour la moder­ni­sa­tion, des mar­chés désor­ga­ni­sés dont le fonc­tion­ne­ment est encore entra­vé par des poli­tiques éco­no­miques mal conçues, des régimes fis­caux et des régimes de change qui sont autant d’obs­tacles à toute évo­lu­tion, tout cela ne consti­tuant qu’une liste très incom­plète… (Cité par Klein, 1977).

Des institutions pour faciliter les transactions

Plus récem­ment, c’est sur­tout le cou­rant néo-ins­ti­tu­tion­na­liste de la New Eco­no­mic His­to­ry, avec son chef de file Dou­glass North, prix Nobel de sciences éco­no­miques en 1993, qui a pro­duit une théo­rie éla­bo­rée d’un déve­lop­pe­ment éco­no­mique lié aux ins­ti­tu­tions. Ce nou­vel ins­ti­tu­tion­na­lisme se dis­tingue du pre­mier par la syn­thèse entre l’a­na­lyse des ins­ti­tu­tions et la pen­sée néo­clas­sique, alors que Veblen et ses dis­ciples reje­taient les théo­ries for­ma­li­sées. Autre­ment dit, on pour­rait affir­mer en sim­pli­fiant que les mar­gi­na­listes vou­laient de la théo­rie sans ins­ti­tu­tions, les ins­ti­tu­tion­na­listes des ins­ti­tu­tions sans théo­rie, alors que North et ses adeptes veulent com­bi­ner ins­ti­tu­tions et théo­rie.


1615. Pre­mière men­tion impri­mée de l’expression “ éco­no­mie poli­tique ”, dont on a tant usé et abusé.

Le concept des coûts de tran­sac­tion, éla­bo­ré par un autre prix Nobel, Ronald Coase, est le prin­ci­pal outil uti­li­sé ici pour com­prendre le rôle des ins­ti­tu­tions. L’a­na­lyse éco­no­mique ortho­doxe ne s’in­té­res­sait qu’aux coûts de pro­duc­tion et consi­dé­rait que les coûts de tran­sac­tion étaient nuls. Ce sont les coûts qui accom­pagnent l’é­change, qui résultent de la ges­tion et de la coor­di­na­tion du sys­tème éco­no­mique dans son ensemble et non de la fabri­ca­tion phy­sique des biens. Dans une socié­té com­plexe, la plu­part des gens – de l’a­vo­cat au comp­table, de l’homme poli­tique au ban­quier – ne sont pas enga­gés direc­te­ment dans des acti­vi­tés de pro­duc­tion, mais dans des acti­vi­tés visant à réduire les coûts de tran­sac­tion, qui comptent pour envi­ron la moi­tié du PIB. On peut les clas­ser en trois catégories :

  • coûts de recherche qui concernent l’in­for­ma­tion préa­lable néces­saire à l’échange,
  • coûts de négo­cia­tion, impli­qués par la déter­mi­na­tion des condi­tions et termes de l’échange,
  • coûts d’ap­pli­ca­tion (enfor­ce­ment) des contrats au sens large, c’est-à-dire tout le côté juri­dique qui découle de leur mise en œuvre conforme aux termes initiaux.


Des coûts de tran­sac­tion éle­vés consti­tuent un obs­tacle à la crois­sance parce qu’ils freinent les échanges. Le rôle des ins­ti­tu­tions est jus­te­ment de réduire ces coûts. L’his­toire éco­no­mique de l’Oc­ci­dent est, selon North, l’his­toire de la mise en place pro­gres­sive d’ins­ti­tu­tions adap­tées, propres à conte­nir la mon­tée des coûts de tran­sac­tions qui accom­pagne la divi­sion accrue du tra­vail et donc la com­plexi­té crois­sante des sociétés.

Dans une com­mu­nau­té pri­mi­tive, les liens per­son­nels limitent les coûts de tran­sac­tion car les par­ti­ci­pants à l’é­change se connaissent et sont donc obli­gés d’a­dop­ter des normes d’é­qui­té. Les coûts de pro­duc­tion y sont par contre éle­vés car la socié­té n’est pas spé­cia­li­sée et dis­pose de peu de capi­tal technique.

