Le système de santé : contradictions macroéconomiques

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001
Par Béatrice MAJNONI D'INTIGNANO
Par Philippe ULMANN

La macroéconomie de la santé

Un sys­tème de san­té est un ensemble plus ou moins cohé­rent de moyens de finan­ce­ment, d’in­for­ma­tion, de pré­ven­tion et de trai­te­ment orga­ni­sé en vue de main­te­nir et d’a­mé­lio­rer la san­té. Ce texte en abor­de­ra les aspects macroé­co­no­miques, c’est-à-dire globaux.

La double équivalence

Une double équa­tion décrit bien les échanges finan­ciers qui s’ins­taurent entre les prin­ci­paux agents d’un sys­tème de san­té et sym­bo­lise les rela­tions macroé­co­no­miques entre eux. Une double équi­va­lence s’ins­taure au niveau macroé­co­no­mique dans tout sys­tème de san­té entre l’offre de soins des pro­fes­sion­nels, la demande des malades et la dépense enga­gée pour payer les pre­miers et faire face à la dépense des seconds.

Elle peut être pré­sen­tée de manière simple en décom­po­sant l’offre en un pro­duit de la rému­né­ra­tion des soi­gnants ou pro­duc­teurs de biens médi­caux par leur nombre : H/S x N. On sché­ma­ti­se­ra cette rému­né­ra­tion par H et S pour repré­sen­ter les hono­raires H des méde­cins, des den­tistes, des kiné­si­thé­ra­peutes, ou autres acteurs para­mé­di­caux et les salaires S des hos­pi­ta­liers ou des labo­ran­tins, mais aus­si les salaires des per­son­nels des caisses d’as­su­rance mala­die et même les divi­dendes des action­naires des labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques…, et par N pour repré­sen­ter leur nombre res­pec­tif, c’est-à-dire l’emploi dans le sec­teur des soins, un para­mètre social important.

En effet, si envi­ron 80 % des dépenses de san­té sont direc­te­ment ver­sées à des soi­gnants et le reste consa­cré à ache­ter des biens et ser­vices médi­caux, les reve­nus des pro­thé­sistes et des action­naires des labo­ra­toires font aus­si par­tie des dépenses de soins qui deviennent des reve­nus dans l’économie.

Ain­si, H/S sera un vec­teur hori­zon­tal comp­tant autant d’i­tems qu’il existe de types de rému­né­ra­tions et N sera un vec­teur ver­ti­cal comp­tant autant de caté­go­ries de per­son­nels qu’il en existe dans le sys­tème de santé.

On peut de même pré­sen­ter la demande de soins comme le pro­duit du prix des soins (par uni­té d’ho­no­raire, d’hos­pi­ta­li­sa­tion ou de médi­ca­ment) par leur volume res­pec­tif. On sché­ma­ti­se­ra alors la dépense cor­res­pon­dante par P x Q pour repré­sen­ter les prix P des consul­ta­tions ou de visites des méde­cins, ou encore des jour­nées d’hos­pi­ta­li­sa­tion et enfin des pro­duits phar­ma­ceu­tiques ou de pro­thèses, et les volumes cor­res­pon­dants Q pour le nombre de consul­ta­tions, de jour­nées pas­sées à l’hô­pi­tal, enfin le nombre de médi­ca­ments consom­més et de pro­thèses. Ain­si P sera un vec­teur hori­zon­tal, com­po­sé d’au­tant d’i­tems qu’il existe de ser­vices médi­caux et Q un vec­teur ver­ti­cal en comp­tant autant qu’il aura été consom­mé de biens et de ser­vices médicaux.

Enfin, on peut pré­sen­ter la dépense de soins selon son ori­gine par la somme (I + C) + M + A des sym­boles I et C repré­sen­tant les impôts ou coti­sa­tions consi­dé­rés comme des pré­lè­ve­ments obli­ga­toires et appe­lés » fonds publics » par les éco­no­mistes, M les tickets modé­ra­teurs ou sommes finan­cés direc­te­ment par les malades et A les primes d’as­su­rances ver­sées volon­tai­re­ment par les assu­rés à titre pri­vé et ser­vant au rem­bour­se­ment des soins, appe­lés » fonds privés « .

Cette pré­sen­ta­tion macroé­co­no­mique se révèle un ins­tru­ment ana­ly­tique et péda­go­gique puissant…

Les termes de l’é­qua­tion ne sont pas spon­ta­né­ment en équi­libre. Il importe donc de bien com­prendre les rela­tions entre les trois par­ties de l’équation.

Les déséquilibres spontanés

On abor­de­ra suc­ces­si­ve­ment la ques­tion de l’in­ter­dé­pen­dance entre les trois élé­ments de l’é­qua­tion, puis la diver­si­té des situa­tions selon les groupes de pays, les diver­gences d’in­té­rêts et de coa­li­tion, on se deman­de­ra qui finance et qui tire par­ti des soins et qui régule, enfin on évo­que­ra quelques fausses bonnes idées fré­quem­ment émises.

