Le satellite, une solution méconnue au service de l’aménagement numérique du territoire
Rencontre avec Sandrine Lafont, Experte Télécommunications par satellite – Marchés, services et usages au sein du CNES, le Centre National d’Etudes Spatiales, qui replace pour nous la solution satellitaire dans le paysage numérique français.
Quelle est la place du satellite dans l’aménagement numérique du territoire français et européen ?
L’objectif annoncé par le Gouvernement français est de garantir l’accès au bon haut débit pour tous dès 2020 et au très haut débit dès 2022. Dans ce cadre, le plan France Très Haut Débit, qui prévoit un investissement de 20 milliards d’euros financé environ pour moitié par les pouvoirs publics et pour moitié par les acteurs privés, donne la priorité aux solutions fibre, avec néanmoins la prise en compte de solutions complémentaires destinées aux foyers isolés trop difficiles à connecter par fibre. Parmi celles-ci, il y a la solution satellitaire qui peut être déployée partout et instantanément à un moindre coût.
Aujourd’hui, on recense en France moins de 100 000 connexions par satellite. Pourtant ces connexions offrent du bon haut débit au prix du marché. Sous-utilisées en France et en Europe, les solutions satellitaires sont largement répandues aux États-Unis et en Australie. Contrairement aux idées reçues, ces solutions ne sont pas à associer aux pays en voie de développement, mais plutôt à des pays ultra développés qui ont des couvertures géographiques très vastes.
Comment expliquez-vous cette sous-utilisation de la solution satellitaire ?
C’est une solution de niche méconnue de l’opinion publique car elle n’est pas proposée par les grands opérateurs nationaux (Orange, SFR, Bouygues, Free), mais par des opérateurs dédiés, moins visibles. Sur un plan plus opérationnel, pour l’utiliser, il faut sauter le pas et se doter d’une parabole. Cette solution marginale est également peu connue des pouvoirs publics et des collectivités territoriales : le déploiement d’une infrastructure satellitaire se faisant à l’échelle d’un continent, il est aujourd’hui assuré par des opérateurs privés et échappe aux politiques publiques régionales et territoriales. Alors que pour les autres solutions, comme la fibre ou la 4G, une collectivité peut non seulement financer le déploiement de l’infrastructure, mais aussi choisir les zones prioritairement concernées par ce déploiement.
Quelles sont les politiques publiques en support à cette technologie aussi bien pour l’accès à internet des foyers que des professionnels français ?
Le satellite est inclus dans le plan France Très Haut Débit et entre dans le dispositif Cohésion Numérique des Territoires lancé en mars 2019. L’État accorde une subvention de 150 euros par local à laquelle peut s’ajouter une subvention territoriale en fonction des départements ou des régions. Ces subventions couvrent ainsi une partie du coût du terminal, qui est d’environ 400 euros.
Par ailleurs, via un soutien constant à la R&D, l’Etat français et le CNES ont permis à l’industrie française d’être des leaders mondiaux pour la conception et la fabrication de ces systèmes satellitaires en perpétuelle innovation.
Est-ce que le déploiement de la 5G va changer quelque chose ?
En terme de couverture, la 5G va recréer, voire exacerber, les fractures territoriales que nous connaissons déjà avec la fibre et la 4G, car les performances spécifiques à la 5G nécessitent une couverture plus dense des stations de base du territoire. Elle sera donc déployée en premier lieu dans les zones denses, en améliorant la qualité là où il y a une rentabilité pour les opérateurs. Le satellite pourra néanmoins amener la 5G dans les zones isolées, comme cela se fait déjà pour la 4G actuellement.
En terme de technologie, la 5G vise une convergence de tous les réseaux, dans laquelle le satellite évidemment s’intègrera.
Qu’en est-il des évolutions des solutions satellitaires sur le moyen et long terme ?
Le lancement réussi du satellite de nouvelle génération Konnect par l’opérateur Eutelsat va permettre dès l’automne prochain de doubler la capacité disponible pour couvrir la France, tout en améliorant les performances. En suivant, le lancement de Konnect VHTS (Very High Throuput Satellite) prévu fin 2021 permettra dès 2022 la fourniture du très haut débit à tous par la multiplication par 10 des performances. La démarche d’amélioration continue des satellites permet d’augmenter les capacités tout en réduisant les coûts ce qui permet aux offres satellitaires de rester en adéquation avec le marché et les besoins croissants des utilisateurs.
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