Le statut de la femme, choc juridique ou choc de religions
La situation en France des femmes immigrées est fragilisée par les largesses de nos credos nationaux et républicains. La polygamie, bien que déclarée contraire à l’ordre public, est encore tolérée dans certains cas. L’empêchement religieux au mariage heurte à la fois la liberté du mariage et la laïcité, il est une discrimination manifeste.
REPÈRES
Aux États-Unis, les immigrants ont choisi. Un débat anime les philosophes américains depuis trente ans. Les « liberals » plaident pour un État « juste » par rapport à toute conception du bien. Et les « communautariens » (à ne pas confondre avec le communautarisme) plaident pour que l’État reflète un bien commun, avec ses valeurs sociales et morales. Mais en ce qui concerne les immigrants ils sont unanimes : « Ils ont choisi, ils se sont eux-mêmes déracinés, en décidant de se déraciner les immigrants ont volontairement renoncé aux droits liés à leur appartenance nationale initiale. » Et les nouveaux Américains prêtent serment : « Je renonce et j’abjure entièrement et absolument toute allégeance à un quelconque prince, potentat, État ou souverain étranger. »
Il ne faut pas remonter bien loin dans notre histoire pour retrouver un machisme solidement enraciné. Certes le fameux « Votre sexe n’est là que pour la dépendance, du côté de la barbe est la toute-puissance » de Molière, nous paraît aujourd’hui bien lointain ; mais le devoir d’obéissance de l’épouse a duré jusqu’en 1938, le droit de correction jusqu’en 1958, l’autorité paternelle jusqu’en 1970.
Souvent les participants du dialogue islamo-chrétien se demandent ce qui les rassemble ? Eh bien, la « feuille de route » des femmes qui suit les mêmes chemins dans le temps et l’espace. Qu’on en juge : « On veut dépouiller la femme de sa pudeur native, la produire en public, la détourner de la vie et des devoirs domestiques, l’enfler d’une fausse et vaine science, en sorte que, celle qui bien et religieusement élevée, serait semblable à une pure lumière dans sa maison, la gloire de son époux, l’édification de sa famille… gonflée d’orgueil et d’arrogance, dédaignera les soins et les devoirs propres à la femme. » Est-ce une lettre de Pie IX au père Dupanloup en 1867 ou bien une conférence, réservée aux femmes, de Tariq Ramadan à Mulhouse en avril 2000 ?
Une situation française fragilisée
Les deux civilisations mitoyennes semblent en décalage sur certains points, plus désynchronisées qu’incompatibles. Pas de suffisance donc, d’autant que les femmes turques ont voté avant les Françaises (1944), mais qui contestera les progrès de l’égalité entre les sexes ?
À Londres : « Le multiculturalisme n’est plus… Sauf que pour mourir il faut avoir vécu et pour cela avoir un cœur et un cerveau. Le multiculturalisme n’avait ni l’un ni l’autre, il n’a toujours été qu’un mot en quête de définition, un drapeau reconnu par aucune nation, ce qui me direz-vous était précisément son but. Nous l’agitions pour dire adieu à une patrie commune. » (The Independent, 4 février 2004).
Finie la béatitude multiculturelle, les nouveaux citoyens britanniques doivent, depuis 2002, jurer, ou affirmer leur allégeance, à sa Majesté et à ses héritiers, promettre fidélité au Royaume britannique et à ses libertés démocratiques.
Au contraire la situation française est fragilisée par les largesses combinées de nos trois credos nationaux et républicains. Notre code de la nationalité : droit du sol automatique à partir de 18 ans, reconnaissance de la double nationalité, absence de serment, absence de déclaration de fidélité à la Constitution (comme cela se fait en Allemagne). Notre droit international privé est personnaliste, certaines questions relatives à l’État et à la capacité des personnes étrangères sont liées à leur loi nationale, ce qui conduit parfois à des situations kafkaïennes : si une Française demande, en France, le divorce d’un mari retourné en Algérie, le juge français doit appliquer la loi algérienne, à cette Française vivant en France avec ses enfants français !
Enfin, contrairement aux habitudes anglaises, la colonisation française n’a que très peu touché au statut personnel algérien, même si, à l’époque, la cour d’Alger profitait de « l’option de droit » pour empêcher quelques mariages forcés d’impubères conformes au droit malékite.
La polygamie
En ce domaine, comme en quelques autres, nos chiffres sont aussi indigents qu’incertains1.
Équité inique
En 1980 le Conseil d’État a cassé la décision d’un préfet qui avait interdit le séjour d’une seconde femme par un arrêt ainsi commenté : » La vie familiale normale d’un musulman consiste à respecter les obligations d’entretien et surtout d’équité entre ses femmes, comme le prescrit la Sourate des Femmes. » On s’étonne que le Conseil d’État cite le Coran et surtout nimbe d’une auréole d’équité une institution inique et discriminatoire par essence. C’est un véritable oxymore juridique2.
Selon Ghaleb Bencheikh : « La polygamie est une survivance d’une pratique antéislamique dont l’anarchie fut réglée par le Coran… Eu égard aux sept cents femmes de Salomon par exemple, la réduire à quatre femmes fut un progrès spectaculaire ! » Mais il ne s’agit pas de marchander à la baisse le nombre d’épouses, et ce n’est pas à un musulman qu’il faut expliquer ce que signifie L’Unique. Mon amour n’a rien à voir avec mes amours, pas plus que le Prophète avec les prophètes. Tariq Ramadan le sait parfaitement. Dans son bulletin Présence musulmane, très influent parmi les jeunes, il évoque avec suavité « Mohammed, si attentif, si doux, si patient. Avant d’être La Mère de ses enfants, son épouse était Une Femme, Sa Femme. » Euphémique emploi du singulier !