1 – Interdépendance entre les termes de l’équation

Tout chan­ge­ment dans l’un des termes de l’é­qua­tion se réper­cute inévi­ta­ble­ment sur les deux autres. Ain­si, une aug­men­ta­tion de la dépense de soins favo­rise soit la rému­né­ra­tion soit le nombre des soi­gnants, soit les deux. Elle exige aus­si de nou­veaux moyens de finan­ce­ment, donc soit les pré­lè­ve­ments obli­ga­toires aug­men­te­ront, soit les soins seront moins bien rem­bour­sés, soit les primes d’as­su­rances seront plus lourdes.

Si par exemple les infir­miers et per­son­nels des hôpi­taux obtiennent une aug­men­ta­tion de salaires, la dépense aug­men­te­ra mais aus­si, iné­luc­ta­ble­ment, les impôts ou les coti­sa­tions, puisque les dépenses hos­pi­ta­lières sont en géné­ral bien rem­bour­sées. À moins que les méde­cins et les labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques n’ad­mettent de voir dimi­nuer leur reve­nu pour com­pen­ser l’aug­men­ta­tion des infir­miers hos­pi­ta­liers et main­te­nir le niveau de la dépense.

A contra­rio, sup­po­sons que le Par­le­ment décide de réduire les impôts ou les coti­sa­tions pour dimi­nuer la pres­sion qu’exercent les pré­lè­ve­ments obli­ga­toires sur l’é­co­no­mie, soit les deux autres sources de finan­ce­ment vien­dront en sub­sti­tu­tion, à dépense égale, et on assis­te­ra alors à une pri­va­ti­sa­tion du finan­ce­ment, soit les dépenses de san­té et les reve­nus des soi­gnants diminueront.

Dans cette deuxième hypo­thèse, il peut s’a­gir soit des prix des soins et donc de la rému­né­ra­tion des soi­gnants, soit des volumes consom­més, et donc du nombre de travailleurs.

Les inter­re­la­tions peuvent être encore plus com­plexes. Sup­po­sons que le gou­ver­ne­ment, sou­cieux de réduire les dépenses de san­té rem­bour­sées, décide de faire por­ter son effort sur le prin­ci­pal poste de dépense : l’hos­pi­ta­li­sa­tion. Il rédui­ra le nombre de lits et cer­tains malades devront doré­na­vant être trai­tés en ville. Donc la dépense d’ho­no­raires et de médi­ca­ments aug­men­te­ra. Si elle aug­mente moins vite que les dépenses d’hos­pi­ta­li­sa­tion ne dimi­nuent, le gou­ver­ne­ment aura atteint son objec­tif. Dans le cas contraire, il aura échoué.

Mais en outre, comme les dépenses d’hos­pi­ta­li­sa­tion sont mieux rem­bour­sées que les dépenses de ville, le finan­ce­ment public en sera allé­gé d’au­tant et les fonds pri­vés, la par­ti­ci­pa­tion des malades ou des assu­reurs en l’oc­cur­rence, aug­men­te­ront. Cet effet induit et méca­nique accen­tue­ra le suc­cès de la poli­tique enga­gée mais accen­tue­ra la pri­va­ti­sa­tion du finan­ce­ment. Tous les termes de l’é­qua­tion auront, comme tou­jours, changé.

2 – Diversité des situations par pays

Les termes de l’é­qua­tion varient dans des pro­por­tions impor­tantes selon les sys­tèmes de san­té. Dans les sys­tèmes ins­pi­rés par Beve­ridge (Royaume-Uni ou Suède), finan­cés sur­tout par l’im­pôt, la dépense totale est bien contrô­lée, la par­ti­ci­pa­tion des malades reste en géné­ral faible, les prix peuvent être éle­vés, tels les reve­nus des géné­ra­listes ou les prix des médi­ca­ments au Royaume-Uni, et en géné­ral l’emploi reste peu important.

Dans les sys­tèmes de type Bis­marck, dits pro­fes­sion­nels (Alle­magne), finan­cés sur­tout par des coti­sa­tions sociales pré­le­vées sur les reve­nus et un peu par l’im­pôt, la dépense totale semble plus éle­vée, ain­si que la charge impo­sée aux malades. La France appar­tient à ce groupe. L’im­pôt y finance une part modeste et les coti­sa­tions presque 75 %. Les malades paient d’im­por­tants tickets modé­ra­teurs et les assu­rances com­plé­men­taires jouent un rôle crois­sant. Les prix des soins sont bas, en par­ti­cu­lier les hono­raires des géné­ra­listes et les prix des médi­ca­ments, et les volumes consom­més élevés.

Aux États-Unis, en prin­cipe pays du libé­ra­lisme et du mar­ché, l’im­pôt finance 40 % de la dépense et les assu­rances et les malades cha­cun 30 %. Les prix sont éle­vés, ain­si que les reve­nus des soi­gnants et l’emploi est très impor­tant, ce qui explique que ce pays consacre deux fois plus de sa pro­duc­tion natio­nale aux soins (14,5 %) que l’An­gle­terre (7 %) et un plus d’un tiers de plus que la France (9,5 %). Mais les Amé­ri­cains semblent consom­mer le même volume de soins que les Européens.

3 – Qui paye, qui consomme et qui régule ?