Lorsque les mar­chés s’é­lar­gissent, les rela­tions éco­no­miques deviennent imper­son­nelles et il faut pro­té­ger les contrac­tants des fraudes, abus et autres pra­tiques coû­teuses ou dis­sua­sives des échanges, par tout un arse­nal ins­ti­tu­tion­nel, notam­ment juri­dique. Le déve­lop­pe­ment s’ac­com­pagne d’un accrois­se­ment des coûts de tran­sac­tion, au fur et à mesure que la socié­té devient plus com­plexe, et d’une réduc­tion des coûts de pro­duc­tion, au fur et à mesure que le capi­tal s’ac­cu­mule et que la socié­té se spé­cia­lise. Toute la ques­tion est de savoir si la baisse des seconds ne sera pas annu­lée par la hausse des pre­miers : les ins­ti­tu­tions seules feront la dif­fé­rence en limi­tant ou non cet accroissement.

Évo­lu­tion des coûts de pro­duc­tion et de tran­sac­tion avec le développement
Coûts​de production Coûts de transaction
socié­té primitive élevés faibles
socié­té développée faibles élevés

Les ins­ti­tu­tions sont défi­nies, depuis Veblen, comme les règles, les codes de conduite, les normes de com­por­te­ment, mais aus­si la manière dont ces conven­tions sont appli­quées. Ce sont « les com­por­te­ments régu­liers et codi­fiés des gens dans une socié­té, ain­si que les idées et les valeurs asso­ciées à ces régu­la­ri­tés » (Neale, 1994). On peut faire une liste non limi­ta­tive de ces ins­ti­tu­tions adap­tées capables de limi­ter les coûts de tran­sac­tion. Elle cor­res­pond en par­tie aux carac­té­ris­tiques de l’é­co­no­mie de mar­ché : les thèses des néo-ins­ti­tu­tion­na­listes sont réso­lu­ment libérales.

  • La garan­tie des droits de propriété.
  • Le bon fonc­tion­ne­ment des méca­nismes du marché.
  • La sécu­ri­té des échanges.
  • Le res­pect du droit.
  • L’au­to­ri­té de l’État.
  • L’in­té­gri­té des administrations.
  • Les méca­nismes de repré­sen­ta­tion populaire.
  • La pro­tec­tion des inventeurs.
  • La mise en place de mar­chés des den­rées (bourses de com­merce), des titres (bourses de valeurs) et des devises (mar­ché des changes).
  • La mobi­li­té des fac­teurs de pro­duc­tion (capi­tal, travail).
  • La liber­té d’entreprendre.
  • L’a­bo­li­tion des pri­vi­lèges et des mono­poles des cor­po­ra­tions ou des manufactures.
  • Les com­por­te­ments civiques.
  • Le degré de confiance.
  • L’éthique.

L’histoire économique, une histoire des institutions ?

Il faut dis­tin­guer les ins­ti­tu­tions des orga­ni­sa­tions. Ces der­nières, les entre­prises, les admi­nis­tra­tions, les groupes de pres­sion, les asso­cia­tions, etc., sont jus­te­ment appe­lées dans le lan­gage cou­rant « ins­ti­tu­tions ». Mais pour les ins­ti­tu­tion­na­listes, les orga­ni­sa­tions ne sont pas les ins­ti­tu­tions. Elles ne sont que les acteurs ou les joueurs, tan­dis que les ins­ti­tu­tions sont les règles du jeu. Celles-ci changent avec le temps, s’a­daptent aux nou­velles tech­niques, aux modi­fi­ca­tions des prix rela­tifs, aux nou­velles idées, de façon essen­tiel­le­ment conti­nue, pro­gres­sive, selon des voies tra­cées par la struc­ture ins­ti­tu­tion­nelle passée.

C’est ce qu’on appelle la dépen­dance par rap­port au sen­tier, for­mule ima­gée qui implique que le pré­sent est dans une large mesure condi­tion­né par le pas­sé, et que des ten­dances lourdes se main­tiennent à cause des forces d’i­ner­tie propres aux socié­tés et aux com­por­te­ments, ce que John Stuart Mill appe­lait déjà « l’es­cla­vage des cir­cons­tances anté­rieures ». Le phé­no­mène de « path depen­dence » explique qu’il soit dif­fi­cile de sor­tir des struc­tures ins­ti­tu­tion­nelles don­nées d’une société.

