Le sol et l’environnement
Ce n’est que récemment et souvent à la suite de la mise en évidence de la pollution des sols par les activités industrielles ou agricoles que l’on a pris conscience de l’importance des autres fonctions du sol et de la nécessité de les sauvegarder.
Nous allons surtout insister après avoir fait une brève présentation du sol sur ce rôle essentiel du sol comme interface dans l’environnement vis-à-vis des principales pollutions d’origine anthropique.
Présentation du sol
Si on se réfère à l’ISO, le sol est la couche supérieure meuble de la croûte terrestre composée de particules minérales, de matière organique, d’eau, d’air et d’organismes vivants.
L’épaisseur du sol peut être variable et aller de quelques centimètres jusqu’à 1 à 2 mètres en moyenne (photo ci-dessus) ou plusieurs dizaines de mètres dans les zones tropicales.
Nous n’insisterons pas ici sur la grande diversité des sols (Duchauffour 1998) au niveau du territoire ou au niveau mondial, mais en présenterons les caractéristiques essentielles qui les différencient de leur roche d’origine et en font un support exceptionnellement réactif. C’est tout d’abord un système extrêmement organisé depuis le bassin versant, le profil (tranche verticale de sol), l’horizon (couche homogène du sol parallèle à la surface se différenciant par sa couleur, sa structure, composition…), la motte, les agrégats et enfin les constituants.
Cette organisation se traduit par l’existence d’une porosité très importante, en générale voisine ou supérieure à 50 %. Seules parmi les roches, la craie et la lave de Volvic peuvent avoir une porosité analogue.
La porosité peut être occupée soit par de l’eau soit par de l’air. Ceci constitue donc un milieu de vie exceptionnel pour les racines, la faune ou la microflore (bactéries-champignons).
En dehors des constituants primaires issus de la roche mère (silicates carbonates…) le sol comprend :
- des constituants secondaires minéraux formés lors de la pédogenèse à partir des minéraux primaires, ce sont les argiles, oxydes, hydroxydes ;
- des constituants organiques (« matière organique ») formés à partir des résidus végétaux et animaux, appelés humus.
Ces constituants secondaires ont des propriétés exceptionnelles :
- de surface : 100 à 800 m2/g, pour les argiles, 200 à 400 m2 pour l’humus,
- ou de charge : 1 à 4 équivalents par kg de sol, permettant la rétention des cations (Ca, Mg, K…).
Enfin le sol est un milieu vivant et l’on trouve dans les horizons de surface (30 cm d’épaisseur) plus de 107 bactéries par gramme, 105 champignons développant des surfaces importantes grâce à leurs hyphes, etc.
Une illustration macroscopique au niveau du centimètre carré (ci-contre) permet de montrer aussi l’abondance des racines et de la faune qui vont représenter plusieurs tonnes par hectare de terre. On invoque traditionnellement le rôle des vers de terre capables de » labourer » plusieurs tonnes de terre par hectare et par an, mais les micro-organismes ont le rôle essentiel dans les transformations biochimiques.
Ainsi le sol apparaît donc comme un véritable réacteur chimique et biologique ceci grâce à un milieu physique favorable (la porosité) qui va être le plus souvent aérobie.
Le sol une interface dans l’environnement
La figure ci-après présente bien cette position d’interface. Le sol se forme à partir d’une roche et donc se situe au-dessus de la lithosphère, et il fait partie intégrante de la biosphère ; il se situe entre l’atmosphère et les eaux superficielles ou de nappes ; il est le support direct des écosystèmes naturels, de l’agriculture, ou des diverses activités humaines (villes – transports – industries). Il va donc du fait de cette position être le récepteur de toutes les pollutions d’origine naturelle ou anthropique et assurer leur transfert, leur accumulation ou leur atténuation. C’est ce que nous allons illustrer avec quelques exemples.
Les pollutions atmosphériques ou les interactions sol-atmosphère
Les pluies acides
Elles sont liées à l’accroissement depuis 1900 des émissions de SO2 ou N02 provenant en majorité de l’industrie ou des transports. Le pH de l’eau de pluie est très souvent compris entre 4 et 5, voire inférieur à 4. Au niveau de la planète, c’est le sol qui constitue le meilleur milieu tampon et qui empêche l’acidification excessive des écosystèmes ou de l’eau, où les toxicités (en particulier aluminiques) peuvent se faire sentir. Au niveau des conventions internationales de Genève qui limitent les émissions acides on se sert ainsi de cartes de » charge critique » exprimée en kg eq/H + /ha/an pouvant être supportée par les sols. Les sols acides développés en général sur roches mères acides ont des valeurs de charges critiques très faibles (0 à 20), les sols limoneux des valeurs moyennes et les sols calcaires des valeurs élevées.