La popu­la­tion se divise en deux ou trois en sous-groupes jouant des rôles dif­fé­rents. D’une part le groupe des actifs, en géné­ral bien por­tants et ayant une capa­ci­té de finan­ce­ment éle­vée : ils sont forts contri­buables ou coti­sants aux pré­lè­ve­ments obli­ga­toires, forts deman­deurs d’as­su­rance et faibles consom­ma­teurs de soins. D’autre part le groupe des retrai­tés et des grands malades ou inva­lides ne pou­vant tra­vailler : ils sont faibles contri­buables ou coti­sants et forts consom­ma­teurs de soins.

Dans l’en­semble des pays riches, le second groupe dépense la moi­tié des soins. Sché­ma­ti­que­ment, une impor­tante redis­tri­bu­tion se pro­duit : les actifs bien por­tants payent pour les inac­tifs malades les soins rem­bour­sés. Par contre, ce sont les malades qui sup­portent eux-mêmes les charges directes ou les tickets modérateurs.

Deman­dons-nous alors qui régule, c’est-à-dire qui contrôle, la répar­ti­tion de la dépense totale entre I, C et M ? Pour les biens et les ser­vices tra­di­tion­nels, comme les machines à laver ou les sor­ties au théâtre, c’est le mar­ché qui régule, donc la demande des consom­ma­teurs, qui mettent en balance l’u­ti­li­té atten­due de leur achat et son coût, compte tenu de leur reve­nu. Pour les ser­vices publics, c’est le Par­le­ment qui met en balance les ser­vices d’é­du­ca­tion et de jus­tice, par exemple.

Pour la san­té, les choses sont plus com­pli­quées. Une double régu­la­tion par le Par­le­ment et par le mar­ché coexiste. Le mon­tant de I et de C est régu­lé par le Par­le­ment qui vote le mon­tant des pré­lè­ve­ments obli­ga­toires et leur affec­ta­tion entre la san­té et les autres fonc­tions de l’É­tat. Au contraire, le mon­tant de M et de A dépend de la volon­té de payer des malades ou des assu­rés, il est donc assez lar­ge­ment régu­lé par le marché.

Mais de toute façon, aucune res­source finan­cière n’é­chappe à une forme ou à une autre de régu­la­tion. Les moyens finan­ciers ne sont en aucun pays ni illi­mi­tés ni incon­trô­lés. Ils le sont seule­ment plus ou moins. Et l’ex­pé­rience inter­na­tio­nale démontre que les fonds publics sont mieux contrô­lés que les fonds pri­vés. Autre­ment dit, plus I et C sont éle­vés en pro­por­tion et moins la dépense glo­bale de soins est forte, alors que plus les malades payent de leur poche ou financent par des assu­rances pri­vées, et plus elle est élevée.

4 – Divergences et coalitions d’intérêts politiques

Dès lors, quels sont les inté­rêts en pré­sence ? Il existe dans tout sys­tème de san­té une coa­li­tion d’in­té­rêts entre les offreurs et les deman­deurs de soins, donc entre les soi­gnants et les malades, pour voir aug­men­ter la dépense, au détri­ment des contri­buables et/ou des coti­sants. Les malades, en effet, sou­haitent tou­jours des soins de meilleure qua­li­té, donc à prix P plus éle­vé et en volume Q plus impor­tant supposent-ils.

Les besoins res­sen­tis expri­més à cet égard sont illi­mi­tés et tou­jours crois­sants. On va de la satis­fac­tion de besoins de base (accou­che­ments et mala­dies infec­tieuses) à celle de besoins plus tech­niques (can­cers) puis à celle de soins de confort (esthé­tique ou stress).

De même, le groupe des soi­gnants, méde­cins, hos­pi­ta­liers et labo­ra­toires, dési­re­ra tou­jours, comme tout groupe actif et c’est légi­time, rece­voir des rému­né­ra­tions H/S plus éle­vées et être plus nom­breux, donc faire aug­men­ter N.

Soit par sou­ci de l’emploi, soit par sou­ci de pou­voir, comme cela s’ob­serve dans les grandes ins­ti­tu­tions comme les hôpi­taux dont les direc­teurs sont d’au­tant plus puis­sants qu’ils comptent plus de lits, ou chez les syn­di­cats tou­jours sou­cieux de mul­ti­plier leurs élec­teurs poten­tiels et de favo­ri­ser l’emploi.

On voit ain­si tou­jours se for­mer des coa­li­tions entre les malades et les soi­gnants pour obte­nir plus de moyens de finan­ce­ment. Étrange para­doxe, les mêmes émettent sou­vent en même temps des cri­tiques récur­rentes sur le » trou de la Sécu » et le » trop d’im­pôts « , l’ad­mi­nis­tra­tion en étant sou­vent ren­due res­pon­sable. Et en ce sens la demande comme l’offre de soins sont illi­mi­tées, quel que soit le sys­tème de soins. Tout sys­tème de soins pré­sente une ten­dance spon­ta­née à l’ac­crois­se­ment de la dépense. Il faut bien prendre conscience de cette réa­li­té éco­no­mique incon­tour­nable. C’est pour­quoi les stra­té­gies des offreurs et des deman­deurs pour obte­nir plus de dépense sus­citent à leur tour une stra­té­gie défen­sive des payeurs et néces­sitent des régulations.

