Le séquençage du VIH : de la biologie à la thérapeutique
Un problème majeur de santé publique
Il s’est maintenant écoulé près de vingt ans depuis la description des premiers signes cliniques de ce qui devait s’avérer comme une nouvelle maladie. En 1981, le centre de surveillance des maladies recensa aux États-Unis, dans la communauté homosexuelle, un nombre anormalement élevé de pathologies rares. Le point commun entre toutes ces pathologies était l’altération, voire l’effondrement, du système immunitaire des malades.
L’ensemble de ces tableaux cliniques est maintenant regroupé sous le terme de Syndrome d’immunodéficience acquise ou SIDA. À ce jour, l’OMS a recensé 53 millions de personnes infectées et 18,8 millions de morts. Cette maladie est présente sur tous les continents avec deux foyers majeurs en Afrique sub-saharienne (24,5 millions de cas) et en Asie du Sud et du Sud-Est (5,6 millions de cas).
Cette maladie est à ce jour la seule maladie infectieuse en croissance logarithmique et représente donc un problème majeur de santé publique, de même envergure que la tuberculose dans les pays en voie de développement.
De la description à la séquence
Le caractère infectieux de cette nouvelle maladie apparut rapidement. Dès 1982, la contamination de personnes ayant subi des transfusions sanguines ou de dérivés sanguins, et notamment le cas des hémophiles qui reçoivent des produits filtrés, indiqua l’origine virale de la maladie.
En 1983, un type nouveau de rétrovirus humain fut isolé par le groupe du professeur Montagnier à l’Institut Pasteur, à partir d’un patient homosexuel atteint d’une lymphadénopathie généralisée persistante épidémiologiquement reliée au sida1.
Ce rétrovirus fut ensuite isolé par des équipes françaises et américaines à partir de patients atteints d’autres syndromes associés à la maladie et les indications laissant entrevoir son rôle étiologique dans le sida s’accumulèrent rapidement.
L’isolement du virus représentait une étape très importante. Il permit notamment le développement industriel de tests diagnostiques qui furent brevetés par l’Institut Pasteur en 1983. Grâce à ces tests de détection ainsi qu’à l’interrogation des donneurs afin d’écarter de la collecte les échantillons risqués, le criblage systématique des dons de sang put être mis en œuvre, menant à la quasi-élimination de la contamination par transfusion.
La recherche de la séquence du virus, initialement appelé LAV (Lymphadenopathy-Associated Virus) par les Français et HTLV-III (Human T‑cell Leukemia-lymphoma Virus type III) par l’équipe de Robert Gallo aux États-Unis, fut une course contre la montre.
À peine un mois après le démarrage du projet, l’équipe de l’Institut Pasteur avait achevé le travail et publiait la séquence de ce virus d’un type nouveau2. Les problèmes de nomenclature furent résolus, en 1986, par l’adoption du nom de Virus d’immunodéficience humaine et du sigle VIH correspondant.
De la séquence aux tentatives de vaccins
L’obtention de plusieurs séquences du VIH par divers groupes français et américains et leur comparaison révélèrent un nouvel obstacle. Le nouveau virus était génétiquement instable, c’est-à-dire que les isolats provenant de différents endroits ne présentaient pas exactement la même séquence. Ce phénomène était déjà connu, le meilleur exemple étant le virus de la grippe contre lequel on n’est toujours pas parvenu à produire de vaccin » universel « . Il était donc évident que l’obtention d’un vaccin contre le VIH nécessiterait de nouveaux concepts, et qu’une collaboration chercheurs – médecins – industries pharmaceutiques serait indispensable.
Il fallait d’abord appréhender l’étendue de la variabilité génomique du VIH. Les travaux effectués par les groupes de Simon Wain-Hobson, Malcolm Martin et Beatrice Hahn mirent en évidence un phénomène d’une ampleur non égalée à ce jour.
Non seulement les isolats diffèrent d’une région à une autre, mais au sein d’un même individu, le virus évolue au cours de la progression de la maladie. La comparaison des multiples séquences obtenues dans le monde entier permit de définir les régions clés du génome pour le développement de vaccins et de médicaments.
Les essais de vaccins prophylactiques contre le VIH sont fondés soit sur l’expérience tirée de vaccins efficaces contre d’autres virus, soit sur de nouveaux concepts émanant de la compréhension de la façon spécifique dont le VIH induit des réponses immunes potentiellement protectrices, et notamment l’induction de cellules tueuses cytolytiques. Les principales approches comprennent :
- la particule virale entière inactivée,
- des particules virales incomplètes,
- les vaccins vivants atténués,
- des vecteurs recombinants vivants : le matériel génétique du virus, complet ou fragmenté, est introduit dans un virus ou une bactérie non pathogène qui sont utilisés comme vecteurs ;
- des vaccins ADN : comme pour les vecteurs recombinants, des fragments de l’ADN viral sont introduits dans de l’ADN bactérien. Mais cette fois, ce sont les cellules humaines receveuses qui produisent les protéines déclenchant la réponse immunitaire ;
- des sous-unités recombinantes correspondant à une protéine virale produite dans des levures. Cette approche fut utilisée pour la première fois avec succès contre l’hépatite B ;
- des peptides, petites séquences protéiques virales. Les réponses contre ces peptides dépendent du complexe majeur d’histocompatibilité de chaque individu et sont extrêmement spécifiques, rendant difficile l’extension d’un tel vaccin à la population totale.
