Le rôle social des fondations, une longue marche vers la modernité
Institutions de mécénat, les fondations peuvent gérer directement des établissements ou redistribuer des fonds à des associations, établissements culturels ou autres. Des évolutions significatives se font jour, aussi bien dans le comportement des donateurs que dans celui des acteurs, répondant aux problèmes sociaux auxquels ils ont à faire face.
Les fondations sont des acteurs sociaux anciens dont les modes d’interventions ont évolué avec le temps et les circonstances historiques.
Repères
Les fondations ne sont pas des organismes fondés sur le lien social comme les associations qui sont des institutions dans lesquelles des bénévoles se regroupent pour mener un projet collectif.
Leur origine tient dans la volonté d’une personne morale ou physique, qui affecte des biens à une oeuvre d’intérêt général.
Elles sont des institutions de mécénat qui peuvent prendre des formes diverses : soit elles gèrent des établissements, elles sont alors dites opérationnelles, soit elles sont redistributrices de fonds à des associations, laboratoires, établissements culturels, etc.
Dès leur origine, sous l’Ancien Régime et sous l’Empire, elles ont été au service des plus pauvres. En effet, les privilèges donnés par la royauté à l’Église avaient pour contrepartie la prise en charge des malades et des nécessiteux. Des hospices, des orphelinats, des foyers ont été construits : ces institutions avaient une fonction sociale indispensable à une époque où l’État ne se chargeait pas de ces questions.
Les premières fondations ont été autorisées en 1227 par lettres patentes royales
Si elles ont connu une grande activité sous l’Ancien Régime, elles ont été limitées par le pouvoir royal qui voyait se développer dans le royaume les biens de mainmorte sous la tutelle de l’Église. Dès 1227 ont été instaurées les premières autorisations par lettres patentes royales pour créer des fondations. En 1666, l’édit de Saint-Germain a réglementé les communautés en subordonnant notamment leur existence, comme leur capacité d’ester ou de recevoir des dons et legs, à une autorisation royale. La Révolution française supprime ce droit, dissout les congrégations et leurs fondations, confisque les biens ecclésiastiques. Si les droits de » bonnes mainmortes et communautés » ont été de nouveau autorisés sous Napoléon, l’appréciation de l’opportunité ne dépendait toujours que du gouvernement. Le besoin d’établissements relevant de ce dispositif étant permanent, les fondations progressent jusque vers la fin du XIXe siècle. Les grandes crises du début du XXe siècle ont entraîné la disparition de nombreuses fondations, mais certaines ont persisté à travers le temps comme, par exemple, l’hospice des orphelins de Blérancourt créé en 1666, l’Institut Pasteur (1887) ou la Fondation Thiers (1893).
Un processus de modernisation
Pas de fondation sans autorisation
Jadis créée par édit royal, aujourd’hui par décret ou par arrêté ou avec l’accord formalisé d’une structure intermédiaire » abritante « , la fondation doit être aujourd’hui, en France, dûment autorisée pour voir le jour. C’est l’une des principales traces du passé dans le système actuel.
Toujours marqué par la pratique de l’Ancien Régime, le système français des fondations connaît depuis les années soixante un processus de modernisation. Plusieurs étapes récentes jalonnent la lente évolution vers la modernisation du dispositif français des fondations : – 1969 : la Fondation de France est créée par André Malraux qui veut développer le mécénat en France ; – 1987 : création d’un statut de fondation protégé qui n’existait pas, jusqu’à cette date seule la jurisprudence (non publiée) du Conseil d’État servait de base juridique ; – 1990 : statuts de » fondations d’entreprises » ; – 1996, à la demande du Premier ministre Édouard Balladur, un groupe d’études est constitué au Conseil d’État pour élaborer les mesures nécessaires à la modernisation des fondations. Le rapport n’a pas de suites particulières mais devient un outil de référence. Il faut attendre 2003 pour assister au grand changement et voir les verrous sauter. Jean-Pierre Raffarin demande à son ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, de mettre en place des dispositions pour » développer le mécénat des fondations « .