En réponse, les actifs qui versent les fonds publics ont inté­rêt à repor­ter la charge le plus pos­sible sur les malades, c’est-à-dire sur M ou sur A, donc à pri­va­ti­ser le finan­ce­ment. Les inté­rêts des contri­buables aisés coïn­cident alors avec ceux des méde­cins : pri­va­ti­ser le finan­ce­ment. Et cette stra­té­gie ren­contre fré­quem­ment celle des soi­gnants, les­quels savent que les fonds pri­vés sont plus dif­fi­ciles à contrô­ler et que plus la part du finan­ce­ment pri­vé est impor­tante et plus la dépense totale sera éle­vée ou augmentera.

Ain­si voit-on les méde­cins reven­di­quer une aug­men­ta­tion des fonds pri­vés, dans le but d’aug­men­ter la dépense totale, et être sou­te­nus dans leur démarche à la fois par la popu­la­tion active aisée, dont le pou­voir de lob­bying et de per­sua­sion à l’é­gard des médias est impor­tant, et qui reste sou­cieuse de payer moins d’im­pôts, et par cer­tains assu­reurs pri­vés ou par les syn­di­cats sou­cieux de voir aug­men­ter l’emploi.

Alors sur­git un pro­blème d’é­qui­té. En effet, les fonds pri­vés sont à la charge des malades, plus défa­vo­ri­sés par défi­ni­tion et plus sou­vent pauvres. On dit que le finan­ce­ment pri­vé est contraire au prin­cipe d’é­ga­li­té devant l’ac­cès aux soins (anti­re­dis­tri­bu­tif).

5 – Trois fausses bonnes idées

Elles sont sou­vent invo­quées par les par­te­naires en pré­sence : le défi­cit, les besoins, le ration­ne­ment des soins. L’é­qua­tion macroé­co­no­mique montre qu’ils n’ont guère de fon­de­ment scientifique.

On évo­que­ra tout d’a­bord le concept de » défi­cit du sys­tème de san­té « . Que l’as­su­rance mala­die soit publique ou pri­vée, un défi­cit pro­vient d’une insuf­fi­sance des recettes par rap­port aux dépenses. Si la ten­dance au défi­cit est uni­ver­selle pour l’offre et la demande de soins qui peuvent aug­men­ter indé­fi­ni­ment, le défi­cit lui-même peut au plus per­du­rer un an. Les prin­cipes de la comp­ta­bi­li­té, publique comme pri­vée, exigent en effet qu’il y soit mis fin au moment de la clô­ture des comptes. Il doit se résor­ber en fin d’an­née soit par une aug­men­ta­tion des recettes, donc de l’un des termes (I + C) + M + A, soit par un emprunt qui repousse l’é­chéance. Mais l’emprunt ne fait que recu­ler le moment de véri­té et repor­ter la charge de la dépense sur les géné­ra­tions futures qui devront payer soit plus d’im­pôts, soit plus de coti­sa­tions pour le rembourser.

La vraie ques­tion posée par le finan­ce­ment n’est donc pas celle du défi­cit, mais de l’im­por­tance de I et de C, voire de A ? Qui paye et com­bien ? Cela se mesure par la pro­por­tion des pré­lè­ve­ments obli­ga­toires et des assu­rances dans la pro­duc­tion natio­nale, soit par (C + I)/PIB soit par A/PIB. Le concept per­ti­nent n’est donc pas le défi­cit si sou­vent invo­qué, mais la part des dépenses publiques ou pri­vées de san­té dans le PIB et la part des charges impo­sées aux malades dans les dépenses de san­té, soit M/PQ. L’é­co­no­miste amé­ri­cain Les­ter Thu­row a rap­pe­lé, dès 1984, qu’au­cun sec­teur ne peut croître plus vite que la richesse natio­nale sous peine de mettre en dan­ger les équi­libres macroéconomiques.

On évo­que­ra ensuite le concept de » besoin de san­té « . Sou­vent invo­qué pour jus­ti­fier l’aug­men­ta­tion des fonds des­ti­nés à la san­té, il n’a guère de sens lui non plus. Soit il s’a­git du vec­teur Q qui décrit tous les soins consom­més en volume : consul­ta­tions, scan­ners et ana­lyses… Et alors on se heurte à la dif­fi­cul­té de recen­ser cette myriade d’élé­ments, dif­fi­cul­té sur laquelle buta la pla­ni­fi­ca­tion sovié­tique dans tous les sec­teurs, y com­pris celui de la san­té. Soit il s’a­git du pro­duit PQ et alors le besoin, ain­si défi­ni, dépend non seule­ment des soins au sens maté­riel, mais aus­si du niveau de la rému­né­ra­tion des soi­gnants, laquelle peut n’a­voir que peu de rap­port avec la qua­li­té des soins.

Cer­tains sys­tèmes de san­té donnent de très bons résul­tats avec des rému­né­ra­tions modestes et d’autres de très mau­vais avec des rému­né­ra­tions éle­vées, comme le démontre la confron­ta­tion Alle­ma­gne/É­tats-Unis par exemple. Le concept de besoin se révèle donc peu opé­ra­tion­nel et il est sou­vent uti­li­sé par les tenants de l’aug­men­ta­tion de la dépense.