Les vaccins contre les autres maladies ainsi que les essais de vaccination anti-VIH chez le singe montrent que la forme la plus efficace de vaccination consiste à utiliser le virus vivant atténué. Il est hélas impensable d’utiliser ce type de vaccins chez l’homme dans la mesure où l’infection par le VIH dure toute la vie et que des événements de recombinaison in vivo, fréquents dans le cas de ce virus, pourraient mener à la réémergence de formes virulentes.
Tous les autres concepts de vaccins sont actuellement en phase d’essais cliniques, à différents stades. La phase I évalue l’immunogénicité ainsi que la sûreté et l’absence de toxicité d’un vaccin chez un petit nombre de volontaires sains et à faible risque. La phase II vérifie l’immunogénicité chez un plus grand nombre de volontaires et la phase III comprend des essais d’efficacité préventive chez un grand nombre de volontaires à risque.
Le programme de recherche sur un vaccin contre le sida d’Aventis Pasteur est l’un des plus avancés. La stratégie est basée sur l’utilisation combinée de plusieurs immunogènes : virus de la variole (canari-pox) recombinant et sous-unités protéiques recombinantes, pour déclencher les réponses cellulaires et humorales humaines. Un essai de phase III doit être conduit en Thaïlande sur plusieurs dizaines de milliers de volontaires.
Ces vaccins pourraient non seulement protéger des personnes non infectées mais aussi avoir un effet thérapeutique chez les individus séropositifs, allonger la période de non-progression de la maladie, diminuer le taux de transmission et permettre des aménagements de la trithérapie (ci-après). De longues et difficiles études cliniques seront nécessaires pour en établir la validité.
De la séquence aux trithérapies
La difficulté de la mise au point d’un vaccin et le nombre croissant de personnes infectées ont rendu urgente la mise au point de thérapies efficaces. De plus, la possibilité d’évoluer génétiquement confère à un virus une susceptibilité importante de résistance aux médicaments par l’obtention de variants d’échappement.
Il ne peut se reproduire qu’en parasitant une cellule car il a besoin des outils métaboliques de cette cellule hôte pour assurer sa propagation.
Un rétrovirus est un virus à ARN.
La variabilité du génome du VIH est estimée de l’ordre de 10-4, ce qui signifie que pour trouver un variant échappant à une molécule thérapeutique donnée il suffit de 104 particules virales. Or un malade en stade avancé peut héberger de l’ordre de 1010 cellules infectées, et sous la pression de sélection due à la présence du médicament, il est estimé qu’un variant d’échappement peut surgir en six jours.
Si l’on utilise deux principes actifs ayant des sites d’action distincts, il faut alors de l’ordre de 108 particules virales pour trouver un variant d’échappement, et 1012 si le traitement comprend trois médications. Par conséquent, une trithérapie combinant des molécules agissant sur des cibles différentes permet de contrecarrer le problème de résistance aux médicaments.
Actuellement, les thérapies sont basées sur l’utilisation de molécules thérapeutiques bloquant les différentes enzymes virales, ce qui permet d’interrompre la cascade de réactions chimiques nécessaires à la survie du virus. Les traitements combinent des antiprotéases et des antitransciptases inverses. En effet, la structure cristallographique de la transcriptase inverse, enzyme très spécifique du VIH, a permis aux firmes pharmaceutiques de définir des médicaments agissant sur différents sites de l’enzyme.
Le problème majeur des antiprotéases actuelles est leur toxicité à long terme. Le traitement est en outre contraignant et onéreux. Il est probable que les personnes actuellement infectées devront prendre ces médicaments toute leur vie et c’est dans ce contexte que les firmes pharmaceutiques continuent à chercher des molécules thérapeutiques ayant une meilleure efficacité et une moindre toxicité.
Du laboratoire au patient : une implication mondiale
La situation très différente des patients infectés par le VIH suivant leur pays de résidence impose une ouverture en direction des pays en voie de développement. L’environnement joue un rôle important dans le développement de la maladie, et notamment dans l’émergence d’infections opportunistes. L’étude des aspects évolutifs de l’infection à VIH (étude de l’histoire naturelle, analyse des facteurs aggravants ou protecteurs) est un volet primordial de la recherche.
La pandémie de sida qui touche certains pays en voie de développement ainsi que son cortège de maladies infectieuses opportunistes chez l’adulte comme chez l’enfant ont créé une situation sanitaire préoccupante, souvent dramatique, en termes de prévention, de diagnostic microbiologique et de prise en charge thérapeutique.