Un mariage célébré en Angleterre, qui exclut la polygamie, doit être monogame
Avant 1993 un décret laconique stipulait « Le conjoint et les enfants mineurs d’un ressortissant étranger qui veulent s’établir auprès de ce dernier ne peuvent se voir refuser l’accès au territoire français. » Voilà la thèse, pour reprendre la terminologie de Monseigneur Dupanloup. Et voici les hypothèses : Qu’est-ce qu’un conjoint ? Qu’est-ce qu’un mariage ? Qu’est-ce qu’un divorce de polygame ? Qu’est-ce qu’un adultère dans un mariage de polygame ? L’enfant mineur est-il mineur selon le droit étranger ou selon le droit français ? Il a fallu dix ans pour que la Cour de cassation marque enfin un arrêt face à l’indulgence croissante que le droit international privé témoignait à la polygamie. En 1990 elle fut déclarée « contraire à l’ordre public » et en 1993, une loi sur la condition des étrangers supprima le regroupement familial, le titre de séjour et l’octroi de la nationalité française pour un époux polygame, tout en gardant les polygames présents sur le territoire.
Que dit cependant le talentueux sociologue Alain Touraine en 1996 ? « Je ne vois pas pourquoi la polygamie doit être interdite, même si je reconnais qu’elle rend plus difficile l’intégration sociale des femmes africaines… » toutefois il s’oppose à l’excision au nom d’une conception universelle des droits de l’homme !
Le machisme, sans doute inconscient, de certains hommes haut placés les empêchent de prendre la mesure de cette injustice faite aux femmes. L’esclavage aussi avait ses défenseurs autrefois, qu’un racisme inconscient aveuglait, et qui ne stigmatisaient que « les abus de l’esclavage ».
Aspects chrétiens du mariage civil
Une remarque pour commencer. L’empêchement religieux au mariage pour la musulmane (une musulmane ne peut épouser qu’un musulman…) heurte à la fois la liberté du mariage et la laïcité, elle est une discrimination manifeste par rapport aux hommes. Cet empêchement est, hélas, conforme à tous les Statuts personnels maghrébins – tunisiens compris – et à la culture de nombreuses familles issues du Maghreb.
Seconde remarque : « la répudiation de fait à la française » d’un concubin ou d’une concubine ou d’un pacsé, qui abandonnent leur compagnon sans autre forme de procès, devrait nous faire réfléchir. La « répudiation musulmane » est encadrée par la loi de là-bas… et considérée comme contraire à notre ordre public depuis l’an 2000 ! Les autres cultures nous interrogent sur nous-mêmes.
Qu’est-ce qu’un adultère dans un mariage de polygame ?
Revenons à notre droit du mariage métissé de droit romain, de coutume, de droit germain et de catholicisme. L’Église primitive a emprunté au droit romain tout ce qui ne choquait pas la morale chrétienne : la monogamie, c’est-à-dire la fidélité, l’exogamie, la publicité, l’âge minimum. L’exogamie très stricte du droit romain est renforcée par le catholicisme qui proscrit le mariage entre parents jusqu’au 7e degré. Le mariage est une institution publique, célébrée en public, les bans sont là pour cette raison, les registres de l’Église sont privés, mais consultables par tous. Le code civil a renforcé la supériorité du mariage civil d’une norme d’antériorité, et condamne les ministres du culte qui célébreraient un mariage religieux avant le mariage civil.
Pour conclure avec l’offensive des cyberprêcheurs : aurons-nous un jour « dans l’espace de nos différences » un code de statut musulman, applicable, cela va de soi, aux Français convertis, code comportant la dévalorisation du témoignage de la femme devant un tribunal, la demi-part d’héritage pour les filles, l’indignité successorale pour les non-musulmans, l’interdit à la femme musulmane d’épouser un non-musulman. La question nous est posée de manière récurrente. Dans le style de Tarik Ramadan cela se dit « œuvrer pour une meilleure harmonie entre la personnalité musulmane et le paysage occidental ». Lui et beaucoup d’autres revendiquent haut et fort « le droit des sociétés majoritairement islamiques de rester fidèles à leurs sources et de penser une organisation qui convienne à leur identité ». Voilà bien une opinion que nous partageons. Si cela est nécessaire il nous faudra voter, sans écouter ceux qui, à la manière de Louis Veuillot, parlent de la tyrannie majoritaire, quand ils sont minoritaires, et du respect de la majorité là où ils sont majoritaires. On ne peut sacrifier l’avenir des filles au passé des mères.
Pour terminer je voudrais souligner combien je suis écœurée et scandalisée par la démission et le manque de courage de nos hommes politiques de tous bords face à cette situation. Ont-ils vraiment pris le recul nécessaire et la mesure du problème ?
1. Les évaluations vont de 8000 à 80000 polygames.
2. Avec une contradiction dans les termes : » Cette obscure clarté qui tombe des étoiles. »
Cet article est extrait d’un exposé présenté le 26 janvier 2005 au groupe X‑Démographie-économie –population.
Quelques questions
Importance de la différence d’âge ?
Elle est essentielle : quand un homme de trente ou trente-cinq ans épouse une fille de quatorze ans, elle ne peut qu’être dominée par son mari.
D’où vient notre faiblesse ?
Il y a bien sûr une part de veulerie et pour certains un complexe de culpabilité résultant de notre histoire coloniale. Il y a surtout les réflexes de nombreux anticléricaux, francs-maçons ou non, qui » bouffent du curé « , y compris certains protestants devenus pour cette raison des toqués de Tariq Ramadan.
Qu’en est-il des autres communautés ?
Les Indochinois, les immigrés européens et même les Africains non musulmans s’adaptent bien mieux à la société et aux lois françaises.