Le Sénégal, une exception africaine ?
Dans une Afrique qui se présente comme la nouvelle frontière du développement, le virus Ebola et le terrorisme sous couvert de wahhabisme (une interprétation de l’islam dominante en Arabie Saoudite) occupent le devant de la scène médiatique et menacent la paix, la sécurité et la stabilité du continent.
Une situation contrastée
Le Sénégal fait exception. Son système de santé publique a montré sa résilience en soignant le seul cas d’Ebola répertorié, importé de la Guinée voisine ; le wahhabisme reste marginal.
“ En 1789, une délégation porte à Versailles les cahiers de doléances des habitants de Saint-Louis-du-Sénégal ”
Aucun acte de terrorisme n’a eu lieu ces dix dernières années.
Pourtant, sur le plan économique et social, le Sénégal se situe dans le bas de la classe africaine. Le PNB par habitant est 900 euros par an, contre 2 000 euros pour l’Afrique.
Six cent mille ménages, sur le million trois cent mille environ que compte le Sénégal, vivent dans la pauvreté absolue, avec moins de sept euros par jour.
Entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres, l’écart de la dépense moyenne annuelle est de un à cinq.
Un compromis historique
L’exception sénégalaise est le résultat de deux phénomènes.
Le premier consiste en des institutions politiques issues d’un compromis historique entre les marabouts et la classe politique des scolarisés.
Durant tout le XVIIIe siècle, des Français vivent avec des Sénégalais à Saint-Louis-du- Sénégal, et se métissent souvent. En 1789, une délégation dirigée par Dominique Lamiral est envoyée à Versailles pour présenter les cahiers de doléances des habitants de Saint-Louis-du-Sénégal.
Dès lors, au XIXe puis au XXe siècle, des Blancs du Sénégal, puis des Mulâtres et des Noirs scolarisés siègent assez régulièrement à l’Assemblée nationale1 française.
Parallèlement, en Afrique occidentale, le général Louis Faidherbe (X 1838), soutenu par les maisons bordelaises, lance à partir de 1854 un combat contre les élites politiques musulmanes pour conforter la domination française et la création de colonies.
Des confréries religieuses
Au Sénégal, à partir de 1875, devant la suprématie militaire française, les élites musulmanes, qui menaient jusqu’alors une guerre de résistance, changent de stratégie.
Le revenu moyen à Dakar est bien supérieur à la moyenne africaine. ©FOTOLIA
Elles décident de mobiliser les paysans et les nouveaux citadins dans des confréries religieuses d’essence soufie, les « Mourides » et les « Tidjanes », et mettent l’accent sur l’éducation religieuse.
Après une période d’hostilité qui dure jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’administration coloniale cherche à collaborer avec les chefs des confréries.
Ces derniers appellent à voter en 1914 pour un représentant noir à l’Assemblée nationale française, Blaise Diagne, formé à l’école française, contre François Carpot, Mulâtre de Saint-Louis qui fut député de 1902 à 1914.
Dès lors, les chefs religieux collaborent avec l’administration coloniale dans le cadre des institutions mises en place par celle-ci jusqu’à l’indépendance politique en 1960. L’administration coloniale forme une élite scolarisée et lance la politique de mise en valeur des colonies, tout en favorisant dans une certaine mesure l’influence des confréries religieuses sur les populations.
Un rempart contre le terrorisme
C’est ce compromis historique qui a cours jusqu’à présent et explique la force relative de la démocratie sénégalaise : deux alternances politiques à la tête de l’État, réussies après des élections présidentielles régulières.
Ce compromis, soutenu par des confréries religieuses dont les doctrines réfutent le wahhabisme d’Arabie Saoudite, est un rempart puissant contre le terrorisme.
Des inégalités régionales
ACCÉLÉRER LE DÉVELOPPEMENT DU PAYS
Parce que l’Afrique devient un enjeu du monde au XXIe siècle, le mouvement citoyen et politique « Tekki3 » a été fondé en 2007 avec un programme visant à l’accélération du développement économique et social équilibré du Sénégal, autour de quatre piliers : la refondation des institutions de la République,
la modernisation des secteurs informels de l’économie, la création de pôles régionaux de développement, une diplomatie fondée sur le bon voisinage.
Second phénomène : la région de Dakar est un territoire relativement émergent, le revenu moyen par habitant avoisine 3 500 euros par an, bien au-dessus de la moyenne africaine, proche de celui de l’Indonésie, et concentre presque toutes les capacités scientifiques, technologiques et entrepreneuriales du Sénégal.
C’est ce qui explique que certains Sénégalais brillent dans les organisations internationales ou occupent des positions prestigieuses dans les firmes globales du monde2.
La pauvreté relative du Sénégal en Afrique reflète des inégalités régionales. L’écart de revenu par tête entre Dakar-Plateau et les régions sud de Sédhiou ou de Kédougou du Sénégal est de un à vingt-cinq, c’est-à- dire du même ordre de grandeur que l’écart moyen de richesse entre le Sénégal et la France.
L’épouse de l’ambassadeur de Chine danse avec le Ballet national du Sénégal.
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La citoyenneté française a été octroyée aux habitants des quatre communes du Sénégal, Saint-Louis et Gorée d’abord, ensuite Dakar (1878) et enfin Rufisque (1880).
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Les Sénégalais Amadou Makhtar Mbow et Jacques Diouf ont dirigé respectivement l’Unesco et la FAO.