La recherche pratiquée notamment dans les laboratoires du réseau international des Instituts Pasteur et Instituts associés répond à trois types de besoins : l’investigation sur le terrain, l’établissement de laboratoires polyvalents dans les pays en voie de développement et le diagnostic de référence en zone intertropicale. Le champ des actions nécessaires est très large.
Voici quelques exemples qui permettent d’appréhender la spécificité du problème dans les pays en voie de développement.
- Pour intervenir sur le terrain, les Instituts du Réseau ont développé une trousse autonome et mis au point des méthodes originales pour s’affranchir de la chaîne du froid, du photomètre et de la microscopie à fluorescence et donc réussir des diagnostics directs sur les prélèvements sans avoir recours à des techniques utilisables seulement en laboratoire.
- Pour permettre la comparaison des résultats obtenus dans différents centres, des méthodes uniformisées avec des réactifs communs ont été développées. Grâce à la simplification des protocoles de fabrication des outils, certaines structures médicales isolées et démunies sont capables de réaliser des diagnostics biologiques et des études épidémiologiques.
Pour les maladies infectieuses opportunistes, des avancées ont été obtenues dans la mise au point d’algorithmes améliorant considérablement la prise en charge thérapeutique de la diarrhée au cours du sida chez l’adulte.
Ces procédures, développées à l’Institut Pasteur de Bangui, ont ensuite été diffusées pour ouvrir des structures opérationnelles pour le diagnostic et la prise en charge des maladies infectieuses opportunistes dans les régions où l’infection VIH/sida a une forte prévalence (Viêtnam, Cambodge, Côte-d’Ivoire, Sénégal).
Dans des pays où il n’y a pas de contrôle efficace de l’épidémie VIH/sida et où l’infrastructure médicale ne fait pas face aux demandes de soins, les observatoires des pathologies infectieuses opportunistes ont permis d’engager des actions pour que ces infections soient traitées avec l’aide d’un diagnostic microbiologique minimum et d’organiser une recherche dans le but d’améliorer leur prise en charge thérapeutique.
Deux autres projets sont en cours de réalisation : une cellule de surveillance et d’intervention pour l’Afrique centrale et un centre de production de réactifs spécialisés, non commercialisés ou trop onéreux pour les pays en voie de développement.
Le VIH au service de la thérapie génique
La recherche sur le VIH a des retombées importantes dans de nombreux domaines de la recherche médicale, notamment en virologie, immunologie et recherche clinique. La capacité d’intégration du virus dans le génome des cellules de l’hôte infecté a ouvert la voie à de nouveaux concepts, en faisant notamment des outils dérivés du VIH des vecteurs de choix pour la thérapie génique.
En effet, un des obstacles majeurs au développement de la thérapie génique est l’absence de systèmes de transfert de gènes thérapeutiques suffisamment fiables et efficaces. En théorie, le VIH combine les avantages des vecteurs viraux classiques sans en présenter les inconvénients : il est capable de transférer des gènes dans des cellules qui ne se divisent pas, sans exprimer de gènes viraux, et donc sans entraîner le rejet par l’organisme des cellules manipulées. Une étape clé du transfert de gènes dans des cellules qui ne se divisent pas est le passage de l’ADN thérapeutique dans le noyau des cellules.
Or des travaux menés depuis plusieurs années par un groupe de l’Institut Pasteur sur le passage de l’ADN viral dans le noyau des cellules hôtes ont conduit à la découverte d’un mécanisme biologique original. L’ADN du VIH porte en son centre une petite région inhabituelle à trois brins qui est nécessaire au passage du génome viral dans le noyau des cellules3.
La connaissance de ce mécanisme permet aujourd’hui d’améliorer notablement l’efficacité des vecteurs dérivés du VIH et d’espérer détenir un vecteur applicable à la thérapie génique chez l’homme. Ainsi, ce dérivé d’un redoutable virus, contre lequel on ne sait pas encore vacciner, pourrait être appliqué en médecine humaine pour la thérapie génique de nombreuses maladies comme le sida, les cancers et les maladies génétiques.
Le cas du sida est exemplaire en ce sens qu’il met en valeur les implications des différents partenaires dans un problème de santé publique. Partie d’une observation médicale, l’identification du virus en cause a été faite par la communauté des chercheurs aidée par les médecins qui transmettaient observations et prélèvements.
Les découvertes fondamentales faites au laboratoire furent ensuite utilisées par les industries pharmaceutiques pour le développement de médicaments et vaccins, et par l’ensemble du corps médical et social.
Cette trajectoire n’est-elle pas la version contemporaine de ce que Louis Pasteur énonçait voici plus de cent ans :
Il n’existe pas de catégories de sciences auxquelles on puisse donner le nom des sciences appliquées. Il y a la science et les applications de la science, liées entre elles comme le fruit à l’arbre qui l’a porté ?*
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* Pourquoi la France n’a pas trouvé d’hommes supérieurs au moment du péril. Louis Pasteur, 1871.
1. Barré-Sinoussi F. et al., 1983, Science, 220 : 868.
2. Wain-Hobson S. et al., 1985, Cell, 40 : 9.
3. Zennou V. et al., 2000, Cell, 101 : 173.