Le royaume / Une part manquante / En fanfare / Leurs enfants après eux / Conclave
J’ai passé à la trappe Finalement (Claude Lelouch), Gladiator II (Ridley Scott), Le panache (Jennifer Devoldère), Diamant brut (Agathe Riedinger), soit dans l’ordre 127 minutes pas si désagréables, 150 distrayantes mais vaines, 95 aussitôt oubliées et 103 dépourvues d’intérêt. Mais le reste valait la peine.
Le Royaume
Réalisateur : Julien Colonna – 1 h 48.
Julien Colonna déporte en figure féminine (à péripéties décalées) sa position adolescente de fils de Jean-Jé Colonna, parrain de la Corse du Sud mort « accidentellement » en 2006. Écœurement. Le film ? Non. Ce qu’il couvre en le découvrant, une culture de la mort et de la vengeance, hors fiction. Prendre conscience qu’on voit une réalité sans filtre soulève une immense vague d’antipathie méprisante, impuissante et horrifiée. Ces hommes qui rient ou se taisent, pêchent et festoient, s’embrassent dans des accolades sans fin, existent, vivent ce qu’on nous montre, tuent sans réfléchir, sans comprendre, sans penser qu’on puisse vivre autrement. Une société-bis injustifiable est formidablement décrite, transposition oblige, à hauteur de gamine (excellente Ghjuvanna Benedetti), dans l’étonnement et l’incompréhension d’abord, puis dans le dessillement et l’adhésion.
C’est excellemment joué. La tension est constante. Mais l’amour partagé de la fille au père et du père à la fille y est une tentative indéfendable de rédemption (teintée chez le réalisateur d’absolution filiale ?) pour un réel abject d’assassinats. Convaincant, magnifiquement tenu et filmé, Le Royaume est une réussite complète et un objet filmique ambigu et dangereux, où perce l’héroïsation involontaire (?) aux couleurs de la Corse d’une absurde culture de la vendetta.
Une part manquante
Réalisateur : Guillaume Senez – 1 h 38
Modeste et très intéressant, avec de riches aspects documentaires (Tokyo, le Japon). Avec un grand Romain Duris, formidable par cette capacité qu’ont les meilleurs d’incarner une intériorité puissante sans moyens tapageurs. Galerie pointilliste de portraits à peine ébauchés mais touchant juste autour du chemine-ment humblement obstiné d’un père à la recherche de sa fille, « enlevée » neuf ans plus tôt lors du départ de la mère sous le couvert d’une législation japonaise qui nous étonne. Le scénario est évidemment improbable, mais les saynètes qu’il égrène nous retiennent, et puis il y a Tokyo, et Romain Duris. Un film très attachant.
En fanfare
Réalisateur : Emmanuel Courcol – 1 h 44
Lavernhe, Lottin, Suco, l’affiche a raison : le trio est formidable. Le film leur doit tout sans qu’aucun autre ne démérite. C’est un mélodrame à conditions réunies : fratrie dissociée, leucémie, don de moelle, différence de classe, générosité, chaleur humaine, liens familiaux, destins contrariés, tout (trop presque) y est, mais on est embarqué, on s’attache, on les aime tous. La peinture est sensible, nuancée et la fanfare (l’Harmonie) un tendre creuset humain. L’extrême finesse de jeu de Benjamin Lavernhe, la formidable spontanéité de Sarah Suco, l’explosivité épidermique sous-tendue de richesse de Pierre Lottin s’inscrivent à la perfection dans l’amer comique d’une émouvante fable musicale désespérément fraternelle qui dit beaucoup sur beaucoup. Bravo !
Leurs enfants après eux
Réalisateurs : Ludovic et Zoran Boukherma – 2 h 21
Après L’amour ouf, une autre lecture de la relation amoureuse empêchée. Moins convenue, plus riche de contextualisation, plus fine. Paul Kircher reprend la mystérieuse opacité de l’adolescence qui brillait (autre cadre) dans Le règne animal. Il est impressionnant. Son personnage tend vers une sorte de positivité de la frustration, qui culmine dans un extraordinaire sourire final sur une moto qui file. Rien n’est jamais perdu. Le scénario à facettes est d’une belle précision. Gilles Lellouche campe avec beaucoup de force un beauf poignant dans sa « beaufitude » même. Épaisseur narrative et oxymore d’une « complexité éclairante ». Personnages secondaires soignés et convaincants, situations étonnantes de vérité. Une très belle réussite, dense d’un tragique maîtrisé qui n’insulte pas l’avenir.
Conclave
Réalisateur : Edward Berger – 2 h 00
Le Monde l’a descendu. Télérama – un peu du bout des lèvres – a concédé un « bien ». Et j’ai trouvé fascinant. La tension dramatique est à son extrême de bout en bout. Le scénario est affûté, avec des rebondissements inattendus. Les acteurs sont parfaits : Ralph Fiennes, impérial d’intériorité. On est pendant deux heures sur le fil, et la mise en scène, la forme construisent un formidable objet de cinéma. C’est tout à fait étonnant, dense et captivant. Une élection papale shakespearienne et « au cordeau ». Un « must » du thriller théologique.