Les problèmes de dépérissement des forêts ou d’acidification excessive des eaux superficielles se manifestent dans les pays nordiques où les sols sont acides. En France, les sols des Landes et des massifs cristallins ont des charges critiques faibles. Dans les Vosges une corrélation a été établie entre les risques de mortalité chez la truite (par toxicité) et les charges critiques des bassins versants.
En agriculture, on compense cette acidité par le chaulage périodique du sol.
Les sols et l’effet de serre
Le sol peut être à la fois une source de gaz à effet de serre ou un puits. Pour le méthane, les sols humides et les rizières qui fonctionnent en anaérobiose sont la source principale au niveau de la planète. Il en est de même pour N2O issu de la dénitrification.
Dans le cas du CO2, les sols constituent avec plus de 1 500 milliards de tonnes de C (gigatonnes) le principal stock présent dans la couche superficielle du globe. Présent dans la matière organique particulièrement abondante dans les sols de forêt et de prairie, leur mise en culture lors du développement de l’agriculture s’est traduite durant les cinquante dernières années par une émission importante de CO2 (plus de 40 gigatonnes) qui s’est accompagnée sans doute d’une certaine dégradation des sols (propriétés physiques, chimiques et biologiques). L’utilisation de nouvelles pratiques culturales, en particulier au niveau du labour qui participe à la minéralisation de la matière organique protégée, pourrait inverser cette évolution avec une séquestration du carbone dans les sols. Les quantités pouvant être fixées peuvent être notables (1 à 2 gt/an au niveau mondial) avec des conséquences sur la protection de la ressource en sol et de l’environnement.
Les pollutions diffuses liées à l’agriculture
Le sol joue un rôle d’interface vis-à-vis des fertilisants (nitrates, phosphates) et des pesticides (produits employés pour lutter contre les maladies des cultures) dont l’apport a fortement augmenté avec l’intensification de l’agriculture.
L’apport de nutriment (NO3 – PO4) au sol même en excès ne représente pas une nuisance ou une pollution sur le sol mais seulement pour l’eau où un excès se traduit par une eutrophisation avec développement d’algues.
Les sols laissent en général passer les nitrates (anion peu actif et donc peu fixé) avec quand même des modalités différentes selon l’épaisseur et la nature des sols.
Le passage dans l’eau superficielle peut être rapide durant la période de saturation des sols en hiver. C’est le cas des sols de Brie où l’eau en excès et les nitrates sont drainés vers la Marne.
En Champagne la craie transfère lentement les flux de nitrates (à raison de 50 cm par an) vers la nappe, encore non polluée, située à quelques dizaines de mètres de profondeur. Dans les sols des Landes les conditions permettent une transformation de NO3 en N2O et donc une épuration des eaux avec pollution de l’atmosphère (N2O est un gaz à effet de serre). En Bretagne épandage de lisiers riches en azote et fertilisation se cumulent pour enrichir les eaux littorales en nitrate avec développement des ulves (macroalgues).
Contrairement aux nitrates, les phosphates sont fortement insolubilisés dans les sols.
Le risque principal de participation des sols au phénomène d’eutrophisation (encore sous la dépendance principale de l’utilisation de détergents) des lacs et rivières provient de la mobilisation des phosphates, fixés sous forme particulaire, lors de l’érosion.
De fortes accumulations sont en train de se constituer dans les horizons superficiels des sols dans les zones d’élevage et d’épandage de lisiers.
Les pesticides apportés généralement sur les cultures se retrouvent d’abord en forte proportion dans l’air qui constitue la principale voie de pollution diffuse (ci-dessous) ; présents à la surface du sol ils peuvent être entraînés par ruissellement et érosion si des pluies surviennent peu de temps après l’apport : ce sera la principale voie de contamination des eaux.
