Le Sahel : L’Afghanistan de la France ?
L’action militaire française au Sahel ne peut résoudre seule le problème et la communauté internationale doit changer radicalement ses modes de soutien pour éviter une déstabilisation de toute l’Afrique de l’Ouest. Il s’agit de prendre à bras-le-corps les causes qui sont à la fois démographiques, économiques, institutionnelles, idéologiques et religieuses.
Malgré la présence de civils, les traces du conflit malien restent présentes. Août 2013 : un chef de groupe du génie vérifie l’absence de piégeage de caisses de munitions et marque le terrain.
La récente attaque terroriste commise à Bamako, la poursuite des incidents au Nord où les troupes des Nations unies subissent des pertes régulières, l’enlisement du processus de paix et enfin de réguliers dérapages de gouvernance nous rappellent que ni le Mali (ni l’armée française) ne sont sortis d’affaire.
Cela d’autant moins que le Mali n’est qu’un élément d’un arc de crise qui, depuis l’Afghanistan, couvre une bonne part du Moyen-Orient, le Sinaï et la Libye.
Dans un contexte marqué par l’implosion de la Libye et l’implantation dans ce pays de Daech qui cherche à mettre la main sur sa richesse pétrolière et à déstabiliser les pays voisins, nous sommes en droit de nous demander pour combien de temps nos soldats sont engagés dans ces confins saharo-sahéliens et s’ils ne vont pas s’y enliser.
En un mot le Sahel ne risque-t-il pas de devenir l’Afghanistan de la France ?
REPÈRES
La France s’est trouvée contrainte, en janvier 2013, d’intervenir en urgence pour sauver le Mali d’une prise de contrôle par des groupes djihadistes qui occupaient déjà le nord du pays. Les enjeux étaient considérables : il s’agissait d’empêcher la constitution d’un califat au coeur du Sahel, de prévenir la capture non plus de trois ou quatre otages mais de 5 000 à 6 000 de nos compatriotes, et d’empêcher une déstabilisation de la Côte‑d’Ivoire.
UNE RÉPONSE TRÈS PARTIELLE
La sécurité, en fait, se dégrade depuis plus d’une décennie dans toute cette région (rappelons le départ du « Paris-Dakar » vers l’Amérique latine) et cette dégradation s’est accélérée depuis la chute du régime de Kadhafi qui a provoqué un retour des mercenaires sahéliens du régime, rentrés chez eux avec leurs outils de travail favoris.
À l’effondrement malien et à la dégradation sécuritaire du Sahel, la France a essentiellement répondu par un effort militaire, matérialisé maintenant par le dispositif Barkhane qui mobilise environ 4 000 hommes pour surveiller et intervenir sur une zone couvrant une bonne part de la région et représentant cinq à six fois la superficie de notre pays.
Cet effort militaire s’est accompagné depuis 2014 d’un accroissement de l’action des grandes agences d’aide internationales. Leur intervention se comprend car le début d’incendie qui se manifeste dans tout le nord du Sahel mais aussi dans la zone d’influence du groupe terroriste Boko Haram (nord du Nigeria, sud du Niger et du Tchad et nord du Cameroun) ne pourra manifestement pas être traité par les seuls moyens militaires.
Les causes sont en effet à la fois démographiques, économiques, institutionnelles, idéologiques et religieuses.
DES CAUSES DÉMOGRAPHIQUES
Ces causes sont démographiques car ces pays sont les seuls au monde (hormis l’Afghanistan) où la transition démographique n’a pas même été amorcée.
Le Niger, par exemple, qui avait 3 millions d’habitants à son indépendance, en aura au moins 42 millions dans vingt ans et près de 90 millions en 2050 si la fécondité reste au même niveau qu’au cours des cinquante ans passés.
Or dans ce pays, seulement 8 % de la superficie est cultivable.
DES CAUSES ÉCONOMIQUES
Elles sont économiques car le monde rural sahélien est dans une impasse agricole et environnementale. La croissance de la population rurale, qui atteint 3 % par an en certaines régions, se heurte à d’évidentes limites en termes de disponibilités foncières.
Or l’intensification est en panne par suite de l’inadaptation des politiques agricoles, de la faiblesse de la recherche et de l’insuffisance des investissements publics structurants (routes rurales, réseaux d’irrigation, électrification rurale).
DES SYSTÈMES MAFIEUX
L’armée française peut se prévaloir d’un bon contact avec la population. Août 2013 : photo d’un sergent de la Légion avec des Touaregs dans le village d’Anefis, où la population est hostile à l’Azawad et aux Touaregs.
Elles sont aussi institutionnelles, liées à la faiblesse de l’appareil d’État dans des zones immenses où la gendarmerie ne sort plus de ses casernes, où l’administration territoriale est exsangue et la justice absente.
Dans un tel contexte des systèmes mafieux se présentant sous des oripeaux djihadistes se développent et s’appuient sur les réseaux de trafics divers portant désormais sur l’essence, la cocaïne en provenance d’Amérique latine, les armes et les migrants.
UN MÉLANGE EXPLOSIF
Mais les raisons sont enfin idéologiques et religieuses car le wahhabisme diffusé depuis plus de trois décennies dans toute cette région par des fondations du Golfe se substitue de plus en plus à l’islam traditionnel soufiste tolérant.