La recherche et la poli­tique actuelle tentent de situer le besoin à l’in­té­rieur d’une four­chette rai­son­nable à l’in­té­rieur d’un plan­cher mini­mum et d’un pla­fond maxi­mum, en défi­nis­sant un » panier de biens et ser­vices médi­caux » jugés indis­pen­sables, donc rem­bour­sables, afin de les mettre à la dis­po­si­tion de toute la population.

Évo­quons enfin le concept de » ration­ne­ment des soins « , lui aus­si sou­vent invo­qué. Il n’a pas plus de sens que celui de besoin et pour les mêmes rai­sons. La menace d’un ration­ne­ment appa­raît quand le Par­le­ment impose une limite à la dépense de san­té ou à son aug­men­ta­tion, comme depuis les années 1950 en Angle­terre ou depuis les années 1990 en France.

Il y a ration­ne­ment si d’une part il n’exis­tait aucun gas­pillage dans le volume de soins Q consom­mé anté­rieu­re­ment et si, d’autre part, l’a­jus­te­ment de la dépense totale porte sur Q. Alors, les lits d’hô­pi­taux ou les pro­thèses peuvent man­quer. Mais il peut aus­si por­ter sur P, donc sur H et/ou S. Dans ce cas, la limite impo­sée à la dépense peut signi­fier que le Par­le­ment accorde une prio­ri­té à d’autres actions col­lec­tives que la san­té, comme sou­vent au Royaume-Uni, ou qu’il impose une soli­da­ri­té entre l’é­vo­lu­tion des reve­nus des contri­buables ou des coti­sants et celle des rému­né­ra­tions des soi­gnants, comme en Allemagne.

Le système de santé français

Long­temps objet de fier­té pour avoir conci­lié finan­ce­ment socia­li­sé et méde­cine libé­rale, le sys­tème de san­té fran­çais recèle de curieux para­doxes. Coû­teux sans pou­voir res­ter géné­reux, à la fois plé­tho­rique et ration­né, il souf­frait d’un excès de cen­tra­li­sa­tion et d’une dilu­tion des res­pon­sa­bi­li­tés pour n’a­voir jamais vou­lu choi­sir entre la logique de Bis­marck et celle de Beve­ridge et répar­tir clai­re­ment les rôles entre l’É­tat et les par­te­naires sociaux.

Cette répar­ti­tion ubuesque des res­pon­sa­bi­li­tés a eu des effets désas­treux. Alors qu’il figure par­mi les plus coû­teux pour les tra­vailleurs qui cotisent, il se range par­mi les moins géné­reux pour les malades et une par­tie des pro­fes­sion­nels qui y tra­vaillent. Qua­trième des pays de l’OCDE pour la dépense en pour­cen­tage du PIB (der­rière les États-Unis, la Suisse et le Cana­da) et deuxième de l’U­nion euro­péenne (der­rière l’Al­le­magne avec sa charge des Län­der de l’Est), il impose aux assu­rés les plus lourds pré­lè­ve­ments obli­ga­toires alors que le taux de rem­bour­se­ment par l’as­su­rance mala­die obli­ga­toire dimi­nue (de 76 % à 74 % depuis dix ans) au point de figu­rer par­mi les plus bas (après celui des États-Unis).

Une assurance maladie éclatée

Rap­pe­lons l’es­sen­tiel de son his­toire. Une loi de 1946 pré­voyait l’as­su­jet­tis­se­ment obli­ga­toire à un futur régime unique de tous les Fran­çais et rési­dants sur le ter­ri­toire et la ges­tion de cet orga­nisme selon les prin­cipes de la démo­cra­tie sociale : un » régime géné­ral » à voca­tion uni­ver­selle est alors créé.

La même année, un décret main­tient les régimes spé­ciaux de fonc­tion­naires, créés dans les années 1930. Puis une loi crée des régimes auto­nomes pour les exploi­tants agri­coles et pour les tra­vailleurs non sala­riés et non agri­coles. Enfin, une loi de 1999 crée la Cou­ver­ture médi­cale uni­ver­selle (CMU). Les beaux prin­cipes d’u­ni­té et d’u­ni­ver­sa­li­té datant de la libé­ra­tion ont donc cédé aux démons de la diver­si­té et du corporatisme.

L’as­su­rance mala­die fran­çaise actuelle se com­pose de trois régimes impor­tants et d’un filet de sécu­ri­té pour les pauvres, qui couvrent les frais de mala­die pro­pre­ment dits, la mater­ni­té, les acci­dents du tra­vail et l’in­va­li­di­té décès.

a) La Caisse natio­nale de l’as­su­rance mala­die des tra­vailleurs sala­riés (CNAMTS), la plus impor­tante, gère aus­si les régimes auto­nomes des pen­sion­nés et des grands inva­lides, des assu­rés volon­taires, des adultes han­di­ca­pés, des fonc­tion­naires civils et mili­taires de l’É­tat, des agents des col­lec­ti­vi­tés locales, des étu­diants et des per­son­nels médi­caux conven­tion­nés, enfin les béné­fi­ciaires de la CMU (reve­nu indi­vi­duel infé­rieur à 3 500 francs men­suels). La CNAMTS rem­bourse les dépenses de soins rem­bour­sables par nature, à l’ex­clu­sion de la pré­ven­tion, et sans en contrô­ler vrai­ment l’ef­fi­ca­ci­té médi­cale. En prin­cipe, le rem­bour­se­ment atteint 75 % des hono­raires des méde­cins, entre 35 et 65 % des frais de médi­ca­ments et 90 % des frais d’hos­pi­ta­li­sa­tion, enfin 100 % de tous les soins des per­sonnes atteintes d’une mala­die grave et inva­li­dante (affec­tion de longue durée).