Par contre si les pesticides pénètrent dans le sol, la majorité sera fixée en général par la matière organique (en constituant ce que l’on appelle des résidus liés) ou biodégradée par les micro-organismes. Un des risques de pollution du sol est en liaison avec le devenir (et la toxicité) de ces résidus liés, encore mal connus.
Le sol un système épurateur pour les déchets organiques
Depuis le début de l’humanité et de l’agriculture, les sols servent de système épurateur pour les déchets humains ou issus de l’élevage et des cultures. Ce système a pu fonctionner durant des milliers d’années sans polluer le sol bien au contraire puisque cela participait à son enrichissement en matière organique et au recyclage des éléments nutritifs (K, Ca, Mg…).
Cette fonction épuratrice est liée principalement à l’action de la faune et surtout de la microflore qui provoquent la microdivision des déchets organiques animaux ou végétaux et leur minéralisation avec production finale de CO2 et NH4. Actuellement, si on se réfère aux chiffres de l’ADEME, 291 000 kt de déchets sont recyclés en agriculture, dont 95 % sont constitués par les déchets animaux et seulement 1,75 % par les boues de stations d’épuration.
Nous avons dit que tout ce qui était organique était minéralisé (y compris un certain nombre de polluants). Les problèmes sont donc posés par la présence de polluants minéraux (éléments traces ou métaux lourds) qui constitueront donc avec une bonne hygiénisation des déchets (micro-organismes, parasites) la principale limitation au recyclage des déchets. Les lisiers et fumiers contiennent du cuivre et du zinc, les boues de stations d’épuration et les ordures ménagères peuvent contenir toute une série d’éléments traces potentiellement polluants dont le cadmium, le plomb…
Si on veut recycler les déchets, ce qui peut constituer une solution écologique, sans polluer le sol, les déchets doivent être propres !
La pollution du sol
Elle va principalement être réalisée par des éléments traces minéraux qui vont s’accumuler dans les sols et certains polluants organiques dits persistants (HAP, PCB, dioxines…).
Dans le cas des éléments traces minéraux l’origine peut être naturelle au travers du fond géochimique hérité des roches lors de la formation des sols. La pollution très grave des eaux et de la chaîne alimentaire par l’arsenic au Bengale et Bangladesh est issue du fond géochimique avec mise en solution de l’arsenic par des variations de niveau de nappe liées à l’irrigation.
L’origine principale va être en général liée à l’industrie et aux transports mais aussi à certaines pratiques agricoles.
Les fortes concentrations conduisant à la formation de sites et sols pollués sont liées à l’histoire industrielle. Une base de données française sur ces sites potentiellement polluants indique près de 200 000 sites.
Pour les polluants minéraux, les sites les plus connus sont liés à l’industrie des métaux non ferreux (fonderies), aux déchets de mine…
Tous ces sites sont à surveiller étroitement surtout pour la contamination de l’eau. L’exemple du Lot contaminé par des déchets de fonderie (Vieille Montagne) riches en cadmium est bien connu car toute la vallée de la Garonne a été contaminée jusqu’à l’embouchure et à la zone littorale : les huîtres de Marennes et plus généralement les mollusques sont des bioaccumulateurs et donc de bons indicateurs de contamination.
Tous ces sites sont des sites localisés où les pollutions sont concentrées sur quelques hectares ou quelques dizaines d’hectares. Certains de ces sites industriels émettent des pollutions dans l’atmosphère qui peuvent être, dans un rayon de quelques kilomètres autour du site, à l’origine d’une pollution de proximité des terres agricoles et des forêts (plomb, zinc, cadmium, cuivre…) : il s’agit de ce que l’on appelle les pollutions de proximité.
Au-delà de 10 km, les pollutions sont dites diffuses et retombent sur l’ensemble du territoire où cette source de pollution peut en zone agricole représenter près de 50 % des flux d’entrée.
De telles pollutions de proximité sont connues jusqu’à une distance d’environ 20 m des autoroutes (pollution en plomb).
Des études récentes montrent que les jardins » ouvriers » dans les zones industrielles ou les jardins dans les villes sont toujours beaucoup plus pollués que les sols des zones rurales.
Les sols » accumulateurs » représentent de véritables enregistreurs des pollutions passées : industrielles mais aussi agricoles.