Il conduit à la radicalisation une jeunesse désorientée, sans espoir d’insertion sociale, en lui offrant à la fois une explication des raisons de ses malheurs et des perspectives de gains et de promotion sociale.
Entre manque d’éducation, chômage, perception de profonde injustice et enfin l’expansion du wahhabisme, le mélange est devenu explosif.
CONTRAINTES SÉCURITAIRES ET BUDGÉTAIRES
Coincés entre Boko Haram au sud et une Libye qui implose au nord, Niger, Mali et Tchad se trouvent actuellement pris en tenaille entre des contraintes sécuritaires et budgétaires ; leurs économies trop restreintes ne leur permettent pas de faire à la fois face aux dépenses de sécurité imposées par les menaces à leurs frontières et aux besoins de développement.
Leurs dépenses militaires, qui approchent 4 % de leurs PIB, sont très insuffisantes pour faire face aux menaces ; or leur niveau exige une réduction des dépenses de développement qui permettraient de lutter contre la misère des populations.
LES LEÇONS D’UN ÉCHEC
Ces défis portant à la fois sur des enjeux de sécurité, de construction d’appareils d’État, de développement institutionnel et de relance de l’économie rurale dans un contexte de crise environnementale de type malthusien rappellent étrangement ceux auxquels s’est trouvé confronté l’Afghanistan depuis quinze ans.
Récupération d’eau lors d’une mission de reconnaissance dans la ville d’Anefis .
Or, si quelques leçons peuvent être tirées de l’échec occidental dans ce pays, concrétisé par le retrait des forces de l’OTAN sans qu’aucun de leurs objectifs stratégiques n’ait été atteint, c’est en premier que des forces étrangères ne peuvent assurer la sécurité qui implique essentiellement la construction ou reconstruction d’un appareil régalien efficace (armée, gendarmerie, police, justice, administration territoriale).
Une deuxième leçon est que les grandes agences internationales qui ont déversé sur ce pays des montants d’aide équivalents certaines années à son PIB ne savent pas travailler dans ces pays déstructurés, car elles se révèlent incapables de gérer leurs ressources de manière coordonnée et stratégique.
Elles se contentent d’aller à la pêche aux projets, choisis pour contenter leurs opinions publiques en suivant des effets de mode et non pour répondre aux besoins réels des pays aidés.
UNE EXPLOSION PROGRAMMÉE
Si la mèche est désormais allumée, l’explosion programmée au Sahel peut néanmoins encore être évitée ou différée. Mais, la France, qui est en première ligne au plan militaire, ne doit pas oublier les raisons de l’échec de l’aide en Afghanistan, où personne ne s’est occupé de la gérer en fonction d’objectifs stratégiques clairs.
Ainsi, sur les 10 milliards de dollars d’aide à l’Afghanistan décaissés de 2002 à 2007, seuls 5 % ont été consacrés à l’agriculture qui faisait vivre 80 % de la population. La même situation est en train de se répéter au Sahel. Ainsi au Mali, sur les 3,4 milliards d’euros d’aide promis en octobre dernier par la communauté internationale, seuls 3,7 % sont destinés à l’agriculture et l’élevage dont vit à peu près la même proportion de la population.
UNE ACTION INEFFICACE
L’EXPERTISE LIMITÉE DES AGENCES D’AIDE
Il est aussi permis de s’inquiéter car ces agences d’aide se refusent toujours à financer tant les dépenses de sécurité que le fonctionnement des institutions régaliennes.
Ces agences n’ont également qu’une expertise très limitée en matière de développement rural, domaine fondamental au Sahel mais délaissé par l’aide internationale depuis trente ans.
Elles n’ont qu’une faible expertise en matière de développement municipal décentralisé.
Enfin elles n’ont aucune expertise en matière de planning familial qui ne mobilise, au plan mondial, que 0,2 % des flux d’aide.
Si toutes les grandes agences d’aide se sont précipitées depuis 2014 sur le Sahel, il est permis de s’interroger sur l’efficacité de leur action. Le cas de l’Afghanistan montre que la pagaille qu’elles provoquent dans ce type de pays fait que leur présence finit par faire partie du problème et non de la solution.
Pour revenir au Mali, ce pays a pu « digérer » sans difficulté plus d’un milliard de dollars d’aide internationale par an pour se retrouver dans la situation où on l’a trouvé en janvier 2013, entièrement gangrené par la corruption et une gouvernance déplorable.
REMETTRE À PLAT LES PRIORITÉS
La France dispose de la plus grande expertise sur ces régions grâce à son agence de développement qu’est l’AFD, ses ONG de terrain et ses instituts de recherche.
Elle pourrait jouer un rôle de coordination et de pilotage stratégique en mettant en place et en contrôlant de facto des fonds fiduciaires abondés par les grandes agences internationales qui permettraient de gérer l’aide internationale de manière rationnelle.
POUR EN SAVOIR PLUS
Serge Michailof, Africanistan, l’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? Fayard, octobre 2015.
Cela impliquerait bien sûr que la France y participe financièrement pour des montants significatifs, ce qui impliquerait de douloureux arbitrages budgétaires au sein d’un budget consacré à l’aide au développement où les objectifs actuels sont déconnectés des risques géopolitiques que nous avons à nos portes.
Un effort de remise à plat des priorités est ici urgent.