L’é­cart de déve­lop­pe­ment entre les deux Amériques

L’ap­proche ins­ti­tu­tion­na­liste per­met à North d’ex­pli­quer l’é­vo­lu­tion diver­gente de l’A­mé­rique latine et de l’A­mé­rique anglo-saxonne depuis la décou­verte. Pour­quoi ces deux par­ties du conti­nent qui ont une his­toire proche, décou­vertes et peu­plées par des Euro­péens à par­tir de 1492, sont-elles si dif­fé­rentes, l’une fai­sant par­tie du tiers-monde et l’autre du monde déve­lop­pé ? La réponse tient aux ins­ti­tu­tions et au phé­no­mène de path dependence.

L’Es­pagne du XVe siècle est divi­sée en royaumes indé­pen­dants dont les plus puis­sants sont la Cas­tille et l’A­ra­gon. Mais leurs ins­ti­tu­tions sont oppo­sées, la pre­mière est un État hié­rar­chique, cen­tra­li­sé et mili­taire, aus­tère et dépouillé, en guerre avec ses voi­sins musul­mans au sud de la pénin­sule, le second est un État com­mer­çant médi­ter­ra­néen, décen­tra­li­sé, en paix avec ses voi­sins et qui com­mence à déve­lop­per des pou­voirs locaux au sein des Cor­tès. L’u­nion de la Cas­tille et de l’A­ra­gon, par le mariage d’I­sa­belle et Fer­di­nand, en 1469, pre­mière étape de la puis­sance et de l’u­ni­té espa­gnole, va se tra­duire peu à peu par l’é­touf­fe­ment des ins­ti­tu­tions ara­go­naises et l’im­po­si­tion du modèle cas­tillan, mélange de bureau­cra­tie auto­ri­taire et de mer­can­ti­lisme étroi­te­ment diri­giste, « orien­tés pour le seul pro­fit de la cou­ronne » (North). Autre­ment dit, les chances d’une évo­lu­tion à l’an­glaise seront per­dues pour l’Es­pagne. Ce modèle sera repro­duit outre-Atlan­tique dans les colo­nies espa­gnoles, pro­vo­quant, par-delà les siècles, le sous-déve­lop­pe­ment durable de l’A­mé­rique latine.

La Grande-Bre­tagne met au contraire pro­gres­si­ve­ment en place des ins­ti­tu­tions décen­tra­li­sées et libé­rales qui vont faire son suc­cès éco­no­mique, ain­si que celui de ses ex-colo­nies de peu­ple­ment (les États-Unis, le Cana­da, l’Aus­tra­lie, la Nou­velle-Zélande). Les prin­ci­paux jalons de cette évo­lu­tion sont les sui­vants : 1215, Magna Car­ta ; 1571, liber­té de cir­cu­la­tion des pro­duits sur tout le ter­ri­toire ; 1649, pre­mière révo­lu­tion anglaise ; 1679, Habeas cor­pus ; 1689, Bill of Rights. L’An­gle­terre apporte dans ses colo­nies les pre­mières ins­ti­tu­tions par­le­men­taires, libé­rales, favo­rables à l’en­tre­prise, aux droits indi­vi­duels, etc.

Appli­qué à l’é­vo­lu­tion à long terme, le cadre théo­rique ain­si posé per­met à North (1992) d’af­fir­mer que « l’Es­sor du monde occi­den­tal est l’his­toire d’in­no­va­tions ins­ti­tu­tion­nelles réus­sies qui sont venues à bout de la faim et des famines, des mala­dies et de la pau­vre­té, pour pro­duire le monde déve­lop­pé moderne. » Entre le XVe et le XVIIIe siècle, cer­tains pays mettent en place des ins­ti­tu­tions favo­rables au pro­grès éco­no­mique (la Hol­lande et l’An­gle­terre), tan­dis que d’autres échouent à le faire (les also-rans comme l’Es­pagne et la France). Ces ins­ti­tu­tions per­mettent de conte­nir la mon­tée des coûts de tran­sac­tion, d’ac­croître la pro­duc­ti­vi­té de telle façon que la ten­dance aux ren­de­ments décrois­sants dans l’a­gri­cul­ture soit contrée, de récom­pen­ser les inno­va­teurs, bref de ras­sem­bler fina­le­ment les condi­tions favo­rables à la révo­lu­tion industrielle.