En agriculture, on peut polluer les sols par une répétition de traitements durant cinquante à cent ans. Ainsi d’un certain point de vue tous les sols de vignoble (1 million d’hectares en France) ont des concentrations élevées en cuivre (près de 500 mg/kg) et éventuellement en arsenic à cause des traitements phytosanitaires effectués chaque année. Des sols dans la vallée de la Seine ont été pollués par des apports d’eaux brutes de Paris acheminées pour l’irrigation.
Les apports réguliers de phosphates riches en cadmium (jusqu’à 100 ppm) ont pu constituer dans le passé une source de pollution. Comme nous l’avons dit les lisiers pourraient en cinquante ou cent ans polluer les sols bretons en Cu et Zn. C’est pour cela que les apports de boues de stations d’épuration sont très fortement encadrés par la législation.
Quels sont les risques effectifs ? Les risques vis-à-vis des écosystèmes sont mal connus. On sait cependant que les polluants présents dans les sols sont très souvent très peu disponibles.
La figure ci-dessus illustre les différentes voies d’exposition pour l’homme et l’on peut voir que cela passe par l’eau ou la chaîne alimentaire. Ensuite, il faudra voir les doses effectivement absorbées.
Les éléments traces ont été un peu mis en exergue à cause de leur accumulation dans les sols et dans certains éléments de la chaîne alimentaire.
Les radionucléides (Cs, Sr) issus des essais ou accidents nucléaires sont accumulés dans quelques millimètres à la surface du sol où ils sont énergiquement fixés pour des siècles.
Les polluants organiques persistants (HAP, PCB, dioxines) s’accumulent eux aussi dans les sols, mais leur biodégradation par la microflore du sol est possible par un phénomène que l’on dénomme » atténuation naturelle » sur lequel les industriels fondent de grands espoirs. Il est en effet très difficile au plan technique et très onéreux au plan économique de dépolluer un sol. Les méthodes chimiques ou physiques ne sont pas très efficaces et laisseront un résidu de matériau inerte. On fonde en général beaucoup d’espoirs sur l’utilisation et la stimulation des micro-organismes présents dans le sol capables de dégrader la majorité des polluants organiques y compris les hydrocarbures.
Pour les métaux, la phytostabilisation (couverture et stabilisation) par des plantes adaptées ou la phytoextraction des éléments par les plantes sont des méthodes actuellement en expérimentation.
L’érosion du sol
Elle va être une source importante de perte en sols (c’est la principale cause de dégradation des sols au niveau mondial).
On trouve deux types principaux d’érosion : l’érosion des sols en pente (sols de vignobles ou de cultures…) et l’érosion plus diffuse des sols de limon liée à une instabilité de la structure qui se détruit sous l’effet de la pluie en donnant une croûte peu perméable sur laquelle l’eau va ruisseler. Ruissellement et érosion vont entraîner les polluants solubles (nitrates) ou insolubles vers les cours d’eau. On met en cause ce type de dégradation des sols dans l’initialisation de certaines crues ou inondations (exemple en Haute-Normandie). Plus de 5 millions d’habitants (près de 10 % du territoire) sont sensibles à l’érosion et l’un des meilleurs moyens de lutte est de couvrir les sols et d’aménager l’espace et les bassins versants (haies, fossés, bandes enherbées…).
Conclusion
Le sol interface dans l’environnement exerce donc des fonctions essentielles : fonction de production alimentaire essentielle à l’humanité (quantité et qualité des produits), mais aussi des fonctions environnementales qui vont de l’échelle locale (bassins versants) à une échelle régionale (acidification, pollution diffuse) et à une échelle globale (fonction de puits de carbone vis-à-vis du CO2 atmosphérique).
La ressource en sol, en particulier cultivable, est limitée au niveau mondial et les nombreuses causes de dégradation que nous avons citées (acidification, pollution, érosion) se sont accrues avec la croissance de la population.
Cette importance du sol n’est pas encore assez connue et elle commence seulement à être prise en compte par les gestionnaires, en particulier par les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement qui en France ont créé un réseau de surveillance de la qualité des sols au niveau du territoire (avec 2 100 sites). Il faut en effet surtout éviter une pollution et une dégradation du patrimoine sol qu’il est essentiel de conserver pour un développement durable.
Références d’ouvrages
ROBERT M., 1996. Le sol : interface dans l’environnement, ressource pour les développements. Dunod-Masson. 244 p.
DUCHAUFOUR P., 1998. Abrégés de pédologie. Dunod-Masson. 317 p.