Les dispositions Aillagon
Lors de la conférence de presse de présentation des nouvelles dispositions, le Premier ministre indique que l’État n’est pas le seul détenteur de l’intérêt général et met fortement en avant l’importance du rôle que les fondations peuvent jouer dans notre pays ainsi que la nécessité de rattraper le retard par rapport aux pays voisins.
On compte en France environ 1 500 fondations contre 1 million d’associations
Cette histoire chaotique explique pourquoi les fondations, bien qu’étant des acteurs importants dans le domaine social, sont en nombre faible (environ 1 500 aujourd’hui) par rapport aux associations (plus de 1 million). La loi de 1901 consacrant les associations a entraîné un engouement qui ne se dément toujours pas pour ce dispositif. L’association est d’essence démocratique où chacun peut s’engager pour une cause quelle qu’elle soit, cela a longtemps participé à faire peser un doute sur les fondations car les fondateurs oeuvrent avec un mode de fonctionnement plus direct, sans assemblée générale et apparemment selon leur volonté. La loi sur le mécénat de 2003, les dispositions d’ordre fiscal, la modification des statuts types, la loi de 2005 sur la recherche scientifique ont dessiné un nouvel environnement permettant de mettre à la disposition des philanthropes des outils modernes et adaptés à leurs volontés » mécénales « . Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
* Hors Institut de France – par 13 fondations dont principalement la Fondation de France et la Fondation du judaïsme français.
Source : Observatoire de la Fondation de France – janvier 2008. Bien que les fondations soient peu nombreuses en France par rapport aux pays voisins, on peut penser que le mouvement engagé depuis 2003 permettra de combler ce déficit. En matière sociale, les fondations opérationnelles poursuivent leurs activités grâce à la prise en charge par les prix de journée des établissements de soins ou d’accueil. La Fondation d’Auteuil, qui assure la scolarisation et la formation de jeunes, a élargi son programme à la prise en compte de la famille qui est associée aux parcours des jeunes accueillis dans les centres de formation. Cela permet de retisser des liens familiaux, de préparer la sortie des jeunes et de favoriser une réinsertion sociale.
Source : Enquête Fondation de France auprès des fondations – parution 2008.
Lire : 17% des fondations abritées sont actives pour les Arts et la culture
Mettre en avant le travail collectif pour responsabiliser les personnes concernées
L’essor des fondations redistributrices
Progressivement des fondations redistributrices sur le modèle anglo-saxon sont apparues et sont aujourd’hui majoritaires par rapport aux fondations opérationnelles. Elles peuvent être le fait de particuliers ou d’entreprises. Elles n’oeuvrent évidemment pas toutes dans le domaine social, elles aident aussi la recherche, apportent des bourses pour les jeunes ou les chercheurs, aident à la création artistique, etc.
Les fondations d’entreprises
Le développement des » fondations d’entreprises » notamment depuis ces trois dernières années est spectaculaire.
Celles-ci après avoir agi principalement dans la culture se sont engagées dans de nombreux programmes de soutien à des actions sociales comme, par exemple :
la Fondation BNP Paribas qui a ouvert un programme pour aider des jeunes dans les quartiers défavorisés, la Fondation HSBC qui a ouvert un programme spécifique pour l’accès à la culture des jeunes dans des zones difficiles donnant ainsi une ouverture plus grande et favorisant des projets collectifs, base d’une bonne socialisation.
Pour elles, la distribution de fonds n’est pas un simple geste financier. Elles ne sont pas des établissements bancaires mais elles ancrent leurs soutiens à des politiques structurées. En effet, elles jouent souvent un rôle de précurseur dans de nombreux domaines, elles ont la capacité de prendre des risques pour explorer des voies nouvelles afin d’apporter des réponses aux problèmes que crée une société en rapide évolution, elles sont source d’innovation. Leur pérennité, leur indépendance et leurs moyens financiers constituent des atouts essentiels pour y parvenir. Elles sont en contact avec des acteurs très divers que sont, par exemple, les associations, les collectivités publiques, l’État, des laboratoires de recherche qu’elles soutiennent financièrement ou avec qui elles montent des partenariats. Il est aussi des fondations qui ont la double activité, par exemple la Fondation Caisses d’Épargne pour la Solidarité (fondation reconnue d’utilité publique) qui gère des établissements pour personnes âgées ou handicapées mais poursuit aussi un important programme de soutien financier contre l’illettrisme. Elle est très attachée à la participation des récipiendaires.