b) La Caisse natio­nale des tra­vailleurs » non sala­riés non agri­coles » (CANAM) rem­bourse bien les » gros risques « , comme l’hos­pi­ta­li­sa­tion, mais les » petits risques » à 50 % seulement.

c) La Mutua­li­té sociale agri­cole (MSA) com­porte l’as­su­rance mala­die des exploi­tants agri­coles (AMEXA) et l’as­su­rance mala­die des sala­riés agri­coles (ASA).

À ces trois régimes s’a­joutent une quin­zaine de » régimes spé­ciaux » pour les agents de la SNCF, de la RATP et de l’EDF-GDF, les per­son­nels des mines, de la Banque de France, de la Chambre de com­merce de Paris, des Fran­çais de l’é­tran­ger (hors CEE), les marins, les clercs de notaires, enfin, une Caisse auto­nome du Sénat et un Fonds de l’As­sem­blée natio­nale. Des mutuelles gèrent par délé­ga­tion les inté­rêts des fonc­tion­naires (MGEN), des étu­diants (MNEF) et des agents des col­lec­ti­vi­tés locales. La plu­part des régimes spé­ciaux ne peuvent sur­vivre sans l’aide de l’É­tat ou du Régime géné­ral qui verse en réa­li­té 89 % des pres­ta­tions totales si on y inclut la com­pen­sa­tion démographique.

Cette diver­si­té des régimes de base intro­duit des inéga­li­tés cumu­la­tives de pro­tec­tion sociale entre les Fran­çais, liées à leur pro­fes­sion. Les moins expo­sés au chô­mage sont les mieux pro­té­gés par les régimes obli­ga­toires vis-à-vis de la mala­die. Inéga­li­tés accen­tuées par l’as­su­rance com­plé­men­taire (pri­vée ou mutua­liste) dont béné­fi­cient sur­tout les fonc­tion­naires et les tra­vailleurs à sta­tut et à laquelle une par­tie de la popu­la­tion, sur­tout des ouvriers ou des chô­meurs, pas assez pauvres pour béné­fi­cier de la CMU, n’ont pas accès.

Une dualité difficile à contrôler

En France coexistent en fait un sys­tème de type Beve­ridge pour cer­taines acti­vi­tés de pré­ven­tion (pré­ven­tion mater­nelle et infan­tile, ou sco­laire) et pour les hôpi­taux publics (pla­cés sous la tutelle de l’É­tat, étroi­te­ment pla­ni­fiés, dont les méde­cins sont sala­riés, et finan­cés par un bud­get glo­bal) et un sys­tème de type Bis­marck pour les cli­niques pri­vées et la méde­cine de ville (payées à l’acte ou à la jour­née d’hos­pi­ta­li­sa­tion), orga­ni­sé par contrat entre l’as­su­rance mala­die et les pro­fes­sions médicales.

Cet ensemble figure par­mi les plus diver­si­fiés d’Eu­rope : la pré­sence d’hô­pi­taux publics (les deux tiers des capa­ci­tés) et de cli­niques pri­vées (un tiers) dont cer­taines, à but non lucra­tif, sont assi­mi­lées aux hôpi­taux publics, et d’autres, à but lucra­tif, gérées selon une logique de béné­fice, offre toute liber­té de choix à la popu­la­tion et aux médecins.

Une » Conven­tion » entre les » Syn­di­cats médi­caux repré­sen­ta­tifs » et les trois régimes d’as­su­rance mala­die fixe, envi­ron tous les cinq ans, les hono­raires et cer­taines condi­tions d’exer­cice des méde­cins ; mais elle doit rece­voir l’a­gré­ment du minis­tère de la San­té qui déter­mine la nomen­cla­ture des actes et fixe, in fine et sans tou­jours tenir compte du résul­tat de la négo­cia­tion, les tarifs des actes appli­cables (rem­bour­sés) ; puis le contrôle en revient aux méde­cins conseil de la CNAMTS.

Le minis­tère assure la tutelle de la San­té publique, mais dis­pose de peu de méde­cins et de moyens de recherche et d’é­va­lua­tion déri­soires : » Défi­cit d’in­tel­li­gence » juge le pré­sident de la com­mis­sion des Comptes de la Sécu­ri­té sociale ; la CNAMTS en regorge en revanche, avec son ser­vice de » méde­cins conseil » qui consti­tue le plus grand ser­vice d’au­dit interne fran­çais (2 500 pra­ti­ciens et 7 500 agents admi­nis­tra­tifs), et son ser­vice infor­ma­tique, qui regroupe la moi­tié de ses per­son­nels, long­temps can­ton­né dans le contrôle administratif.