Celle-ci consiste en une spé­cia­li­sa­tion accrue per­mise par un élar­gis­se­ment des mar­chés, et un chan­ge­ment dans l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique pour limi­ter les coûts de tran­sac­tion, ce qui a favo­ri­sé à son tour les inno­va­tions tech­niques et la crois­sance. Mais c’est la deuxième révo­lu­tion indus­trielle à la fin du XIXe siècle, carac­té­ri­sée par la « crois­sance du stock des connais­sances » et l’in­ter­pé­né­tra­tion totale de la science et de la tech­no­lo­gie, qui consti­tue en fait le point de rup­ture majeur, com­pa­rable à ce qu’a été la révo­lu­tion néo­li­thique (l’ap­pa­ri­tion de l’a­gri­cul­ture il y a dix mille ans, pre­mière révo­lu­tion éco­no­mique), et North peut alors par­ler d’une seconde révo­lu­tion éco­no­mique, ame­nant « une courbe d’offre élas­tique des connais­sances nou­velles, une tech­no­lo­gie capi­ta­lis­tique et la néces­si­té de chan­ge­ments majeurs de l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique pour réa­li­ser le poten­tiel de cette tech­no­lo­gie. » (1981)

Ces chan­ge­ments sont ceux que nous connais­sons au XXe siècle, c’est-à-dire l’hy­per­spé­cia­li­sa­tion et la hausse sans pré­cé­dent des niveaux de vie, et là encore le déve­lop­pe­ment de tout un sec­teur ter­tiaire qui devient domi­nant et dont le rôle est de coor­don­ner et de faire fonc­tion­ner une socié­té de plus en plus com­pli­quée, « de per­mettre des échanges com­plexes » (North, 1994), en réa­li­sant une « adap­ta­tion efficace ».

La crois­sance n’est donc pos­sible que par le jeu d’é­qui­libre entre les deux types de coûts : les coûts de pro­duc­tion qui baissent avec les chan­ge­ments tech­no­lo­giques, les coûts de tran­sac­tion qui aug­mentent avec la com­plexi­fi­ca­tion de la socié­té, et les ins­ti­tu­tions qui s’a­daptent pour limi­ter cette augmentation.

Si cette adap­ta­tion n’est pas réus­sie et si les coûts de pro­duc­tion ne baissent pas suf­fi­sam­ment pour com­pen­ser la hausse des coûts de tran­sac­tion, la crois­sance peut être blo­quée comme dans nombre de socié­tés à l’Est et au Sud. Le sous-déve­lop­pe­ment per­sis­tant en Afrique ain­si que les dif­fi­cul­tés énormes de la tran­si­tion en Rus­sie s’ex­pliquent par des coûts de tran­sac­tion exor­bi­tants liés à divers fac­teurs ins­ti­tu­tion­nels : fai­blesse de l’É­tat, insé­cu­ri­té géné­rale, cor­rup­tion, népo­tisme, forte influence des groupes de pres­sion ou des groupes eth­niques, puis­sance des mafias, manque d’in­té­gri­té des admi­nis­tra­tions, mau­vais fonc­tion­ne­ment du mar­ché, etc.

La seule voie pos­sible du déve­lop­pe­ment réside donc dans l’é­la­bo­ra­tion pro­gres­sive d’ins­ti­tu­tions capables de maî­tri­ser ces coûts. L’ex­pé­rience des pays déve­lop­pés montre que le mar­ché ne peut fonc­tion­ner qu’a­vec un cadre ins­ti­tu­tion­nel favo­rable, un cadre dont l’É­tat ne repré­sente qu’un élément.

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NGETErépondre
23 septembre 2024 à 21 h 28 min

J’aime beau­coup

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