Faire participer les récipiendaires
La notion de lien social est assez récente, elle est apparue dans les années quatre-vingt-dix sous la plume de Jean-Baptiste de Foucault (Une société en quête de sens, avec Denis Piveteau, éd. Odile Jacob), qui a fait apparaître que l’aide sociale ne suffisait pas mais qu’il fallait donner du sens aux actions menées et que les récipiendaires devaient eux-mêmes participer aux programmes qui les concernaient afin de ne pas s’installer dans une position d’assistés. Cette nécessité d’associer les populations à l’élaboration des projets qui les concernent est devenue, depuis une dizaine d’années, une sorte d’évidence pour l’ensemble du champ social, quel que soit l’objectif poursuivi.
Agir ensemble
Ce programme met en avant le travail collectif pour responsabiliser les personnes concernées par le projet soutenu.
Cela renforce la dignité des personnes et aide à l’autonomisation ; les actions les plus exemplaires sont valorisées chaque année par la remise de prix et donnent la possibilité aux primés de présenter leur travail dans la presse et auprès d’autres associations.
Ce principe s’est notamment développé sous l’impulsion d’acteurs associatifs, il a été particulièrement repris par exemple dans la politique de la ville, il est même intégré dans certaines lois, comme la loi dite 2002–2 visant à la mise en place de comités d’usagers dans les établissements du secteur sanitaire et social. Certaines fondations se sont appuyées sur ce concept pour renforcer leurs actions de lutte contre l’exclusion. Par exemple pour la Fondation de France, la participation des récipiendaires est partie intégrante de nombre de ses programmes. Pourtant, sur le terrain, cette condition de réussite est loin d’être toujours remplie, tant le passage de la théorie à la pratique pose problème, tant aux populations concernées qu’aux professionnels. C’est notamment le cas lorsque l’on tente d’associer les personnes les plus exclues, qui ont perdu parfois depuis longtemps tout pouvoir de décision sur les sujets qui les concernent. L’évaluation du programme Agir ensemble, menée par les délégations régionales de la Fondation de France depuis une douzaine d’années, démontre que la mise en place de projets réellement participatifs nécessite un savoir-faire et des outils qui ne s’improvisent pas, surtout s’ils se proposent d’associer des publics en difficulté. Cette conclusion rejoint la pratique des autres programmes de la Fondation de France, qui affichent l’ambition de financer des projets associant leurs usagers, mais qui, dans les faits, soutiennent trop d’initiatives qui ne satisfont que partiellement ce critère.
Soutenir les porteurs de projets
Soucieuse de ne pas renoncer à l’objectif, mais de prendre acte de la situation telle qu’elle est pour intervenir de manière à la fois plus réaliste et plus constructive, la Fondation de France a décidé de modifier son intervention, en intégrant une aide complémentaire dans la quasi-totalité de ses appels à projets. Ce possible financement vise à soutenir les porteurs de projets qui s’engagent dans une démarche favorisant l’implication active des personnes concernées, parmi lesquelles sont mobilisées des personnes exclues.
Une intense activité de la philanthropie
Il faut aider à l’implication active des personnes concernées, parmi lesquelles des personnes exclues
Chaque jour de nouvelles fondations s’engagent dans de tels programmes qui nécessitent une bonne méthodologie, une flexibilité importante pour s’adapter en permanence aux difficultés de tels projets. Elles procèdent par appel d’offres pour trouver sur tout le territoire les associations au contact des difficultés qui proposent les meilleurs projets, ainsi elles remplissent leur fonction d’opérateurs de plus en plus significatifs dans le champ des solidarités. Nous sommes entrés dans un moment d’intense activité de la philanthropie qui laisse encore présager des évolutions significatives aussi bien dans le comportement des donateurs, en fonction des outils mis à leur disposition, que dans celui des acteurs de terrain qui auront plus de moyens à leur disposition et donc plus de capacité de laisser libre leur imagination pour répondre aux problèmes sociaux auxquels ils ont à faire face.