L’as­su­rance mala­die ne dis­pose en effet d’au­cun sys­tème d’in­for­ma­tion lui per­met­tant de rap­pro­cher les affec­tions dont souffre la popu­la­tion des trai­te­ments appli­qués par les méde­cins, comme le font les pays étrangers.

La difficile maîtrise des dépenses

Jus­qu’aux années 1990, la France uti­li­sait des méthodes de régu­la­tion tra­di­tion­nelles : faible prix des médi­ca­ments ou des hono­raires et forte par­ti­ci­pa­tion finan­cière des malades. La poli­tique du minis­tère consis­tait, depuis des années, à blo­quer l’é­vo­lu­tion des prix, lais­sant l’as­su­rance mala­die contrô­ler les volumes, ce qu’elle n’a jamais su faire. Cette par­ti­cu­la­ri­té fran­çaise témoigne de la mécon­nais­sance des méca­nismes élé­men­taires de régu­la­tion et de la dilu­tion des res­pon­sa­bi­li­tés entre l’É­tat et les caisses.

Le minis­tère de la San­té et les régimes d’as­su­rance mala­die se reprochent mutuel­le­ment soit leur excès soit leur manque de pou­voir ou de res­pon­sa­bi­li­té. Le pre­mier, sui­vant une logique éco­no­mique, doit prendre les déci­sions aux­quelles répugnent les par­te­naires sociaux : aug­men­ter les taux des coti­sa­tions, maî­tri­ser les dépenses hos­pi­ta­lières, les plus lourdes et in fine, faire avan­cer les accords avec les pro­fes­sion­nels de la santé.

À la logique admi­nis­tra­tive et éco­no­mique du minis­tère, qui doit limi­ter la pro­gres­sion de la dépense, s’op­po­sait la logique des reve­nus et des besoins du corps médi­cal et de l’as­su­rance mala­die. Cet ensemble hété­ro­gène, inca­pable d’a­dap­ter spon­ta­né­ment ses dépenses à la crois­sance éco­no­mique, a subi un plan de redres­se­ment d’ur­gence, impo­sé par le gou­ver­ne­ment, tous les dix-huit mois en moyenne.

Ces plans ont certes modé­ré les dépenses de san­té, puisque le taux de crois­sance de la consom­ma­tion médi­cale en volume, autre­fois de 2 à 3 points supé­rieur à celui du PIB en est proche depuis 1994. Tou­te­fois, le défi­cit tend à réap­pa­raître à chaque période de réces­sion, et il sub­siste même en 1999, période de forte croissance.

La ques­tion de la qualité

À par­tir de 1990, une série de rap­ports conver­gents firent appa­raître les effets désas­treux de la non-ges­tion. À l’in­quié­tude récur­rente quant à la dépense s’a­joute une sou­daine angoisse quant à la qualité.

Le rap­port Béraud démontre com­ment les méde­cins pres­crivent mal des médi­ca­ments aus­si cou­rants et coû­teux que les anti­bio­tiques ou les anti-ulcé­reux, choi­sissent les spé­cia­li­tés phar­ma­ceu­tiques chères ou récentes de pré­fé­rence aux géné­riques, moins chers mais de com­po­si­tion iden­tique, ordonnent simul­ta­né­ment plu­sieurs pro­duits simi­laires aux vieillards…

Le rap­port Zari­fian estime que les Fran­çais consomment sans rai­son trois fois plus de psy­cho­tropes que les Alle­mands alors même que les grandes dou­leurs res­tent non traitées.

L’af­faire du sang conta­mi­né par le virus du sida et trans­fu­sé, celle des petites mater­ni­tés, peu sûres car mal équi­pées, celle des trans­plan­ta­tions effec­tuées en nombre sur­pre­nant sur des étran­gers alors que la liste d’at­tente des patients fran­çais aug­mente, le nombre d’in­fec­tions dues aux déchets hos­pi­ta­liers… un pareil fais­ceau d’in­for­ma­tions conver­gentes ren­dait néces­saire une réforme de grande ampleur.

La réforme de 1996 ou réforme Juppé

Il s’a­git d’une réforme fon­da­men­tale en ce qu’elle modi­fie les ins­ti­tu­tions, les res­pon­sa­bi­li­tés et les rela­tions entre les agents. Le gou­ver­ne­ment orien­te­ra doré­na­vant l’en­semble du sys­tème de san­té sous le contrôle du Par­le­ment. Des rela­tions contrac­tuelles défi­ni­ront les obli­ga­tions et les res­pon­sa­bi­li­tés réci­proques, en par­ti­cu­lier, les enga­ge­ments de l’as­su­rance mala­die et des pro­fes­sions médi­cales. Enfin, la ges­tion sera régio­na­li­sée. Au niveau natio­nal, une Confé­rence natio­nale de la san­té et une Agence natio­nale d’ac­cré­di­ta­tion et d’é­va­lua­tion en san­té (ANAES) défi­ni­ront les prio­ri­tés et les cri­tères d’appréciation.

