Cinéma, les films à l'affiche en janvier 2025

Le royaume / Une part manquante / En fanfare / Leurs enfants après eux / Conclave

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°801 Janvier 2025
Par Christian JEANBRAU (63)

J’ai pas­sé à la trappe Fina­le­ment (Claude Lelouch), Gla­dia­tor II (Rid­ley Scott), Le panache (Jen­ni­fer Devol­dère), Dia­mant brut (Agathe Rie­din­ger), soit dans l’ordre 127 minutes pas si désa­gréables, 150 dis­trayantes mais vaines, 95 aus­si­tôt oubliées et 103 dépour­vues d’intérêt. Mais le reste valait la peine.

Le Royaume Réalisateur : Julien Colonna – 1 h 48. Le Royaume

Réa­li­sa­teur : Julien Colon­na – 1 h 48.

Julien Colon­na déporte en figure fémi­nine (à péri­pé­ties déca­lées) sa posi­tion ado­les­cente de fils de Jean-Jé Colon­na, par­rain de la Corse du Sud mort « acci­den­tel­le­ment » en 2006. Écœu­re­ment. Le film ? Non. Ce qu’il couvre en le décou­vrant, une culture de la mort et de la ven­geance, hors fic­tion. Prendre conscience qu’on voit une réa­li­té sans filtre sou­lève une immense vague d’antipathie mépri­sante, impuis­sante et hor­ri­fiée. Ces hommes qui rient ou se taisent, pêchent et fes­toient, s’embrassent dans des acco­lades sans fin, existent, vivent ce qu’on nous montre, tuent sans réflé­chir, sans com­prendre, sans pen­ser qu’on puisse vivre autre­ment. Une socié­té-bis injus­ti­fiable est for­mi­da­ble­ment décrite, trans­po­si­tion oblige, à hau­teur de gamine (excel­lente Ghju­van­na Bene­det­ti), dans l’étonnement et l’incompréhension d’abord, puis dans le des­sille­ment et l’adhésion.

C’est excel­lem­ment joué. La ten­sion est constante. Mais l’amour par­ta­gé de la fille au père et du père à la fille y est une ten­ta­tive indé­fen­dable de rédemp­tion (tein­tée chez le réa­li­sa­teur d’absolution filiale ?) pour un réel abject d’assassinats. Convain­cant, magni­fi­que­ment tenu et fil­mé, Le Royaume est une réus­site com­plète et un objet fil­mique ambi­gu et dan­ge­reux, où perce l’héroïsation invo­lon­taire (?) aux cou­leurs de la Corse d’une absurde culture de la vendetta.


Une part manquante Réalisateur : Guillaume Senez – 1 h 38 Une part manquante

Réa­li­sa­teur : Guillaume Senez – 1 h 38

Modeste et très inté­res­sant, avec de riches aspects docu­men­taires (Tokyo, le Japon). Avec un grand Romain Duris, for­mi­dable par cette capa­ci­té qu’ont les meilleurs d’incarner une inté­rio­ri­té puis­sante sans moyens tapa­geurs. Gale­rie poin­tilliste de por­traits à peine ébau­chés mais tou­chant juste autour du che­mine-ment hum­ble­ment obs­ti­né d’un père à la recherche de sa fille, « enle­vée » neuf ans plus tôt lors du départ de la mère sous le cou­vert d’une légis­la­tion japo­naise qui nous étonne. Le scé­na­rio est évi­dem­ment impro­bable, mais les say­nètes qu’il égrène nous retiennent, et puis il y a Tokyo, et Romain Duris. Un film très attachant.


En fanfare Réalisateur : Emmanuel Courcol – 1 h 44En fanfare

Réa­li­sa­teur : Emma­nuel Cour­col – 1 h 44

Lavernhe, Lot­tin, Suco, l’affiche a rai­son : le trio est for­mi­dable. Le film leur doit tout sans qu’aucun autre ne démé­rite. C’est un mélo­drame à condi­tions réunies : fra­trie dis­so­ciée, leu­cé­mie, don de moelle, dif­fé­rence de classe, géné­ro­si­té, cha­leur humaine, liens fami­liaux, des­tins contra­riés, tout (trop presque) y est, mais on est embar­qué, on s’attache, on les aime tous. La pein­ture est sen­sible, nuan­cée et la fan­fare (l’Harmonie) un tendre creu­set humain. L’extrême finesse de jeu de Ben­ja­min Lavernhe, la for­mi­dable spon­ta­néi­té de Sarah Suco, l’explosivité épi­der­mique sous-ten­due de richesse de Pierre Lot­tin s’inscrivent à la per­fec­tion dans l’amer comique d’une émou­vante fable musi­cale déses­pé­ré­ment fra­ter­nelle qui dit beau­coup sur beau­coup. Bravo !


Leurs enfants après eux Réalisateurs : Ludovic et Zoran Boukherma – 2 h 21Leurs enfants après eux

Réa­li­sa­teurs : Ludo­vic et Zoran Bou­kher­ma – 2 h 21

Après L’amour ouf, une autre lec­ture de la rela­tion amou­reuse empê­chée. Moins conve­nue, plus riche de contex­tua­li­sa­tion, plus fine. Paul Kir­cher reprend la mys­té­rieuse opa­ci­té de l’adolescence qui brillait (autre cadre) dans Le règne ani­mal. Il est impres­sion­nant. Son per­son­nage tend vers une sorte de posi­ti­vi­té de la frus­tra­tion, qui culmine dans un extra­or­di­naire sou­rire final sur une moto qui file. Rien n’est jamais per­du. Le scé­na­rio à facettes est d’une belle pré­ci­sion. Gilles Lel­louche campe avec beau­coup de force un beauf poi­gnant dans sa « beau­fi­tude » même. Épais­seur nar­ra­tive et oxy­more d’une « com­plexi­té éclai­rante ». Per­son­nages secon­daires soi­gnés et convain­cants, situa­tions éton­nantes de véri­té. Une très belle réus­site, dense d’un tra­gique maî­tri­sé qui n’insulte pas l’avenir.


Conclave Réalisateur : Edward Berger – 2 h 00Conclave

Réa­li­sa­teur : Edward Ber­ger – 2 h 00

Le Monde l’a des­cen­du. Télé­ra­ma – un peu du bout des lèvres – a concé­dé un « bien ». Et j’ai trou­vé fas­ci­nant. La ten­sion dra­ma­tique est à son extrême de bout en bout. Le scé­na­rio est affû­té, avec des rebon­dis­se­ments inat­ten­dus. Les acteurs sont par­faits : Ralph Fiennes, impé­rial d’intériorité. On est pen­dant deux heures sur le fil, et la mise en scène, la forme construisent un for­mi­dable objet de ciné­ma. C’est tout à fait éton­nant, dense et cap­ti­vant. Une élec­tion papale sha­kes­pea­rienne et « au cor­deau ». Un « must » du thril­ler théologique.

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