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Makhtar Diop est vice-président Afrique de la Banque mondiale,
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Ousseynou Nakoulima (96) est directeur au Green Climate Fund ;
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Moctar Fall (79) a été Managing Director chez J.P. Morgan ;
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Amadou Julde Diallo est le responsable logistique de DHL en Allemagne,
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Tidjane Deme (94) est directeur Afrique de Google,
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Momar Nguer est directeur marketing Afrique Moyen-Orient de Total,
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Evelyne Tall est directeur général adjoint à Ecobank.
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Traduit en français par le néologisme « responsabilisme ». Voir Mamadou Lamine Diallo, Principes et méthodes du responsabilisme, L’Harmattan, Dakar, 2010.
RÉFLEXION
LA PRÉSENCE CHINOISE EN AFRIQUE EST-ELLE DURABLE ?
L’Afrique a attiré l’attention du monde en ce début de siècle par la vigueur de sa croissance économique, notamment durant la crise financière des années 2008.
Est-ce l’impact de la hausse des prix du pétrole brut, ou les conséquences du dynamisme démographique, ou le résultat de politiques de transformation structurelle des économies avec des gains de productivité, on ne sait pas encore.
“ Il y aurait autour de 50 millions de Chinois en Afrique à l’horizon 2050 ”
En tout cas, ce changement économique s’accompagne d’un phénomène qu’il conviendra d’observer dans les années à venir : la présence chinoise.
Dans les grandes villes africaines du Nord (Algérie), du Sud (Namibie), de l’Est (Éthiopie) ou de l’Ouest (Sénégal), on voit se former discrètement des communautés chinoises.
Hommes et femmes, ouvriers et commerçants, parfois cadres, efficaces et besogneux, ces communautés vivent à coté des sociétés africaines. Combien sont-elles ? Pourquoi sont-elles là ? Vont-elles y séjourner définitivement ?
Une nouvelle vague d’émigration chinoise
Un phénomène nouveau en Afrique :
la présence chinoise.
Les chiffres disponibles sont épars entre quelques centaines de milliers et un million. Et tout porte à croire que leur séjour n’est pas temporaire : au contraire, tout indique que l’Afrique est la cible d’une nouvelle vague d’émigration chinoise comme ce fut le cas au XVIIIe siècle en Asie du Sud.
Il est vrai que la Chine investit et commerce de plus en plus avec l’Afrique. Des 63 milliards d’euros d’investissements directs de la Chine en 2011, la part de l’Afrique est de 5 %. Elle était de 3 % en 2003. Les échanges commerciaux sont passés de 8,3 milliards d’euros au début de l’an 2000 à plus de 84 milliards en 2010.
Ces relations économiques peuvent expliquer en partie la présence chinoise, puisque les travaux d’infrastructure financés par la Chine sont exécutés en grande partie par des ouvriers chinois.
Créer des pôles industriels
Mais, plus fondamentalement, la Chine chercherait à créer des pôles industriels dans certains pays africains comme à Dukem, dans la banlieue d’Addis Abeba en Éthiopie, avec l’entreprise chinoise Huajian. L’objectif de Huajan est de construire une ville de la chaussure de 100 000 travailleurs, dont 30 000 de Huajian, pour un investissement de 1,8 milliard d’euros.
Au premier forum Chine Afrique des matières premières, des technologies et des services, tenu à Addis Abeba en décembre 2013, qui a vu la participation de 130 entreprises chinoises, cette orientation a été confirmée par le ministre du Commerce chinois, Ga Hu Cheng.
Le moteur de cette délocalisation serait l’écart de un à dix du coût du travail entre les deux pays dans cette filière, même si la productivité horaire du travailleur éthiopien serait de l’ordre de 70 % de celle de l’ouvrier chinois.
Un partenariat entre Chine et Sénégal
Commerçants chinois à Dakar.
Ainsi, la Chine chercherait à délocaliser 80 millions d’emplois vers l’Afrique dans les prochaines décennies. La compétition est ouverte entre certains États africains pour capter ces emplois.
L’Éthiopie et le Sénégal seraient les pays pilotes de l’ONUDI pour sa nouvelle approche du développement industriel durable et inclusif.
Le Sénégal s’est engagé à créer un parc industriel de 35 millions d’euros sur fonds propres à 40 km de Dakar. Le projet du Sénégal consiste à construire en partenariat avec la Chine, à Diamniadio dans la région de Dakar, un parc industriel destiné à accueillir des industries textiles, de l’électronique légère et du montage d’automobiles.
Il s’agit de construire des bâtiments, bureaux et hangars, dans un espace viabilisé pour faciliter la délocalisation d’entreprises chinoises. Le projet est financé par le budget de l’État du Sénégal, à cheval sur les années 2014 et 2015.
Le défi de la présence chinoise
En Afrique, les autres pays candidats sont la Zambie, le Nigeria et l’île Maurice. En Zambie, le parc de Chambishi regroupe une vingtaine d’entreprises chinoises liées à des activités minières, 50 00 travailleurs dont 20 % de Chinois, pour environ 800 millions d’euros d’investissements.
Se posent à la fois le problème du nombre d’emplois délocalisés de Chinois et le défi de la présence chinoise en Afrique. En Namibie, 27 sociétés chinoises seraient actives dans les mines et travaux publics, les technologies de l’information et de la communication et les services financiers.
35 000 à 40 000 Chinois y vivent, soit 2 % de la population. À 2 % de la population, cela signifierait que 80 millions de Chinois vivraient en Afrique à l’horizon 2050. Cela paraît excessif. Un chiffre raisonnable serait 10 % à 20 % d’emplois de Chinois dans les emplois délocalisés de Chine, soit 8 à 16 millions de personnes.
Ce qui, approximativement, amènerait autour de 50 millions de Chinois en Afrique à l’horizon 2050. Volonté déjà exprimée par le gouvernement chinois à la fin des années 1990.