Le Par­le­ment, au nom des assu­rés et des contri­buables, confé­re­ra une légi­ti­mi­té démo­cra­tique à la maî­trise de la dépense en fixant un » Objec­tif natio­nal de dépenses d’as­su­rance mala­die, compte tenu des pré­vi­sions de recettes » pour les dépenses rem­bour­sées (ONDAM). Une » conven­tion d’ob­jec­tifs et de ges­tion » lie­ra le gou­ver­ne­ment et les caisses d’as­su­rance mala­die, à défaut, celui-ci leur noti­fie­ra l’ob­jec­tif, qu’elles devront alors res­pec­ter. Les caisses pro­fes­sion­nelles sub­sistent, gérées par des conseils d’ad­mi­nis­tra­tion com­po­sés à pari­té de 13 repré­sen­tants du patro­nat et 13 des syn­di­cats, plus quatre per­son­na­li­tés qua­li­fiées, tous nom­més. La réforme intro­duit donc une double repré­sen­ta­tion des assu­rés : par leurs dépu­tés au Par­le­ment et par les syn­di­cats pro­fes­sion­nels aux conseils d’ad­mi­nis­tra­tion de la CNAMTS.

Toute réfé­rence à une démo­cra­tie sociale spé­ci­fique dis­pa­raît donc avec l’a­ban­don de prin­cipe de l’é­lec­tion. Le minis­tère de la San­té contrô­le­ra les hôpi­taux et les caisses la méde­cine de ville. L’ar­chi­tec­ture bis­mar­ckienne, pré­ser­vée par crainte de l’op­po­si­tion des par­te­naires sociaux, semble vouée à s’es­tom­per. Il ne s’a­git ni d’é­ta­ti­sa­tion ni de pri­va­ti­sa­tion comme cer­tains l’ont affir­mé. Plu­tôt du mariage diplo­ma­tique de Beve­ridge et de Bis­marck en quelque sorte.

Au niveau régio­nal, 24 agences régio­nales de l’hos­pi­ta­li­sa­tion (ARH) com­po­sées à pari­té de repré­sen­tants de l’É­tat et des Caisses, com­pé­tentes pour les hôpi­taux publics comme pri­vés, doivent accré­di­ter les hôpi­taux et leur impo­ser un contrôle de qua­li­té ; fer­mer ou restruc­tu­rer les struc­tures, réduire les inéga­li­tés, répar­tir l’en­ve­loppe régio­nale de dépenses et pas­ser avec eux des contrats d’ob­jec­tifs. Des Unions régio­nales des caisses d’as­su­rance mala­die (URCAM) négo­cie­ront les conven­tions avec les méde­cins de ville et orga­ni­se­ront les filières de soins expé­ri­men­tales, cen­trées autour des généralistes.

Le monde médical face à la réalité économique

Il sait s’u­nir pour s’op­po­ser. Pour adhé­rer, il reste divi­sé. Il reven­dique les pré­ro­ga­tives du sala­riat et de la pro­fes­sion libé­rale tout à la fois (reve­nu garan­ti et indé­pen­dance), mais refuse les incon­vé­nients de cha­cune de ces formes de tra­vail (comptes à rendre ou risque éco­no­mique). Cha­cun peut aus­si consta­ter à son niveau les gas­pillages dans les hôpi­taux sans pou­voir y remé­dier, mais doit subir les manques de maté­riel ou de per­son­nel, et des lacunes graves mettent l’hô­pi­tal en péril (urgences par exemple).

Cer­tains pro­fes­sion­nels s’in­quiètent de leur ave­nir. les infir­miers dépour­vus de car­rière, les chi­rur­giens dont l’ac­ti­vi­té passe de l’ar­ti­sa­nat à l’in­dus­tria­li­sa­tion par­tielle, les méde­cins de famille expo­sés sans pré­cau­tions à la concur­rence des spé­cia­listes. Le syn­di­ca­lisme médi­cal tout à fait mino­ri­taire et divi­sé, qui com­porte quatre syn­di­cats jugés repré­sen­ta­tifs a blo­qué toute évo­lu­tion et par­ti­cipe à la dés­in­for­ma­tion, à part peut-être MG-France.

Aucune for­ma­tion sys­té­ma­tique à la ges­tion, à l’é­co­no­mie de la san­té, ou à la san­té publique ne figure au pro­gramme des études de méde­cine. Au nom des prin­cipes d’é­ga­li­té, la dif­fé­ren­cia­tion des hono­raires par région et les rému­né­ra­tions inci­ta­tives furent refu­sées. Au nom de l’u­ni­té syn­di­cale, le paie­ment à l’acte fut reven­di­qué pour les géné­ra­listes, alors qu’il les des­sert. Au nom de la liber­té de pres­crip­tion, tout contrôle des dépenses fut refu­sé, condui­sant à de futurs ration­ne­ments ou à des dépenses incon­si­dé­rées pour les malades. Le monde médi­cal fran­çais, à l’ins­tar de celui de l’u­ni­ver­si­té, se trouve confron­té au choix entre pau­pé­ri­sa­tion et restructuration.

Mais nul ne sait com­ment sor­tir d’une situa­tion où les acteurs refusent de prendre leurs res­pon­sa­bi­li­tés et jouent la stra­té­gie du sta­tu quo. Peut-être le rai­son­ne­ment éco­no­mique, au sens tech­nique d’op­ti­mi­sa­tion, per­met­trait-il d’in­tro­duire une cer­taine logique et un peu de clar­té dans cette évolution.

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